Contrôle des fusions et théorie des effets de portefeuille
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Contrôle des fusions et théorie des effets de portefeuille
Chapitre 3 Contrôle des fusions et théorie des effets de portefeuille Lors de l’analyse des concentrations, la Commission Européenne fait généralement référence à l’existence ou au renforcement d’une position dominante et à l’abus de position dominante. Avant 1997, la recherche de potentiels effets anti-concurrentiels des fusions et acquisitions prenait essentiellement en compte les effets purement horizontaux, l’analyse de possibles effets d’exclusion n’étant réalisée que lorsque les entreprises impliquées opèrent sur des marchés liés verticalement (¿vertical foreclosure effectsÀ).1 Enfin, l’analyse des positions dominantes dans le cas d’une concentration entre entreprises intervenant sur des marchés différents (¿conglomerate analysisÀ) est prise en compte lors de fusions entre firmes fabriquant ou revendant des produits complémentaires. Il s’agit alors de voir si la concentration, en élargissant la gamme de produits proposés par la nouvelle entité, peut lui permettre d’en tirer un avantage vis-à-vis de ses concurrents. L’année 1997 a vu l’émergence d’une nouvelle théorie dans le contrôle communautaire des fusions et acquisitions, appelée théorie des effets de portefeuilleÀ ou ¿ effets de gammeÀ alors ¿ appliquée dans trois cas majeurs. Dans le cas Guinness / Grand Metropolitan,2 la Commission Européenne a analysé à la fois les effets horizontaux et non-horizontaux de la fusion. Comme dans le cas de toute autre fusion, l’analyse des effets horizontaux fait référence à la création ou au renforcement d’une position dominante et s’intéresse tout particulièrement à l’étude du niveau de concentration sur chacun des marchés sur lesquelles les entreprises désirant fusionner interviennent. Dans le cas présent, la Commission a considéré que chaque grande catégorie de boissons alcoolisées (par exemple vodka, rhum, whisky, gin, ...) représente un marché. La seconde partie de l’analyse consiste en l’étude des effets non-horizontaux, et en particulier aux effets issus de la création d’un portefeuille exhaustif de marques au sein de la nouvelle entité. La concentration permettait en effet à la nouvelle entité de disposer d’au moins une marque sur chacun des marchés pertinents. La 1 Les cas concernent majoritairement des entreprises intervenant sur des marchés régulés tels que les secteurs de l’audiovisuel, des télécommunications ou de l’énergie. L’analyse a en général permis de montrer que la fusion risquait d’affaiblir la position des firmes concurrentes en créant ou en renforçant une position dominante sur le marché aval. 2 Guinness / Grand Metropolitan (cas IV/M.938). Voir aussi les cas Coca-Cola / Amalgamated Beverages (IV/M.796) et Coca-Cola / Carlsberg (IV/M.833). 87 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE Commission Européenne a alors conclu que, bien que la fusion ne conduirait pas à une augmentation significative des parts de marché, l’existence d’un tel portefeuille de marques pouvait créer ou renforcer une position dominante. La décision rendue dans ce cas définit quelques-uns des avantages que le détenteur d’un tel portefeuille peut espérer : économies d’échelle et de gamme pour les activités de marketing, renforcement du pouvoir de négociation vis-à-vis de ses clients (puisqu’il représente maintenant une part importante de son chiffre d’affaires), possibilité accrue de ventes liées. Une autre conclusion de ce cas est que l’importance de ces avantages dépend de la puissance d’achats des consommateurs (individus, petites entreprises ou grandes centrales d’achats) et des marques détenues par les concurrents potentiels. La prise en compte de ce type d’effets non-horizontaux diffère très largement de l’analyse traditionnelle du contrôle des concentrations. Alors que la question de création ou de renforcement d’une position dominante est analysée sur chaque marché (de produit et géographique) défini par l’autorité de la concurrence, les effets de gamme sont identifiés en prenant en compte des marchés différents mais suffisamment liés. Ceci suggère que la définition traditionnelle des marchés ne permet pas de prendre en compte tous les effets de la concentration et que les autorités de la concurrence devraient quelquefois ne pas se limiter au calcul des parts de marché. Selon Giotakos (1998), l’existence potentielle d’effets anti-concurrentiels d’un portefeuille de marques provient du fait que la combinaison de ces marques représente maintenant une facilité essentielle pour les entreprises agissant sur le marché aval. Une objection contre cette théorie ¿ des effets de portefeuilleÀ est que les consommateurs ne veulent jamais acheter l’ensemble des produits mais uniquement l’un d’entre eux. Néanmoins les producteurs ne vendent que très rarement leurs produits aux consommateurs finaux et doivent le plus souvent passer par l’intermédiaire de distributeurs pour atteindre ces consommateurs. Or, ces distributeurs font face à différents types de consommateurs intéressés par différents produits et ont alors tout intérêt à revendre l’ensemble de la gamme pour attirer un maximum d’acheteurs. Ainsi, alors que les produits ne sont que des substituts imparfaits pour les consommateurs, ils présentent des complémentarités pour les distributeurs. Giotakos identifie deux types d’effets de gamme anti-concurrentiels. Le premier est lié à la théorie du levierÀ. Le détenteur d’un portefeuille complet de marques peut ainsi essayer ¿ de profiter d’une marque forte leader sur son marché pour chercher à imposer des marques moins importantes. Un moyen pour cela est d’accroı̂tre les ventes réalisées par l’intermédiaire d’un même distributeur en offrant des rabais globaux (par opposition à une série de rabais spécifiques, le rabais dépend alors du chiffre d’affaires total réalisé avec ce distributeur). Il est alors possible que ce type de comportement ait des effets positifs pour les consommateurs. En effet, des rabais aggrégés incitent le distributeur à acheter l’ensemble des produits auprès du même producteur à un prix plus faible, les gains étant partiellement redistribués aux consommateurs via une réduction des prix de détail. Néanmoins, le renforcement du pouvoir de négociation du producteur a aussi des effets néfastes pour les consommateurs. Le détenteur d’une gamme extensive de produits peut maintenant imposer plus facilement des contrats d’exclusivité ou contraindre les distributeurs à acheter l’ensemble des produits de leur gamme (ventes liées). Les effets anti-concurrentiels sont alors doubles. D’une part, le portefeuille de marques est utilisé pour renforcer la position de marques 88 INTRODUCTION faibles face aux produits concurrents. En d’autres termes, le producteur impose au distributeur d’acheter des produits que ce dernier ne souhaite pas nécessairement commercialiser. D’autre part, le portefeuille est un moyen d’exclure les concurrents d’un marché. Le producteur peut en effet imposer au distributeur l’ensemble de sa gamme en vue d’occuper un maximum d’espace dans les rayons. Cet espace étant une ressource limitée, ceci réduit l’espace disponible pour les produits concurrents, limitant la concurrence et allant éventuellement jusqu’à empêcher l’entrée de nouveaux concurrents sur ce marché. Dans un cadre légèrement différent concernant principalement des biens complémentaires (et non plus imparfaitement substituables comme dans le cas Guinness), la Commission Européenne a interdit en juillet 2001, la fusion entre General Electric et Honeywell,3 au motif qu’une telle ¿ intégration permettrait à l’entité issue de l’opération de concentration de démultiplier la puissance de marché respective des deux sociétés (...). Ceci aurait pour effet d’exclure les concurrents, éliminant ainsi la concurrence sur ces marchés, et ayant au bout du compte une incidence négative sur la qualité des produits, le service et les prix appliqués aux consommateursÀ. La situation de ces entreprises est la suivante : General Electric (GE) occupe à elle seule une position dominante sur le marché des réacteurs pour les avions de grande capacité. De son côté, Honeywell est un acteur important sur les marchés de produits avioniques et non-avioniques (roues, freins, ...) ainsi que de moteurs pour avions d’affaires et de dispositifs de démarrage de moteur. Après la fusion, la nouvelle entité aurait ainsi pu offrir aux constructeurs (Boeing et Airbus en particulier) des rabais importants pour l’ensemble moteur - avionique et augmenter les prix des différents équipements achetés séparément. Ceci aurait permis à la nouvelle entité d’augmenter sa part de marché à un niveau supérieur à la part de marché cumulée des deux entreprises, et ce au détriment de leurs principaux concurrents,4 ces derniers étant amenés à baisser les prix de leurs produits afin de tenter de préserver leur part de marché. L’argument de la Commission Européenne est que, s’il est vrai que l’effet aurait été bénéfique à court terme pour les constructeurs aéronautiques (et donc pour les consommateurs finaux que sont les compagnies aériennes), le risque aurait été grand de voir disparaı̂tre certains concurrents à plus long terme, conduisant ainsi à une hausse des prix. Cette ¿théorie des effets de portefeuilleÀ n’a aujourd’hui que très peu de fondements théoriques. Rabassa (1999) propose un premier argument formel en faveur de cette théorie. Elle propose ainsi un modèle dans lequel les firmes produisent et vendent aux consommateurs finaux différents produits, les fonctions de demande prenant en compte les préférences des agents pour la qualité et la variété (nombre de produits disponibles sur le marché) et analyse les effets horizontaux d’une fusion sur les prix et la qualité des produits proposés. Elle montre alors que, lorsque la qualité est une décision de court terme (c’est-à-dire que les producteurs sont donc en mesure d’adapter après une concentration), la fusion peut avoir des effets anti-concurrentiels. Elle prouve par ailleurs que la part de marché de la nouvelle entité est supérieure à la somme des parts de marché initiales 3 4 General Electric / Honeywell ( cas COMP/M.2220). Rolls-Royce, Pratt & Whitney et SNECMA pour les moteurs, Rockwell-Collins et Thalès pour l’avionique et Hamilton-Sundstrand, BF-Goodrich et SNECMA pour les autres équipements aéronautiques. 