Perspectives sur l`Accord de Paix Globale
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Perspectives sur l`Accord de Paix Globale
25 FMR 24 Les protocoles sur le partage des richesses et des pouvoirs sont au cœur de l’Accord de Paix Globale et constituent les clés de voûte du processus de construction d’un nouveau Soudan L’Accord de Paix Globale (CPA) a émergé d’une crise nationale extrêmement complexe. La guerre civile avait éclaté avant même l’indépendance en 1956; les chiffres de la mortalité rapportent jusqu’à deux millions de morts; les principaux protagonistes représentaient deux idéologies distinctes – l’islamisme et le laïcisme – qui ont nourri des visions du Soudan concurrentes; et les deux parties – le gouvernement du Soudan et le Mouvement/l’Armée de Libération du Peuple Soudanais – savaient qu’elles ne pouvaient pas gagner une victoire militaire directe. L’Accord de Paix Globale1 est radical dans sa proposition de solutions innovantes pour corriger les causes d’origine de la longue guerre civile au Soudan, prudent dans le sens où les principaux problèmes restent irrésolus et conservateur depuis que les parties aux négociations conservent le contrôle dans leurs principales sphères d’intérêts (respectivement le nord et le sud du Soudan). L’Accord de Paix Globale tentait à la fois de porter secours à un pays profondément divisé en abordant les causes d’origine du conflit et pour résoudre des problèmes fondamentaux qui ne pouvaient pas être résolus par la force militaire. Quelles causes d’origines les parties aux négociations ont-elles vues? L’Accord de Paix Globale donne des réponses tout à fait claires. Pendant trop longtemps, le pouvoir politique et économique avait été concentré dans le centre. Le “Nouveau Soudan” exigeait le partage du pouvoir et le partage des richesses. En retour, ceci demandait de trouver les moyens de garantir une représentation centrale de toutes les régions périphériques et de transférer un partage équitable des richesses nationales depuis le centre des régions. Les négociations étaient structurées autour de ces thèmes et les protocoles sur le partage du pouvoir et des richesses forment le cœur des Accords de Paix Globale. La sécurité et les trois zones Cela ne sous-entend pas que les autres protocoles de l’Accord de Paix Globale – l’accord de sécurité et les accords sur les “trois zones” (les zones contestées d’Abyei, des montagnes Nuba et du Nil Bleu) – étaient moins importants. Au contraire, pour le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais, le protocole de sécurité (qui reconnaît le rôle de l’Armée de Libération du Peuple Soudanais en tant que “forces armées régulières, professionnelles et non partisanes”2) était nécessaire, parce que seule l’arrivée de l’Armée de Libération du Peuple Soudanais apporterait une protection suffisante au droit de faire sécession si le peuple du sud du Soudan vote en faveur de la sécession à la fin de la période temporaire de six ans. Les protocoles sur les trois zones étaient également essentiels parce que le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais a toujours déclaré représenter les intérêts de ces zones et ne pas conclure quoi que ce soit de moins que des accords séparés éloignerait de la légitimité du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais. De plus, l’accord des montagnes Nuba/Nil Bleu sont devenus le terrain d’essai de ce que les principes de partage du pouvoir et des richesses signifierait dans le nord du Soudan. Les représentants à la fois du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais et du gouvernement du Soudan ont suggéré qu’un arrangement pour les montagnes Nuba et le Nil Bleu pourrait servir de modèle pour les autres régions dans le pays, telles que le Darfur et la province de l’est. Le protocole sur Abyei forme une partie unique de l’Accord de Paix Globale dans le fait que c’est le seul corps de texte duquel les parties ne revendiquent pas d’être les auteurs.3 C’est significatif et peut indiquer un souhait – par les deux parties – de se distancer de cette partie de l’ensemble de l’accord avec laquelle ils trouveront qu’il est le plus difficile par Endre Stiansen de vivre lorsque la période temporaire de six ans se fermera. Il y a toujours beaucoup d’incertitudes quant à la façon de résoudre le problème d’Abyei – à savoir si elle rejoindra le sud du Soudan (et fera peut-être partie d’un nouveau pays indépendant) ou si elle fera toujours partie du nord du Soudan. Déjà les chefs de certaines tribus arabes dans la région – des circonscriptions