Le grand serpent de mer

Transcription

Le grand serpent de mer
Le grand serpent de mer
ALAIN LAVOIE OU ALOHA·16 AVRIL 2016
Mes chers amis, je vais vous parlez cette fois-ci d’une créature incroyable, fantastique, mais surtout, colossale et terrifiante!
Alors si vous n’êtes pas des âmes sensibles, couchez vos enfants si vous le voulez bien, montez à mon bord, et prenez place
confortablement au carré. Surtout, ouvrez bien vos yeux et vos oreilles, car ce que vous allez entendre et voir ici, pourrait à
jamais changer votre perception de notre monde nautique. Par compte, avant, je dois vous avertir. Si vous entendez ceci, il se
peut qu’ensuite, il vous soit désormais impossible de dormir en toute tranquillité dans vos mouillages forains! Il se peut même
que certains d’entre vous abandonnent la navigation! Vous voilà donc prévenus!
Vous ne vous sauvez pas à toutes jambes? Vous me regardez d’un air persifleur? Ah sacrebleu!...voici donc d’hardis
moussaillons! Tiens…servez-vous un verre, remplissez ma tasse de fer blanc et passez-moi du feu que je commence.
Donc, de toutes les créatures marines mythiques, le grand serpent de mer occupe une place toute particulière depuis des temps
très anciens. Il a fait partie de nombreuses légendes, et des ouvrages entiers lui ont été consacrés. Qui d’ailleurs n’en a jamais
entendu parler? Dans toutes ces histoires, il symbolise le mal, crache parfois du feu et s’attaque aux grands navires, fait
bouillonner les flots et terrorise les marins. Sa longueur estimée se situerait entre 6 et 75 mètres, ce qui vous en conviendrez,
laisse une marge plus que floue, du moins d’un côté biologique ou scientifique. Dans tous ces récits, il est décrit de tellement de
façons, qu’il serait bien difficile de s’en faire une image précise, mais laissons de côté ces contes si vous le voulez bien, et
regardons un peu les témoignages sérieux qui s’offrent à nous le concernant.
Parlons tout d’abord de la carcasse d’un grand serpent de mer, qui fût découverte le 22 Janvier 1860 à Hungary bay dans les
Bermudes et dont W.D. Munro fit le croquis. Bien sûr, on tenta de noyer le poisson, si je puis m’exprimer ainsi, et il fut dit qu’il
s’agissait en réalité d’un régalec, une vulgaire poiscaille que l’on trouverait même en Méditéranée! Mais ne vous laisser pas
berner par ces cochons d’armateurs, toujours à rechercher le profit! Qu’en aurait-il été si les marins avaient su la vérité et
auraient refusé de prendre la mer? Vous voyez donc comme moi clair dans leur jeu? Bien sûr, ce spécimen de trois mètres n’était
qu’un alvin, un têtard, un lardon qui venait tout juste de naître, et la facilité de sa capture n’en est-elle pas une preuve évidente
en elle-même? Non, surtout ne vous laisser pas tromper comme de vulgaires terriens!
***(Dessin de W.D. Munro)
Voyez cet autre témoignage, qui lui, nous vient de la canonnière française Avalanche dans la baie d’Along en 1898. Le capitaine,
un homme certes intègre et expérimenté, fit ouvrir le feu de ces canons tribords sur un monstre qui faisait, lui, au moins 30
mètres de long! Ah! Voici une créature dont la taille correspond mieux à notre terrible serpent de mer! Ces tirs nourris furent
d’ailleurs sans effet. Permettez-moi de citer ici un extrait de son rapport. « Sa taille avoisine la trentaine de mètres, sa peau est
grise et lisse, ses nageoires sont noires et chacune de ses émersions est précédée d’un jet de vaporisation d’eau issue de la
violence de sa respiration. Sa tête ressemble à celle d’un phoque mais en deux fois plus grosse. » Une baleine, me dites-vous?