89 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE des parties impliquées dans la concentration, confirmant ainsi qu’un portefeuille de marques plus important crée des effets sur-additifs. Néanmoins, ce modèle n’analyse que les effets horizontaux et suppose une interaction directe entre les producteurs et le marché final. La théorie économique a par ailleurs proposé plusieurs raisons à l’utilisation des ventes liées. Une première explication fait référence à la discrimination par les prix. Les ventes liées permettent à un producteur en situation de monopole d’extraire un surplus plus important de consommateurs homogènes5 ou hétérogènes.6 Alors que cet argument de discrimination se justifie pour des biens complémentaires, la minimisation des coûts de production est un argument à l’utilisation des ventes liées dans le cas de substituts imparfaits. L’idée est ici que le monopole ne peut pas profiter pleinement de sa situation lorsque les consommateurs peuvent substituer un autre produit à celui proposé par le monopole. En liant la vente de différents facteurs de production, le monopole internalise cette externalité en fixant des prix de gros dont le ratio est égal au ratio de leurs coûts marginaux (Slade, 1998). Dans ce cas, les produits finis sont fabriqués au meilleur coût du point de vue social et la vente liée a un effet positif sur le bien-être des consommateurs. Blair et Kasserman (1978) ont montré que l’effet de l’optimisation des coûts provenant des ventes liées est similaire aux effets de l’intégration verticale entre les deux entreprises. Enfin, une dernière théorie, très contestée, est celle de l’effet de levier. Le monopole peut pratiquer la vente liée pour étendre le pouvoir de monopole dont il dispose sur l’un des marchés sur un second marché afin, au minimum, d’extraire une rente de monopole supplémentaire sur ce nouveau marché, et au mieux d’en éliminer la concurrence. Néanmoins, cette dernière théorie a été très discutée et suppose que les biens concernés sont soit complémentaires, soit sur des marchés indépendants.7 En outre, toute cette littérature ne s’intéresse qu’aux motivations pouvant expliquer la vente liée au consommateur final par un monopole multi-produits. Shaffer (1991) propose une première analyse des ventes liées dans le cas d’une relation verticale entre un monopole multi-produits et un monopole de distribution. Un producteur en situation de monopole vendant des produits différenciés doit faire face au pouvoir de négociation que le distributeur tire de l’opportunité qu’il a de choisir les produits qu’il met en vente dans ses linéaires. Même lorsque ce coût d’opportunité est connu de tous, des contrats spécifiques pour chacun des produits (un tarif binôme pour chaque produit) ne suffisent pas à maximiser le profit du fabricant, et le distributeur retire une rente que l’on peut attribuer à la rareté de la ressource (le linéaire) mais aussi à la possibilité qu’il a de choisir les produits. Dans ce cas, la vente liée (tout comme l’imposition d’un prix de revente maximum, ou différentes sortes de rabais) est un instrument suffisant pour éviter cette discrétion laissée au distributeur et extraire totalement sa rente. En revanche, Shaffer ne s’intéresse pas aux potentiels effets des ventes liées sur le bien-être des consommateurs. Utilisant le même cadre d’analyse, Vergé (2001) montre que les ventes liées ont un effet positif sur le bienêtre des consommateurs. En effet, en l’absence de ventes liées, le producteur préfère maintenir des prix très élevés afin de réduire la rente à céder au distributeur. Les ventes liées permettent 5 Voir par exemple Burstein (1960a, b) ou Blair et Kasserman (1978). Voir Bowman (1957). 7 Pour une revue de la littérature sur la théorie du levier et les critiques, voir Whinston (1990). 6 90 3.1. LE CADRE D’ANALYSE de réduire ces distortions et de ramener les prix à leur niveau de monopole. Enfin, ce modèle ne prend pas en compte la concurrence entre producteurs et ne permet donc pas d’analyser les effets anti-concurrentiels possibles d’une concentration sur le marché amont afin de valider la théorie ¿ des effets de portefeuilleÀ. L’objectif de ce chapitre est d’analyser la validité de cette ¿théorieÀ et en particulier l’argument d’exclusion. Nous étudions comment un producteur, disposant d’un portefeuille de marques et se trouvant en situation de monopole sur l’un des marchés, peut chercher à tirer parti de ce portefeuille afin d’empêcher l’entrée de nouveaux concurrents et de maintenir ainsi sa position de monopole. L’intuition est que le producteur, initialement en situation de monopole sur un marché fort (i.e. produisant une marque phare) et fabriquant par ailleurs un produit générique, peut plus facilement barrer l’entrée sur le marché puisqu’il dispose maintenant des deux produits. Dans la section 3.1, nous présentons le cadre d’analyse. En particulier, nous supposons qu’un producteur initialement en place sur deux marchés distincts (forte et faible demandes) peut faire face à une menace d’entrée et à la concurrence sur chacun des deux marchés. Un concurrent potentiel, plus efficace, peut entrer le marché de forte demande, mais doit pour cela commencer par se faire connaı̂tre des consommateurs en intervenant sur le marché générique. Nous proposons alors deux explications distinctes à l’utilisation du portefeuille de marques. Dans un premier temps (section 3.2), nous considérons un marché de la distribution monopolisé. Nous montrons qu’en l’absence de portefeuille, le producteur multi-produits ne peut pas empêcher l’entrée de son concurrent. En revanche, lorsque l’entrant n’est pas trop efficace, lier la vente des deux produits peut lui permettre de barrer l’entrée et de maintenir sa situation de monopole. Lorsqu’il possède l’ensemble des produits, lier leur vente permet au producteur de limiter la rente que le distributeur pourrait obtenir s’il pouvait sélectionner les produits vendus dans ses rayons. Dans un second temps (section 3.3), nous montrons comment, sans lier la vente des deux produits, mais en jouant sur leurs prix, le producteur peut tirer parti de son portefeuille de marques pour exclure le concurrent lorsqu’ils se concurrencent directement sur le marché final. L’idée est alors que le portefeuille de marques permet d’utiliser les deux prix et non plus seulement le produit de forte demande pour empêcher l’entrée. Ceci permet alors au producteur d’exclure plus facilement son concurrent tout en limitant les distorsions sur les prix. La section 3.4 conclut. 3.1 3.1.1 Le cadre d’analyse Biens et demandes Considérons une économie dans laquelle deux types de biens imparfaitement substituables, notés H et L, sont disponibles. Les fonctions de demande sont respectivement DH (pH , pL ) et DL (pH , pL ), où pH et pL sont les prix de détail des produits H et L respectivement. La demande pour le bien H (resp. L) est supposée strictement décroissante en le prix du produit H (resp. L), et les produits H et L étant imparfaitement substituables, elle est croissante en le prix du produit L (resp. H). Par ailleurs, lorsque l’un des deux produits est absent des rayons des distributeurs, la demande 91 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE des consommateurs pour le produit présent seul sur le marché est notée DH (pH , ∅) pour le pro- duit H et DL (pL , ∅) pour le produit L.8 La demande DH (pH , ∅) est obtenue en remplaçant dans DH (pH , pL ) le plus petit prix pL qui annule la demande pour le bien L, soit : DH (pH , ∅) = DH (pH , pL (pH )) où pL (pH ) est le plus petit prix tel que DL (pH , pL (pH )) = 0. Nous notons par ailleurs pbH et pbL les prix maxima, soient les plus petits prix tels que pH , ∅) = DL (∅, pbL ) = 0 DH (b Nous faisons en outre les hypothèses suivantes : — ∀pH ≤ pbH , il existe des valeurs (éventuellement infinies) pL (pH ) ≤ pL (pH ) telles que ³ ´ DH pH , pL (pH ) = 0 et DL (pH , pL (pH )) = 0 — ∀pL ≤ pbL , il existe des valeurs (éventuellement infinies) pH (pL ) ≤ pH (pL ) telles que ³ ´ DL pH (pH ), pL = 0 et DH (pH (pL ), pL ) = 0 Nous supposons par ailleurs, qu’à prix identiques, la demande est plus élevée sur le marché H. Cette spécification permet de rendre compte de l’importance du produit H et de son caractère essentiel. En effet, les consommateurs sont prêts à payer plus pour ce produit que pour le produit L. Par la suite, nous ferons régulièrement référence à ce marché comme marché de forte demande. Le produit correspondant peut ainsi être vu comme un produit de ”marque”, connu et apprécié des consommateurs. Ce type de produit joue alors un rôle important, en ce sens que les distributeurs peuvent plus difficilement se passer de le commercialiser. Le second type de produit est alors un produit générique ou d’entrée de gamme auquel les consommateurs accordent moins de valeur. Nous ferons référence à ce marché en temps que marché de faible demande. 3.1.2 Les entreprises Le secteur de la production est constitué de trois types d’entreprises dont les technologies présentent toutes des rendements d’échelle constants. — ”Monopole Initial” Un producteur initialement en place, I, peut fabriquer les deux types de biens, H et L, et ses coûts marginaux de production sont respectivement cI et c pour les biens H et L. Nous supposons qu’il est plus coûteux de produire le bien de forte demande, soit cI > c. Afin de simplifier la présentation, sans perte de généralité nous normalisons le coût de production du bien de faible demande et supposons c = 0. 8 La notation ∅ denote l’absence du produit considéré. 92 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION — Frange concurrentielle De nombreux producteurs identiques produisent le bien L au même coût marginal que le producteur I, c = 0. La concurrence sur ce marché de faible demande implique que ces producteurs ne réalisent aucun profit et vendent leur produit à prix coûtant, soit ici à prix nul. Tout ce passe donc comme si les distributeurs pouvaient disposer sans coût de la technologie de production du bien de faible demande L. — ”Entrant” Un producteur E produit un bien à un coût marginal cE tel que 0 ≤ cE ≤ cI . Nous faisons l’hypothèse que les goûts des consommateurs sont basés sur l’expérience et qu’ils n’aiment pas prendre de risque lorsqu’ils achètent un nouveau produit. Ainsi, lorsqu’un nouveau produit est introduit sur le marché, il est automatiquement considéré par les consommateurs comme un produit de faible qualité intervenant ainsi sur le marché de faible demande (L). En revanche, à l’issue de la première période, les préférences des consommateurs sont affectées par un choc dont la probabilité d’occurence dépend des quantités vendues en première période. Si l’entrant a été actif sur le marché L en première période, alors, avec probabilité p, les préférences des consommateurs sont modifiées et le produit de l’entrant E devient considéré comme un produit de forte demande (marché H). En revanche, la probabilité d’occurrence du choc est nulle si l’entrant n’a pas vendu son produit en première période. Afin de simplifier l’analyse, nous supposons que p = 1. 