grandes dames musique haitienne

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grandes dames musique haitienne
GRAN DES DAMES
DE LA
MUSIQUE HAITIENNE
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
grandes dames
Elles sont 15 grandes dames dans ce chapitre, mais il en manque forcément
d’autres, grandes elles aussi, par leur voix ou leur talent de musiciennes.
Celles qui sont présentées ici ont toute marqué leur génération, l’histoire
de la musique ou v l’image de la culture d’Haïti sur le plan international.
Les artistes réunies ici sont célèbres pour leur voix ou leurs textes, leur
personnalité ou leur virtuosité. Six appartiennent à l’histoire, neuf sont
encore parmi nous, à la retraite ou en pleine carrière. Toutes sont une
source d’inspiration, d’admiration et méritaient cet hommage à leur rôle
de modèle dans la musique haïtienne.
grandes dames
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Un beau livre, un document unique réalisé par la Fondation Haiti Jazz,
mettant à l’honneur, et ce, pour la première fois,
les femmes et la musique d’Haiti.
Un voyage exceptionnel qui vous transporte de la première femme à avoir
marqué la musique haïtienne aux espoirs actuels.
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
l u m a n e
CASIMIR
1914-1955
Lumane Casimir à Belladère en 1948
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GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
DR
Festival de Cologne, Allemagne 1977
Répétition “Les Nègres” (J. Genet), mise en scène Roger Blin
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© AFP
© Agence de presse Bernard
“La vieille grille”
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DR
© D. Alezra
“Les Chants populaires d’Haïti” : Raymond Betzi, Mariann Mathéus, Emilie MC Benoit, Toto Bissainthe, Akonio Dolo.
Emmanuel Robles, Toto, Doudou Babet, “Un raisin au soleil”
toto bi ssainthe
les poèmes de Tiga et de Félix Morisseau-Leroy. Mais surtout elle
incarne avec un bagout phénoménal des textes créoles truculents de
la populaire animatrice de radio Jacqueline Scott, inspirés d’Aznavour
et de Ferré. Le succès Graine d’ananar adapté librement de ce dernier,
devient Ti Loraj kale : un portrait de femme rebelle. Une sacrée pièce
d’identité, une « signature song », comme le dit si bien l’anglais, dont
Radio Haïti fera un succès légendaire. Même phénomène en 1975 avec
le live À New-York sur le label haïtiano-américain Rotel Records. L’album
enregistré au Brooklyn Academy fera passer directement de l’anonymat
au patrimoine vivant de la culture du pays, le titre Ou sòti Pòs Machan,
ballade sensuelle sur les préjugés de classe. Le sous-titre affiche bien
« La vedette de la chanson haïtienne » mais c’est avec des musiciens
antillais (dont Patrice et Mino Cinelu) qu’elle enregistrera (en une
seule prise) le mythique album Haïti pour le label international Arion.
Le spectacle intitulé Chants populaires d’Haïti, tourne partout, de
l’Olympia ou du Palais des Glaces à Paris, aux scènes de grands festivals
d’Europe, d’Afrique, d’Algérie ou encore des Seychelles avec cette
fois, une formation composée de deux chanteuses antillaises, de
percussionnistes martiniquais et malien et d’un contrebassiste français.
Les complaintes Rassemblement et Dèy deviennent partout symboles de
la douleur et de la révolte d’un peuple martyrisé par une dictature qui
sévit depuis deux décennies. C’est au départ de Jean-Claude Duvalier,
en 1986, que Toto Bissainthe revient finalement sur la terre de toute sa
passion. Accompagnée par Mushy et Joël Widmaier et de sa fille Milena,
elle monte un nouveau spectacle atypique et audacieux qui met en scène
les textes de Syto Cavé, Michael Norton Blustein et René Philoctète et qui
tournera aux Antilles, en Guyane, à New York et en Europe. Réécoutant
ces chansons immortalisées sur l’album
posthume Coda en 1996, le poète
Anthony Phelps parlera de « la prenante
et crédible présence d’une petite grande
dame de la chanson, d’une petite et
merveilleuse comédienne». Le double
album Rétrospective sorti sous le label
Creon Music en 2006, reprend ses titres
phares sortis uniquement en vinyle et
une bonne partie des morceaux plus
récents.
