L`Alleluia de Julie Lamontagne

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L`Alleluia de Julie Lamontagne
L’Alleluia de Julie Lamontagne
Gisèle Bart
Belle comme un Renoir, crinière de lion d’un blond vénitien, habit de satin noir,
maquillage impeccable, chaussures noires sexy, sourire lumineux, Julie Lamontagne
est un beau personnage. Pianiste, compositrice, arrangeure et chef d’orchestre,
l’impression de puissance qui s’en dégage est confirmée par son jeu.
Samedi le 9 novembre, à Prévost, cette femme se produisait seule au piano. Pour bien
parler d’elle, j’aimerais vous transmettre une impression indélébile que m’avait laissée
une entrevue avec Ludmilla Chiriaeff, fondatrice des Grands Ballets Canadiens. Elle y
disait grosso-modo : essayez des choses, demeurez dans l’action, relevez des défis,
créez, jouissez des succès, avancez, considérez les échecs comme des essais, en un mot,
vivez! C’est ce que fait Julie.
Alors qu’elle s’adonne à de sérieuses études en musique classique, elle rencontre Oliver
Jones, ce qui lui donne le goût irrésistible de s’essayer au jazz. Puis la rencontre avec
Lorraine Desmarais lui confirme que, oui, c’est permis aux femmes. Forte de ces deux
influences, elle s’avance sur ce fil et obtient de grands succès, quelques déceptions et
beaucoup de plaisir.
En ce 9 novembre, elle nous faisait bénéficier de l’une de ses idées, à savoir jazzer de
grands classiques. Je ne vous le cacherai pas, ce pouvait être assez déstabilisant pour les
amateurs de ce qu’il est convenu d’appeler la « grande musique ».Mais au fond, qu’est-ce
que le jazz sinon « le métissage de blues, de ragtime et de musique européenne »? Et ce
n’est pas moi qui le dit. « La principale caractéristique du jazz est l’improvisation ». Les
musiciens installent le thème, improvisent autour de lui pour ensuite lui revenir, la
plupart du temps sans partitions. Qu’est-ce que fait Julie dans cet Opus Jazz, sinon cela?
Appuyée, je l’ai déjà mentionné, sur de solides bases, elle s’est employée avec un grand
sérieux et un indéniable plaisir à décortiquer, démanteler de grands classiques et à les
reconstituer à sa propre sauce, une sauce jazz.
C’est ainsi que L’infante défunte de Ravel est devenue un Aria de la défunte et qu’un
Brahms s’est vu transformé, tout en libertés et fioritures, en Waltz for Fred, ce Fred qui
l’avait encouragée dans ce projet. Un fantasme de son adolescence, jouer le 3è concerto
de Rachmaninov fut réalisé en Rachmania, peut-être le point culminant de ce concert,
orageux comme il se doit, illustration de la formation de Julie. Car il en fallait toute une
pour réussir de tels exploits de transformation. L’ado peut être fière, le défi a été
brillamment relevé. Pour ce qui est d’un Prélude de Bach qui lui donnait du fil à retordre,
elle a dû changer sa tonalité pour en venir à bout, ce qui est devenu un paisible Lac
d’argent. L’Alleluia de Haendel fut cependant quasi méconnaissable et l’on pourrait
intituler « Alleluia de Julie Lamontagne » son Hymne de Mr H. Par ailleurs, si elle ne lui
a pas insufflé son souffle, elle lui a cependant insufflé sa Joie. Quant à Taksim, on y a
reconnu les trépignements de la musique turque ainsi que le foisonnement d’une place
grouillante de monde.
L’humour de Julie est flagrant. Ainsi, la pièce Hank Dog lui a été inspirée par les
aboiement insistants du chien de l’un de ses musiciens pour pénétrer dans le studio de
répétitions.
À chacun de ses spectacles, en hommage à son mentor Oliver Jones, Julie se fait toujours
un devoir de jouer quelques standards qu’elle avait choisis doux et rêveurs ce soir-là. Elle
est demeurée dans ce mode tendresse pour son Doux Carrousel qu’elle a fait suivre de
Chopineries où cette fois on a bien reconnu le cher Frédéric. Une Pavane de Fauré
devenue L’Éveil, délicat et léger, fut incontestablement ma pièce préférée. Un Debussy
revisité est devenu une Trilogie colorée, où la majesté du doré, la mélancolie du violet et
la vigueur du jaune étaient tout à fait perceptibles.
Au rappel, une vivace adaptation de Toccate de Poulenc nous a démontré de façon
définitive la solidité de la formation de Julie. Visiblement heureuse de l’accueil, cette
dernière nous a finalement servi une petite neige, comme celle qui commençait à tomber
au dehors, extraite de son DC de Noël 2013 : Let it snow.
Je me permets de déplorer qu’elle ait choisi de ne pas utiliser le micro pour ses
commentaires, ce qui rendait l’écoute laborieuse. Dommage, car elle avait mis un réel
effort à d’intéressantes présentations.
Pour ce qui est de l’une de ces pointes, dont je suis lasse, qu’elle s’est autorisée envers les
Français, je ne l’ai pas appréciée. Si c’était une « gentille » moquerie, le ton en était
plutôt acerbe.
Après cette parenthèse négative, j’en reviens à vous, Julie. Si votre démarche de passer
du classique au jazz et vice-versa peut donner l’impression que vous vous cherchez un
fauteuil, tout au moins vous suivez la consigne de la grande Ludmilla. Vous
expérimentez, vous créez, vous avancez, vous vivez. Bravo!

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