importantes du parti dirigeant du congrès national – ont signalé qu’ils ne souhaitent pas faire partie du sud du Soudan. De même, il y a des chefs issus des populations africaines de la région qui insistent pour qu’Abyei soit re-transférée au sud du Soudan. Le rapport de la commission sur la frontière d’Abyei visait à aborder certains des problèmes les plus controversés mais a attisé encore plus les émotions. Si un compromis global avec lequel tout le monde peut vivre n’est pas atteint, Abyei pourrait se transformer en un autre Cachemire. Le partage des richesses et du pouvoir “Pour rendre l’unité attrayante” est une phrase clé de l’Accord de Paix Globale. Au cours des négociations, il est apparu clairement que les parties en avaient une compréhension différente. Pour le gouvernement du Soudan, rendre l’unité attrayante était une responsabilité conjointe et le but ultime des négociations. La position du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais était plus nuancée. Tandis que le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais en tant que mouvement politique encourageait à une réforme totale des structures politiques et économiques de l’ensemble du Soudan, il était bien connu que la plupart des cadres dirigeants du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais, ainsi que la vaste majorité du peuple du sud du Soudan, préféraient une sécession à une unité continue. Pour cette raison, ils ont pensé que la principale responsabilité pour rendre l’unité attrayante reposait sur le gouvernement attitré de Khartoum et les futurs gouvernements nationaux. Par exemple, la continuation d’un système très centralisé de gouvernement SOUDAN Perspectives sur l’Accord de Paix Globale SOUDAN 26 ne rendrait pas l’unité attractive. Le gouvernement du Soudan a donc dû accepter un système de gouvernance qui s’orientait sur une prise de pouvoir réelle des états et des régions. De plus, la direction à prédominance non musulmane du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais n’était pas préparée à vivre sous des lois islamiques et de ce fait le gouvernement du Soudan devait accepter qu’il n’y ait que la loi sharia dans le nord. Les négociateurs du gouvernement du Soudan ont fait des concessions majeures pour rendre l’unité attrayante. Les principes de décentralisation sont au cœur de l’accord et les pouvoirs accordés au gouvernement du sud du Soudan (GoSS) sont étendus. Le protocole de partage des richesses donne au gouvernement du sud du Soudan environ 50% du revenu net du pétrole produit dans le sud du Soudan, privant le trésor central d’une grande partie de la base de ses revenus potentiels. Les prix exorbitants du pétrole ont, dans une certaine mesure, mitigé l’impact de cette concession, mais il faudra du temps pour compenser la perte de revenus. La sécession du sud du Soudan, où la plupart des réserves de pétrole sont supposées avoir été situées, aurait évidemment des conséquences encore plus grandes pour le trésor à Khartoum. Le nouveau Soudan Personne n’a articulé la vision du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais d’un Soudan transformé – le “nouveau Soudan” – avec plus de conviction que feu Dr John Garang. Les ambitions nationales du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais se reflètent dans le protocole de partage du pouvoir. Le président du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais est également premier vice-président du Soudan et les représentants du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais seront désignés à environ un tiers de tous les postes ministériels lorsque le gouvernement de l’unité nationale sera formé. De plus, la composition du service civil national sera réformée pour qu’elle reflète plus la nation en tant que tout. L’Accord de Paix Globale trace également la route au Mouvement de Libération du Peuple Soudanais pour s’établir en tant que force politique à compter avec le nord du Soudan. Jusqu’à ce que les élections soient tenues après environ trois ans, les FMR 24 membres du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais tiendront 10% des sièges dans les législatures des états du nord, servant de tremplin au mouvement pour s’établir en tant que mouvement national.4 La mort soudaine du Dr Garang a conduit beaucoup d’observateurs à se demander su le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais minimisera ses aspirations nationales en faveur de la préparation à une indépendance totale dans six ans. Le nouveau président, Salva Kiir, n’a pas la même expérience d’articulation