La gestion des carrières en faveur de l`entomofaune : le cas de la
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La gestion des carrières en faveur de l`entomofaune : le cas de la
N F D G Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 59-66 La gestion des carrières en faveur de l'entomofaune : le cas de la carrière du Haut des Loges à Vance (province de Luxembourg, Belgique) Jean-Paul Jacob(1) & Annie Remacle(2) Conservateurs de la Réserve Ardenne et Gaume du Haut des Loges à Vance (1) Grand Rue 34, B-6747 Châtillon (Belgique). E-mail : [email protected] (2) Grand Rue 34, B-6747 Châtillon (Belgique). E-mail : [email protected] L'ancienne carrière du Haut des Loges, creusée dans des sables et grès du Jurassique, présente l’intérêt d’avoir mis au jour des assises de sables décalcifiés et calcarifères. Cette hétérogénéité lithologique détermine l’apparition et l’évolution de groupements végétaux contrastés sur les 1,8 ha de la réserve naturelle agréée : lande à Calluna vulgaris et Genista pilosa sur les sables acides, pelouses pionnières évoluant vers divers faciès de prés secs à mésophiles ailleurs. La flore se diversifie au fil du temps, avec apparition de plantes rares telles que Botrychium lunaria et Orobanche purpurea. La faune est surtout remarquable par la présence du Lézard des souches et d’une série d’insectes spécialisés, notamment des espèces sabulicoles et divers Orthoptères. Après une phase de restauration rendue indispensable par le boisement rapide du site, la gestion tend à maintenir et favoriser des biocénoses pionnières se développant sur les sables et grès plus ou moins xériques. Ceci se traduit par des objectifs concrets, comme le maintien d’un fort ensoleillement, de végétations hétérogènes diversifiées et ouvertes, de zones sableuses et de microreliefs, la limitation du piétinement et le contrôle de plantes potentiellement envahissantes. Ce faisant, la gestion cherche à offrir un maximum de milieux de reproduction et d’alimentation à diverses espèces d'insectes, par exemple les abeilles fouisseuses liées aux saules. Mots-clés : carrières, gestion, Orthoptera, Cicindela, Hymenoptera Aculeata, Lacerta agilis, Belgique. 1. INTRODUCTION La carrière dite du Haut des Loges à Vance (commune d’Etalle) est incluse dans le vaste massif forestier qui couvre une grande partie de la cuesta Sinémurienne, en Lorraine belge. Elle jouxte le terrain militaire de Lagland-Stockem qui contient les plus importantes landes sur sables subsistant en Wallonie. Une grande sablière en activité est établie à 1,2 km de cette carrière : elle est l'une des dernières encore en activité parmi les nombreuses carrières qui ont été ouvertes au fil du temps sur cette cuesta. En raison de leur intérêt biologique (Jacob-Remacle & Jacob, 1990 ; Remacle & Jacob, 1996a), une proportion importante de ces anciens sites d'extraction ont été inclus dans le réseau Natura 2000 et/ou retenus comme "Sites de Grand Intérêt Biologique" (SGIB) dans le cadre de l'inventaire du patrimoine biologique wallon coordonné par le Centre de Recherche de la Nature, des Forêts et du Bois de la Région wallonne. C'est le cas de la carrière du Haut des Loges (SGIB n°781 - Remacle & Jacob, 1996b). Toutefois, dans cette région naturelle, le nombre de carrières bénéficiant du statut de réserve est extrêmement réduit ; la carrière du Haut des Loges est l'une des trop rares exceptions. Par ailleurs, les gestions entreprises en Lorraine belge, mais aussi ailleurs en Wallonie, dans les landes sableuses et les milieux secondaires comme les anciennes sablières, sont jusqu’à présent peu nombreuses. Cette note permet donc d’esquisser l’intérêt de cette carrière et de résumer la gestion mise en œuvre dans cette Réserve Naturelle Agréée (RNA). 