3.1.3 Le jeu Nous analysons le jeu à deux périodes dans lequel le déroulement est identique pour chacune des deux périodes. La seule différence entre les deux périodes est le nombre de producteurs intervenant sur chacun des deux marchés, H et L. Lors de la première période, le producteur I est en situation de monopole sur le marché de forte demande (H) et fait face à la concurrence de l’entrant E et de la frange concurrentielle sur le marché de faible demande. Si l’entrant E n’a pas été actif sur le marché L en première période la situation est inchangée lors de la seconde période (il n’y a pas eu de choc sur les préférences des consommateurs). En revanche, s’il a vendu une quantité strictement positive, le choc sur les préférences survient avec probabilité p = 1. Le producteur I fait maintenant face à la concurrence de l’entrant sur le marché H. 3.2 Monopole de distribution Supposons dans un premier temps que les producteurs ne peuvent pas vendre directement leurs produits aux consommateurs finaux et doivent donc passer par l’intermédiaire d’un distributeur en situation de monopole sur le marché aval. Le distributeur ne fait que revendre le produit selon une technologie à rendement d’échelle constants, et, sans perte de généralité nous normalisons le coût marginal de distribution à zéro. En outre, nous supposons que ce distributeur ne peut proposer que deux produits dans ces rayons. Cette hypothèse permet de prendre en compte le fait que le distributeur est contraint par 93 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE la taille des linéaires et ne peut donc pas proposer un nombre considérable de produits. Il sélectionne donc les produits proposés. Les linéaires étant une ressource rare, essentielle pour les producteurs, ces derniers vont devoir se livrer une concurrence sévère pour être référencés et distribués. L’objectif de cette section est d’analyser les incitations du producteur I à lier la vente des deux produits lorsqu’il possède un portefeuille de marques. Nous analysons ainsi le jeu à deux périodes pour lequel la séquence est identique à chaque période : 1. Le producteur initial I fait une offre à prendre ou à laisser au distributeur. 2. L’entrant E et les producteurs de la frange concurrentielle font leurs offres (à prendre ou à laisser) au distributeur. 3. Le distributeur accepte de revendre au plus deux produits. Il fixe alors les prix de détail des produits qu’il a accepté de revendre et achète les quantités nécessaires à satisfaire les demandes correspondantes. Les contrats sont alors implémentés. Chaque offre faite par l’entrant ou l’un des producteurs de la frange concurrentielle consiste en un tarif affine (w, F ), où F est une franchise fixe payée par le distributeur afin d’être autorisé à revendre le produit concerné (cette franchise peut éventuellement être négative) et w le prix unitaire. Le producteur I peut, soit vendre les deux produits séparément et offrir ainsi deux tarifs de gros affines, soit lier la vente des deux produits en offrant un contrat unique consistant alors en deux prix de gros unitaires (un pour chaque produit) et une franchise unique. 3.2.1 Notations et hypothèses supplémentaires Supposons dans un premier temps, que les deux produits sont fabriqués et commercialisés par une entreprise unique, dont les coûts marginaux de production des produits H et L sont respectivement wH et wL . Dans ce cas, cette entreprise maximise la fonction de profit π (pH , pL ; wH , wL ) = (pH − wH ) DH (pH , pL ) + (pL − wL ) DL (pH , pL ) Le maximum de cette fonction de profit peut, selon les valeurs de wH et wL , correspondre à quatre situations : 1. Les deux produits sont effectivement vendues en quantités strictement positives. Nous supposons dans ce cas que les fonctions de demande sont telles que ce maximum est atteint pour M un unique couple de prix de détail, que nous notons pM H (wH , wL ) et pL (wH , wL ) , unique solution du programme ¡ M ¢ pH (wH , wL ) , pM L (wH , wL ) = arg maxπ (pH , pL ; wH , wL ) pH ,pL M (w , w ) et q M (w , w ) les quantités Nous notons πM (wH , wL ) le profit correspondant, et qH H L H L L vendues sur les marchés H et L. 94 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION 2. Seul le produit H est effectivement vendu. Dans ce cas, le prix pM H (wH , ∅) est solution du programme pM H (wH , ∅) = arg max(pH − wH )DH (pH , ∅) pH et nous supposons que cette solution est unique. Le profit et la quantité correspondants sont M (w , ∅) . alors notés πM (wH , ∅) et qH H 3. Seul le produit L est effectivement vendu. Nous définissons de la même manière que précédemment M M pM L (∅, wL ) , qL (∅, wL ) et π (∅, wL ) , et supposons une nouvelle fois que ce maximum est bien unique. 4. wH et wL sont trop élevés (DH (wH , ∅) = DL (∅, wL ) = 0) de sorte que rien n’est vendu. Le profit est alors nul. La figure 3.1 résume ces quatre situations. wL Aucun produit n’est vendu Seul le produit H est vendu Les deux produits sont vendus Seul le produit L est vendu wH Fig. 3.1: Produits vendus par le monopole Nous faisons maintenant les hypothèses suivantes : M M M — (H1 ) : les prix de monopole (pM H (wH , wL ) et pL (wH , wL ) , pH (wH , ∅) ou pL (∅, wL )) sont des fonctions croissantes de wH et wL . M (w , w ) ou q M (w , ∅) (respectivement — (H2 ) : les quantités vendues par le monopole, qH H L H H qLM (wH , wL ) ou qLM (∅, wL )) sont décroissantes en wH (resp. wL ) et croissantes en wL (resp. wH ). — (H3 ) : le profit de monopole (πM (wH , wL ), πM (wH , ∅) ou πM (∅, wL )) est une fonction décroissante de wH et wL . Ces hypothèses sont tout à standards et signifient simplement que lorsqu’un monopole multiproduits devient plus efficace, il vend moins cher et accroı̂t son profit. 95 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE M (c , 0), q M (c , 0) , q M (c , c ), q M (c , c ), q M (0, 0), q M (0, 0) , q M (0, ∅) — (H4 ) : Les quantités qH I I I I I I L H L H L H et qLM (∅, 0) sont strictement positives. Cette hypothèse garantit que, dans un cadre statique, la structure intégrée composée du producteur I et d’un distributeur en situation de monopole vend des quantités strictement positives des deux biens. Puisque le bien H est produit par le monopole initial à un coût marginal strictement positif, l’hypothèse (H4 ) ne peut être satisfaite que si la disposition à payer des consommateurs est supérieure pour le bien H, au moins lorsque les deux biens sont des substituts proches. M qH Par ailleurs, comme cE ∈ [0, cI ], les hypothèses (H2 ) et (H4 ) garantissent que les quantités M (c , 0), q M (c , 0) sont elles aussi strictement positives. Ainsi, quels (cI , cE ), qLM (cI , cE ), qH E E L que soient les prix de gros auxquels un distributeur en situation de monopole peut obtenir les produits H (cI ou cE ) et L (cE ou 0), il revend des quantités strictement positives des deux biens. M (c , ∅) et q M (∅, 0) sont elles aussi positives. Enfin, les quantités qH E L — (H5 ) : πM (wH , wL ) − πM (∅, wL ) est une fonction croissante de wL . Ceci revient à dire que le surplus de profit généré par le produit H est d’autant plus important que le coût de production ¡ ¢ ¡ ¢ 1 > w 2 , la différence π M w , w 1 −π M w , w 2 est du bien L est élevé. Par ailleurs, on a ∀wL H H L L L une fonction croissante de wH .9 Cette hypothèse signifie qu’une baisse de coût de production du bien L accroı̂t d’autant plus le profit du monopole multi-produits que le coût de production du bien H est élevé. — (H6 ) : πM (∅, cI ) + πM (cI , 0) > 2π M (∅, 0) Comme le profit de monopole est une fonction décroissante des prix de gros, cette condition implique que ∀cE ∈ [0, cI ] , πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) > 2πM (∅, 0) Cette hypothèse permet dans notre modèle de s’assurer qu’il est impossible pour le producteur I d’exclure l’entrant lorsqu’il ne dispose que du produit de forte demande. Ceci revient à dire que si le producteur I décide de ne pas vendre son produit durant la première période, le distributeur préfère traiter avec l’entrant plutôt que de ne travailler qu’avec un producteur de la frange concurrentielle. Ainsi, même s’il est plus coûteux de vendre le produit de l’entrant sur le marché de faible demande, le bénéfice apporté par sa présence sur le marché de forte demande en seconde période est plus grand que la perte de court terme. 