Perspectives sur l`Accord de Paix Globale

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Perspectives sur l`Accord de Paix Globale
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Les protocoles sur le partage des richesses et des pouvoirs sont au
cœur de l’Accord de Paix Globale et constituent les clés de voûte
du processus de construction d’un nouveau Soudan
L’Accord de Paix Globale (CPA) a émergé
d’une crise nationale extrêmement
complexe. La guerre civile avait éclaté
avant même l’indépendance en 1956;
les chiffres de la mortalité rapportent
jusqu’à deux millions de morts; les
principaux protagonistes représentaient
deux idéologies distinctes – l’islamisme
et le laïcisme – qui ont nourri des visions
du Soudan concurrentes; et les deux
parties – le gouvernement du Soudan
et le Mouvement/l’Armée de Libération
du Peuple Soudanais – savaient
qu’elles ne pouvaient pas gagner une
victoire militaire directe. L’Accord de Paix
Globale1 est radical dans sa proposition
de solutions innovantes pour corriger
les causes d’origine de la longue guerre
civile au Soudan, prudent dans le sens
où les principaux problèmes restent
irrésolus et conservateur depuis que les
parties aux négociations conservent le
contrôle dans leurs principales sphères
d’intérêts (respectivement le nord et le
sud du Soudan). L’Accord de Paix Globale
tentait à la fois de porter secours à un
pays profondément divisé en abordant
les causes d’origine du conflit et pour
résoudre des problèmes fondamentaux
qui ne pouvaient pas être résolus par la
force militaire.
Quelles causes d’origines les parties aux
négociations ont-elles vues? L’Accord de
Paix Globale donne des réponses tout à
fait claires. Pendant trop longtemps, le
pouvoir politique et économique avait été
concentré dans le centre. Le “Nouveau
Soudan” exigeait le partage du pouvoir
et le partage des richesses. En retour,
ceci demandait de trouver les moyens
de garantir une représentation centrale
de toutes les régions périphériques et
de transférer un partage équitable des
richesses nationales depuis le centre
des régions. Les négociations étaient
structurées autour de ces thèmes et les
protocoles sur le partage du pouvoir
et des richesses forment le cœur des
Accords de Paix Globale.
La sécurité et les trois zones
Cela ne sous-entend pas que les autres
protocoles de l’Accord de Paix Globale
– l’accord de sécurité et les accords sur
les “trois zones” (les zones contestées
d’Abyei, des montagnes Nuba et du
Nil Bleu) – étaient moins importants.
Au contraire, pour le Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais, le
protocole de sécurité (qui reconnaît le
rôle de l’Armée de Libération du Peuple
Soudanais en tant que “forces armées
régulières, professionnelles et non
partisanes”2) était nécessaire, parce que
seule l’arrivée de l’Armée de Libération
du Peuple Soudanais apporterait
une protection suffisante au droit de
faire sécession si le peuple du sud du
Soudan vote en faveur de la sécession
à la fin de la période temporaire de six
ans. Les protocoles sur les trois zones
étaient également essentiels parce que
le Mouvement de Libération du Peuple
Soudanais a toujours déclaré représenter
les intérêts de ces zones et ne pas
conclure quoi que ce soit de moins que
des accords séparés éloignerait de la
légitimité du Mouvement de Libération
du Peuple Soudanais. De plus, l’accord
des montagnes Nuba/Nil Bleu sont
devenus le terrain d’essai de ce que les
principes de partage du pouvoir et des
richesses signifierait dans le nord du
Soudan. Les représentants à la fois du
Mouvement de Libération du Peuple
Soudanais et du gouvernement du
Soudan ont suggéré qu’un arrangement
pour les montagnes Nuba et le Nil Bleu
pourrait servir de modèle pour les
autres régions dans le pays, telles que le
Darfur et la province de l’est.
Le protocole sur Abyei forme une
partie unique de l’Accord de Paix Globale
dans le fait que c’est le seul corps de texte
duquel les parties ne revendiquent pas
d’être les auteurs.3 C’est significatif et
peut indiquer un souhait – par les deux
parties – de se distancer de cette partie
de l’ensemble de l’accord avec laquelle
ils trouveront qu’il est le plus difficile
par Endre Stiansen
de vivre lorsque la période temporaire
de six ans se fermera. Il y a toujours
beaucoup d’incertitudes quant à la façon
de résoudre le problème d’Abyei – à
savoir si elle rejoindra le sud du Soudan
(et fera peut-être partie d’un nouveau
pays indépendant) ou si elle fera toujours
partie du nord du Soudan. Déjà les chefs
de certaines tribus arabes dans la région
– des circonscriptions importantes du
parti dirigeant du congrès national – ont
signalé qu’ils ne souhaitent pas faire
partie du sud du Soudan. De même, il y a
des chefs issus des populations africaines
de la région qui insistent pour qu’Abyei
soit re-transférée au sud du Soudan. Le
rapport de la commission sur la frontière
d’Abyei visait à aborder certains des
problèmes les plus controversés mais
a attisé encore plus les émotions. Si un
compromis global avec lequel tout le
monde peut vivre n’est pas atteint, Abyei
pourrait se transformer en un autre
Cachemire.
