WAYNE SHORTER QUARTET « Without a net

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WAYNE SHORTER QUARTET « Without a net
WAYNE SHORTER QUARTET
« Without a net »
Sortie le 4 février 2013
Le fil est mince et tendu entre deux pôles. A une extrémité, se trouve ce que l’on connaît – des sonorités sûres,
des accords attendus agencés en suites prévisibles. L’autre est plus indéfinissable – un royaume magique où le
jazz devient ce que le critique Whitney Balliett a qualifié de “son de la surprise”.
Le musicien évolue à chaque instant sur ce fil, et tente de progresser, en équilibre, pour atteindre cette magie. La
manière classique est d’avancer doucement, à pas de souris, en respectant toutes les règles harmoniques. Le plus
souvent, les résultats obtenus sont prévisibles. Ce n’est pas l’approche privilégiée par Wayne Shorter, le
légendaire saxophoniste et compositeur. Son idée, éprouvée par six décennies consacrées à la musique, repose
sur ce qu’on pourrait appeler l’écoute radicale, la conviction que dans le schéma d’un morceau, tout ce qui est
révélé est directement lié aux signaux que chaque musicien envoie et capte.
Sur “Without A Net”, l’album stupéfiant de son retour chez Blue Note Records, Wayne Shorter et son trio
abordent chaque morceau avec un total esprit d’ouverture et de respect. On sent, entre les notes, qu’ils
s’écoutent les uns les autres. Ils évoluent à l’unisson avec grâce. Ce travail de recherche commun propulse
Wayne Shorter vers l’inconnu. Il n’est pas inconscient ou téméraire, tel un révolutionnaire fou établissant ses
propres règles, il est simplement curieux de voir où peut conduire un simple motif musical. Et c’est contagieux,
car ses partenaires deviennent curieux à leur tour. Ses mystères deviennent les leurs.
Ce processus (la quête de l’un attisant la curiosité des autres) définit la musique de Wayne Shorter, depuis sa
période Art Blakey jusqu’à sa série d’albums solo incroyablement créatifs, en passant par ses années classiques
chez Blue Note, le quintet des années 60 de Miles Davis, et Weather Report. L’héritage provient en partie de ses
compositions (des mélodies rhapsodiques qui, à elles seules, ont pratiquement défini le hard bop) et de la
manière dont il les aborde en improvisant.
“Que dit-on après ‘Il était une fois…’ ? demande Wayne Shorter sur un ton qui suggère que sa question est
aussi littérale que rhétorique. On ne sait jamais quand on va jouer. La presse nous rappelle qu’il ne faut pas se
répéter. Alors nous écoutons, encore et encore, pour voir ce qui peut se produire.”
Le nous se rapporte au fidèle quartet de Wayne Shorter – le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Pattitucci et
le batteur Brian Blade. Montée il y a presque douze ans, cette formation jazz est unique en son genre (elle
maîtrise le répertoire classique de son leader, et connaît également ses penchants et références dont il aime
s’écarter). L’écoute est sa propre source d’énergie, renouvelable à l’infini, qui transforme des mélodies
ordinaires en aventures viscérales. C’est si puissant que même les journalistes les plus tatillons en restent
pantois. Les critiques des récents concerts du quintet débordent de superlatifs et le Guardian l’a décrit comme
“le plus habile, le plus harmonieux, aventureux et audacieux petit groupe de jazz de la planète, qui célèbre
l’aspiration de l’humanité à l’harmonie”.
Wayne Shorter a déclaré que les morceaux de “Without A Net”, enregistrés durant sa tournée européenne de
2011 (à l’exception du nouveau titre “Pegasus,” auquel a participé The Imani Winds, et qui a été enregistré au
Disney Hall de Los Angeles), proposaient “une illustration de notre progression de ces dernières années.” En
cours d’évolution, le groupe est passé du travail en solo au développement d’une aventure collective à laquelle
chacun apporte sa propre contribution : “Blakey avait l’habitude de dire : ‘raconte-moi une histoire’ et c’est bien
ce dont il s’agit. C’est la différence entre jouer d’un instrument et jouer ce à quoi vous aspirez réellement. Si
votre but est de jouer d’un instrument, ça peut finir par s’avérer ennuyeux. Mais si vous avez une vision plus
globale, à propos de ce qu’il vous paraît nécessaire d’exprimer ou de ce que vous espérez pour la condition
humaine, ça peut changer la donne… Il y a des moments, quand nous jouons, où je me retourne et regarde
Danilo : il se met à jouer quelque chose de beau et poignant, un vrai son de rêve. On décide alors de repartir de
là, et d’aller dans la direction qu’il indique.”
L’album s’ouvre avec “Orbits”, un morceau original de Wayne Shorter enregistré la première fois en 1967 par le
quintet de Miles Davis, sur “Miles Smiles”. Envoûtante dès la première mesure, cette étude sur un rythme
soutenu lorgne vers une sorte de heavy metal. Elle montre que ces types connaissent leur affaire. La
conversation évolue en vagues percussives avant la moindre déclaration solo, et prend ensuite des allures de
débat métaphysique qui contribue à différencier cette version de l’originale. “Je dis souvent que rien n’est
jamais terminé, dit Wayne Shorter en riant lorsqu’on lui demande pourquoi il s’est à nouveau intéressé à ce titre
un peu oublié de son répertoire. En fait, si on commence à penser comme ça, et il n’y a pas de limite à ce qui
peut être dit. Ça remet tout en perspective. On ne s’exprime pas avec des mots, mais un dialogue s’instaure
lorsqu’on joue.”