3.2.2 Equilibre de la seconde période La seconde période correspond exactement à la situation statique. Ainsi, si le distributeur a accepté de revendre les deux produits H et L achetés aux prix de gros wH et wL , il choisit les prix M M de détail pM H (wH , wL ) et pL (wH , wL ) , et réalise le profit de détail π (wH , wL ) . Si, en revanche, 9 2 wL peut éventuellement prendre la valeur ∅ correspondant ici à un prix de gros wL tel que le monopole préfère ne vendre que le produit H. 96 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION il ne revend que le produit H (resp. L) acheté au prix de gros wH (resp. wL ), il fixe un prix de M M détail égal à pM H (wH , ∅) (resp. pL (∅, wL )), et réalise un profit de détail égal à π (wH , ∅) (resp. πM (∅, wL )). La concurrence entre producteurs lors de la seconde période dépend des produits effectivement présents sur le marché lors de la première période. L’entrant n’a pas été actif sur le marché L à T = 1 Supposons dans un premier temps que le produit de l’entrant n’était pas disponible dans les rayons du distributeur durant la première période. Dans ce cas, les préférences des consommateurs sont inchangées lors de la seconde période et le produit de l’entrant est toujours considéré comme un produit de faible demande, substitut parfait du bien proposé par les producteurs de la frange concurrentielle. Puisque l’entrant produit à un coût supérieur aux producteurs de la frange concurrentielle, il n’est pas actif en seconde période. La concurrence sur le marché L permet au distributeur d’obtenir ce produit à prix coûtant (soit ici à prix nul). Il peut ainsi refuser de revendre le produit de forte demande proposé par le fabricant I et s’assurer un profit minimum πM (∅, 0) . Le producteur, faisant une offre à prendre ou à laisser au distributeur, dispose d’un pouvoir de négociation total, et peut donc récupérer, grâce à la partie fixe des tarifs affines, l’intégralité du profit joint, à l’exception du profit minimal πM (∅, 0). Son objectif est alors de maximiser le profit joint et de choisir un prix de gros égal au coût marginal. Ceci conduit au lemme suivant : Lemme 3.1 Si l’entrant n’a pas été actif sur le marché L en première période, alors l’équilibre de seconde période est tel que le producteur I fixe des prix de gros égaux aux coûts marginaux de production (wH = cI et wL = 0), et des franchises telles que les profits de seconde période sont : - pour le producteur I : π2I (F ) = π M (cI , 0) − πM (∅, 0) - pour le producteur E : π2E (F ) = 0 - pour le distributeur : π2D (F ) = πM (∅, 0) Remarquons qu’il est inutile pour le producteur I de produire le bien de faible demande. L’existence d’une frange concurrentielle sur ce marché supprime les incitations à lier la vente des deux produits. Contrairement à la situation de Shaffer (1991), il importe peu au producteur I de disposer d’une gamme complète car il fait face à la concurrence sur l’un des marchés. Comme il peut récupérer l’intégralité du profit de monopole réalisé sur le marché de forte demande, et qu’il n’y a pour lui aucun profit à réaliser sur le marché de faible demande du fait de la concurrence, il n’a aucune raison de chercher à imposer à tout prix ce second produit. Ceci nous permet de concentrer notre analyse sur les effets anti-concurrentiels éventuels des ventes liées et de ne pas avoir les effets pro-concurrentiels du modèle de Shaffer, dans lequel les ventes liées, utilisées afin de réduire le pouvoir de sélection du distributeur, permettent de limiter les distortions et conduisent à des prix de détail plus faibles. 97 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE L’entrant a été actif à T = 1 Supposons maintenant que l’entrant a réussi à vendre une quantité strictement positive de son produit sur le marché de faible demande en première période. Dans ce cas, les préférences des consommateurs sont modifiées et le produit de l’entrant est maintenant considéré comme un produit de forte demande, substitut parfait du produit du monopole initial I. Sur le marché L, les producteurs de la frange concurrentielle sont toujours prêts à offrir leur produit à prix coûtant. Sur le marché de forte demande, on a maintenant concurrence entre deux producteurs dont les coûts de production sont différents. L’entrant ne peut donc pas tirer pleinement parti de sa position sur ce marché puisqu’il doit offrir un prix suffisamment bas pour s’assurer d’être présent dans les rayons du distributeur. En effet, le monopole initial I sera toujours prêt à aller jusqu’à vendre son produit à prix coûtant. Tout se passe donc comme si le distributeur possédait les technologies de production des deux produits. Il peut toujours s’assurer un profit minimum égal à πM (cI , 0) . L’entrant pouvant récupérer l’intégralité du profit joint à l’exception de ce profit minimum, la situation est similaire à celle du monopole I dans le cas précédent ce qui conduit au lemme suivant : Lemme 3.2 Si l’entrant E a été actif durant la première période, l’équilibre de seconde période est tel que l’entrant fixe un prix unitaire égal à son coût marginal de production (wH = cE ) et une franchise telle que les profits de seconde période sont : - pour le producteur I : π2I (E) = 0 - pour le producteur E : π2E (E) = πM (cE , 0) − πM (cI , 0) - pour le distributeur : π2D (E) = π M (cI , 0) Si on compare maintenant les différents profits dans les deux cas, on peut noter que le monopole initial a plus à perdre si l’entrant est actif sur le marché en première période (πM (cI , 0) −πM (∅, 0)) ¡ ¢ que l’entrant n’a à gagner πM (cE , 0) − πM (cI , 0) , au moins lorsque le différentiel de coût (cI − cE ) n’est pas trop important. Ceci semble créer une incitation pour le producteur I à empêcher l’entrée du producteur E afin de préserver sa situation de monopole en seconde période. Néanmoins, l’existence du monopole de distribution modifie la situation de manière importante. En effet, il ne s’agit pas de comparer les profits des deux producteurs, mais les profits totaux. L’entrant étant plus efficace que le monopole initial, l’entrée est toujours profitable en seconde période. Comme, en revanche, l’entrée réduit le profit de première période puisque l’entrant est moins efficace que les producteurs de la frange concurrentielle sur le marché de faible demande, l’entrée n’est profitable pour l’industrie que lorsque ∆ (cE ) ≡ 2πM (cI , 0) − πM (cI , cE ) − πM (cE , 0) ≤ 0 98 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION 3.2.3 Absence de portefeuille de marques Supposons dans un premier temps que le monopole I ne peut produire que le bien de forte demande. Lors de la première période, le distributeur peut agir sur les profits de seconde période en revendant le produit de l’entrant. En effet, son profit de seconde période est supérieur lorsque l’entrant a été actif en première période, car il est le principal bénéficiaire de la concurrence entre producteurs sur le marché de forte demande. Il doit ainsi choisir entre maximiser le profit de court terme (et donc les choisir les prix de la situation statique) ou sacrifier du profit en première période en revendant une quantité strictement positive du produit de l’entrant pour accroı̂tre son profit en seconde période. S’il n’a pas accepté l’offre de l’entrant, le choix de première période n’affecte pas son profit de seconde période. Ces décisions sont donc identiques à celle de la situation statique. En revanche, dès lors qu’il a accepté l’offre de l’entrant, il est optimal pour lui de vendre une quantité de ce produit afin d’augmenter son profit de seconde période. Il peut en effet se contenter de ne vendre qu’une quantité infime du produit de l’entrant si jamais qLM (wI , wE ) = 0 ou qLM (∅, wE ) = 0, puisque ceci ne coûte rien en première période et permet d’augmenter le profit de seconde période. Etant donnée cette politique de tarification du distributeur, le producteur I a deux possibilités en première période. Ou bien, il décide de laisser entrer le producteur E sur le marché de faible demande et maximise le profit de court terme. Ou bien, il essaye de barrer l’entrée afin de préserver sa situation de monopole et un profit supérieur en seconde période. Lemme 3.3 Lorsque le producteur I ne fabrique que le produit de forte demande, il ne peut jamais maintenir sa position de monopole en seconde période. Dmonstration. Pour exclure l’entrant, le producteur I doit s’assurer que le distributeur ne va jamais vendre le produit de l’entrant sur le marché de faible demande, même lorsque l’entrant lui a cédé sa technologie. Le monopole initial n’a qu’une seule option : convaincre le distributeur de vendre son produit et celui de la frange concurrentielle. En effet, les deux autres solutions possibles ne sont jamais réalisables : convaincre le distributeur de ne vendre : — que son produit H : en vendant une quantité infinitésimale du produit de l’entrant, le dis¡ ¢ tributeur n’affecte pas son profit de première période πM (wI , ∅) − FI mais augmente son ¡ ¢ profit de seconde période πM (cE , 0) au lieu de πM (∅, 0) . — que le produit de la frange concurrentielle : ceci est impossible d’après l’hypothèse (H6 ). Si le distributeur vend le produit du producteur I et celui de la frange concurrentielle, son profit total est : π (I + F C) = πM (wI , 0) − FI + πM (∅, 0) 99 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE S’il essaie de vendre le produit de l’entrant, il peut soit vendre une quantité infinitésimale, soit vendre la quantité qLM (wI , cE ) . Son profit est alors : soit soit ¢ ¡ : π I + E, qL1 = 0+ = πM (wI , ∅) − FI + πM (cE , 0) ¢ ¡ : π I + E, qL1 = qLM = πM (wI , cE ) − FI + πM (cE , 0) Ainsi, le monopole initial ne peut exclure l’entrant que si πM (wI , 0) − πM (wI , ∅) ≥ πM (∅, 0) + πM (cE , 0) et πM (wI , 0) − πM (wI , cE ) ≥ πM (∅, 0) + πM (cE , 0) (3.1) (3.2) Or d’après l’hypothèse (H5 ), les termes de gauche des deux équations (3.1) et (3.2) sont des fonctions croissantes de wI . Ces deux conditions ne peuvent donc être satisfaites que si πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) ≤ 2πM (∅, 0) ce qui n’est jamais le cas sous l’hypothèse (H6 ). Si le producteur I veut empêcher son concurrent potentiel d’entrer sur le marché de faible demande en première période, il lui faut s’assurer, que même lorsque ce dernier est prêt à céder l’intégralité de ses profits au distributeur, le distributeur n’a jamais intérêt à accepter l’offre de l’entrant. Une telle politique ne peut jamais être mise en oeuvre, car le distributeur peut toujours accepter l’offre de l’entrant, et ne revendre qu’une quantité infinitésimale de ce produit. Il sacrifie alors une partie des profits de première période mais accroı̂t son profit de seconde période puisque, l’entrant ayant été actif, il y a concurrence sur le marché de forte demande. Cette stratégie est toujours profitable sous l’hypothèse que le gain de seconde période est suffisamment important. Ceci est effectivement le cas, dès lors que les coûts de production sur le marché de forte demande ne sont pas trop élevés garantissant que ce marché est nettement plus rentable que le marché de faible demande. L’hypothèse (H6 ) assure ce résultat. Puisque le producteur I ne peut pas empêcher l’entrée du concurrent sur le marché de faible demande, la première période est identique à une situation standard de relation producteurs distributeur avec agence commune. Les producteurs pouvant proposer des tarifs affines, l’équilibre est tel que les prix de gros sont égaux aux coûts marginaux de production afin de maximiser le profit total de l’industrie, soit : wH = cI et wE = cE Les franchises sont alors déterminées de manière à satisfaire les contraintes de