2. CONTEXTE LOCAL Au 18ème siècle, le site se trouvait à la limite de landes et de cultures pauvres sur sables. Depuis un siècle, l’afforestation a donné un caractère essentiellement boisé à la région, seule la création du terrain d’exercices militaires de Lagland ayant permis de conserver des landes d’étendue significative. Les environs immédiats du « Haut des Loges » sont couverts de chênaies acidophiles et de plantations de pin sylvestre, mélèze et épicéa. Cette petite carrière de 1,8 ha a été exploitée jusqu'au début des années 1970. Depuis son abandon jusqu'à son achat par l'a.s.b.l. Ardenne et Gaume en 1995, elle est restée en l'état. Creusée dans les sables et grès de la Formation de Luxembourg (Bultynck & Dejonghe, 2001), l’exploitation présente la particularité d’avoir mis au jour des assises de sables décalcifiés et d’autres de sables calcarifères, ce qui est peu fréquent. Le site comprend trois niveaux : le fond correspond, d'après l'ancienne carte géologique 223 de 1897, aux 60 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 59-66 J.-P. Jacob & A. Remacle sables et grès calcarifères du Sinémurien, le niveau supérieur aux sables et grès du Virtonien (ou Lotharingien), décalcifiés et mêlés de pierres riches en oxyde de fer, tandis que le niveau médian présente des caractéristiques intermédiaires. Le replat supérieur a subi des travaux de découverture mais n'a jamais été exploité. S’il n’est pas contenu, le libre développement de la végétation se caractérise par un envahissement rapide par des semis de Pinus sylvestris, secondairement de Picea abies, Betula pendula, Salix caprea, ainsi que par Cytisus scoparius et Rubus spp. Les zones plus ombragées ou plus humides se couvrent largement de bryophytes (entre autres Pseudoscleropodium purum, Hylocomium splendens et Pleurozium schreberi). 3. FLORE ET VEGETATION La liste floristique actuelle (Spermatophytes et Ptéridophytes) compte 155 espèces pour l'ensemble de la carrière. Son enrichissement est progressif : ainsi, deux espèces rares, Botrychium lunaria et Orobanche purpurea, ont été découvertes en 2003. On peut aussi mentionner la présence de quelques pieds de Platanthera chlorantha sur le talus limitant la réserve le long de la route et, plus exceptionnel en région jurassique, quelques plants d'Orchis anthropophora. Le caractère calcaire plus ou moins marqué des différents niveaux de la carrière explique largement le développement de végétations très différentes. - Le niveau inférieur est en grande partie occupé par une pelouse pionnière sur substrat calcarifère évoluant vers le pré sec à mésophile. La végétation y est surtout composée d’espèces calcicoles, calciphiles et indifférentes, mais aussi de quelques acidiphiles. Parmi les plantes les plus abondantes, on peut citer* Sedum acre, Anthyllis vulneraria, Leontodon hispidus, Thymus pulegioides, un lichen du genre Peltigera. - Les sables acides du niveau supérieur se sont très rapidement couverts d'un tapis de mousses pionnières (surtout Polytrichum piliferum) et de nombreux genêts et pins sylvestres. La végétation actuelle a l’allure d’une lande à callune et genêt velu, avec des plages de graminées acidiphiles (Agrostis vinealis, A. capillaris, Festuca filiformis, Danthonia decumbens et Deschampsia flexuosa), accompagnées d'un spectre d'herbacées relativement étroit composé en majorité d'acidiphiles (entre autres Rumex acetosella, Viola canina, Hypochaeris radicata, Luzula campestris, Carex pilulifera). L'absence de certaines graminées pionnières, telles que Corynephorus canescens et Aira praecox, ainsi que de Jasione montana est à souligner ; comme pour d’autres plantes non observées, on peut émettre l’hypothèse de l'inexistence de stocks grainiers encore viables. Plusieurs massifs de ronces et de framboisiers occupent principalement des portions du talus extérieur. - Le palier intermédiaire montre une certaine interpénétration de ces deux types de végétations. On y retrouve par plages les espèces présentes sur les deux autres niveaux ; il faut toutefois y noter l'abondance de Thymus pulegioides, Achillea millefolium, Trifolium arvense, T. campestre et Viola tricolor. * La nomenclature des noms de plantes mentionnés dans ce texte suit celle de Lambinon et al. (2004). 