QUE VIVA EISENSTEIN ! de Peter Greenaway

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QUE VIVA EISENSTEIN ! de Peter Greenaway
QUE VIVA EISENSTEIN !
de Peter Greenaway
Greenaway, provocant et extravagant
Un lit. Immense. La chambre de cet hôtel l'est aussi : théâtrale, irréelle. C’est dans cette pièce que le
réalisateur Sergueï Eisenstein, l'auteur de Octobre et du Cuirassé Potemkine, découvre, à plus de 30
ans, la sexualité auprès d'un homme (son guide dans tous les sens du terme), lors d'une scène très
crue, belle et sensuelle. En ce début des années 1930, à Guanajuato, où il tourne son film inachevé
(Que viva Mexico !), Eisenstein vit dans un temps suspendu.
II est comme en apesanteur. Hollywood, qui l’a triomphalement accueilli, l’a vite rejeté. A Moscou,
Staline le considère déjà comme un ennemi du peuple à éliminer au plus vite. Cette petite ville
devient, donc, un havre de paix provisoire, un purgatoire après le paradis perdu et l’enfer prévu. Ces
jours heureux qu’il sait comptés, Eisenstein les étire, les étale, les exalte. II ne parle plus, il se saoule
de mots. II ne filme plus, il accumule des kilomètres de rushes, comme les génies de l'époque :
Griffith dans Naissance d’une nation, Erich von Stroheim dans Les Rapaces. Lorsqu'il se découvre gay,
c'est un plus. L’apothéose : il jouit sans mesure de son amant, comme une provocation
supplémentaire aux conventions de l'Ouest, à la morale de l'Est.
C’est cette outrance que saisit Peter Greenaway, dans le style abracadabrant qui est le sien :
rythme frénétique, écrans divisés, logorrhées sonore et visuelle. Avec, par moments, des
mouvements de caméra magnifiques : ce panoramique qui glisse de droite à gauche pour saisir,
dans le hall soudain démultiplié de l'hôtel, les invectives permanentes d'un Eisenstein hystérique,
face à ses producteurs, américains, communistes et incompétents.
Greenaway a souvent filmé la peau. Nue, douce, vierge comme une toile destinée à l’inspiration d’un
peintre : l’érotisme de The Pillow Book naissait des lettres et des dessins peints par des pervers
raffinés sur des corps splendides et désirables. La chair, en revanche, l’a toujours dégoûté […].
Evolution, Révolution, Révélation : même s'il ne résiste pas, ironie british oblige, à montrer Eisenstein
comme un moujik mal dégrossi et son amant comme la caricature d’un danseur de tango,
Greenaway, pour la première fois, filme le bonheur qui s'évanouit au moment où il surgit. Car la
mort rôde à Guanajuato. Dans les rues. Et dans cet hôtel étrange où un ouvrier invisible semble
réparer, sans cesse, une plomberie déficiente. On entend des coups réguliers et sourds : des années
plus tard, à Moscou, victime d'une crise cardiaque, Eisenstein frappera longtemps sur les radiateurs
de sa chambre pour demander du secours à ses voisins. En vain.
Pierre Murat
QUE VIVA EISENSTEIN !
de Peter Greenaway
Une bonne surprise
C’est avec une curiosité teintée de scepticisme que l’on embarquait dans le nouveau film de Peter
Greenaway, cinéaste ô combien inégal dans les dernières livraisons : La ronde de nuit (2008) et
surtout Goltzius et la compagne du pélican (2014) donnaient l’impression d’un style dévitalisé. Le
sujet de ce nouvel opus, soit le séjour au Mexique en 1931 du mythique Sergueï Eisenstein pour le
tournage de Que Viva Mexico !, redoublait évidemment l’inquiétude initiale. Par quel bout
Greenaway allait-il prendre le « sujet » Eisenstein ? Se concentrerait-il sur son art, en le montrant
d’abord au travail, dans sa fonction de metteur en scène, ou sur sa vie, et notamment sa sexualité ?