participation du distributeur. Chaque producteur doit s’assurer que le distributeur est prêt à revendre son produit en plus de celui du producteur concurrent. Enfin, l’existence de la frange concurrentielle permet toujours au distributeur de s’assurer un profit minimum en rejetant les deux offres. Ceci conduit à la proposition suivante : 100 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION Proposition 3.1 Lorsque le producteur I ne peut intervenir que sur le marché de forte demande, les deux producteurs I et E fixent alors des prix de gros égaux à leurs coûts marginaux respectifs, cI et cE , et des franchises telles que les deux offres sont acceptées. Les prix de détail sont alors : 1 M — en première période : p1H = pM H (cI , cE ) et pL = pL (cI , cE ) 2 M — en seconde période : p2H = pM H (cE , 0) et pL = pL (cE , 0) et les profits agrégés sont : - pour le producteur I : πI = π 1I = πM (cI , cE ) − πM (∅, cE ) - pour le producteur E : πE = πM (cE , 0) + πM (∅, cE ) − 2πM (∅, 0) - pour le distributeur : Dmonstration. πD = 2πM (∅, 0) Les franchises FI et FE doivent donc satisfaire les contraintes suivantes : πM (cI , cE ) − FI − FE + π2D (E) ≥ πM (∅, 0) + π 2D (F ) ... ≥ πM (cI , 0) − FI + π2D (F ) ... ≥ πM (∅, cE ) − FE + π2D (E) (3.3) (3.4) (3.5) Les conditions (3.4) et (3.5) contraignent les franchises maximales que les producteurs peuvent imposer. On a ainsi : FI ≤ πM (cI , cE ) − π M (∅, cE ) et FE ≤ πM (cI , cE ) − πM (∅, 0) Dans les deux cas, la franchise correspond au surplus de profit de détail (cumulé sur les deux périodes) généré par le produit concerné. Si ces deux contraintes sont satisfaites, la condition (3.3) est alors vérifiée si et seulement si : πM (cI , cE ) − πM (∅, cE ) ≤ πM (cI , 0) − πM (∅, 0) Puisque cE est positif, l’hypothèse (H5 ) implique que cette condition n’est jamais vérifiée. La contrainte (3.3) est donc nécessairement saturée, et les producteurs doivent proposer des franchises satisfaisant les trois conditions suivantes : FI + FE = πM (cI , cE ) + πM (cI , c) − 2π M (∅, 0) FI ≤ πM (cI , cE ) − πM (∅, cE ) FE ≤ πM (cI , cE ) − πM (∅, 0) (3.6) (3.7) (3.8) Puisque le producteur I fait la première offre, FE doit alors satisfaire la contrainte (3.6) et le producteur I fixe sa franchise maximale de manière à saturer la contrainte (3.7). On a ainsi une situation d’agence commune standard, à ceci près que l’existence de la frange concurrentielle, plus efficace que l’entrant sur le marché de faible demande en première période 101 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE (cE ≥ 0), contraint un peu plus la franchise maximale que l’entrant peu obtenir. Le produc- teur I faisant la première offre, il obtient un profit égal au surplus de profit joint qu’il génère ¢ ¡ M π (cI , cE ) − π M (∅, cE ) , alors que l’entrant doit maintenant s’assurer que le distributeur préfère traiter avec lui plutôt qu’avec un producteur de la frange concurrentielle et compenser la perte de profit joint en première période. 3.2.4 Portefeuille de marques Ventes liées Supposons maintenant que le monopole initial I dispose de tous les instruments possibles, c’està-dire qu’il peut produire les deux types de biens, H et L, et peut offrir, soit deux tarifs affines, soit un unique contrat (wH , wL, FHL ) au distributeur. S’il décide de barrer l’entrer au concurrent, il sera toujours au moins aussi profitable de le faire en proposant un contrat unique. En effet, dans un tel cas, le producteur peut toujours répliquer l’équilibre induit par les deux contrats (wH , FH ) et (wL , FL ), en offrant le contrat unique (wH , wL, FH + FL ). S’il veut voir son contrat accepté par le détaillant, il doit s’assurer que son profit est au moins égal au profit qu’il pourrait réaliser en refusant l’offre, soit : ¡ ¢ πD = max 2πM (∅, 0) , πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) En effet, afin d’exclure le concurrent du marché, le producteur I doit s’assurer le distributeur est bien prêt à accepter son contrat, même lorsque le producteur E est prêt à céder sa technologie de production au distributeur. L’hypothèse (H6 ) assure que l’on a ∀cE ≤ cI , πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) > 2πM (∅, 0) Le producteur I faisant une offre à prendre ou à laisser, il peut récupérer, par l’intermédiaire de la franchise, l’intégralité du profit joint, à l’exception de cette rente minimum πD . Il est alors optimal de fixer des prix de gros égaux aux coûts marginaux de production afin de maximiser le profit joint (wH = cI et wL = 0), et d’imposer une franchise telle que π M (cI , 0) − FHL + πM (∅, 0) = πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) soit FHL (V L) = πM (cI , 0) + πM (∅, 0) − πM (∅, cE ) − πM (cE , 0) Le profit agrégé maximum que le producteur I peut obtenir lorsqu’il commercialise les deux types de produits est donc πI (V L) = 2πM (cI , 0) − πM (∅, cE ) − πM (cE , 0) Afin de décider, s’il préfère lier la vente des deux produits et exclure le concurrent (V L), ou, au contraire, ne vendre que le produit de forte demande et laisser entrer le producteur E (E), le 102 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION producteur I compare les profits : ( πI (V L) = 2πM (cI , 0) − πM (∅, cE ) − π M (cE , 0) πI (E) = πM (cI , cE ) − πM (∅, cE ) Or, πI (V L) ≥ πI (E) ⇔ πM (cE , 0) + πM (cI , cE ) ≤ 2πM (cI , 0) ⇔ ∆(cE ) ≥ 0 (3.9) Proposition 3.2 Le monopole initial I choisit de produire les deux types de biens et de lier leur vente si et seulement si l’entrée du producteur E n’est pas profitable du point de vue du profit total, M c’est-à-dire lorsque cE ≥ cM E , où 0 < cE < cI est l’unique solution de l’équation ¡ ¢ ¡ M ¢ M cE , 0 = 2πM (cI , 0) ⇔ ∆(cM π M cI , cM E +π E )=0 Dmonstration. Le terme de gauche de l’inégalité (3.9) est une fonction décroissante de cE . En outre, puisque π M (0, 0) ≥ πM (cI , 0), cette inégalité n’est pas satisfaite lorsque cE = 0. Comme πM (cI , cI ) ≤ πM (cI , 0), elle est vérifiée lorsque cE = cI . Lorsqu’il décide de lier la vente des deux produits, le producteur I modifie le profit de réservation du distributeur. En effet, en l’absence de portefeuille de marques, il est impossible d’empêcher l’entrée car le distributeur à toujours la possibilité de revendre une quantité infinitésimale du produit de l’entrant en plus du produit de forte demande. En liant, la vente des deux produits, le producteur I impose au distributeur de choisir entre ne vendre que le produit de l’entrant ou vendre le produit de forte demande associée au produit de faible demande du producteur I. Il est donc maintenant plus facile de barrer l’entrée pour le producteur. Il faut cependant que cette stratégie soit rentable. Si l’entrant est suffisamment efficace, la paire entrant - distributeur a beaucoup à gagner en seconde période en revendant le profit de l’entrant en première période. Ce gain permet alors de compenser l’absence du produit de forte demande en première période, et il serait alors trop coûteux pour le producteur I de barrer l’entrée. En revanche, si l’entrant produit à un coût trop proche du coût de production du monopole initial, le bénéfice est faible pour le distributeur en seconde période. Il est alors peu coûteux pour le producteur I de barrer l’entrée en première période. Comme ceci accroı̂t largement son profit en seconde période, il choisit de lier la vente et d’exclure le concurrent plutôt que de s’accommoder de l’entrée. Tarifs binômes spécifiques à chaque produit Supposons enfin que le producteur I peut fabriquer les deux types de biens, mais est contraint d’offrir deux tarifs distincts. Nous ne recherchons pas ici l’équilibre et les profits obtenus lorsque 103 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE le producteur I ne peut pas lier la vente des deux produits, mais cherchons simplement à montrer qu’il est incité à lier la vente des deux produits. La question est donc de savoir s’il peut faire aussi bien que πI (V L) sans lier la vente des deux produits. Cette question n’a bien évidemment de sens que lorsqu’il y a un risque de le voir imposer au distributeur d’acheter simultanément les deux produits, c’est-à-dire lorsque cE > cM E . Afin d’obtenir le même profit qu’avec un unique contrat (πI (V L)) , il doit maximiser le profit total, c’est-à-dire offrir des prix de gros égaux aux coûts marginaux de production (wH = cI et wL = 0). S’il offre deux contrats, (cI , FH ) et (0, FL ), les deux franchises doivent être telles que : FH + FL = FHL (V L) = πM (cI , 0) + πM (∅, 0) − πM (∅, cE ) − πM (cE , 0) Il reste donc à vérifier que le distributeur est alors prêt à accepter ces deux contrats, même si l’entrant lui cédait sa technologie de production (ou offrait un contrat tel que wE = cE et FE = −π2E (E)). Les contraintes suivantes doivent ainsi être satisfaites : πM (cI , 0) − FH − FL + πM (∅, 0) = πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) ≥ πM (cI , cE ) − FH + πM (cE , 0) ≥ πM (∅, 0) − FL + πM (∅, 0) (3.10) (3.11) (3.12) La contrainte (3.10) garantit que le distributeur préfère accepter les offres du producteur I plutôt que l’offre de l’entrant seulement. La contrainte (3.12) assure que le distributeur accepte bien les deux offres du producteur I et ne se limite pas à accepter de revendre son produit de faible demande. Enfin, la contrainte (3.11) permet de vérifier que le distributeur ne va pas accepter le produit de forte demande (de I) et l’offre de l’entrant (et rejeter l’offre du producteur I pour le produit de faible demande). En effet, comme le producteur I propose un prix de gros égal à son coût marginal, il est alors optimal, si le distributeur décide de revendre le produit de l’entrant, de maximiser le profit total puisque l’on s’intéresse à la situation extrême pour laquelle l’entrant a cédé sa technologie de production au distributeur. Les conditions (3.10) , (3.11) et (3.12) contraignent les franchises : FH ≤ πM (cI , 0) − πM (∅, 0) FL ≤ πM (cI , 0) + πM (∅, 0) − πM (cI , cE ) − πM (cE , 0) FH + FL = πM (cI , 0) + πM (∅, 0) − πM (∅, cE ) − πM (cE , 0) ce qui impose FH + FL ≤ 2πM (cI , 0) − πM (cI , cE ) − πM (cE , 0) et FH + FL = πM (cI , 0) + πM (∅, 0) − π M (∅, cE ) − πM (cE , 0) Ceci ne peut être satisfait que lorsque πM (cI , 0) − πM (∅, 0) ≥ πM (cI , cE ) − πM (∅, cE ) ⇔ cE ≤ 0 104 3.2. MONOPOLE DE DISTRIBUTION Ceci prouve que lorsque le monopole initial ne peut jamais obtenir égal à celui des ventes liées, en offrant