d’un programme national (malgré son discours d’inauguration dans lequel il a refusé les suggestions prétendant qu’il était en faveur de l’indépendance5) et le nouveau président député, Riek Machar, s’est avancé en 1991 quand il a cherché à remplacer Garang en partie parce que ce dernier n’était pas en faveur de la sécession. L’engagement – ou non – de la direction du Mouvement de Libération du Peuple Soudanais dans un programme national n’aura aucune conséquence importante pour la mise en œuvre des arrangements de partage du pouvoir. Une autre dimension de cette question est comment le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais s’associera aux partis politiques établis dans le nord du Soudan. Puisqu’il n’y a pas lieu de croire que le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais perdra sa position de prédominance dans le paysage politique du sud du Soudan, tout laisse à penser que quelconque alliance politique conclue par le Mouvement de Libération du Peuple Soudanais deviendra la force politique prédominante dans le pays. Ceci explique pourquoi tant de prétendants de l’ensemble du paysage politique soudanais flattaient le Dr Garang. Salva Kiir a hérité du rôle de faiseur de rois potentiel mais peut ne pas vouloir consacrer beaucoup de temps à la politique au niveau national. La mise en œuvre de l’Accord de Paix Globale est également une question de capacité. La différence entre le nord et le sud est totale. Dans le nord, les capacités existantes ont été améliorées; dans le sud, les systèmes doivent être construits pratiquement de rien. Le secteur financier est un bon exemple. Il y a des banques dans la plupart des centres commerciaux dans le nord du Soudan et le système bancaire est stable. À l’exception des villes principales dans le sud du Soudan, il n’y a pas de banques, ce qui veut dire que les transferts d’argent sont difficiles, que le public doit transporter de l’argent liquide et que le secteur commercial n’a aucun accès aux marchés financiers qui offrent des prêts à des taux concurrentiels. Il faudra du temps pour que la capacité institutionnelle dans le sud du Soudan se développe, même avec le support élargi de la communauté internationale. Conclusion Deux parties ont négocié l’Accord de Paix Globale. Les critiques ont accusé le processus d’être exclusif et d’autres forces politiques ont exigé d’être incluses. Les parties ont reconnu que lors de la phase post conflit, il serait essentiel d’élargir le processus politique. La préparation et l’adoption de la constitution temporaire nationale a démontré à la fois la volonté d’inclure d’autres groupes et la volonté de tels groupes à participer. Mais ce n’était qu’un test et probablement relativement simple. La crise au Darfur et l’agitation en effervescence dans les régions de l’est du pays posent d’autres défis plus considérables. L’Accord de Paix Globale fournit un cadre pour faire face à ces défis. La réussite ou l’échec peuvent dépendent du degré de volonté du nouvel effectif politique de Khartoum de prendre les principes du partage du pouvoir et des richesses. Endre Stiansen est chercheur à l’Institut de Recherches sur la Paix Internationale à Oslo. Il a participé aux négociations du gouvernement du Soudan-Mouvement de Libération du Peuple Soudanais, initialement en tant qu’observateur norvégien, puis plus tard en tant que personne ressource sur le partage des richesses pour le secrétariat de l’Autorité Intergouvernementale sur le Développement et la Paix au Soudan. Aucun des points de vue exprimés dans cet article ne doivent être entendus comme les points de vue du gouvernement norvégien ou de l’Autorité Intergouvernementale sur le Développement. Courriel : [email protected]. 1 Texte complet à www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/ EVIU-6AZBDB?OpenDocument 2 www.justiceafrica.org/Final_Cease_Fire_agreement.pdf 3 Une note en bas de page explique que le Protocole “est le texte complet de la proposition se trouvant dans les <Principes de l>accord d’ Abyei <, présentée par l>Envoyé Spécial des Etats-Unis, le Sénateur John Danforth, au Premier Vice Président Ali Osman Mohamed Taha (HE) et au Président Dr John Garang (SPLM/A)...Les Parties déclarent, par la présente, adopter ces Principes en tant que bases pour la résolution du Conflit d’ Abyei. 4 Le CPA confère également 10% des sièges au Parlement au Parti du Congrès National dans le Sud du Soudan, lui garantissant de rester une force considérable au Sud du Soudan. 5 http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/4142554.stm.