4. FAUNE La faune est surtout remarquable par la présence du très rare Lézard des souches (Lacerta agilis) et d’une série d’insectes spécialisés, notamment d’espèces sabulicoles comme Oxybelus argentatus Curtis, 1833, Colletes cunicularius (Linnaeus, 1761), Andrena vaga Panzer, 1799, Dasypoda hirtipes (Fabricius, 1793), Cicindela hybrida Linnaeus, 1758 et divers orthoptères. L’état des connaissances pour quelques groupes permet de mettre en évidence l’intérêt acquis et de souligner le potentiel du site, compte tenu de la très grande richesse des environs immédiats de cette carrière. - Orthoptères : dix-neuf espèces ont jusqu'à présent été recensées dans la carrière : Chorthippus biguttulus (Linnaeus, 1758), C. brunneus (Thunberg, 1815), C. parallelus (Zetterstedt, 1821), Chrysochraon dispar (Germar, 1835), Euthystira brachyptera (Ocskay, 1826), Gomphocerippus rufus (Linnaeus, 1758), Leptophyes punctatissima (Bosc, 1792), Meconema thalassinum (Degeer, 1773), Metrioptera bicolor (Philippi, 1830), Myrmeleotettix maculates (Thunberg, 1815), Nemobius sylvestris (Bosc, 1792), Oedipoda caerulescens (Linnaeus, 1758), Omocestus viridulus (Linnaeus, 1758), Phaneroptera falcata (Poda, 1761), Pholidoptera griseoaptera (Degeer, 1773), Tetrix subulata (Linnaeus, 1758), T. tenuicornis Sahlberg, 1893, T. undulata (Sowerby, 1806) et Tettigonia viridissima (Linnaeus, 1758). La gestion des carrières en faveur de l'entomofaune 61 Parmi celles-ci, Oedipoda caerulescens est protégée en Région wallonne, Euthystira brachyptera et Tetrix tenuicornis sont considérées comme en danger dans la liste rouge de Wallonie proposée par De Cleer et al. (2000). Les potentialités de la région sont élevées et permettent d’envisager l’apparition d’autres espèces, dont onze sont présentes dans un rayon de 3 km, par exemple Chorthippus dorsalis (Zetterstedt, 1821) et C. mollis (Charpentier, 1825), qui ont été décelées à la sablière de Châtillon distante de 1,2 km. que, pour la Lorraine belge, le site présente actuellement un très grand intérêt lépidoptérologique. En effet, les deux espèces en danger, Lycaena virgaureae et Hesperia comma, n'y ont été observées qu'à une seule reprise et, parmi les espèces vulnérables qui se reproduisent dans le site, Cupido minimus et Lycaena tityrus ne sont pas encore menacés en Lorraine belge et Plebejus argus est considéré comme localisé mais relativement bien représenté dans une grande partie de cette région (Cavelier et al., 1998). Parmi les plantes hôtes des papillons de cette liste, il faut souligner l'importance des fabacées, Viola et Rumex, plantes bien représentées dans la réserve. - Lépidoptères Rhopalocères : parmi les espèces recensées de 1994 à 2004, seize (Tableau 1) figurent dans la liste rouge wallonne (Goffart & De Bast, 2002). Toutefois, on ne peut pas affirmer Tableau 1 : Lépidoptères Rhopalocères de la liste rouge wallonne recensés dans la carrière du Haut des Loges de 1994 à 2004. Pour chaque espèce, statut de menace en Wallonie (Goffart & De Bast, 2002) et principales plantes hôtes (Lafranchis, 2000 ; Goffart, 2004). Les espèces en caractères gras sont protégées en Région wallonne par le décret du 6 décembre 2001 relatif à la conservation des sites Natura 2000 ainsi que de la faune et de la flore sauvages (Annexe IIb). La nomenclature des Lépidoptères suit celle adoptée par Lafranchis (2000). Espèces de la liste rouge wallonne Statut de menace Principales plantes hôtes Apatura iris (Linnaeus, 1758) Faible risque Salix, Populus Aporia crataegi (Linnaeus, 1758) Faible risque Crataegus, Prunus spinosa, Sorbus aucuparia Argynnis aglaja (Linnaeus, 1758) Vulnérable Viola Argynnis paphia (Linnaeus, 1758) Faible risque Viola Callophrys rubi (Linnaeus, 1758) Faible risque Cytisus scoparius, Rubus, Lotus,… Coenonympha arcania (Linnaeus, 1761) Vulnérable Poacées Cupido minimus (Fuessly, 1775) Vulnérable Anthyllis vulneraria Erynnis tages (Linnaeus, 1758) Faible risque Fabacées En danger Poacées Faible risque Fabacées Lycaena tityrus (Poda, 1761) Vulnérable Rumex Lycaena virgaureae (Linnaeus, 1758) En danger Rumex Melanargia galathea (Linnaeus, 1758) Faible risque Poacées Plebejus argus (Linnaeus, 1758) Vulnérable Fabacées Pyrgus malvae (Linnaeus, 1758) Faible risque Fragaria vesca et autres rosacées Satyrium ilicis (Esper, 1779) Vulnérable Quercus Hesperia comma (Linnaeus, 1758) Leptidea sinapis (Linnaeus, 1758) * - Coléoptères : aucun inventaire systématique n’a été mené. Les observations portent sur certaines espèces faciles à observer, notamment les cicindèles Cicindela campestris Linnaeus, 1758 