Introduction1 1. Une théorie ne doit sa valeur qu`à l`exigence d`une

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Introduction1 1. Une théorie ne doit sa valeur qu`à l`exigence d`une
Editions Hatier
Introduction1
Qu'une théorie transforme le monde, modifie notre rapport à lui, est un fait. Mais cela fait-il la valeur de la
théorie ? Une théorie seulement soucieuse d'expliquer le réel ne se perd-elle pas dans la considération technique
du possible ? Si l'efficacité pratique est purement technique et instrumentale, elle n'est qu'un moyen pour des
intérêts qui peuvent n'avoir aucune valeur. Il faut alors se demander quelle est l'exigence de pensée qui fait la
valeur de la théorie. Pourtant, une théorie qui n'aurait aucune utilité, aucune efficacité pratique, pourrait-elle
conserver sa valeur ? Une théorie peut-elle satisfaire, accomplir la pensée en ignorant la pratique ? Il faut donc
aussi se demander à quoi sert une théorie. L'efficacité pratique est-elle l'abaissement ou l'accomplissement d'une
théorie ?
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Une théorie ne doit sa valeur qu'à l'exigence d'une compréhension des choses désintéressée
A. La théorie comme science contemplative
La théorie est d'abord, en son sens grec, contemplation, science. La science, par exemple, n'a d'autre but que
la théorie, que d'accroître l'intelligibilité du monde, de donner une explication qui satisfasse l'esprit dans sa
contemplation du monde. Une théorie n'a de valeur que si elle est finalisée, que si elle nous rend plus sage. La
science est liée à la sagesse. Une théorie répond d'abord à un besoin de compréhension, elle vise la vérité.
La valeur d'une théorie vient surtout de ce qu'elle s'efforce de comprendre les choses comme elles sont, de
dégager des lois de la réalité et de les systématiser. Elle s'oppose au souci exclusif d'une puissance opératoire au
service d'intérêts.
B. La pratique obscurcit la théorie
Dès lors, une conception technique de la théorie, uniquement soucieuse de l'efficacité pratique, feint d'oublier
que son pouvoir de modifier l'environnement ne garantit pas la vérité de ses représentations. Lorsque la science,
par exemple, n'est plus qu'un fait social, d'institutions, l'ensemble des connaissances virtuellement disponibles et
utilisables à une époque donnée, il lui manque l'unité de conscience qui fait sa valeur et qui nous rapproche de la
sagesse. Elle devient une technique supérieure qui peut s'apprendre et se communiquer indépendamment d'une
compréhension de sa possibilité. Si on étudie une théorie sous son mode opératoire, elle ne peut plus avoir
de valeur spirituelle. La science devient elle-même technique, sa justification est secondaire. Or la valeur de la
théorie se rapporte directement à l'esprit, indirectement à l'objet. L'intelligibilité du monde dépend d'abord de
l'esprit.
Si le but de la science n'est que pragmatique, s'il s'agit seulement d'accroître les commodités utiles pour la vie,
par la fabrication d'artifices et de machines, la science se réduit à un instrument. Le développement de la
puissance apparaît comme un but voulu pour lui-même. Si quelque chose peut être fait, alors on le fait. La
puissance tend à être réalisée indépendamment de sa valeur. Elle n'est source d'aucune évaluation.
2. La pratique est constitutive de la théorie
Mais l'efficacité n'est-elle pas une forme d'intelligibilité ? Comprendre, n'est-ce pas réaliser ? Il faut par exemple
tracer les figures de géométrie pour comprendre les propriétés qu'elles comportent. Peut-on abstraire la théorie
de la pratique ? À quoi sert une théorie esthétique si elle ne permet pas de mieux comprendre les œuvres d'art ?
À quoi sert une théorie économique si elle ne permet pas le progrès des sociétés humaines ? Il faut donc dire que
c'est la pratique qui confirme la théorie et permet de reconnaître sa valeur. Si une théorie s'efforçait de
comprendre un monde illusoire, elle serait sans valeur.
A. Le caractère instrumental et expérimental d'une théorie (Bachelard)
La théorie n'est possible que comme un travail qui s'appuie sur le progrès des techniques et des instruments.
Mais l'emploi de l'instrument reste théorique. L'instrument est une “ théorie matérialisée ”, dit Bachelard.
Bachelard intègre à la théorie les conditions de son application. C'est pourquoi Bachelard affirme qu'une
théorie scientifique a un caractère “ phénoméno-technique ”. L'expérimentation scientifique est une technique
des effets scientifiques tels qu'ils peuvent être maîtrisés et reproduits. La pratique est une médiation de la théorie
avec elle-même. Il faut essayer une théorie pour la vérifier. La théorie ne se constitue pas dans un va-et-vient
avec la pratique.