Si la première option n’est pas totalement éludée, de rares séquences étant consacrées à la
préparation d’un film qui restera inachevé, c’est sans conteste la seconde qui motive profondément
le projet. Que Viva Eisenstein ! sera d’abord et surtout une histoire d’amour et de sexe. A son arrivée
au Mexique, Eisenstein fait la connaissance de Palomino Cañedo, son guide. Entre les deux se noue
une complicité, quand bien même le Mexicain se révèle un homme marié et père de famille, bien
sous tous rapports. On connaît le goût de Greenaway pour le déshabillage des acteurs au sens propre
(exposition de leur anatomie) et figuré (outrance de jeu toute théâtrale). Et on se doute, pour parler
crûment, que l’ami Sergueï passera tôt ou tard à la casserole.
La représentation de cette relation homosexuelle, et donc de la sphère privée d’Eisenstein, est bien
l’enjeu du film. Un jour qu’ils partagent le même lit, Cañedo, supposément très straight, ne tarde pas
à se déshabiller complètement sous les yeux de son client. Son but : aider le cinéaste à s’aimer, lui
révéler le potentiel érotique de son corps. Dans les premières séquences, Eisenstein se révélait
volontiers exhibitionniste, prenant son bain et se baladant à poil sous les yeux du personnel de son
hôtel. Mais cette nudité et cette décomplexion est celle d’un grand enfant provocateur, d’un histrion
régressif. Nu à son tour, devant Palomino, Eisenstein découvre une certaine gêne, intimidé par
l’aisance de ce guide disposé à devenir immédiatement son amant.
Le passage à l’acte est filmé avec une frontalité (érection de Cañedo avant sodomie d’Eisenstein) peu
surprenante de la part de l’auteur de The Pillow Book (1996), mais plus ambitieuse que d’ordinaire :
Greenaway dénude littéralement un mythe. Donner la priorité à la vie sexuelle d’Eisenstein plutôt
qu’à sa méthode singulière de cinéaste signifie moins nier le mythe que lui accorder un corps, de la
chair, une pure présence. Dans cet emploi, le Finlandais Elmer Bäck en impose. Massif, donnant du
mouvement à des plans majoritairement larges ou moyens, composés comme des tableaux, il
redonne, avec son excellent comparse Luis Alberti, une nouvelle vitalité au cinéma de Greenaway.
Sidy Sakho
QUE VIVA EISENSTEIN !
de Peter Greenaway
Un film fantasme et fantasque, si troublant
Un épisode bref et baroque de la vie exaltée d’un cinéaste russe considérable en train de tout rater,
partant en terre inconnue dans les années 30, afin d’y tourner un nouveau film, Que Viva Mexico !,
qu’il ne terminera jamais… Ces prémices déprimantes ont littéralement enflammé l’inspiration
désormais peu féconde du très luxuriant et érudit Peter Greenaway. Prenant pour devise « Eros et
Thanatos sont dans un bateau, aucun ne tombe à l’eau », il accompagne donc Eisenstein,
l’emblématique auteur du Cuirassé Potemkine, durant les dix jours qu’il passa en 1931 dans la petite
ville mexicaine de Guanajuato, avant que Staline ne le rappelle à l’ordre et en Union Soviétique…
Pour incarner cet étrange étranger débarquant avec une cargaison irraisonnable de livres,
Greenaway a trouvé l’oiseau inespéré. Un acteur finlandais, très expansif, Elmer Bäck, s’exprimant en
anglais avec un accent russe plutôt convenable, et ressemblant beaucoup à Eisenstein lui-même, que
l’on voit apparaître, de temps en temps, sur l’écran partagé en triptyque, aux côtés d’autres
célébrités du temps, Jean Cocteau, Luis Buñuel ou, plus local, Frida Kahlo.