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
L
a chanteuse Cornelia Schütt est née à Heiligenberg, une petite
ville du Sud de l’Allemagne, proche du Lac Constance. Mais elle
a toujours considéré que sa langue maternelle était le créole. Si
sa mère Ingrid s’était rendue jusque là pour l’accouchement, c’est par
crainte de complications au cours d’une grossesse plutôt difficile. Mais
la petite fille n’a pas trois mois lorsqu’elle rentre au bercail, c’est-à-dire
au Cap-Haitien, où toute la famille l’attend. Les Schütt se sont établis en
Haïti depuis 1832. Le père, Carl-Otto, fait du commerce d’exportation à
la rue du Quai et ils habitent alors dans les hauteurs du Bel-Air. C’est dans
ce décor verdoyant que la future vedette passe une enfance heureuse,
dans les années 1950, avec son frère, ses sœurs et… sa nounou, Anna
Colo. Cette jeune femme de la campagne qui ne s’exprime qu’en créole,
chante avec elle du matin au soir et lui trouve vite le sobriquet qui
deviendra son nom d’artiste : Ti Corn.
Dès son plus jeune âge, Ti Corn apprend donc toutes les chansons
traditionnelles ainsi que les comptines du répertoire d’Anna Colo. La nuit
tombée, on tire des contes, ces légendes d’Haïti qui, comme l’histoire
de Thézin, le poisson, sont elles aussi agrémentées de parties chantées.
Aussi, quand la jeune femme blanche avec sa robe maldioc* dira plus
tard aux journalistes : « La musique traditionnelle d’Haïti coule dans mes
veines », c’est avec raison.
Haïti, 1956
ti corn
En 1979, Ti Corn enregistre Haïti, un premier album de chansons du
patrimoine national qui connaitra un succès considérable. Édité sous
son propre label indépendant Tortuga, orné d’une aquarelle naïve de
sa sœur Laetitia figurant le Cap et sa cathédrale, ce disque devient LA
carte postale musicale du pays pour longtemps. Il est encore considéré
aujourd’hui comme l’un des albums les plus vendus de toute la
discographie locale. Passée la curiosité que cette femme blanche, à la
fois allemande et haïtienne suscite au début, Ti Corn gagne son pari et
devient une ambassadrice autorisée de notre culture créole. Elle reprend
avec bonheur Souvenir d’Haïti d’Othello Bayard et Nan Fon Bwa, mais
son plus grand succès sur les radios sera Carénage, histoire d’un flirt, un
dimanche après-midi, sur le boulevard du bord de mer. On y reconnait
son accent de vraie fille du Nord.
Collection privée
Elle écrit maintenant ses propres chansons et va les présenter à Herby
Widmaier, lors d’une visite à Port-au-Prince. Ce dernier réalise pour elle
un premier 45 tours en créole Mwen Kon et Ala Yon Mizè, dans son studio
8 pistes de Radio Métropole. Mais il va falloir attendre encore quelques
années pour que toutes les pièces du succès se mettent en placent.
Quelques mois plus tard, Ti Corn invite Carole Demesmin à chanter avec
elle au Cap. Fraichement débarquée de Boston et surfant sur le succès
de son premier album, celle-ci rendra bientôt la politesse à la Capoise,
l’invitant à son tour. C’est ainsi que Ti Corn rencontre le talentueux
Jean-Claude Martineau, alias Koralen, dans son fief de Mattapan, au
Massachussets, aux Etats-Unis. C’est le début d’une longue collaboration.
L’auteur-compositeur attitré de Carole lui offre trois titres qui figureront
bientôt sur l’album Sèvolan : Jalouzi, Bourik-la et Drapo Pa m, écrit
sur mesure pour la chanteuse qui endosse le drapeau bleu et rouge,
affirmant son identité.
1982
Ti Corn renoue avec son métier d’auteur et de compositrice et signe des
textes joliment tournés comme Se pou Sa et Sèvolan, métaphore d’une
femme cerf-volant qui caracole dans le ciel, guidée par la main d’un
homme. Elle met aussi en musique la poésie de Pierre-Richard Narcisse
Pa Kriye Anita, thème du film de fiction Anita de Rassoul Labuchin, dans
lequel elle incarne Simbi, la divinité vaudou de la mer. Suivra l’album
La M’ap Rete (C’est ici que je reste) dans lequel elle partage les crédits
avec Koralen et le convainc d’enregistrer et d’interpréter Deklarasyon en
public et en duo. Plus tard encore, elle collabore avec le grand guitariste
Amos Coulanges, puis, installée à Majorque, en Espagne, elle continue
de produire avec le réalisateur Brahm Heidl.
