7 Mediter en cifras
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Société et culture | Migrations Fundació CIDOB, Barcelone Les déplacements de personnes sont une caractéristique historique fondamentale au Moyen-Orient, et, au cours des soixante-dix dernières années – depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la création d’Israël et la fin des protectorats –, ils ont concerné un nombre considérable de gens. La région détient, de plus, le triste record de posséder la plus grande densité de réfugiés du monde. Un record qui prend des dimensions vraiment imposantes lorsqu’on prend en compte l’espace réduit – fondamentalement la région de Gaza et la Jordanie – où se concentrent les presque quatre millions de réfugiés que les Nations unies protégeaient dans la région en 2007 1. La situation post-invasion en Irak, les hostilités entre Israël et le Liban en 2006, ou encore certaines actions de l’armée de ce dernier pays, confirment l’importance du phénomène des migrations forcées dans la région. En général, les pays de la région présentent des taux de population étrangère de l’ordre de 15 %. Or, en Jordanie, au Liban et en Syrie, plus de la moitié de ce taux correspond à une population réfugiée 2. En général, les réfugiés et les déplacés ont été considérés comme les victimes « collatérales » de conflits exigeant une solution qui n’arrivait pas ; ils ont souvent été utilisés comme monnaie d’échange pour atteindre des accords et il est arrivé plus d’une fois que des discours de soutien à leur adresse s’appuient sur 1 des bases plus formelles que réelles. Toutefois, au cours de ces dernières années, on a pu constater la façon dont, progressivement, le réfugié et, notamment, le déplacé, était transformé en instrument d’instabilité politique. Au sein de l’État lui-même ou dans l’État voisin, les acteurs en conflit semblent avoir découvert la possibilité d’utiliser les réfugiés et les déplacés comme facteur de déstabilisation, en en faisant les victimes d’une migration conçue pour être forcée. Med. 2008 Coordonnatrice du programme Migrations, Liban : à nouveau les déplacés Les bombardements du sud du Liban à l’été 2006 sont un exemple de cette utilisation des réfugiés et des déplacés, tout comme les attaques lancées en mai 2007 contre les camps de réfugiés palestiniens. Dans le cas des déplacés irakiens, il est évident que, outre qu’ils aient été des victimes individuelles et des victimes de la redistribution ethnique, ils ont été instrumentalisés et utilisés pour aggraver l’instabilité politique du pays. Lors de la « Guerre de juillet » (dite aussi Seconde Guerre du Liban) de l’été 2006, l’armée israélienne prévenait d’avance de ses bombardements les villages libanais, afin de permettre à la population civile de quitter les lieux avant l’attaque. Par ces manœuvres, l’armée israélienne limitait le nombre de victimes civiles, tout en générant un important flux de réfugiés et, surtout, de déplacés internes qui étendaient la dureté et la brutalité du conflit par-delà les zones bombardées. Au bout des 33 jours d’intervention militaire, en- En raison de leur complexité et pour des raisons de place, cet article laisse délibérément de côté d’autres mouvements de personnes réfugiées et déplacées se produisant au Moyen-Orient. En dépit de leur importance et de leur intérêt, les cas d’Israël, d’Iran ou de Palestine ne font pas l’objet de cette étude. 2 Les chiffres concernant les réfugiés sont toujours estimatifs, ce qui laisse supposer que, outre les réfugiés se trouvant dans les camps ou sous la protection du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR), le nombre de personnes nécessitant une protection internationale n’est pas toujours connu. Cela se produit également, et dans une plus grande mesure encore, dans le cas des personnes déplacées qui, de plus, n’ont pas la possibilité d’être protégées par l’HCR, ce qui les rend encore plus vulnérables. 