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On peut donc parler d'une réciprocité de la théorie et de la pratique qui fait la valeur de la théorie. La pratique est
le véritable lien entre les théories. C'est la pratique qui fait passer d'une théorie à une autre, qui permet d'accroître
notre compréhension de la réalité. La théorie n'est pas la conséquence d'une pratique. Elle est une pratique. Une
théorie rassemble en elle les effets de tout un travail de l'hypothèse, appuyé lui-même sur la multiplicité des
observations, autant que sur des références théoriques éclairantes et déjà élaborées. Ces observations et ces
références apportent ce qu'il faut considérer comme des preuves.
Par exemple, la théorie darwinienne de la transformation des espèces par génération naturelle, fondée sur le
concept de sélection naturelle, s'élabore dans une nouvelle pratique de l'observation naturaliste. La valeur de
cette théorie résulte d'une rupture avec la pratique traditionnelle, qui n'étudie les vivants qu'en les arrachant à leur
milieu naturel et temporel propre pour leur imposer d'autres lois que celles de la nature.
B. Le caractère réfutable d'une théorie (Popper)
Cela implique qu'une théorie est toujours réfutable, comme le montre Popper dans La Découverte scientifique.
Elle est un instrument provisoire et perfectible. Ses concepts doivent être remis en cause pour acquérir une
efficacité croissante. Une théorie, en même temps qu'elle pose quelque chose, réfute autre chose. Une théorie
progresse contre des théories précédentes. Ce qui fait sa force, c'est son pouvoir d'intégrer en elle-même l'unité,
l'universalité et la nécessité de leurs rapports. La théorie a le pouvoir d'économiser le nombre des principes dont
elle a besoin et de réduire les principes sur lesquels était fondée la théorie précédente. Une théorie scientifique
est toujours un ensemble d'énoncés qui permettent de réduire le nombre des principes dont on a besoin pour
rendre compte de la complexité d'un phénomène.
Mais ne restons-nous pas pourtant dans la théorie ? La pratique dont nous parlons est une pratique théorique
plutôt que technique. En effet, une théorie n'est pas tirée de l'observation des faits. Elle reste un travail de la
raison de l'expérimentateur, une mise en œuvre de tout un appareil de mesure qui permet d'édifier une théorie.
On produit toujours une théorie à partir de la force de la raison. Il faut d'abord des hypothèses, des procédures de
vérification, et une validation, étapes qui sont déterminées par la théorie.
3. La sagesse pratique contre la puissance technique
A. Distinction de la pratique théorique et de l'efficacité technique
Il faut distinguer la pratique théorique, comme constitutive de la théorie, et l'efficacité technique, qui est un
résultat, une conséquence indifférente. La théorie s'appuie sur la première. La technique, comme efficacité
pratique, est une puissance de fins contraires, comme le bien ou le mal. Parce qu'elle est aveugle, elle ne peut pas
mesurer la valeur d'une théorie. Une théorie n'a de valeur que si elle détermine des fins qui sont bonnes.
C'est en dernier ressort la manière dont on construit une théorie qui décide de sa valeur. L'efficacité pratique ou
technique ne saurait donc mesurer la valeur d'une théorie, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas être voulue pour ellemême. Ce serait confondre la vérité avec un pouvoir.
B. La sagesse pratique comme fin de la théorie (Épicure)
Une théorie doit être au service de la réalisation du bonheur dans notre vie. Pour Épicure, par exemple, la valeur
d'une théorie se mesure au nombre d'hypothèses qu'elle produit. La liste des explications qu'on peut donner ne
prétend jamais à l'exhaustivité, elle est toujours ouverte. Épicure ne cherche pas l'explication universelle des
divers phénomènes naturels invisibles (la foudre, les comètes, les tremblements de terre...) mais seulement une
explication vraisemblable, qui s'accorde avec nos sensations et qui permette la plus grande efficacité pratique.
Une théorie a d'autant plus de valeur qu'elle nous rend le monde plus familier en nous débarrassant des
mythes qui alimentent nos attitudes superstitieuses.
Conclusion
Une théorie n'est ni pure passivité, ni activité aveugle. D'une part, le caractère opératoire de la science
moderne ne la borne pas à une intention technique, dont les effets sont difficilement contrôlables (par exemple la
destruction de la couche d'ozone). D'autre part, la vie théorétique doit être considérée comme une vie active.
L'action ne se réduit pas à l'obtention de résultats pratiques. Les spéculations se prenant elles-mêmes pour objet
dans la vie même sont aussi une forme d'action.
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Ouvertures
LECTURES
- Husserl, La Crise des sciences européennes, Gallimard, coll. “ Tel ”.
- Popper, La Découverte scientifique, Flammarion, coll. “ Champs ”.
- Bachelard, Le Rationalisme appliqué, PUF.
- Épicure, Lettres, PUF, coll. “ Epiméthée ”.
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