Collection privée
À 13 ans, en 1966, Ti Corn repart pour l’Allemagne. Haïti lui manque
énormément. Seul le chant arrive à calmer sa nostalgie d’écolière en
exil. Les va-et-vient entre Hambourg et le Cap exacerbent son sentiment
d’appartenance à son « kinanm* », comme on dit dans le Nord, et
alimentent son amour profond de la culture haïtienne. D’ailleurs,
pendant que ses camarades de classe admirent Janis Joplin et Joan
Baez, ses héroïnes à elle sont Martha Jean-Claude et Toto Bissainthe. Et
dans la chorale où elle s’enrôle là-bas, on l’aide à exploiter son timbre
particulier qui convient parfaitement à son style de chanteuse folk.
© Henry Celestin
Garçon manqué au départ,Ti Corn s’est mise très tôt au tambour et à la danse,
avec le percussionniste et chorégraphe Ciriaque. Puis, elle a pris des cours
de guitare avec le réputé Jean Menuau, s’accompagnant elle-même, et a
placé sa voix. On la découvre un soir sur la scène du « Feu Vert Night Club »
pendant l’intermède de l’Orchestre Septentrional. Pieds nus, en costume
folklorique, l’adolescente donne sa première prestation publique devant
un public de connaisseurs stupéfaits.
Ti Corn en famille, 1957
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C
Impossible d’aborder le personnage de cette célèbre Léoganaise
uniquement comme une grande chanteuse populaire. Carole est
beaucoup plus que cela. Une activiste culturelle, une prêtresse vaudou,
une guérisseuse mystique, une sage-femme, une humaniste, un porteflambeau de la culture haïtienne, une ambassadrice, une conférencière :
tous ces chapeaux lui vont, ou presque ! Littéralement infatigable,
elle mène un combat sans relâche, surtout dans la diaspora, à chaque
fois qu’il faut défendre le folklore, la tradition, l’héritage africain de ses
compatriotes. Elle en impose, avec une force de persuasion remarquable
et un mélange d’autorité et de douceur.
carol e demesmin
’est parce que son premier enregistrement réalisé en 1978 est
devenu un succès instantané, faisant d’elle, d’emblée, une gagnante,
que Carole Demesmin se classe parmi les grandes dames de la
musique d’Haïti. Mieux encore, ces chansons signées du génial Koralen
–un auteur dans l’ombre, parfaitement inconnu à l’époque- ont frappé
l’imaginaire collectif au sens large. La société s’est identifiée tout de suite
à la complainte des maroulés comme à l’histoire véridique de Lumane
Casimir, la diva déchue. Carole Demesmin possède une voix forte avec
un registre étendu, surtout dans les aigus, qui lui donne cette élégance
chatoyante et un peu solennelle qui rappelle celle d’une Émerante de
Pradines d’antan.
phénoménale et, enfin, une détermination à toute épreuve. Ses
professeurs n’y voient que du feu. On lui propose alors d’enregistrer sa
voix. C’est Martineau (alias Koralen) qui l’encourage à présenter des
œuvres originales au lieu de piocher dans le Great American Songbook
que Ella, Sara et Cleo ont sûrement mieux fait avant elle. Il a quelques
chansons poétiques déjà prêtes, en français et en créole, comme Plante
manyòk, Le rivage où chantent les palmiers. Alors, dans un éclair de génie,
il écrit Machann Pòtoprens, Lumane Casimir (son chef d’œuvre} et Maroulé,
qui va devenir le titre de ce premier album mythique, enregistré en deux
jours avec des musiciens américains et haïtiens, dirigés par le saxophoniste
Gaguy Dépestre.
Rien ne laissait prévoir un tel parcours commencé dans la paisible cité
d’Anacaona. Enfant passionnée, avant tout, de dessin et de peinture, Carole
se souvient qu’à onze ans elle s’adonnait au théâtre mais colorait aussi
des cartes à la main, ce qui lui rapportait son argent de poche. Bientôt,
l’adolescente quitte son pays chéri pour poursuivre ses études secondaires
au Boston High School puis au Massachussetts College of Arts. En 1976,
tout s’enchaine : les arts plastiques et aussi la musique. Carole chante avec
une confiance et une aisance prodigieuses. Introduite par la comédienne
Paula Clermont Péan au sein de l’association artistique Haïti Culturelle,
elle rencontre un de ses fondateurs, Jean-Claude Martineau, un poète et
conteur inspiré, qui, lui aussi a quitté le pays depuis 1962. Simultanément,
sur l’insistance du pianiste Guerdès Fleurant, elle est admise à Berklee, la
très prestigieuse école américaine, foyer des plus grands musiciens de
jazz.