289 Gemma Pinyol Bilan À la recherche de l’instabilité ? Réfugiés et déplacés au Moyen-Orient Bilan Med. 2008 290 viron 300 000 Israéliens avaient abandonné leurs maisons en territoire frontalier, et les Nations unies estimaient que près de 700 000 Libanais s’étaient déplacés pour chercher refuge dans d’autres zones du pays et 200 000 étaient partis en territoire syrien. Le processus de retour de ces plus de 900 000 déplacés libanais a été particulièrement lent et compliqué du fait que les bombardements avaient gravement endommagé les infrastructures libanaises et que le chiffre des déplacés atteignait quelque 20 % des trois millions et demi de Libanais habitant dans le pays. Même si, un mois après, en août 2006, les Nations unies constataient que la plupart des déplacés libanais étaient rentrés chez eux, il n’en reste pas moins que ce retour ne s’effectuait pas au même rythme dans certaines régions du pays qu’à Beyrouth et dans ses environs. Le lent retour des déplacés soulignait, en tous cas, le besoin d’un profond processus de reconstruction nationale, dans la mesure où la plupart de ces personnes retournaient dans des villages ravagés, aux terrains agricoles semés de mines, aux maisons inhabitables et dépourvues de tout service essentiel comme l’électricité, l’eau potable et les médicaments. Par ailleurs, certains points du sud du Liban demeuraient inhabités après le conflit par crainte des bombes à sous-munitions qui n’avaient pas explosé. Les conséquences des raids de 2006 étaient encore visibles lorsque, en mai 2007, les attaques de l’armée libanaise contre les camps de réfugiés palestiniens venaient à nouveau souligner la vulnérabilité des déplacés et leur instrumentalisation. Dans l’intention d’affaiblir le groupe islamiste Fatah al-Islam, tenu pour responsable des attentats perpétrés dans la ville voisine d’Aïn Alak, à majorité chrétienne, le camp de Nahr al-Bared (et, dans une moindre mesure, celui d’Aïn al-Hilweh) était bombardé par l’armée libanaise. Jusqu’en septembre 2007, date à laquelle il fut mis un terme aux hostilités, les 30 000 réfugiés palestiniens qui habitaient dans ces camps furent utilisés pour faire pression sur Fatah al-Islam et pour tenter d’affaiblir le soi-disant soutien que les camps de réfugiés auraient apporté à cette organisation. Irak : la perpétuation de l’instabilité Le cas des déplacés et des réfugiés libanais est l’un des plus récents, mais il n’en est pas moins qu’une pièce de plus dans le complexe puzzle des déplacements forcés de population au Moyen-Orient. L’Irak est actuellement l’un des exemples les plus flagrants de la façon dont l’instabilité politique et sociale et la survie d’une violence généralisée provoquent des déplacements forcés de population, et de comment ces déplacements s’instaurent de plus en plus comme instruments destinés, précisément, à aggraver cette instabilité. En Irak, l’existence de déplacés internes et de réfugiés n’est pas une nouveauté. Sous Saddam Hussein, les déplacements forcés et les fuites massives ont été habituelles dans les régions kurdes et dans le sud chiite (il suffit de rappeler les opérations Anfal de 1987 et 1989), tandis que l’existence de réfugiés irakiens ou iraniens faisait partie de la politique de confrontation entre les régimes d’Iran et d’Irak. Il n’en reste pas moins que cette situation a considérablement empiré après l’invasion de 2003. D’après les Nations unies, peu avant l’intervention militaire menées par les États-Unis pour en finir avec le régime baasiste, il y avait dans le nord de l’Irak près de 800 000 personnes, des Kurdes pour la plupart, environ 100 000 chiites, et un petit nombre de Kurdes déplacés au centre du pays, tandis que près de 600 000 personnes avaient cherché refuge dans les pays voisins. D’après les Nations unies, en novembre 2007, quelque quatre millions de citoyens irakiens avaient été contraints d’abandonner leur domicile Dans l’Irak actuel, les réfugiés et, notamment, les déplacés, ont acquis une nouvelle et dramatique dimension. Après la fin de la guerre de 2003, nombreux ont été les Irakiens à devenir les victimes, par action et par omission, de leur propre gouvernement. L’insécurité et l’impuissance ont obligé de grands contingents de population à se déplacer pour rechercher un environnement plus sûr et, dans bien des cas, culturellement analogue. D’après les Nations unies, en novembre 2007, quelque quatre millions de citoyens irakiens avaient été contraints d’abandonner leur domicile, et le chiffre continuait à augmenter avec les 60 000 personnes qui, chaque mois, se voyaient obligées à les imiter en raison de la violence continuelle existante, principalement, dans les régions centre