et C. hybrida, plus abondante que la première, ainsi que l'espèce protégée Cetonia aurata Linnaeus, 1761, associée aux grandes fourmilières présentes dans la carrière. Les coccinelles liées aux landes, * présentes à Lagland (San Martin & Verté, 2004), n'ont pas encore été recherchées. - Hyménoptères Aculéates (Tableau 2) : le site, qui n'a pas fait l'objet d'un recensement exhaustif, est surtout intéressant par la diversité des espèces liées aux milieux sableux. On ne peut exclure l'absence dans ce site gaumais de l'espèce jumelle de Leptidea sinapis, L. reali Reissinger, 1989, dont l'identification nécessite l'examen des génitalias. 62 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 61-68 J.-P. Jacob & A. Remacle Tableau 2 : Hyménoptères Aculéates recensés dans la carrière du Haut des Loges de 1994 à 2004. Les espèces en caractères gras sont protégées en Région wallonne par le décret du 6 décembre 2001. La nomenclature adoptée suit celle de Pauly (1999). Chrysididae Chrysis bicolor Lepeletier, 1805 Hedychrum nobile (Scopoli, 1763) Oxybelus argentatus Curtis, 1833 Oxybelus bipunctatus Olivier, 1811 Philanthus triangulum (Fabricius, 1775) Halictidae Halictus confusus perkinsi Blüthgen, 1926 Halictus rubicundus (Christ, 1791) Formicidae Formica polyctena (Foerster, 1850) Colletidae Colletes cunicularius (Linnaeus, 1761) Lasioglossum fulvicorne (Kirby, 1802) Lasioglossum lativentre (Schenck, 1853) Pompilidae Colletes succinctus (Linnaeus, 1785) Lasioglossum leucozonium (Schrank, 1781) Anoplius viaticus (Linnaeus, 1758) Priocnemis perturbator (Harris, 1780) Andrenidae Andrena barbilabris (Kirby, 1802) Lasioglossum punctatissimum (Schenck, 1853) Sphecodes albilabris (Fabricius, 1793) Sphecidae Ammophila pubescens Curtis, 1836 Andrena bicolor Fabricius, 1775 Andrena cineraria (Linnaeus, 1758) Melittidae Dasypoda hirtipes (Fabricius, 1793) Cerceris arenaria (Linnaeus, 1758) Cerceris quadrifasciata (Panzer, 1799) Cerceris rybyensis (Linnaeus, 1771) Andrena clarkella (Kirby, 1802) Andrena flavipes Panzer, 1799 Andrena fulva (Müller, 1766) Megachilidae Anthidiellum strigatum (Panzer, 1805) Osmia bicolor (Schrank, 1781) Crabro peltarius (Schreber, 1784) Diodontus minutus (Fabricius, 1793) Lestica subterranea (Fabricius, 1775) Mellinus arvensis (Linnaeus, 1758) Mimesa equestris (Fabricius, 1804) Mimumesa atratina (Morawitz, 1891) Miscophus ater Lepeletier, 1845 Andrena fuscipes (Kirby, 1802) Andrena haemorrhoa (Fabricius, 1781) Andrena hattorfiana (Fabricius, 1775) Andrena lapponica Zetterstedt, 1838 Andrena praecox (Scopoli, 1763) Andrena ruficrus Nylander, 1848 Andrena vaga Panzer, 1799 Panurgus calcaratus (Scopoli, 1763) Les Apoïdes printaniers les plus caractéristiques sont Andrena vaga et Colletes cunicularius qui est accompagné dans le site par son parasite Sphecodes albilabris. Ils se reproduisent principalement au niveau supérieur et sur le talus sableux. La densité des nids de Colletes cunicularius a fortement diminué parallèlement à la colonisation des aires sableuses par les bryophytes, les poacées et les ligneux pionniers : plus de 6.000 nids au printemps 1995, seulement 1.000 en 2002 et au moins 500 en 2004 (le nombre de nids édifiés dans le talus est toutefois impossible à préciser). Certains Apoïdes estivaux sont caractéristiques des landes à callune : Andrena fuscipes et Colletes succinctus qui ne butinent que Calluna vulgaris. 5. GESTION 5.1. Objectifs Après une phase de restauration rendue indispensable par le boisement naturel particulièrement rapide dans le site, la gestion tend à maintenir et favoriser conjointement la flore et la faune des milieux ouverts avec des végétations pionnières, des faciès de lande et de prés pauvres. Ceci se traduit par un ensemble de mesures privilégiant une certaine hétérogénéité, favorable à de nombreux organismes qui ne requièrent pas de grandes surfaces pour se maintenir. - Au niveau de la végétation, l'objectif principal est de favoriser le développement • de la lande sèche à Calluna vulgaris et Genista pilosa (niveau supérieur principalement), • d'une végétation ouverte de pelouse sèche (niveaux intermédiaire et inférieur), ce qui inclut de sauvegarder, dans toute la mesure du