des tarifs affines spécifiques à chaque produit. Les contraintes liantes sont cette fois-ci (3.11) et (3.12) . Dans ce cas, si le monopole initial cherche à exclure le concurrent sans lier la vente des deux produits, le profit maximal qu’il peut obtenir est donc : FH + FL + πM (cI , 0) − πM (∅, 0) = 3πM (cI , 0) − πM (cI , cE ) − πM (cE , 0) − πM (∅, 0) Cette stratégie est alors profitable si et seulement si ¡ ¢ 3πM (cI , 0) − πM (cI , cE ) − πM (cE , 0) − π M (∅, 0) − π M (cI , cE ) − πM (∅, cE ) ≥ 0 ¡ ¢ ∆(cE ) + πM (cI , 0) − π M (∅, 0) − π M (cI , cE ) − πM (∅, cE ) ≥ 0 | {z } <0, ∀cE >0 Il n’est donc possible d’exclure le concurrent sans lier la vente des deux produits et sans distordre cE > cM les prix de détail que lorsque l’entrant est vraiment inefficace, soit lorsque cE ≥ b E . L’existence d’un portefeuille de marques a ainsi un double effet. D’une part, en offrant un outilÀ supplémentaire au producteur, il lui permet de pouvoir empêcher l’entrée du concurrent, ¿ lorsque celui ci est suffisamment inefficace. En l’absence de portefeuille, le monopole initial ne peut jamais empêcher l’entrée du concurrent (sous l’hypothèse (H6 )). Disposant maintenant des deux produits, il peut utiliser ses deux prix de gros comme des outils de prédation et, en particulier, abaisser le prix de gros du produit L pour le rendre plus attractif. Le portefeuille de marques crée d’autre part des incitations à lier la vente des deux produits de façon à diminuer les rentes du distributeur dans le même esprit que Shaffer (1991). Lier la vente des deux produits permet de supprimer la capacité de choix des produits du distributeur et ainsi d’éliminer la rente du distributeur. En l’absence de menace d’entrée, c’est-à-dire dans le cadre du modèle de Shaffer avec un marché monopolisé (H) et un marché concurrentiel (L), le monopole I ne peut jamais tirer parti de son portefeuille de marques et ne peut pas donc lier la vente de ses deux produits pour augmenter son profit. En effet, l’existence de la frange concurrentielle suffit à supprimer toute possibilité de profit sur ce marché. Le distributeur peut toujours s’assurer un profit égal à πM (∅, 0) en ne traitant qu’avec la frange concurrentielle. Le bien de forte demande suffit alors au monopole I à obtenir un profit égal au profit maximal πM (cI , 0) diminué du profit minimal (πM (∅, 0)). Il lui suffit en effet de fixer un prix de gros égal à son coût marginal et une franchise égale à πM (cI , 0) − πM (∅, 0) . En revanche, l’existence du concurrent modifie la situation, car il s’agit maintenant de considérer les interactions entre le monopole initial, l’entrant et le distributeur, la frange concurrentielle perdant une partie de son rôle. En effet, le profit de réserve du distributeur n’est plus le profit qu’il ¡ ¢ peut s’assurer en ne traitant qu’avec la frange concurrentielle en première période 2πM (∅, 0) , ¡ ¢ mais le profit maximal obtenu en traitant avec l’entrant πM (∅, cE ) + πM (cE , 0) . Si le monopole I lie la vente de ces deux produits, il cède uniquement ce profit au distributeur. S’il ne peut plus lier la vente pour des raisons institutionnelles, il doit maintenant convaincre le distributeur d’accepter 105 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE son produit de forte demande (qu’il est le seul à produire), mais surtout de vendre son produit générique plutôt que le produit de l’entrant sur le marché de faible demande. Il est certes plus efficace que l’entrant sur ce marché (ce qui lui permet d’exclure le concurrent lorsque le coût de production de ce dernier est proche de cI ), mais la capacité de choix des produits étant maintenant restaurée, il est contraint de laisser une rente au distributeur. Lier la vente permet de supprimer cette rente et de restaurer le pouvoir de monopole du producteur I. 3.2.5 Analyse de surplus Lorsque le producteur I produit les deux biens et peut lier leur vente de manière à empêcher l’entrée du producteur E et à préserver sa position de monopole, l’effet sur le bien-être des consommateurs est ambigu. En effet, l’absence du producteur E a un effet positif sur le consommateur en première période puisque le bien de faible demande est vendu par la frange concurrentielle qui le produit à un coût inférieur à celui de l’entrant. L’existence d’un portefeuille de marques (et l’exclusion de l’entrant) permet donc de faire baisser les deux prix : entrée exclusion M p1H : pM H (cI , cE ) & pH (cI , 0) M p1L : pM L (cI , cE ) & pL (cI , 0) En revanche, le producteur I maintient sa position de monopole sur le marché de forte demande. L’effet est alors négatif puisque le coût de production de ce produit reste élevé. L’existence d’un portefeuille de marques induit donc une hausse des prix en seconde période : entrée p2H p2L : : pM H pM L exclusion (cE , 0) % pM H (cI , 0) (cE , 0) % pM L (cI , 0) Il apparaı̂t alors que si l’entrant n’est pas nettement plus efficace que le monopole initial (cE très proche de cI ), l’existence d’un portefeuille de marques a un effet positif pour les consommateurs. En effet, l’augmentation de bien-être est importante en première période (puisque le coût de production du produit L décroı̂t de cE à 0) alors que la perte est quasiment nulle en seconde période. En revanche, l’effet global devient ambigu lorsque cE décroı̂t. Il est néanmoins possible de déterminer cet impact pour des spécifications particulières des fonctions de demande. En effet, dans le cas de demandes linéaires, le surplus des consommateurs est égal à la moitié du profit de monopole. Le producteur I ne lie la vente des deux produits pour exclure l’entrant que lorsque ceci permet d’augmenter le profit total. Ainsi, s’il est profitable pour le monopole initial d’exclure l’entrant en première période, ceci est aussi bénéfique pour les consommateurs. L’existence d’un portefeuille de marques n’induit jamais une perte de bien-être pour les consommateurs. Elle n’a soit aucun effet (il n’est pas profitable pour le producteur I d’exclure le concurrent, il ne peut donc tirer aucun parti de son bien générique), soit elle accroı̂t le surplus des consommateurs et le profit aggrégé. 106 3.3. CONCURRENCE DIRECTE 3.3 Concurrence directe Dans cette section, nous supposons que les producteurs vendent leurs produits, non plus par l’intermédiaire d’un distributeur unique, mais directement aux consommateurs. Nous continuons cependant à supposer qu’un seul produit peut être vendu sur chacun des deux marchés.10 Nous faisons cette hypothèse afin de simplifier la présentation, mais l’analyse serait identique si on considérait un secteur aval concurrentiel et imposions aux producteurs de proposer le même contrat à l’ensemble des distributeurs (clause de non-discrimination imposée par l’autorité de la concurrence). Nous analysons alors les possibles effets d’exclusion dus à l’existence d’un portefeuille de marques, le producteur I pouvant avoir un comportement prédateur de manière à empêcher l’entrant d’accéder au marché de faible demande en première période. Le portefeuille de marques lui offre alors un outil supplémentaire puisqu’il fixe maintenant le prix de détail des deux produits et non plus seulement du produit de forte demande. Dans cette section, nous faisons l’hypothèse suivante sur la fonction de demande DH et les coûts : — (H7 ) : lorsque le produit de faible demande est vendu à prix coûtant, le producteur I en situation de monopole sur le produit de forte demande vend une quantité strictement positive DH (p∗H , 0) de son bien au prix p∗H , unique solution du programme de maximisation p∗H = arg max(p − cI )DH (p, 0) p 3.3.1 Equilibre de seconde période Commençons par analyser l’équilibre de seconde période. Si l’entrant a vendu une quantité strictement positive de son produit en première période sur le marché de faible demande, les préférences des consommateurs ont changé et les deux producteurs I et E se concurrencent sur le marché de forte demande lors de cette seconde période. L’entrant étant plus efficace, il sera le seul actif sur ce marché, mais ne peut vendre son produit qu’à un prix égal au coût marginal de son concurrent, soit cI . Si, au contraire, l’entrant a été inactif durant la première période, le producteur I maintient sa situation de monopole sur le marché de forte demande. Le produit de faible demande étant nécessairement vendu à prix coûtant, le prix du produit de forte demande alors p∗H . Nous pouvons une nouvelle fois noter qu’en seconde période, le producteur I est indifférent entre produire ou non le produit de faible de demande. Le lemme suivant résume ces résultats : Lemme 3.4 En deuxième période, les prix et profits d’équilibre dépendent de la situation de l’entrant sur le marché de faible demande durant la première période. Si durant cette période l’entrant a été 10 Ceci permet une nouvelle fois d’éviter les problèmes de partage du marché lorsque deux producteurs proposent le même prix. 107 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE 1 > 0), alors les prix de gros et de détail sont p2 = c et p2 = 0, et les profits — actif (i.e. qE I H L sont : - pour le producteur I : π2I (E) = 0 - pour le producteur E : π2E (E) = (cI − cE ) DH (cI , 0) 1 = 0), alors les prix de détail sont p2 = p∗ et p2 = 0, et les profits sont : — inactif (i.e. qE H H L - pour le producteur I : π2I (F ) = (p∗H − cI ) DH (p∗H , 0) - pour le producteur E : π2E (F ) = 0 3.3.2 Absence de portefeuille de marques Afin de pouvoir analyser les effets de l’existence d’un portefeuille de marques, commençons par supposer que le monopole initial ne produit que le bien de forte demande et ne peut donc pas intervenir sur le second marché. L’analyse de la meilleure réponse de l’entrant au prix pH conduit au lemme suivant : Lemme 3.5 Lorsque le producteur I propose un prix pH pour son produit de forte demande, la meilleure réponse de l’entrant est : 1. Si pH ≤ pH (0), l’entrant offre son produit à un prix pL (pH ) = pL (pH )− de sorte qu’il vend 1 = 0+ ) et réalise une quantité quasi-nulle mais strictement positive en première période (qE donc une perte quasi-nulle. 