et nord du pays. Sur cette énorme quantité, la moitié avait cherché refuge dans les pays voisins (pour 95 %, tandis que 4 % s’étant rendus en Europe et le reste en Amérique du Nord et en Aus- Comme l’indiquent les chiffres des différentes organisations internationales qui travaillent sur le terrain, le nombre des déplacés en Irak a pratiquement doublé depuis les bombardements de la mosquée de Samarra en février 2006. Cet incident a été le point d’inflexion à partir duquel les attaques entre groupes chiites et sunnites ont redoublé et les déplacements à caractère ethnique se sont durcis. La tendance générale donne à constater que la majorité de la population chiite se déplace de Bagdad, Anbar et Salah al Din aux régions méridionales de Najaf, Qadissya et Karbala, empruntant une route que les déplacés sunnites font en sens inverse. D’autres groupes minoritaires, comme les sabéens/mandéens, fuient eux aussi les menaces et les intimidations et beaucoup se rendent dans les régions kurdes du nord où, de façon autonome, les groupes kurdes ont établi des minimums de sécurité qui font défaut au reste du pays. Du retour, de la stabilité et de la paix Comme on peut le constater, et bien que cela soit plus ponctuel dans le cas du Liban et plus structurel en Irak, ces dernières années, les réfugiés et, tout particulièrement, les déplacés sont devenus les acteurs involontaires, en même temps victimes et protagonistes, de la perpétuation de l’instabilité. Les circonstances complexes qui entourent tout flux de réfugiés ou de déplacés acquièrent au Moyen-Orient un caractère particulièrement dramatique, du fait qu’il est flagrant que l’existence de ces populations vulnérables est un résultat recherché et réitéré avec une certaine régularité. Bibliographie I NTERNATIONAL C ENTRE FOR M IGRATION P OLICY DEVELOPMENT (ICMPD). Irregular Transit Migration in the Mediterranean: some facts, futures and insights. Vienne : ICMPD, 2004. NATIONS UNIES (Département des affaires économiques et sociales). International Migration in the Arab Region. Division de la population. Département des affaires économiques et sociales. Nations unies. P. 1-28, 2006. O’D ONNEL , Kelly y NEWLAND, Kathleen. The Iraqi Refugee Crisis: the need for action. Washington: Migration Policy Institute, 2008. PINYOL, Gemma. « Orient Mitjà en moviment: refugiats, desplaçats i migrants econòmics ». Revista Àmbits de Política i Societat, nº 35, p. 38-43,. ROMANO, David. « Whose house in this anyway? IDP and Refugee Return in post-Saddam Iraq ». Journal of Refugee Studies, nº 18 (4), p. 430-453, 2005. Bilan Med. 2008 Ces dernières années, les réfugiés et, tout particulièrement, les déplacés sont devenus les acteurs involontaires, en même temps victimes et protagonistes, de la perpétuation de l’instabilité Les acteurs gouvernementaux, par action ou par omission, et les groupes de l’opposition semblent avoir découvert chez les déplacés un mécanisme déclencheur d’insécurité et capable d’entraver la reconstruction. En effet, leur instrumentalisation a plus de retombées que les attaques mortelles perpétrées contre la population civile. Les migrations forcées touchent un plus grand nombre de personnes sans entraîner le même blâme de la part de la communauté internationale que s’il s’agissait de victimes mortelles (quatre millions dans le cas de l’Irak), et elles ont des effets – de reconstruction urbanistique mais aussi sociale, économique et politique – qui se perpétuent par-delà la résolution pacifique du conflit. Le lent processus de retour de près d’un million de citoyens au Liban et des deux millions de déplacés (soit des personnes sans foyer, sans garanties de sécurité et sans accès aux services de première nécessité, pour ne signaler que quelques conséquences) qui existent actuellement en Irak, donnent une idée de l’échelle d’une partie du drame qui se déroule aujourd’hui au Moyen-Orient. Le retour des réfugiés et des déplacés est un grand défi à relever pour la région. Et c’est certainement le plus difficile à affronter, dans la mesure où il implique de pacifier et de stabiliser une région qui, actuellement, demeure une poudrière instable. 291 tralie), dont certains sont en train d’établir des mécanismes pour protéger leurs frontières et limiter le nombre de réfugiés pénétrant sur leur territoire.