La jeune haïtienne est une novice très douée qui ne lit pas la musique.
Mais elle possède une bonne oreille, une mémoire musicale littéralement
Ironiquement, pendant que d’autres peinent à se faire un nom, Carole, elle,
se forge juste un prénom. Tout le monde sait pertinemment qu’elle est la
fille de Mozart Demesmin, violoniste amateur et les animateurs de radio
la présentent évidemment comme telle, mais jamais elle n’utilisera son
patronyme officiellement. Le public créole malicieux va même la désigner
pendant des années comme «Carole Maroulé», surnom affectueux
mais peu flatteur quand on connaît la vie de ces pauvres paysans qui
conduisent leur bétail le long des routes en se faisant insulter au passage
par les camionneurs et leurs passagers.
Carole en concert à Miami
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L’auteur, Ralph Boncy, vous offre en 144 pages en couleurs, photos et
documents d’archives, un ouvrage qui s’ouvre sur les incontournables
Grandes Dames, et qui vous fait découvrir les promesses d’aujourd’hui
et les voix de la diaspora.
Un hommage emblématique qui vous en apprend un peu plus sur la culture
d’Haïti.
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
GRANDES DAMES DE L A MUSIQUE HAITIENNE
oici une anthropologue de vocation qui ne pouvait se résoudre à
s’enfermer dans une bibliothèque. Originaire de Ouanaminthe,
dans le Nord-Est, Mimerose P. Beaubrun mérite sans équivoque le
titre de première dame du mouvement mizik rasin* qui a émergé en Haïti
dans les années 80, remettant à l’avant-scène un vaudou triomphant. Après
Ça et Foula, des groupes exclusivement masculins, elle assure le leadership
de Boukman Eksperyans avec Daniel Beaubrun, son beau-frère et Théodore
Beaubrun son mari, lequel assume conjointement avec elle, le rôle de
porte-parole officiel du groupe. Quelles que soient les controverses et les
changements de personnes au fil des années, le dernier mot dans Boukman
revient toujours à Lòlò et Manzè, papa et maman, les vrais patrons.
L’américain Dan Behrman qui a été le manager du groupe Boukman
Eksperyans pendant près d’une dizaine d’années, est encore éberlué
aujourd’hui de l’engagement sans compromis qui caractérise Mimerose :
« Elle est totalement dédiée à la sauvegarde du patrimoine spirituel, musical et
artistique de ses ancêtres. Elle compose, chante, danse, publie, éduque et remet
les pendules à l’heure depuis les années ‘70, à l’aide de tous les moyens possibles
et de façon totalement contemporaine » commente-t-il. Manzè a aussi géré le
groupe, non pas comme une entreprise, mais comme une famille, fusionnée
à la vraie sienne. Son fils Paul, embrigadé très jeune dans Boukman, a suivi
l’exemple de ses parents en fondant le groupe Zing Experience avec son
épouse Cynthia Casasola.
DR
Les grandes dates
1955 : Naissance à Ouanaminthe
Manzè et Lòlò, Papa et Manman du groupe Boukman Eksperyans
1978 : Naissance de Boukman Experyans
Cette ambassadrice de la culture authentique haïtienne qui défend la
philosophie des lakous*, est une vigie anti-corruption, une mère et une
fanm vanyan qui en a inspiré plus d’un, par ses prises de position et son
comportement. Jamais à court de mots pour défendre ses convictions, elle
a récemment publié un livre autobiographique aux éditions Vent d’ailleurs :
« Nan Dòmi, récit d’une initiation au vaudou ».
