Les grands courants de la pensée en sociologie de l`éducation
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Les grands courants de la pensée en sociologie de l`éducation
Sociologie de l’éducation 2008-2009 W. LAHAYE Th. GLARNER 1. La sociologie: définitions « les faits sociaux consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui. » (E. Durkheim, Règles de la méthode sociologique, 1895) 2 1 Définitions « Les objectifs visés (l’identification de régularités historiques, l’énoncé des lois de l’évolution ou l’établissement de grandes relations fonctionnelles) traduisent le souci de comprendre le fonctionnement de la société » (Dictionnaire de la sociologie, Larousse, 1989) 3 Définitions Rechercher la signification des pratiques menées par les individus, c’est se demander « si elles contribuent à reproduire la situation existante ou si, au contraire, elles contribuent à produire une situation nouvelle. Le couple produire-reproduire paraît d’autant plus important que la plupart des pratiques sont ambiguës, c’est-à-dire qu’elles induisent à la fois des effets dans les deux sens et que, ceci étant, ce n’est bien souvent qu’à long terme qu’apparaîtra leur signification, qu’émergera prioritairement l’une ou l’autre des deux faces de l’alternative », Rémy et al., 1978 4 2 Définitions La sociologie est orientée vers la compréhension du sens que l’individu donne à son action. (M. Weber, années 1920, Economie et Société) 5 Enjeux Etude des formes sociales (structures, fonctions) et de leur évolution Réflexions sur les principes de la vie sociale, sur son organisation et son fonctionnement Typologie des groupes (masse, communauté, groupe, classe sociale, société) Sociologie des religions, de la littérature, de la médecine, de l’éducation, de l’art… 6 3 L’éducation Ensemble des pratiques et des moyens à l’aide desquels on dirige le développement et la formation d’un être humain Pédagogie : réflexion sur les pratiques et les moyens Objet: développement intellectuel, physique, moral, psychologique, social, économique, familial, politique … 7 Les enjeux de la sociologie de l’éducation Courant de recherche centré sur les structures – Déterminer les corrélations entre changement social et éducation (métissage culturel, nouvelles technologies) – Dégager les principes des différents systèmes éducatifs Courant de recherche centré sur le local et le singulier – Définir les modalités éducatives les plus favorables à l’épanouissement de la personne – Analyser les interactions entre les personnes 8 4 2. Paradigmes 2.1. L’ancien paradigme L’école est un sanctuaire – un espace délimité par des rites et protégé des désordres extérieurs – elle peut, paradoxalement, attribuer les difficultés qu’elle rencontre à ce monde extérieur Les enseignants ont la vocation – L’exigence de formation, d’acquisition de compétences, cède le pas à celle de prédisposition innée L’enfant est protégé de sa famille – Alain parle de l’école en termes de rempart contre la superstition et l’inculture des familles 9 La valorisation des « savoirs ignares S’amuser et s’instruire à la fois ne font » qu’ « engraisser la pensée » « Dès que nous approchons des pensées réelles, nous sommes tous soumis à cette condition de recevoir d’abord sans comprendre, et par une sorte de piété. Lire, c’est le vrai culte, et le mot culture nous en avertit. (…) C’est pourquoi je suis bien loin de croire que l’enfant doive comprendre tout ce qu’il lit et récite ». (Alain, Propos sur l’éducation, 1932, p.25) 10 5 2.2. Le nouveau paradigme L’école s’ouvre à la société Les enseignants exercent une profession La famille est impliquée dans le processus éducatif 11 L’avènement du sens, de la créativité, de l’accomplissement « Je voudrais attirer votre attention sur la trinité morale de l’école. Il est nécessaire que l’école procure à ceux qu’elle éduque: 1) l’intelligence sociale, 2) le pouvoir social, 3) l’intérêt social » (John Dewey, L’école et l’enfant, 1913, p.113) 12 6 Le temps de la complexité Avec la postmodernité: le Sujet devient le centre d’intérêt de l’Éducation les savoirs multiples doivent s’intégrer dans la métacognition Où sont la quiétude et la solitude d’antan? Le mythe de l’âge d’or des valeurs éducatives traditionnelles est ébranlé 13 Evolution des valeurs (Rezsohazy) A. Les valeurs postmodernes 1. Individualisme 2. Epanouissement 3. Liberté 4. Expérimentation 5. Relativité 6. Sincérité 7. Tolérance 8. Spontanéité 9. Permissivité 10. Sexualité 11. Intensité 12. Hédonisme 13. Temps présent 14. Convivialité 15. Nature 16. Vie 17. Egalité C. Les valeurs centrales 1. Amour 2. Famille 3. Amitié 4. Honnêteté 5. Dignité 6. Réussite professionnelle 7. Propriété 8. Consumérisme 9. Sécurité 10. Loisirs 11. Science et techniques 12. Progrès 13. Démocratie 14. Paix B. Les valeurs traditionnelles 1. Religion 2. Autorité 3. Rigueur morale 4. Obéissance 5. Devoir 6. Travail 7. Responsabilité 8. Fidélité D. Les valeurs latentes 1. Justice 2. Solidarité – Fraternité 3. Bienveillance 4. Bonté 14 7 Le temps de la complexité L’action pédagogique est une violence: Chaque éducateur se prévaut de la formule magique : « C’est pour ton bien » Elle change l’autre, entame son intimité Elle tente de le séduire ou de faire pression sur lui 15 3. Le déterminisme social. Pierre Bourdieu 16 8 La violence symbolique Bourdieu part d’une vision holiste du système L’école exclut celui qui l’exclut La violence symbolique – est insidieuse – a les apparences de la légitimité L’action