Car le trouble délicieux que provoque le film exubérant de Greenaway provient qu’il oscille en
permanence, malgré ou à cause de ses extravagances, entre le documentaire, nourri d’images
d’archives, et la fiction, résolument délirante. Ainsi, autant prévenir les âmes pudiques, au cœur de
ce film fantasme et fantasque se niche une longue (très longue) scène d’amour physique (très
physique) entre deux hommes nus (très nus), le troublé Eisenstein et le guide troublant qu’on lui a
accordé (Luis Alberti). Voilà pour Eros. Thanatos entre alors en scène, avec des scènes sublimes de
procession de la Fête des morts, ou une danse mémorable d’Eisenstein avec des squelettes. De
tout ce pandémonium naît une belle mélancolie, celle de Peter Greenaway, sans doute,
s’identifiant à un créateur prêt à se damner pour continuer à créer.
Danièle Heymann
QUE VIVA EISENSTEIN !
de Peter Greenaway
En 1931, Serguei Eisenstein découvre un Mexique carnavalesque haut en couleur, hanté par la mort et le
sexe. Cette théâtralité échevelée mais aussi émouvante s'accorde de façon imprévue avec celle qui
anime le cinéaste russe lui-même, surdoué, intello, mégalo. À 30 ans, il s'avoue soudain qu'il a hâte
d'explorer sa sexualité. Avec autant de précision graphique que de liberté de ton, Greenaway met alors
en images ce qui devient l'axe du film : les méditations d'Eisenstein sous la douche, aux toilettes... Et,
bien sûr, au lit, dans les bras de son guide mexicain Palomino Cañedo. Cette comédie intime, à la fois
anecdotique et historique, puise son énergie dans la mise en scène véloce et quasi euphorique de
Greenaway. Le disciple d'Eisenstein réussit un essai saillant, stylé, fort de ses symétries vertigineuses,
somptueux décors et folles tirades à la clé.
Alexis Campion
Après Goltzius et la compagnie du pélican, Peter Greenaway signe un nouveau biopic en se penchant sur
le séjour de Sergueï Eisenstein au Mexique, en 1931, où il a tourné l’inachevé Que Viva Mexico !. Dans
un tourbillon visuel (de furieux slit-screen font cohabiter images de fiction et images d’archives du
maître), Greenaway imagine un Eisenstein exhibitionniste, qui s’épanouit au contact de la culture
mexicaine décomplexée avec l’amour comme avec la mort. Toujours à la limite du grotesque, ce
singulier objet filmique avance l’idée que l’expérience hédoniste et homosexuelle vécue par le
réalisateur du Cuirassé Potemkine a chamboulé son style artistique. Du cinéma libre et entêté comme
on n’en voit plus.
Damien Leblanc
QUE VIVA EISENSTEIN !
de Peter Greenaway
Le réalisateur de Meurtre dans un jardin anglais et Le ventre de l’architecte offre une vision toute
personnelle du séjour au Mexique de Sergueï Eisenstein, l’auteur du fameux film inachevé Que Viva
Mexico !. Le réalisateur russe se réfugia là-bas en 1931 pour le tourner. Mais, à la suite de désaccords
avec son producteur, il fut dépossédé des rushes de son film et n’en parla plus jamais.
Qu’on se rassure, la vision qu’en donne Greenaway n’est pas du tout un film pour cinéphiles purs et
durs. Le séjour mexicain du réalisateur russe est raconté de manière très personnelle, sulfureuse et
flamboyante. Reconstitution parfaite de l’époque, avec ses séquences en couleurs, en noir et blanc, des
images qui se démultiplient à l’écran et qui rappellent les folies d’un Ken Russell, ce film d’un Peter
Greenaway en pleine forme prouve que le réalisateur britannique n’a rien perdu de son génie.
Alain Grasset
En rupture de ban avec l’URSS où il est sommé de rentrer après s’être fait éconduire par Hollywood,
Sergueï Eisenstein se rend au Mexique pour y tourner Que Viva Mexico !. Nous sommes en 1931.
Sergueï (Elmer Bäck) fait alors la rencontre de Palomino Cañedo (Luis Alberti), qui enseigne l’histoire des
religions. Dans la ville de Guanajuato dont Peter Greenaway va transmuter l’extraordinaire force visuelle
et évocatrice d’amour et de mort, le cinéaste connaîtra dix jours des affres du désir et de la passion
amoureuse, entre l’art de la vie et la vie du grand art. Baroque, flamboyant d’intelligence.
Dominique Widemann