2000 : Album Greatest Hits
1991 : Premier album Vodou Adjae, nomminé aux Grammy’s awards
1992 : Album Kalfou Danjere
1995 : Album Libète
1998 : Album Revolisyon
© Safi Magloire
1999 : Album Live at Red Rocks
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2002 : Nommée, avec le groupe, ambassadrice de bonne volonté par les Nations Unies
2008 : Album Ti bourik pote chay
2011 : Publie Nan dòmi, récit d’une initiation vaudou
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“manzè”
Manzè n’a rien d’une grande cantatrice mais sa voix qui vibre de sincérité
semble omniprésente dans les chansons depuis les tous premiers
enregistrements du groupe en 1989. Sur le LP (33 tours) initial qui deviendra
Vodou Adjae, l’album nommé aux Grammy Awards et signé par Chris
Blackwell sur Island, on retrouve sa composition Mizik-a Manzè, une
supplication qui se termine par un appel au rassemblement. Depuis,
Mimerose se contente de co-signer la plupart des textes mais n’a raté
aucun des sept albums du groupe, aucune de ses grandes tournées autour
du monde.
mimerose beaubrun
V
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e m e l i n e
© Josué Cazor
MICHEL
1966
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L
Le jour de sa première leçon de chant en privé, son professeur la met
face à sa réalité : « Bon, vous possédez une voix magnifique de contralto
avec une étendue de trois octaves. Qu’allez-vous répondre à Dieu lorsqu’il
vous demandera : Mais qu’as-tu fait de ce don dont je t’ai pourvue ? ».
Et toujours, Pauline amène un peu plus d’Haïti avec elle, vers des oreilles
vierges et sur les routes interminables que trace pour elle le jazz.
Hommage à Nina Simone au Cabaret, Indianapolis, 2009
C’est à partir de cette époque que Pauline Jean va devenir une
professionnelle entièrement dédiée à son art. Refusant d’être juste « une
chanteuse qui chante » – ce sont ses propres termes – elle travaille son
solfège puis, après les collèges de Brooklyn, de Queens et de La Guardia, elle
s’inscrit à Boston, au fameux Berklee College of Music où elle enchaînera
les sessions sans pause, de 2005 à 2007. La culture du jazz, l’harmonie et
le piano, elle en connaît assez maintenant pour composer ses propres
thèmes, écrire ses arrangements et diriger le groupe qui l’accompagne. Et
quand on la compare à Cassandra ou Ella, elle sait de qui on parle !
DR
- Qui sont ces gens ? Répond-elle alors, incrédule.
Tchaikovsky Concert Hall (Russie), 2013
Enregistrement de Sak Pasé Ayiti, avec Raoul Denis, Joël Widmaier et Wyclef Jean, New-York, janvier 2011
Tyumen Philharmonic Concert Hall (Russie) en 2012
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N
Il confie « J’ai été tout de suite captivé par le timbre
chaud de la voix de Misty. Elle possède une oreille
exceptionnelle et une grande musicalité. En studio, elle
est capable de faire les 3 parties d’un choeur vocal sans
reprises. »
Le groupe de professionnels qui assure les arrières
de Misty inclut des références comme Robert
Martino et Joe Charles. Et ça se sent sur son album
2013, Just Like That qui s’ouvre au reggae, à la salsa,
au merengue, rend hommage à Lumane Casimir et
défend les restavèk*.
Mais Misty est aussi un mannequin qui a fière allure.
À dix-huit ans, en février 2001, elle est élue Miss
Caraïbe à St-Martin. Ses jolies courbes y sont pour
quelque chose, mais durant ce séjour de deux mois,
la belle Haïtienne démontre surtout sa personnalité
dynamique et des talents de communicatrice
qui vont lui servir tout au long de sa carrière de
chanteuse. Nommée « Miss Francophonie » en 2002,
elle quitte son pays pour la Floride, l’année suivante
pour se perfectionner en musique. Dès 2003 elle
est couronnée Reine du Carnaval du Greater Miami
à l’occasion du Mardi-Gras. Tout va très vite par la
suite…
À trente ans et en pleine possession de ses moyens,
en voici une qui est pleine de promesses…
© Alberto Gonzales
© Max Desdunes
En concert au Broward Community College, Coral Springs, Florida, 2009
1983
s’implique dans la composition et l’écriture. Digne
héritière de Zshéa et des Top Girls du Cap, elle
sort deux enregistrements Live en 2006 et 2010 et
multiplie les tournages de vidéo-clips, les uns plus
suggestifs que les autres. Ses accoutrements sexy,
ses déhanchements, mais aussi son charme naturel
pourraient faire croire que Misty est toujours en
mode séduction. Son mélange commercial de zouk
et de konpa est pourtant juste dans son époque. Et
sans vouloir rivaliser avec Beyoncé ou les superstars
R&B, l’intéressée conçoit que ce métier implique ce
qu’elle appelle « A whole package ». « Il faut de la
prestance et du spectacle. Assez pour attirer l’attention
des hommes et des femmes… Et surtout savoir gérer
son groupe ! », explique-t-elle.