possible, les deux espèces végétales les plus intéressantes, Botrychium lunaria et Orobanche purpurea. - Au niveau de la faune, les organismes-cibles sont • le Lézard des souches, espèce prioritaire de la réserve vu sa régression en Lorraine belge, • les insectes, en particulier les espèces inféodées aux milieux sableux, les espèces caractéristiques de la lande à callune, les espèces liées à la pelouse pionnière apparentée à la pelouse sur sables calcarifères et au pré sec en découlant (niveau inférieur surtout). Les objectifs en faveur de la végétation sont tout à fait compatibles avec les exigences écologiques des groupes fauniques ciblés. C'est ainsi que le Lézard des souches profitera du maintien et de la restauration d'aires sableuses qui lui sont indispensables pour la ponte de ses œufs. La gestion des carrières en faveur de l'entomofaune 63 5.2. Mise en oeuvre pratique 5.2.2. Gestion 5.2.1. Travaux de restauration Le maintien dans un état de conservation favorable nécessite des interventions périodiques, en partie annuelles. Les travaux de gestion, effectués hors saison de végétation entre la fin de l’été et début mars, comprennent principalement : L’évolution des anciennes sablières, et des milieux sableux en général, est rapide, nettement plus que celle des milieux rocheux par exemple. Dans le contexte local, l’intérêt initial peut se perdre après 1015 ans, compte tenu de la croissance rapide des pins sylvestres et des feuillus issus de semis éoliens. La conservation de biocénoses pionnières et des stades précédant le boisement impose donc des interventions répétées, fortes si une phase initiale de restauration est imposée par un boisement en cours, comme ce fut le cas à la RNA du Haut des Loges de 1999 à 2003. Le travail principal a donc porté sur le retour à des végétations ouvertes et à des stades pionniers par éradication de la plupart des ligneux et genêts à balais, selon diverses techniques limitant les repousses. Le produit des coupes a été brûlé, sauf les troncs répartis par petits tas dans le site pour assurer la multiplication d'abris et de substrats (insectes xylophages, lichens, champignons). De jeunes arbres ont été maintenus à la périphérie du site pour faire écran vers les routes et localement ailleurs comme éléments diversifiants ou en raison de leur importance biologique ; c'est le cas des saules qui constituent la source majeure de pollen de diverses abeilles oligolectiques. Tant en phase de restauration que de gestion, des actions de contrôle sont également nécessaires vis-àvis d’autres plantes plus ou moins envahissantes : - Rubus spp. qui forment des ronciers sur le palier supérieur ; le maintien d’une bande en périphérie du site contribue à la constitution d'une haie-ourlet faisant office de barrière et offre un milieu intéressant pour de nombreuses espèces, notamment des insectes butineurs et rubicoles ; - la graminée Calamagrostis epigejos, qui tend à coloniser les parties les moins sèches de la carrière ; - l'espèce exotique Oenothera deflexa, ainsi que la mousse introduite Campylopus introflexus, en extension rapide en Belgique (Ministère de la Région wallonne, 1993) ; - les mousses banales (en particulier Pseudoscleropodium purum) dont des peuplements quasi monospécifiques occupent des zones où leur développement a été favorisé par le boisement, avec pour conséquence d’empêcher la germination de plantes, la reproduction d’insectes terricoles et la circulation d’espèces ayant besoin de végétations ouvertes. • • • • le contrôle des ligneux, la gestion des éléments de lande, la gestion des éléments de pelouse sèche à mésophile, le maintien d'étendues sableuses, au besoin par une forme d'étrépage périodique. Quelques éléments pratiques d'une gestion hétérogène de l'espace sont précisés ci-après. - Contrôle des ligneux : enlèvement (coupe, arrachage), selon les espèces, de la totalité ou de la majorité des jeunes plants. Recépage en rotation des saules, dont les repousses sont ensuite limitées par le broutage des chevreuils. Dévitalisation ou coupe progressive d’autres arbres, afin de maintenir le fort ensoleillement du site et réduire la formation de la litière. Ces actions évitent la répétition