pédagogique objective cette violence Elle participe à la création d’un habitus qui incorpore une façon de penser acquise à l’école 17 La force de l’hexis La manière de dire ou de faire est plus importante que ce qui est dit ou fait – Accent, élocution, styles, manières, maintien, posture… – Les dispositions du corps sont mémorisées inconsciemment La formation ouverte à tous n’est acquise que par ceux qui en bénéficiaient déjà Un « sens du placement » décalé, les choix qui viennent trop tard… « Hysteresis » de l’habitus = – effet retard – méconnaissance de la dévaluation de certains titres 18 9 Raymond Boudon 19 4. La liberté de l’individu Pour comprendre l’école, il faut partir des stratégies des personnes L’homme est rationnel, libre de ses choix, acteur de sa vie sociale L’école est neutre Les choix résultent d’un ensemble de points de bifurcation 20 10 5. La question de l’inégalité. Postures 1 Bourdieu: l’école reproduit les inégalités sociales Boudon: l’inégalité résulte de stratégies individuelles qui opèrent à chaque bifurcation scolaire Elèves et familles choisissent en fonction du rapport coût et bénéfice – Coût = temps perdu, investissement financier, rupture avec le milieu d’origine, risque d’échec – Bénéfice = diplôme valorisé, haut salaire, prestige Milieu défavorisé: on surestime les coûts, on sousestime les bénéfices 21 La question de l’inégalité Postures 2 Duru-Bellat: l’école est un maillon dont l’importance ne doit pas être surestimée – Parler de socialisations familiales différentes et porteuses des inégalités de réussite que l’on cherche à expliquer risque de relever de la tautologie – En 1998, en France, parmi les adultes de 25-35 ans, 25% des enfants d’ouvriers ont un diplôme de l’enseignement supérieur, et 18% des enfants de catégorie sociale élevée n’ont pas le baccalauréat. L’environnement est primordial. Les places sont allouées par des « agences d’orientation » 22 11 La question du genre La question du genre n’intéresse la sociologie de l’éducation qu’à partir de 1990. Jusqu’alors, le débat évoluait autour des questions de classe sociale Bourdieu: « le point de vue crée l’objet » – la cécité sociologique peut s’expliquer par un ethnocentrisme de sexe et un effet de clôture pragmatique – l’ « oubli » de la variable sexe implique des rapports de pouvoir dans le champ scientifique 23 La question du genre La prise en compte du genre permet: – D’intégrer une approche micro-sociologique (interactions dans les classes, différences de réussite) – De comprendre les processus idéologiques (manuels, contenus scolaires) Aujourd’hui, les résultats scolaires des filles sont meilleurs que ceux des garçons Cette réussite n’a pas mené à l’égalité professionnelle 24 12 La question du genre Les garçons investissent l’espace sonore Les enseignants interagissent plus avec les garçons Les stéréotypes sexistes n’ont pas disparu Les filles sous-estiment leurs capacités Les métiers et les filières sont catégorisés en fonction d’une spécificité féminine 25 6. La question de l’inégalité La cruauté du mérite Le schéma méritocratique apporte une caution aux inégalités existantes Contradiction fondamentale: les élèves sont considérés comme égaux mais sont engagés dans des épreuves dont la finalité est de les rendre inégaux (performances inégales, résultats inégaux) 26 13 La question de l’inégalité « Si on veut, on peut » Tout se passe comme si l’élève choisissait « librement » de ses performances scolaires en travaillant ou pas. Observations des maîtres: – Manque de travail… – Manque d’attention… – Manque de sérieux… – Trop de bavardage… – Peut mieux faire… 27 Idéologie relative aux dons D’autres petites phrases: – Il/elle a atteint ses limites – Il/elle n’est pas fait(e) pour ces cours théoriques – Il/elle a de grosses difficultés de compréhension – Il/elle est trop lente – Il/elle se donne de la peine… et en a ! 28 14 7. Le jugement Le classement scolaire Les corrélations entre le jugement de l’enseignant et les performances effectives à des épreuves standardisées varient de 0,28 à 0,92 avec une corrélation médiane de 0,66 (Hoge et Coladarci, 1989) Le jugement est plus exact pour les élèves forts Certains jugements sont indépendants des performances avérées, d’autres sont presque parfaitement corrélés 29 Le classement scolaire Il existe un lien entre la personnalité dogmatique et la tendance à biaiser l’information : elle voit des différences entre élèves plus importantes Plusieurs variables influent sur le jugement: – L’attractivité physique (ce qui est beau est bon) – L’intelligence, le potentiel scolaire, les habiletés sociales, les notes – La conduite en classe, l’écriture, l’origine ethnique, la classe sociale, le genre, la situation familiale… 30 15 Le jugement scolaire Il ne vise pas seulement à faire connaître à l’élève une valeur scolaire qui lui est attribuée Il vise surtout à le mettre dans un processus d’acceptation, voire d’intériorisation de cette valeur L’arbitre n’est pas impartial 31 Les manifestations du jugement scolaire Informelles: – Remarques passagères, louanges, sourires, regards approbateurs, feed-back, remarques ironiques,… Formelles: – Notes, appréciations sur le bulletin, décisions d’orientation,… La note est la forme objectivée de la valeur scolaire 32 16 La notation Elle participe donc à une stratégie dont l’enjeu est bien le maintien d’une interaction vivable en classe Elle participe également à la formulation d’exigences morales qui opposent bons et mauvais élèves 33 17