Textile : les fibres synthétiques écrasent le coton et la laine à plate
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Textile : les fibres synthétiques écrasent le coton et la laine à plate
18 HABILLEMENT INDUSTRIE LUNDI 7 MAI 2012 LES ECHOS En Chine, l’énorme industrie textile ne cesse de progresser, entraînant la production de fibres chimiques à des niveaux jamais vus. La part du coton et de la laine, elle, continue de reculer. Textile : les fibres synthétiques écrasent le coton et la laine à plate couture onnaissez-vous Baddi ? Une nouvelle usine vient de pousser dans cette ville industrielle indienne. Une unité de fabrication d’élasthanne, cette fibre synthétique réputée pour son élasticité et connue notamment sous la marque Lycra. L’usine ne fonctionne pas depuis un mois que son propriétaire, Indorama, prépare déjà la suite. « Nous comptons porter sa C LE COTON BIO EN CRISE Mauvaise passe pour le coton bio. Après des années de nette croissance, la production mondiale a chuté l’an dernier de 35 %, à 151.100 tonnes, selon Textile Exchange. Les professionnels s’attendent à une nouvelle baisse de 5 % cette année. Le recul tient avant tout à des difficultés de production en Inde et aux Etats-Unis. Mais la concurrence d’autres cotons écolos sans être bio semble aussi jouer. capacité de 5.000 à 15.000 tonnes par an d’ici à deux ou trois ans », a expliqué récemment l’un des dirigeants de ce groupe de Singapour. Objectif : répondre à la croissance du marché de l’élasthanne, estimée à 7 % ou 8 % par an dans le monde, et entre 15 % et 20 % en Inde… Une nouvelle illustration du formidable essor des fibres chimiques et de la redistribution des cartes entre les grandes zones de la planète.EnEurope,lesindustrielsdece secteursontàlapeine,commedans d’autres pans de la chimie lourde. Ce dont témoignent en France les malheurs de Meryl Fibers (350 salariés), un fabricant de polyamide placé en liquidation judiciaire en janvier. Mais, dans d’autres parties du monde, cette industrie est au contraire en pleine expansion. En Inde, et surtout en Chine. Les derniers chiffres publiés par Pékin sont impressionnants. En mars, la production chinoise de fibres chimiques a grimpé de 12,5 % en rythme annuel, pour atteindre 3,2 millions de tonnes. Un record historique. Aucun autre pays n’en fabrique autant. Mieux : chacune des deux régions côtières où sont concentrées les usines de fibres, le Zhejiang et le Jiangsu, produit à elle seule plus que n’importe quel autre pays, l’Inde mise à part ! A cette cadence, la Chine est bien partie pour sortir cette année quelque 35 millions de tonnes de polyester, polyamide et autres fibres synthétiques, et accroître encore son poids déjà écrasant sur le marché mondial. La Chine, usine du monde La raison clef de cette hausse est évidemment à chercher dans l’expansion de l’industrie chinoise du textile-habillement. En mars, les usines de fil du pays ont fabriqué 20 % de volumes de plus qu’il y a un an ! Plus que jamais, la Chine s’ i mp o s e c o m m e l’ u si n e d u monde dans le textile. Et, de façon croissante, elle produit elle-même total des fibres utilisées à travers le monde a néanmoins encore progressé, passant de 55 % à 61 %, selon les récentes estimations de Lenzing, un industriel du secteur. A cela s’ajoutent 6 % de fibres cellulosiques fabriquées par l’homme et elles aussi en croissance, comme la viscose. En sens inverse, la part du coton a été ramenée autour de 31 %, contre 50 % en 1985. Et le mouvement pourrait s’amplifier cette année. Aux Etats-Unis, les volumes de coton utilisés devraient chuter de plus de 10 %, pour tomber à leur plus bas niveau depuis plus d’un demi-siècle, selon les prévisions actuelles de l’administration américaine. « L’important développement du textile en dehors de la mode profite presque exclusivement aux fibres synthétiques comme le Kevlar. » EMMANUELLE BUTAUD DÉLÉGUÉE GÉNÉRALE DE L’UNION DES INDUSTRIES TEXTILE les matières premières nécessaires : fibres, fils, etc. A cela s’ajoute un deuxième facteur : les fibres chimiques continuent à gagner des points de part de marché sur leurs concurrentes naturelles, laine et coton. Le mouvement n’est pas aussi net que durant les Trente Glorieuses, pendant lesquelles ces produits se sont imposés. Nylon, Tergal étaient alors des symboles de modernité. Depuis 2000, la part des produits synthétiques dans le La laine, une niche « L’envolée des prix du coton il y a un an et demi a incité les entreprises qui le pouvaient à remplacer le coton par du polycoton, 50 % coton, 50 % polyester, souligne Emmanuelle Butaud, déléguée générale de l’Union des industries textile. En outre, l’important développement du textile en dehors de la mode, dans le secteur médical par exemple, profite presque exclusivement aux fibres synthétiques comme le Kevlar. » Autre explication, « les fabricants de fibres synthétiques ont