Le partage des richesses et du
pouvoir
“Pour rendre l’unité attrayante” est une
phrase clé de l’Accord de Paix Globale.
Au cours des négociations, il est apparu
clairement que les parties en avaient
une compréhension différente. Pour le
gouvernement du Soudan, rendre l’unité
attrayante était une responsabilité conjointe et le but ultime des négociations.
La position du Mouvement de Libération
du Peuple Soudanais était plus nuancée.
Tandis que le Mouvement de Libération
du Peuple Soudanais en tant que
mouvement politique encourageait à une
réforme totale des structures politiques
et économiques de l’ensemble du Soudan,
il était bien connu que la plupart des
cadres dirigeants du Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais, ainsi
que la vaste majorité du peuple du sud
du Soudan, préféraient une sécession à
une unité continue. Pour cette raison, ils
ont pensé que la principale responsabilité
pour rendre l’unité attrayante reposait
sur le gouvernement attitré de Khartoum
et les futurs gouvernements nationaux.
Par exemple, la continuation d’un
système très centralisé de gouvernement
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ne rendrait pas l’unité attractive. Le
gouvernement du Soudan a donc dû
accepter un système de gouvernance
qui s’orientait sur une prise de pouvoir
réelle des états et des régions. De plus, la
direction à prédominance non musulmane du Mouvement de Libération du
Peuple Soudanais n’était pas préparée à
vivre sous des lois islamiques et de ce
fait le gouvernement du Soudan devait
accepter qu’il n’y ait que la loi sharia dans
le nord.
Les négociateurs du gouvernement
du Soudan ont fait des concessions
majeures pour rendre l’unité attrayante.
Les principes de décentralisation sont au
cœur de l’accord et les pouvoirs accordés
au gouvernement du sud du Soudan
(GoSS) sont étendus. Le protocole de
partage des richesses donne au gouvernement du sud du Soudan environ 50%
du revenu net du pétrole produit dans le
sud du Soudan, privant le trésor central
d’une grande partie de la base de ses
revenus potentiels. Les prix exorbitants
du pétrole ont, dans une certaine mesure,
mitigé l’impact de cette concession, mais
il faudra du temps pour compenser la
perte de revenus. La sécession du sud
du Soudan, où la plupart des réserves de
pétrole sont supposées avoir été situées,
aurait évidemment des conséquences
encore plus grandes pour le trésor à
Khartoum.
Le nouveau Soudan
Personne n’a articulé la vision du
Mouvement de Libération du Peuple
Soudanais d’un Soudan transformé
– le “nouveau Soudan” – avec plus de
conviction que feu Dr John Garang. Les
ambitions nationales du Mouvement
de Libération du Peuple Soudanais se
reflètent dans le protocole de partage du
pouvoir. Le président du Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais est également premier vice-président du Soudan
et les représentants du Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais seront
désignés à environ un tiers de tous les
postes ministériels lorsque le gouvernement de l’unité nationale sera formé.