2. Si pH (0) < pH ≤ pH (0), il n’entre sur le marché que si son coût de production est inférieur à cE (pH ), où e e cE (pH ) = cI DH (cI , 0) DH (cI , 0) + DL (pH , 0) et vend alors son produit à prix nul. 3. Enfin, si pH > pH (0), il n’entre sur le marché que si son coût de production est inférieur à cE , où b b cE = cI DH (cI , 0) DH (cI , 0) + DL (∅, 0) et vend alors son produit à prix nul. Dmonstration. Si l’entrant veut être actif sur le marché de faible demande durant la première période, il doit offrir un prix inférieur au prix proposé par les producteurs de la frange concurrentielle, soit un prix inférieur à c = 0.11 Puisque son coût marginal de production est 11 Du fait de notre normalisation du coût de production c à 0, nous autorisons les prix négatifs, ce qui revient simplement considérer une marge négative. 108 3.3. CONCURRENCE DIRECTE toujours supérieur à cette valeur, son objectif est de fixer un prix le plus élevé possible en dessous de zéro afin de vendre une quantité strictement positive tout en minimisant les pertes. Si le producteur I propose un prix pH > pH (0), alors DL (pH , 0) > 0. Le choix optimal pour l’entrant est donc de tarifer à un prix égal à 0 s’il décide d’être actif. Dans ce cas, si le prix du producteur I est supérieur à pH (0), seul le produit de l’entrant est acheté par les consommateurs et l’entrant réalise alors un profit total égal à πE = −cE DL (∅, 0) + π2E (E) = −cE DL (∅, 0) + (cI − cE ) DH (cI , 0) L’entrant décide d’être actif sur le marché de faible demande si son coût de production n’est pas trop élevé de sorte que le profit réalisé en seconde période (fonction décroissante de cE ) lui permet de couvrir les pertes réalisées en première période (croissante avec cE ). Remarquons qu’il est profitable d’entrer si cE est proche de 0 puisque les pertes de première période sont alors quasi nulles, alors qu’il n’est pas intéressant d’entrer lorsque cE est proche de cI , le profit de seconde période étant presque nul. L’entrant est donc actif en première période si et seulement si cE < b cE = cI DH (cI , 0) DH (cI , 0) + DL (∅, 0) Si, au contraire, le producteur I propose un prix inférieur à pH (0), alors les deux produits sont achetés en première période. Les pertes réalisées par l’entrant sont alors plus faibles lorsque le producteur I tarife de manière agressive. Son profit total est ainsi : πE = cE DL (pH , 0) + π2E (E) = cE DL (pH , 0) + (cI − cE ) DH (cI , 0) et la condition d’entrée est maintenant une fonction du prix de détail du produit concurrent : E est actif en première période si et seulement si : cE < e cE (pH ) = cI DH (cI , 0) DH (cI , 0) + DL (pH , 0) Puisque ceci correspond à une politique de prix plus agressive de la part du producteur I, l’entrant peut accéder au marché L à un coût moindre et entre donc plus souvent. Ainsi, e cE (pH ) est une fonction décroissante de pH et on a cI ≥ e cE (pH ) ≥ b cE . Supposons maintenant que le producteur I applique une politique très agressive, de sorte que pH ≤ pH (0). On a alors DL (pH , 0) = 0. Afin de pouvoir accéder au marché L et vendre une quantité strictement positive, le producteur E doit baisser le prix de son produit à un niveau strictement inférieur à 0. Néanmoins, puisque l’on a supposé que la probabilité d’occurence du choc sur les probabilités ne dépend pas de la quantité vendue mais du fait que celle ci est strictement positive ou non, il lui suffit de vendre une quantité infinitésimale. Les pertes de première période sont ainsi nulles et l’entrée est donc toujours profitable. Il suffit pour cela de fixer un prix égal à pL (pH ) = pL (pH )− . Le producteur I a alors deux options. Ou bien il décide de laisser entrer le producteur E en première période. Puisque dans ce cas il sera inactif durant la seconde période, il maximise le 109 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE profit de court terme. Ou bien, il décide d’empêcher l’entrée en première période pour maintenir sa situation de monopole. S’il décide de laisser entrer le concurrent, la première période est très similaire à la situation de seconde période lorsqu’il n’y a pas eu entrée. Le choix optimal consiste à tarifer le produit de forte demande au prix p∗H . L’entrant décide alors de fixer un prix de détail égal à zéro et le profit total du producteur I est : πI (E) = (p∗H − cI ) DH (p∗H , 0) La seconde option consiste donc à distordre le prix du produit de forte demande afin de rendre l’entrée trop coûteuse pour le producteur E. Cette stratégie n’est possible que lorsque le concurrent n’est suffisamment efficace, c’est-à-dire lorsque cE > b cE . Dans ce cas, il s’agit de fixer le prix de détail le plus faible qui permet de barrer l’entrée, soit fixer un prix peH (cE ) tel que cE = cI DH (cI , 0) cI − cE ⇔ DL (e pH (cE ), 0) = DH (cI , 0) DH (cI , 0) + DL (e pH (cE ), 0) cE Remarquons alors que cette limite peH (cE ) est une fonction décroissante de cE et telle que peH (b cE ) > p∗H > peH (cI ). A mesure que l’entrant devient moins efficace, il est de plus en plus facile de barrer l’entrée. Notons qu’il existe ainsi une valeur critique de cE au delà de laquelle le producteur I n’a plus besoin d’augmenter son prix au-delà de p∗H pour empêcher l’entrée. En effet, il n’est obligé de modifier le prix de détail que lorsque p∗H est inférieur à peH (cE ). Il existe donc une valeur critique c∗E telle que b cE < c∗E < cI et définie par peH (c∗E ) = p∗H ⇔ c∗E = cI DH (cI , 0) ¢ ¡ DH (cI , 0) + DL p∗H , 0 Lorsque l’entrant est trop inefficace (cE ≥ c∗E ), l’entrant est donc naturellement bloquée. Lorsque le producteur I décide de barrer l’entrée, il réalise un profit strictement positif en première période et le profit πI (E) en seconde période. Il est donc optimal de barrer l’entrée dès lors que cela est possible. La proposition suivante résume ces résultats : Proposition 3.3 Lorsque le monopole initial I ne peut intervenir que sur le marché de forte demande, il distord son prix afin d’empêcher l’entrée pour des valeurs intermédiaires du coût marginal cE de l’entrant. — Lorsque l’entrant est suffisamment efficace (0 ≤ cE ≤ b cE ), il est impossible de barrer l’entrée. Dans ce cas, le producteur I fixe un prix de détail égal à p∗H en première période et le pro- ducteur E entre sur le marché de faible demande à prix nul. Les prix de détail de seconde période sont respectivement cI et 0 sur les marchés de forte et faible demandes. — Lorsque l’entrant n’est pas assez efficace (c∗E ≤ cE ≤ cI ), l’entrée est naturellement bloquée. Le monopole I fixe alors le prix de détail p∗H lors des deux périodes pour le produit de forte demande. Le produit de faible demande est lui vendu à prix coûtant lors des deux périodes par les producteurs de la frange concurrentielle. 110 3.3. CONCURRENCE DIRECTE — Enfin, pour les valeurs intermédiaires (b cE < cE < c∗E ) , le producteur distord son prix en première période afin d’empêcher l’entrée. Il vend alors le produit de forte demande au prix peH (cE ) en première période, puis au prix p∗H en seconde période. Le produit de faible de- mande est lui vendu à prix coûtant lors des deux périodes par les producteurs de la frange concurrentielle. Comme le montre la figure 3.2, le producteur I empêche l’entrée grâce à un prix supérieur au prix de détail statique (p∗H ). Contrairement aux modèles standards de prédation ou de prix limite, l’objectif du monopole initial n’est pas d’empêcher l’entrée directement sur le marché sur lequel il intervient, mais de rendre coûteuse l’entrée sur le marché d’un bien imparfaitement substituable. Puisque l’entrant doit vendre à perte pour accéder au marché du fait de l’existence de la frange concurrentielle, rendre l’entrée plus coûteuse revient à augmenter la demande sur le marché de faible demande. Il suffit pour cela d’augmenter le prix du produit de forte demande afin d’inciter les consommateurs à reporter leurs achats sur le produit L. : Prix pH à T=1 : Prix pH à T=2 p *H c L’entrée ne peut pas être bloquée c *E ĉ E I bloque l’entrée cI Entrée naturellement bloquée cE Fig. 3.2: Prix de détail du produit de forte demande Lorsqu’il est possible d’empêcher l’entrée (b cE < cE < c∗E ) , l’impact sur le bien-être des consommateurs est doublement négatif. D’une part, le prix du produit de forte demande est supérieur au prix statique (p∗H ) en première période. D’autre part, comme le producteur I reste en position de monopole en seconde période, les consommateurs ne profitent pas de la concurrence qui aurait réduit les prix en cas d’entrée. 3.3.3 Portefeuille de marques Supposons maintenant que le producteur I fabrique les deux types de produits et peut donc offrir une gamme complète de produits. Il dispose maintenant d’un nouvel instrument pour empêcher l’entrée du producteur E sur le marché de faible demande en première période. Il peut augmenter 111 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE le prix du produit H afin de reporter la consommation sur le produit L et augmenter les pertes à réaliser pour entrer sur le marché. Ou bien, il vend le produit L à perte afin d’accroı̂tre à la fois la perte unitaire et la quantité vendue par l’entrant. Ces types de distorsion sont une nouvelle fois inutiles lorsque l’entrant n’est pas suffisamment efficace (c∗E ≤ cE ≤ cI ), puisque l’entrée est naturellement bloquée. Nous considérerons donc dans ce qui suit que l’entrant produit à un coût marginal inférieur à cette valeur critique c∗E . Si le producteur I propose un prix supérieur au coût marginal (c = 0) pour le produit de faible demande, cette offre est nécessairement rejetée puisque les producteurs de la frange concurrentielle sont toujours prêts à vendre à prix nul. Essayer de tirer partie du portefeuille de marques pour empêcher l’entrée ne peut être utile que si le prix du produit de faible demande pL est inférieur ou égal au coût marginal. Par ailleurs, il n’est pas intéressant pour le producteur I d’offrir un prix bas sur le produit de forte demande puisque cela revient à faciliter l’entrée du concurrent en limitant ses pertes en première période. Si le producteur I propose des prix pL inférieur à 0 et pH supérieur à pH (pL ), alors l’entrant doit fixer son prix à un niveau suffisamment faible (pE = pL ) afin de vendre une quantité strictement positive. L’entrée est alors profitable si et seulement si −(cE − pL )DL (pH , pL ) + (cI − cE )DH (cI , 0) ≥ 0 (3.13) soit lorsque cE ≤ cE (pH , pL ) = cI DH (cI , 0) + pL DL (pH , pL ) ≤e cE (pH ) DH (cI , 0) + DL (pH , pL ) (3.14) Il est donc maintenant possible d’empêcher l’entrée pour des valeurs du coût marginal de l’entrant cE (pH ) lorsque pL < 0. inférieures à b cE . Remarquons que cE (pH , pL ) est strictement inférieur à e Notons enfin qu’il est possible d’empêcher l’entrée quelque soit le coût de l’entrant. Il suffit pour cela de proposer un prix suffisamment négatif pour le produit de faible demande, quitte à ne vendre que ce produit. Néanmoins, il n’est pas sûr que cette stratégie soit toujours profitable. En effet, baisser inconsidérément le prix du produit de faible demande pour exclure le concurrent du marché peut conduire à faire des pertes en première période. Il serait alors optimal de laisser le concurrent entrer et de maximiser le profit réalisé en première période. Remarquons maintenant que la contrainte (3.14) est nécessairement liante. En effet, si l’on faisait abstraction de cette contrainte, le monopole initial proposerait alors pH = p∗H et pL = 0. Or, pour ces valeurs, l’entrant trouve profitable d’être présent en première période sur le marché L puisque cE < c∗E . La contrainte (3.14) ne serait donc pas satisfaite. Nous pouvons ainsi remplacer cette contrainte en calculant le prix de détail pH (pL , cE ) choisi par le producteur I, soit (cE − pL )DL (pH (pL , cE ), pL ) = (cI − cE )DH (cI , 0) Le programme de maximisation devient alors : max(pH (pL , cE ) − cI )DH (pH (pL , cE ), pL ) + pL DL (pH (pL , cE ), pL ) pL ≤0 à condition que ce maximum soit positif. Dans le cas contraire, le producteur préfère ne pas empêcher l’entrée et maximise le profit de première période. 