Ne croyez-vous pas qu’un valeureux capitaine de canonnière française n’aurait su différencier un serpent de mer d’une baleine?
Allons mes amis! Un peu de sérieux! Mais, j’ai évidemment d’autres preuves. Ne soyez pas trop impatients!
Vous me direz que ces histoires datent de fort longtemps, et vous avez raison. Pourquoi alors les nombreux navigateurs
modernes qui sillonnent les océans n’en font-ils pas mention? Pourquoi à notre époque ou les satellites sillonnent les cieux et
prennent des images des mers, une telle créature aussi gigantesque n’est-elle point répertoriée? Il semble en effet que le grand
serpent de mer soit une créature des plus timide, qui probablement hante les plus grandes profondeurs des océans. Mais, n’est-il
pas vrai également que les recherches océaniques nous révèlent encore régulièrement des créatures tout à fait étonnantes, dont
nous ne doutions point de l’existence hier? Il arrive pourtant au grand serpent de mer d’évoluer en eaux peu profonde. Laissezmoi vous exposer alors d’autres témoignages, d’un temps plus contemporains ceux-là.
Par exemple, au début des années 70, France, François Guillain et leur ami Didier, furent eux-mêmes témoins de l’apparition du
grand serpent de mer. Ils avaient échoué leur voilier Alpha dans les îles Cocos pour faire de l’eau, et avaient eu bien du mal à le
remettre ensuite à flot. Ils avaient finalement réussi, et étaient maintenant ancrés dans une baie, entre les pâtés de coraux, et
jouaient gaiement au Scrabble dans le carré, lorsque France entendit de curieux crépitement. Laissez-moi vous citer ce passage
écrit par France, qui se retrouve à la page 211 de leur excellent livre : Le Bonheur sur la Mer.
« Il y a là, devant nous, à une dizaine de mètres peut-être, quelque chose d’immense et de très curieux. Comme une série de
troncs énormes bien alignés sur l’eau et disposés à intervalles réguliers. Des centaines d’oiseaux sont posés, agglutinés sur
cette chose noir et luisante, cylindrique. Chaque fois que les troncs s’immergent, tous les oiseaux s’envolent à la fois dans un
grand pépiement, et vont se poser à côté sur les nouveaux troncs qui apparaissent. Pour nous, il ne fait pas l’ombre d’un doute
qu’il s’agit d’un animal énorme, très long : 20, 30, 40 mètres? Apparemment de la forme d’une anguille géante d’un mètre de
diamètre, au moins! Nous ne voyons ni la queue, ni la tête. »
Leur ami Didier, plus hardi, voulait bien aller voir la bête de plus proche, mais le Capitaine et France le traitèrent de fou et
refusèrent de s’approcher. Ils restèrent pétrifiés sur le pont, et la bête évolua doucement entre les pâtés de coraux pendant près
d’une heure. Ils furent soulagés lorsqu’elle sortie finalement du lagon, suivie de tous les oiseaux. Malheureusement, le grand
serpent de mer était à contre-jour et ils ne purent prendre de photos. Alors? Toujours sceptique?
Peu d’années avant ces événements, dans l’archipel des Withsunday, près de la grande barrière de corail et de l’Australie, Robert
Le Serrec, sa femme Raymonde, leurs trois enfants et leur équipier Henk de Jong, ont été aussi des témoins privilégiés d’un
grand serpent de mer. Eux, ont pu le photographier, et ont même poussé l’audace jusqu’à le filmer en plongée, alors que la
créature, portant une blessure de plus d’un mètre de long, reposait sur le fond sableux du lagon. Les photos ont d’ailleurs fait
l’objet d’une étude d’Ivan T. Sanderson dans la revue True en Juillet 1965. Voici un résumé de leurs observations.