de travaux lourds d'abattage ou de débroussaillage. - Gestion de la strate herbacée : fauche sur des surfaces limitées et irrégulières, par beau temps en fin d’été; secondairement, abroutissement par les chevreuils. Il n’est pas nécessaire de projeter d’établir à court terme un pâturage plus fort (moutons) qui, de manière générale, ne semble pas indispensable sur substrat sableux. - Gestion de la callune : fauche décennale répartie sur plusieurs années, de manière à rajeunir progressivement et de façon hétérogène le couvert nécessaire au Lézard des souches. - Eradication et mise en valeur d'espèces : l’éradication d'espèces exotiques envahissantes, comme la mousse Campylopus introflexus, est entreprise. Par contre, le développement de certaines plantes est favorisé pour compenser une carence locale en plantes hôtes et sources de nourriture, entre autres de plantes mellifères estivales. Ce type de mesure pourrait s’avérer favorable à plusieurs insectes, éventuellement au papillon Lycaena virgaureae, en déclin dramatique en Wallonie, dont les plantes hôtes (Rumex acetosa, R. acetosella) sont abondantes dans la carrière, la seconde réagissant très positivement aux étrépages. - Adaptation du plan de gestion en fonction d’évolutions observées : ainsi, l’apparition de la fougère Botrychium lunaria conduit à éviter les étrépages dans la partie de carrière qu’elle occupe. 64 Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 59-66 - Maintien d'étendues sableuses : il est naturel sur les pentes ou dans les aires subissant le fouissage de sangliers, mais doit procéder d’interventions périodiques ailleurs (étrépages sur une faible épaisseur et enlèvement partiel de la couverture végétale et organique par ratissage–scarification, surtout dans les zones envahies de mousses), de manière à offrir des milieux attractifs à l'égard du Lézard des souches et des insectes psammophiles et des conditions de germination adéquates pour des plantes fugaces, ainsi qu'à générer des microreliefs recherchés par certaines espèces (par exemple Colletes cunicularius). L’objectif est de maintenir des zones sableuses et des végétations discontinues dispersées sur au moins 10% du site. Certains travaux sont manuels, d’autres seront réalisés à l'aide d'engins. - Limitation de l'accès : l'impact négatif du piétinement n'est pas négligeable dans un site riche en espèces fouisseuses et en petites plantes discrètes. Cette sensibilité impose une circulation prudente; elle pourrait aussi conduire à clôturer le site, par exemple si la pression de fouissage des sangliers devait s’amplifier. De manière générale, la gestion suit le principe d’hétérogénéité au niveau de la végétation. Il n’y a donc pas de tapis étendus de végétation homogène. Les mesures prises sont en particulier favorables au Lézard des souches : les structures hétérogènes recherchées avec patchwork d’éléments sableux, de sol nu, de végétations herbacées, de chaméphytes, de buissons bas et d’autres abris (petits tas de bois), concourent à lui fournir progressivement un milieu optimal. 5.3. Suivi scientifique Les conséquences des gestions doivent en principe pouvoir être évaluées afin de savoir dans quelle mesure les objectifs sont atteints. Pour être pérenne, un suivi assez simple est souvent préconisé (entre autres par Colas et al., 2000). Le dispositif mis en place au Haut des Loges est assez conséquent, du moins en phase initiale : mise à jour périodique de la liste floristique, relevés phytosociologiques, suivi de la population de Lézard des souches, inventaire qualitatif de groupes particuliers d’insectes (Orthoptères, Lépidoptères Rhopalocères, Cicindèles et Hyménoptères Aculéates). De nombreuses photos prises au fil des années permettent de suivre l'évolution du site et d’illustrer certains effets de la gestion. 5.4. Périphérie de la réserve naturelle La gestion d'un petit site conduit rapidement à s'intéresser aux potentialités des environs immédiats. J.