Les six nouvelles compositions de Wayne Shorter sur “Without A Net” sont nées de cette dynamique. Quelque
part, il a composé la mélodie de “S. S. Golden Mean” en escomptant que ses musiciens l’enrichissent. Au cours
des dernières années, Wayne Shorter a consacré beaucoup d’énergie à des pièces plutôt longues, parmi
lesquelles “Myrrh”. Mais il n’a pas cessé d’écrire des morceaux plus courts et cite volontiers “Starry Night”
parmi ses favoris : “Dizzy, ça parle de toi, de ‘Manteca’ et des ponts qui réunissent les cultures. Ça m’a été
inspiré par sa puissance. Aujourd’hui, être créatif est un véritable challenge et j’estime qu’il faut trouver une
constante. La nature protège l’essence des choses à sa manière. Il ne faut pas s’attacher à ce qui est temporaire,
et ça devrait également s’appliquer à la musique : on essaie de servir du meilleur de ce qui a été fait avant
comme d’une lampe torche pour éclairer l’avenir.”
On trouve également sur l’album une version radicalement retravaillée de “Plaza Real”, un titre de Wayne
Shorter enregistré pour l’album “Procession” de Weather Report, ainsi qu’une version à couper le souffle de la
chanson-titre du film “Flying Down To Rio” de 1933, dans lequel Fred Astaire et Ginger Rogers apparaissaient
ensemble pour la première fois à l’écran. Amateur insatiable de cinéma, Wayne Shorter raconte qu’il est tombé
sous le charme de cette chanson après avoir vu le film en DVD : “Le compositeur Max Steiner a vraiment mis
dans le mille avec ce deuxième accord. Il y a toute une histoire là-dedans, des notes qui tournent à contrecourant. C’est l’Amazonie, la forêt vierge, toutes ces anciennes chansons folk.”
Wayne Shorter explique que le titre de l’album lui est venu après une conversation avec Vonetta McGee, une
amie actrice. Elle est venue le voir au Yoshi, à San Francisco, le seul club américain dans lequel il a joué avec
son nouveau groupe : “On se connaît depuis l’âge de quinze ou seize ans et en partant, elle m’a fait : ‘Ton
groupe et toi, vous jouez sans filet’.” L’image a plu à Wayne Shorter et la semaine suivante, sa femme et lui ont
assisté à une conférence de scientifiques sur la forêt vierge : “ils n’avaient rien entendu de la musique, mais ma
femme leur a fait part de la remarque de Vonetta et ils ont demandé si c’était le titre du disque.”
A bientôt 80 ans (il les aura en 2013), Wayne Shorter ne ressemble pas aux autres anciens du jazz. Alors que la
plupart d’entre eux se contentent de récolter des récompenses pour l’ensemble de leur carrière, il crée une des
musiques les plus intenses de son œuvre, sur le plan de l’improvisation notamment. Ça en dit long quand on
connaît son parcours. Wayne Shorter a commencé à enregistrer pour Blue Note en 1959, en tant que membre des
Jazz Messengers de Art Blakey. Alfred Lion l’a signé en artiste au début des années 60 et il s’est lancé dans une
carrière solo tout en étant membre du quintet fondé par Miles Davis au cours de la même décennie. Entre 1964
et 1970, Wayne Shorter a publié de nombreux albums sur Bue Note (parmi lesquels “Night Dreamer”, “Juju” et
“Speak No Evil”) considérés, encore aujourd’hui, comme des sommets du jazz. Depuis il n’a cessé d’enregistrer
de la musique à la fois belle et complexe (“Alegria”, publié en 2004, lui a permis de décrocher le Grammy
Award du meilleur album instrumental) tout en développant un son de groupe unique.
Wayne Shorter n ’est pas du genre à regarder en arrière, il est trop accaparé par le présent pour ça. Mais il
reconnaît toutefois que son retour sur Blue Note, là où il a enregistré tellement de triomphes artistiques, a une
saveur spéciale : “Pour moi, ce label c’est des gens qui se rassemblent pour faire quelque chose de surprenant.
J’entends Alfred Lion en train de dire ‘Ne révèle pas tout d’un coup, conserve le mystère’, et après dix prises :
‘On peut en refaire une ? Et Blakey, tant qu’on y est, envoie un peu le bois !’ C’est dingue quand on y pense, à
quel point les conseils d’Alfred Lion sont toujours suivis aujourd’hui. Ils sont désormais prodigués par les gens
en place, Bruce Lundvall, Don Was et même les avocats, tout le monde. C’est quelque chose de propre à ce
label, tout comme sa musique. Lorsqu’on agit ainsi, avec un but, avec respect, ça finit par caractériser l’esprit
d’une maison de disques.”
“Without A Net” paraîtra le 5 février 2013 sur Blue Note, quarante-trois ans après le dernier disque de Wayne
Shorter sur le label.
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