« D’une longueur totale de 22 à 24 mètres, la bête était de couleur général noir, avec des bandes brunes de 60 cm environ
réparties tous les 1.50m. Le diamètre du corps était de 80 cm environ à partir de la tête et sur la longueur de 7 mètres à peu
près; il s’amincissait ensuite rapidement, jusqu’à ne plus former qu’une mince queue sur les derniers mètres. La tête, noire
avec une tendance irrégulière au brun, ressemblait à celle d’un serpent, n’était le crâne beaucoup plus élevé (1m-1.20m). La
largeur au plus fort de la mâchoire était d’environ 1,20m. Les yeux d’un vert très pâle, presque blanc, s’ornaient de pupilles
noires verticales. »
J’arrêterai ici cette description, qui est plus complète, et que l’on retrouve au chapître 27 (Le géant inconnu), que l’on peut lire
dans l’excellent livre «Autour du Monde, 5 ans à la voile en thonier» par Robert Le Serrec. Nous avons vu que celui-ci était
gravement blessé, peut-être attaqué par un de ses congénères encore plus gros. C’est assurément la raison pour laquelle ils ne
furent pas dévorés et purent nous rapporter ces images.
***(Photos de R. Le Serrec)
Croyez-vous maintenant au grand serpent de mer? Peut-être me direz vous alors que ces observations plus modernes, faites
dans le lointain Pacifique ne sauraient vous émouvoir outre-mesure, vu la distance avec les eaux que vous fréquentez? Peut-être
même me direz-vous que vous êtes assurément à l’abri de telles créatures dans l’eau douce dans laquelle vous naviguer?
Détrompez-vous! Le grand serpent de mer n’a ni frontière, ni limite. Avec ces témoignages, nous avons bien vu qu’il est
parfaitement capable de remonter des profondeurs et d’évoluer dans quelques mètres d’eau. Il peut donc remonter les fleuves,
s’introduire dans les rivières et même rejoindre des lacs, pourquoi pas? Il peut aussi bien se retrouver dans l’Atlantic, la
Méditerranée ou le Pacific. Aucun navigateur n’est totalement en sécurité! En voici une dernière preuve.
Par une belle nuit étoilée et sans lune d’Août, environ en 1991, mon voilier était amarré à son quai de la marina de Boucherville,
près de Montréal au Québec. Nous dormions du sommeil du juste mon mousse et moi, lorsqu’en pleine nuit, une créature
assurément monstrueuse, s’amusa à venir percuter le fond de notre bateau, faisant vibrer ses membrures jusqu’à la tête du mât.
Elle nous percuta à trois reprises, et mon mousse et moi nous sommes vite retrouvés en pyjama sur le quai, pris d’une peur
incroyable et tremblant comme des feuilles. L’absence de lune et le faible éclairage des quais ne nous permirent pas d’apercevoir
le grand serpent de mer, mais il y a des choses qu’un capitaine ressent, et il n’y a aucun doute à mon esprit que c’était bien lui! Il
ne passait pas à l’attaque, comme je le crus d’abord, mais évidemment il n’aura pas apprécié le goût de polyester de notre coque.
S’il avait voulu, il aurait certainement pu couler ma coquille de noix!
Certains d’entre vous plus suspicieux iront peut-être faire quelques recherches dans les archives du journal «La Seigneurie» de
l’époque. Ils y découvriront que durant ces années, les propriétaires de la marina trouvèrent un matin, un esturgeon de 6 pieds
(2 mètres) pesant plus de 70 livres (32 kilos) dans une des chaloupes de la marina. Ils me diront peut-être avoir vu eux-mêmes
des esturgeons encore plus gros sauter complètement hors de l’eau à cette période de l’année, et que c’est probablement un de
ces poisson qui aura heurté mon voilier avec tant d’insistance? Détrompez-vous! Moi je SAIS que c’était lui! Alors, lorsque vous
serez bientôt dans vos mouillages paisibles, ou lorsque vous laisserez nonchalamment vos pieds tremper dans l’eau, installés
confortablement sur la jupe arrière de votre bateau, pensez au grand serpent de mer! Il est peut-être là à vous surveiller, à
quelques mètres et prêt à vous dévorer.
Alain Lavoie

Documents pareils