-P. Jacob & A. Remacle Dans le cas présent, les bois limitrophes et les bords de routes nécessitent d'établir des accords avec d’autres gestionnaires en vue de réduire des problèmes potentiels ou avérés (grands épicéas semenciers en lisière de réserve sur des parcelles soumises au régime forestier ; problème des fortes densités locales de sangliers) ou de maintenir la biodiversité (modalités de fauche des talus routiers et de la gestion du quai à bois connexe à la réserve, où survit le Lézard des souches). Ce dernier point permet de souligner le problème de l’isolement plus ou moins net par rapport à des sites analogues, avec ses conséquences logiques dans le processus classique de colonisations – extinctions. La fragmentation des landes, comme d'autres milieux, entraîne en effet un appauvrissement significatif de la faune mais aussi de la flore (Piessens et al., 2005). Dans le cas de la réserve du Haut des Loges, 1,2 km de bois sépare le site de la lande de Lagland et d’une sablière; d’autres endroits sableux sont plus éloignés. Une mesure importante, dans la perspective d’une gestion de cet archipel de sites sableux d’intérêt biologique, sera le rétablissement de connexions par des couloirs et petites clairières intermédiaires, ainsi qu’une gestion en forêt claire des pineraies et chênaies. 6. CONCLUSION La conservation de sites sableux est rendue difficile par la rapidité de la colonisation ligneuse et l’abandon de pratiques agro-pastorales ayant jadis entretenu les landes (Symes & Day, 2003). La problématique est loin d’être propre à la Wallonie (Raemakers et al., 2004). Le cas de sites perturbés, comme le sont les anciennes carrières, accroît les difficultés, entre autres du fait de conditions favorables à la colonisation par des plantes pionnières banales, de l’appauvrissement des stocks grainiers et de l’isolement relatif par rapport à des sites homologues. A l’inverse, des sites correctement gérés peuvent devenir des « sitessource » pour les organismes ainsi favorisés (Raemakers et al., 2004). Davantage que par le passé, les potentialités à prendre en compte dans ce genre de milieu concernent un large éventail d’espèces, en particulier des plantes de milieux pauvres, l’herpétofaune et l’entomofaune (voir par exemple pour les Aculéates : Reemer et al., 1999 ; Peeters & Reemer, 2001). La gestion appliquée à la carrière du Haut des Loges permet de rencontrer les exigences d’un nombre appréciable de ces espèces. Les travaux de restauration sont consommateurs de temps : dans le cas d’un petit site comme la réserve du Haut des Loges, l’investissement correspond à plusieurs heures de travail par are restauré. La La gestion des carrières en faveur de l'entomofaune gestion courante du site est par contre plus légère, sans être négligeable, mais doit être suivie, au risque de rapidement perdre le bénéfice acquis. Cette contrainte importante permet de souligner l’intérêt à octroyer la priorité à la gestion de sites encore en assez bon état, présentant au moins en partie les caractéristiques recherchées, et à ceux pour lesquels la gestion peut être assurée, par un statut de protection ou de toute autre manière. A défaut, on peut, dans certains cas, s’interroger sur l'utilité à protéger des sites qui ne pourront conserver l'intérêt qui leur a été reconnu initialement. Dans cette perspective, il est nécessaire que les moyens de gestion soient adaptés, simples, efficaces, économes en temps. Les interventions avec des moyens souvent légers (tronçonneuses, débroussailleuses) peuvent se comprendre dans de petits sites comme le Haut des Loges. Elles doivent se décliner autrement dans nombre d’autres sites, surtout plus vastes (voir entre autres Koster, 1988 ; Ellis, 1989 ; Kirby, 1992 ; Colas et al., 2000 ; White & Gilbert, 2003 ; Lemoine, 2005). Dans ce domaine, la rareté des publications techniques et scientifiques régionales est un handicap pour de nombreux gestionnaires. Remerciements Nous tenons à remercier ici Messieurs J. Petit, R. Wahis et A. Pauly pour l'identification respectivement des Chrysidides, Pompilides et Halictides, ainsi que Madame M.-T. Romain pour la détermination des bryophytes. Bibliographie Bultynck P. & Dejonghe L. (2001). Devonian lithostratigraphic units (Belgium). Geologica Belgica 4 (1-2), p. 39-69. Cavelier E., Renneson J.-L., Taymans P. & Valenne Y. (1998). Les Papillons de la Lorraine belge. 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