De plus, la composition du service civil
national sera réformée pour qu’elle reflète
plus la nation en tant que tout. L’Accord
de Paix Globale trace également la route
au Mouvement de Libération du Peuple
Soudanais pour s’établir en tant que
force politique à compter avec le nord
du Soudan. Jusqu’à ce que les élections
soient tenues après environ trois ans, les
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membres du Mouvement de Libération
du Peuple Soudanais tiendront 10% des
sièges dans les législatures des états du
nord, servant de tremplin au mouvement
pour s’établir en tant que mouvement
national.4
La mort soudaine du Dr Garang a
conduit beaucoup d’observateurs à se demander su le Mouvement de Libération
du Peuple Soudanais minimisera ses
aspirations nationales en faveur de
la préparation à une indépendance
totale dans six ans. Le nouveau président,
Salva Kiir, n’a pas la même expérience
d’articulation d’un programme national
(malgré son discours d’inauguration
dans lequel il a refusé les suggestions
prétendant qu’il était en faveur de
l’indépendance5) et le nouveau président
député, Riek Machar, s’est avancé en 1991
quand il a cherché à remplacer Garang en
partie parce que ce dernier n’était pas en
faveur de la sécession. L’engagement – ou
non – de la direction du Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais dans
un programme national n’aura aucune
conséquence importante pour la mise en
œuvre des arrangements de partage du
pouvoir. Une autre dimension de cette
question est comment le Mouvement
de Libération du Peuple Soudanais
s’associera aux partis politiques établis
dans le nord du Soudan. Puisqu’il n’y a
pas lieu de croire que le Mouvement de
Libération du Peuple Soudanais perdra
sa position de prédominance dans le
paysage politique du sud du Soudan, tout
laisse à penser que quelconque alliance
politique conclue par le Mouvement
de Libération du Peuple Soudanais deviendra la force politique prédominante
dans le pays. Ceci explique pourquoi
tant de prétendants de l’ensemble du
paysage politique soudanais flattaient le
Dr Garang. Salva Kiir a hérité du rôle de
faiseur de rois potentiel mais peut ne pas
vouloir consacrer beaucoup de temps à la
politique au niveau national.
La mise en œuvre de l’Accord de Paix
Globale est également une question de
capacité. La différence entre le nord et le
sud est totale. Dans le nord, les capacités
existantes ont été améliorées; dans le sud,
les systèmes doivent être construits pratiquement de rien. Le secteur financier
est un bon exemple. Il y a des banques
dans la plupart des centres commerciaux
dans le nord du Soudan et le système
bancaire est stable. À l’exception des villes
principales dans le sud du Soudan, il n’y
a pas de banques, ce qui veut dire que les
transferts d’argent sont difficiles, que le
public doit transporter de l’argent liquide
et que le secteur commercial n’a aucun
accès aux marchés financiers qui offrent
des prêts à des taux concurrentiels. Il
faudra du temps pour que la capacité
institutionnelle dans le sud du Soudan se
développe, même avec le support élargi
de la communauté internationale.
Conclusion
Deux parties ont négocié l’Accord de
Paix Globale. Les critiques ont accusé le
processus d’être exclusif et d’autres forces
politiques ont exigé d’être incluses. Les
parties ont reconnu que lors de la phase
post conflit, il serait essentiel d’élargir le
processus politique. La préparation et
l’adoption de la constitution temporaire
nationale a démontré à la fois la volonté
d’inclure d’autres groupes et la volonté de
tels groupes à participer. Mais ce n’était
qu’un test et probablement relativement
simple. La crise au Darfur et l’agitation en
effervescence dans les régions de l’est du
pays posent d’autres défis plus considérables. L’Accord de Paix Globale fournit
un cadre pour faire face à ces défis. La
réussite ou l’échec peuvent dépendent
du degré de volonté du nouvel effectif
politique de Khartoum de prendre les
principes du partage du pouvoir et des
richesses.
Endre Stiansen est chercheur à
l’Institut de Recherches sur la Paix
Internationale à Oslo. Il a participé
aux négociations du gouvernement du
Soudan-Mouvement de Libération du
Peuple Soudanais, initialement en tant
qu’observateur norvégien, puis plus tard
en tant que personne ressource sur le
partage des richesses pour le secrétariat
de l’Autorité Intergouvernementale
sur le Développement et la Paix au
Soudan. Aucun des points de vue
exprimés dans cet article ne doivent
être entendus comme les points de vue
du gouvernement norvégien ou de
l’Autorité Intergouvernementale sur le
Développement. Courriel : [email protected].
1 Texte complet à www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/
EVIU-6AZBDB?OpenDocument
2 www.justiceafrica.org/Final_Cease_Fire_agreement.pdf
3 Une note en bas de page explique que le Protocole “est
le texte complet de la proposition se trouvant dans les
<Principes de l>accord d’ Abyei <, présentée par l>Envoyé
Spécial des Etats-Unis, le Sénateur John Danforth, au
Premier Vice Président Ali Osman Mohamed Taha (HE)
et au Président Dr John Garang (SPLM/A)...Les Parties
déclarent, par la présente, adopter ces Principes en tant que
bases pour la résolution du Conflit d’ Abyei.
4 Le CPA confère également 10% des sièges au Parlement
au Parti du Congrès National dans le Sud du Soudan, lui
garantissant de rester une force considérable au Sud du
Soudan.
5 http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4142554.stm.

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