112 3.3. CONCURRENCE DIRECTE Proposition 3.4 Il existe une valeur critique cE telle que 0 ≤ cE ≤ b cE , en deçà de laquelle le producteur choisit de ne pas barrer l’entrée et fixe les prix pH = p∗H et pL = 0. Au delà de cette limite, le producteur I décide d’empêcher l’entrée du concurrent afin de préserver sa position de monopole en seconde période. Dmonstration. Il suffit pour cela de noter que pH (pL , cE ) est une fonction décroissante de cE . A mesure que le concurrent devient plus efficace, il devient de plus en plus contraignant, et donc de moins en moins profitable, de barrer l’entrée. L’existence d’un portefeuille de marques permet maintenant au producteur I d’empêcher l’entrée plus souvent que lorsqu’il ne fabrique que le produit de forte demande. En effet en réduisant le prix de son produit de faible demande, il accroı̂t les pertes potentielles de l’entrant. Par ailleurs, ceci lui permet de limiter les distorsions sur le produit de forte demande. Il n’est cependant pas toujours possible d’exclure le concurrent. Lorsque l’entrant est très efficace, essayer d’empêcher l’entrée est très coûteux pour le producteur I. En effet, il doit pour cela baisser fortement le prix de produit de faible demande en dessous du coût marginal, ce qui le conduit à faire des pertes en première période, le profit réalisé sur le produit H ne couvrant pas les pertes sur le produit L. Il est préférable pour le producteur I de ne pas empêcher l’entrée et de réaliser le profit π 2I (F ) dès la première période. Il est alors inutile pour le producteur I de posséder les deux produits. Lorsque le coût marginal de production de l’entrant augmente, il devient moins coûteux d’empêcher l’entrée. Au delà de cE , les pertes réalisées sur le produit L pour exclure l’entrant sont inférieures au profit réalisé sur le marché H. Il est alors optimal d’empêcher l’entrée puisque cela permet d’obtenir un profit strictement positif en première période et de maintenir la situation de monopole sur le marché H en seconde période. Entre cE et b cE , le monopole initial I peut maintenant empêcher l’entrée, alors que ceci est impossible s’il ne produit que le bien de forte demande. L’effet sur les consommateurs est donc négatif en seconde période puisque le producteur I maintient sa position de monopole et donc des prix élevés. En première période les effets sont plus difficiles à mesurer. D’un côté, le prix du produit de faible demande diminue, puisque ce produit est maintenant utilisé pour augmenter les pertes potentielles de l’entrant et barrer l’entrée. En revanche, il y a distorsion du prix du produit de forte demande, et celui peut donc être supérieur ou inférieur à p∗H . L’effet total sur les consommateurs est donc ambigu. Lorsque cE augmente, il devient moins difficile de barrer l’entrée, la condition (3.13) étant moins contraignante. Les distorsions vont se donc réduire et le prix proposé pour le produit de faible demande est moins négatif. Entre b cE et c∗E , le producteur I décide déjà d’exlure le concurrent potentiel lorsqu’il ne fabrique que le produit de forte demande. Disposant maintenant des deux produits, il peut, soit décider de ne pas changer de politique et de n’utiliser que le produit de forte demande pour exclure le 113 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE concurrent, soit distordre les prix des deux types de produits. Dans ce dernier cas, il choisit un prix inférieur au coût marginal de production (p∗∗ L < 0) pour augmenter les pertes potentielles de l’entrant. Ceci lui permet alors de réduire les distorsions sur le bien de forte demande. Pour ce dernier, il fixe en effet un prix pH (p∗∗ eH (cE ). L’effet du portefeuille de marques L , cE ) inférieur à p sur les consommateurs est alors positif. En effet, les prix des deux types de produits diminuent en première période alors que la situation de deuxième période est inchangée. Il est en revanche ∗ impossible de comparer pH (p∗∗ L , cE ) et le prix de monopole pH . Enfin, au delà de c∗E , on retrouve exactement la même situation que lorsque le producteur I ne peut produire que le bien de forte demande, puisque l’entrée était naturellement bloquée. La conclusion suivante résume ces résultats : Conclusion 3.1 Lorsque le secteur de la distribution est concurrentiel, l’existence d’un portefeuille de marques est tel que : — Il est maintenant plus aisé d’exclure le concurrent. Ainsi l’entrée est maintenant empêchée pour cE ≥ cE , où cE ≤ b cE . L’effet sur les consommateurs est cependant ambigu. — Pour les valeurs du coût telles qu’il est possible d’empêcher l’entrée en ne produisant que le produit de forte demande (b cE ≤ cE ≤ c∗E ), l’existence d’un portefeuille de marques a un effet positif (ou nul) sur les consommateurs, limitant les prix en première période. A titre d’exemple, les figures 3.3 et 3.4 comparent les prix de première période et les niveaux d’utilité (totale) retirée par les consommateurs avec et sans portefeuille de marques, pour cI = 1 4 et lorsque les demandes inverses sont linéaires et données par : PH (qH , qL ) = 3 2 − qH + 12 qL et PL (qH , qL ) = 1 − qL + 12 qH Les valeurs limites de cE sont dans ce cas particulier : 1 1 cE ' 0.051, b cE = , cE ' 0.141 et c∗E = < cM E ' 0.184 8 7 Rien ne permet d’affirmer que ces résultats sont généraux,12 les effets dans ce cas particulier sont les suivants. Pour cE ∈ [cE , b cE ] , le monopole initial empêche l’entrée uniquement lorsqu’il produit les deux biens. Les deux prix de première période sont tous deux inférieurs à ce qu’ils sont en l’absence de portefeuille, mais cet effet positif est plus que compensé par la perte de bien-être due au maintien du monopole en seconde période. Pour les valeurs du coût cE pour lesquelles, le producteur peut barrer l’entrée sans produire le bien de faible demande, il n’utilise pas toujours ce dernier lorsqu’il possède les deux technologies. Ainsi, il existe cE < c∗E tel que pour cE ∈ [cE , c∗E ] , l’existence d’un portefeuille de marques ne modifie pas les décisions du producteur I. En revanche, pour cE ∈ [cE , cE ] , le producteur I distord les prix des deux produits en première période, le prix du produit de forte demande peut alors être supérieur ou inférieur au prix p∗H . 114 3.4. CONCLUSIONS : Sans Portefeuille : Avec Portefeuille Produit H p *H c Produit L cE c cE c *E ĉ E cI cE Le producteur I bloque l’entrée Fig. 3.3: Comparaison des prix de première période UM +UC : Sans portefeuille - : Avec portefeuille 2UM + = c cE ĉE = cE cE* cI cE Fig. 3.4: Effet portefeuille et surplus des consommateurs. 3.4 Conclusions L’objectif de ce chapitre était d’analyser les effets de l’existence d’un portefeuille exhaustif de marques sur les incitations à exclure un potentiel concurrent. L’idée de départ, proche de l’argumentaire de la Commission Européenne dans des cas récents tels que Guinness / Grand Metropolitan ou General Electric / Honeywell, est que le détenteur de ce portefeuille de marques peut être tenté de lier la vente des deux produits afin d’empêcher un concurrent potentiel d’accéder aux rayons des distributeurs et de maintenir sa position de monopole, ceci au détriment de la concurrence et du 12 Diverses simulations ne permettent cependant pas d’infirmer ces résultats. 115 CHAPITRE 3. THÉORIE DES EFFETS DE PORTEFEUILLE bien-être des consommateurs. L’analyse réalisée dans ce chapitre montre qu’il est possible que l’existence d’un portefeuille de marques renforce la position de son détenteur et permette l’exclusion de concurrents potentiels, mais que l’effet sur les consommateurs reste ambigu. Dans le cas d’un monopole de distribution, l’existence d’un portefeuille de marques peut conduire, par le biais de ventes liées, à l’exclusion du concurrent potentiel quant l’avantage de ce dernier en termes de coût de production n’est pas trop important. Le portefeuille de marques joue alors un double rôle : il permet d’exclure le concurrent en offrant un outil de prédation supplémentaire et crée des incitations à lier la vente des deux produits afin de réduire les rentes du distributeur. L’effet sur les consommateurs est en général ambigu, mais dans le cas de demandes linéaires le portefeuille de marques a un effet positif. Lorsque les producteurs se concurrencent directement sur le marché aval, l’existence d’un portefeuille de marques renforce les possibilités d’exclusion du concurrent, qui existent néanmoins même lorsque le monopole initial n’intervient que sur le marché de forte demande. Lorsqu’il est déjà possible d’exclure le concurrent en ne produisant que le bien de forte demande, l’existence d’un portefeuille de marques permet de réduire les distorsions et accroı̂t le surplus social. En revanche, lorsque l’entrant est suffisamment efficace et ne peut être exclu du marché que si le monopole initial produit les deux types de biens, l’effet sur le bien-être est ambigu. Il est néanmoins possible de trouver des valeurs des paramètres de demande et de coût pour lesquelles cet effet sur le surplus de consommateurs est négatif. 116