En 2004, Misty enregistre un premier album solo
fait sur-mesure, Près de toi dont est tiré le single
dansant Se ou Mwen Vle. Elle enchaîne moins de
deux ans plus tard avec Konpa à Gogo, où elle
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misty jean
m i s t y
JEAN
ée à Port-au-Prince en février 1983, Misterlyne
Jean est élevée dans la capitale dans une
ambiance totalement décomplexée. Sa
maman Marie-Michèle est comédienne dans
Jesifra, la troupe de théâtre populaire qui obtient
une large diffusion à la télévision nationale et, dès
l’âge de trois ans, on retrouve notre future vedette
chez Lynn Williams Rouzier, avec qui elle apprend
l’expression corporelle et la danse. Compétitive,
Misty se distingue très tôt – à 7 ans – dans des
concours amateurs, présentée par Paul Villefranche,
puis devient la voix soliste de la chorale de son école,
« Chez Anglade ». En 1998, elle se fait remarquer lors
de sa participation à La Nuit de la Guitare et Raoul
Denis lui propose d’enregistrer.
© Andrey Titov
© Paul Jean
Quant à Toto Bissainthe, c’est une découverte beaucoup plus tardive, mais
non moins essentielle. « Cette femme chantait quelque chose de puissant et
de profond » dira-t-elle, touchée jusque dans ses entrailles. Sur son premier
disque compact en solo A Musical Offering (2009), Pauline offre à la culture
© Réginal Georges
Mais les plus gros coups de cœur de la carrière musicale de l’irrésistible Miss
Jean sont indubitablement Nina Simone et Toto Bissainthe. Nina d’abord,
la grande prêtresse se proclamait Young, Gifted and Black. « J’admire
surtout ses prises de position; tout ce qu’elle a défendu » confesse l’Haïtienne
de cœur. Le mimétisme dépasse ici l’interprétation d’un répertoire ou la
personnification futile : la coiffure, l’allure, le timbre, donnent une étrange
impression de voir la grande dame réincarnée dans une petite sœur.
pauline jean
Sa participation au Festival de Jazz de Port-au-Prince lui a donné
d’approfondir ses liens avec sa culture d’origine, et Pauline continue de
se produire en concert en Amérique et un peu partout à travers le monde
tout en préparant son deuxième album. La Suisse, la Finlande, l’Estonie,
Israël et le Liban, sont des escales naturelles pour elle. Et que dire de ses
tournées au Royaume Uni et en surtout en Russie, où, introduite par les
frères Ivanov, elle est devenue très prisée, au point d’y retourner pour
parcourir encore Moscou et toute la Sibérie jusqu’à St-Petersbourg !
Pauline Jean est aujourd’hui une vraie chanteuse de jazz noire américaine.
Elle vit aux États-Unis mais garde ses racines bien profondes en Haïti, dans
le versant sud du Golfe de la Gonâve; à Grand-Goâve, par la famille de sa
mère et à Léogane, par celle de son père. Ses parents ont émigré vers le
Nord avec cinq enfants et elle est donc née en diaspora avec son frère
jumeau. On les prénomme Paul et Pauline. Bien sûr, elle a chanté à l’église
adventiste dans le cocon familial, à la recherche d’une connexion spirituelle.
Mais Pauline se destinait plutôt à des études de Droit pour travailler dans
le domaine para-légal, lorsqu’après une performance bénévole, elle se fait
dire, par des spectateurs éberlués ; « Tu chantes comme Cassandra Wilson,
ou, mieux encore, comme Sarah Vaughan ! »
© Mark Alan Lee
jazzistique afro-américaine un pot-pourri de Dèy et de Papa Damballah
qui laissera les critiques ébahis. Sûr que les échanges entre jazz et culture
créole ne vont pas s’arrêter là…
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Réservez dès maintenant
Prix de détail suggéré: 40$
Lancement et vente signature en présence de l’auteur
et de plusieurs Grandes Dames à Pétion-Ville
le vendredi 30 août 2013 de 5h à 7h pm.
FONDS EUROPEEN DE DEVELOPPEMENT
MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA
COMMUNICATION
PROGRAMME D’APPUI AU RENFORCEMENT
DE LA CULTURE ET DE L’ART POUR LE
DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
ET SOCIAL
(ARCADES)