investi en recherche et mis au point des produits de grande qualité, relève Philippe Pasquet, patron des Salons Première Vision et grand connaisseur du monde de la mode. Les Japonais proposent aujourd’hui des polyesters que même les professionnels les plus chevronnés prennent pour de la laine ! » La véritable laine, elle, a presque disparu du paysage. Sa part du marché mondial des fibres est tombée autour de 1,5 %. « C’est une fibre noble, mais chère, relève Emmanuelle Butaud. On la garde pour des costumes haut-de-gamme, des plaids, des tissus pour Chanel… » DENIS COSNARD Gore-Tex a doublé ses ventes en cinq ans cant de revoir son produit », indique Yannis Poursanidis, chargé du contrôle des chaussures. Certains équipements sont soumis à des trombes d’eau, et couture et fermeture sont examinées à la loupe. Plus de cinquante ans après l’invention de son produit vedette, l’américain Gore-Tex reste dans la course à l’innovation. Après les vêtements de sport et de montagne, le groupe vise la mode. DR Des prix élevés L’américain Gore-Tex témoigne de la formidable ascension des fibres synthétiques dites « intelligentes ». Cette entreprise, dont le fondateur Bill Gore a mis au point en 1958 un polymère qui sert de base à une membrane microporeuse à la fois imperméable et respirante, a vu son chiffre d’affaires doubler en cinq ans. Il a atteint plus de 3 milliards de dollars l’an dernier, en hausse de plus de 5 %. L’entreprise familiale de 9.000 salariés reste très discrète sur sa rentabilité. Son brevet d’origine, tombé depuis longtemps dans le domaine public, Gore-Tex reste dans la course à l’innovation. Les moyens consacrés à la recherche représentent près de 8 % des ventes. Nouveauté qui sera lancée cet été : une semelle ajourée. Cette techniquee permet d’éliminer l’excès de chaleur et l’humidité, tout en restant imperméable. Les marques intéressées feront fabriquer elles-mê- Vêtements, chaussures et gants de sport sont soigneusement testés dans les laboratoires, au sud de Munich. mes cette semelle, en utilisant du Gore-Tex. Car le groupe est avant tout un producteur de matières premières : il colle sa membrane sur des rouleaux de tissus en Nylon, en polyester, etc., et vend ceux-ci aux clients dans le textile ou l’industrie. Pas n’importe lesquels. « Chaque fois qu’une marque veut utiliser du Gore-Tex, nous lui demandons de tester les tissus ou le cuir qu’elle va employer. Car un mauvais cuir, et c’est la fiabilité de notre membrane qui peut être mise en cause », souligne Cécile Nomdedeu, en charge du marketing en France. C’est dans des laboratoires au sud de Munich que les chercheurs testent les vêtements, chaussures, g a n t s d e s p o r t , e t c . P rè s d e 12.000 paires de chaussures par an sont ainsi vérifiées. « Elles subissent près de 300.000 flexions dans l’eau, l’équivalent de 20 kilomètres de marche. S’il y a le moindre problème, nous demandons au fabri- En choisissant ses clients comme Eider, Millet, Aigle ou Adidas, le groupe défend sa notoriété. Une exigence qui lui permet aussi de pratiquer des prix élevés. L’entreprise a profité ces dernières années de l’explosion du marché de l’« outdoor ». Ce secteur représente près de 35 % de son activité. C’est dans l’électronique que s’est fait à l’origine le développement du groupe avec l’isolation de câbles. Nouvelle étape en 1967 : dix ans après sa création, l’entreprise pénètre le marché médical. Le Gore-Tex est ainsi utilisé pour traiter les anévrismes, favoriser la circulation du sang dans les artères… Ce pôle, un des moteurs de la croissance, pèse aussi 35 % des ventes. L’industrie fournit un autre débouché, de l’aérospatiale au fil dentaire ou aux cordes de guitare. Ce n’est qu’en 1969, quand le fils du fondateur découvre que la membrane peut s’étirer, que le Gore-Tex commence son aventure textile, avant les chaussures en 1980. A cette époque, les tenues de ski Millet ou Eider contenant du Gore-Tex commencent à être vendues en France. Après son succès dans la montagne, le groupe veut franchir une nouvelle étape en développant des partenariats avec des marques de m o d e, n o t a m m e n t p o u r l e s enfants. Sa semelle Surround verra ainsi le jour chez Primigi, Superlift et Clarks. « Jusqu’à présent, le GoreTex était utilisé dans les baskets ou les petites bottes de neige dans les pays nordiques. Désormais, nous visons des modèles de ville », explique Silke Kemmerling, responsable du marketing enfants. Aller vers de nouveaux marchés est une nécessité. Car dans le sport, Gore-Tex a vu émerger de nouveaux concurrents comme la membrane Sympatex utilisée par Salomon ou H2No chez Patagonia. Mais nul n’a su pousser aussi loin le marketing, en créant une marque, réclamée par les consommateurs. Depuis 1985, Gore-Tex lance des campagnes de publicité. Une nouvelle va débuter en mai. Pour la première fois, elle sera mondiale. DOMINIQUE CHAPUIS