liens familiaux des patients visites par l`equipe

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liens familiaux des patients visites par l`equipe
LIENS FAMILIAUX DES PATIENTS VISITES
PAR L’EQUIPE MOBILE DU CAPSID*
Docteur PINELLI A., Praticien Hospitalier – CAPSID – secteur 75G10/11
Le CAPSID, Centre d’Accueil Psychiatrique, de Soin et d’Intervention à Domicile, est un centre
d’accueil situé dans le 12éme arrondissement, ouvert 7 jours /7 dans la journée. Une équipe
d’infirmiers et de médecins est disponible pour recevoir rapidement les personnes souffrant de
troubles psychiatriques et leur entourage afin de proposer une issue thérapeutique à la crise. Nous
privilégions toujours la venue du patient au centre : soit il se présente spontanément, soit il est
accompagné par son entourage. En dernier recours, nous pouvons nous déplacer au domicile
pour une évaluation. De janvier à fin mai 2006, nous avons rencontré 49 patients au domicile. Les
visites à domicile aboutissent soit à une prise en charge ambulatoire (au domicile, au CAPSID),
soit à une hospitalisation dans le service.
Les quelques chiffres qui suivent ne sont pas à prendre comme un travail statistique mais comme
un reflet de notre pratique.
Ces patients rencontrés au domicile vivent seuls dans 70% des cas. Ils sont signalés au CAPSID
par leur psychiatre ou infirmiers référents dans 48% des cas, par le syndic de l’immeuble, le
service social, le gérant de l’hôtel, le gardien dans 24% des cas, la famille dans 16 % des cas
(c’est alors le plus souvent la mère (75%), le père (12,5%) à égalité avec la sœur). Enfin dans 8%
des cas, ce sont les voisins, les amis et le médecin généraliste dans 4% des cas.
Si la majorité de ces patients vivent seuls, la plupart d’entre eux (52%), bénéficient d’un entourage
familiale ; 11% d’un entourage amical (il s’agit alors souvent d’un ou une amie unique)…et 33%
n’ont aucun entourage.
Pour ceux qui vivent en famille, il s’agit majoritairement de la famille qu’ils ont constitué euxmêmes (53% des cas).
Quand le signalement n’est pas émis par l’entourage, nous tentons de rentrer en contact avec une
personne de la famille, afin d’évaluer la situation et de trouver ensemble une possibilité de soin.
Nous rencontrons alors des situations diverses, de parents géographiquement éloignés, qui
vieillissent, des frères, des sœurs qui n’ont plus trop de contacts avec le patient. Cette prise de
contact prend du temps mais permet finalement d’organiser des soins dans d’assez bonnes
conditions, à la fois pour le patient mais aussi pour la famille, soulagée de trouver un interlocuteur
actif. J’insiste sur le fait que nous privilégions la venue du patient au CAPSID. Parfois, nous
demandons à la famille ou à l’entourage de l’accompagner au centre et ceci nécessite souvent
plusieurs entretiens préalables. Sinon, nous nous déplaçons au domicile, accompagnés d’un
proche. Dans tous les cas, nous privilégions le désir du patient d’aller mieux, c'est-à-dire que si le
patient émet une proposition de soins inhabituelle, non conforme à ce que l’on peut (nous ou sa
famille) envisager pour lui, cette proposition sera privilégiée. Si la souplesse permet de mettre en
place un relationnel, des liens, il y a parfois des décisions à prendre et des positions autoritaires à
assumer et cela permet aux familles de s’appuyer sur nous dans ces moments difficiles. Il nous
arrive donc d’adopter une attitude autoritaire et d’organiser, avec l’entourage, une hospitalisation
sous contrainte. Mais nous nous souvenons toujours que la folie apparaît lorsqu’une expérience
subjective est imposée comme une expérience objective, le soin ferait alors partie de cette
expérience partagée, ou expérience commune, décrite par WINNICOTT.
Je vais maintenant évoquer deux situations qui illustrent bien notre façon de travailler avec
l’entourage d’un patient en souffrance, qui ne demande pas de soins.
Mme B., 42 ans, est signalée au CAPSID par le syndic de son immeuble. Depuis plusieurs mois,
les voisins ont noté des troubles du comportement à type de cris, déambulations nocturnes dans
les parties communes, altercations et violence verbales. Elle a jeté ses affaires personnelles par la
fenêtre de son appartement, dont de nombreux CD d’un chanteur connu.
La responsable du syndic m’explique qu’elle connaît un peu cette dame, installée dans l’immeuble
depuis deux ans, suite au décès brutal de son mari. Elle n’avait rien noté de particulier lors de leur
rencontre à la location du logement. Elle a peur que cette personne se défénestre.
A sa connaissance, il n’ y a pas de famille.
Nous envoyons un courrier à la patiente à deux reprises en lui notant que nous pouvons nous
déplacer pour la rencontrer. Elle ne vient pas aux rendez-vous et nous renvoie nos convocations,
après les avoir recouverts d’écrits désordonnés : « J’étouffe à bastille », « J’en ai marre d’être là »,
« Tout déraille », « Ras le bol vraiment », « J’ai tout donné » , «Où habite Pascal OBISPO ? »,
«Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »….
Elle nous envoie, par ailleurs, ses avis de loyers qu’elle ne paye plus depuis plus de six mois, ce
qui n’arrange pas son rapport avec le syndic.
Comme nous en avons indiqué la possibilité dans notre courrier, nous nous rendons au domicile
de Mme B. Elle est là, nous ouvre facilement sa porte, comprend qui nous sommes. Elle dénie ses
difficultés et nous tient un discours totalement désorganisé, sur un ton plutôt véhément. Elle parle
de « capture musicale », « Je suis la moitié de pascal OBISPO », elle refuse tout ce qu’on lui
propose, les soins, l’assistante sociale…. Et nous referme brutalement la porte au nez…
Il n’ y a que la personne du syndic pour signer une demande de tiers pour une hospitalisation sous
contrainte. Elle est consciente de la gravité de la situation mais très réticente à s’engager dans
cette démarche, elle doit réfléchir, elle n’a jamais fait ça auparavant…
Les jours passent et la situation ne s’améliore pas. Les voisins sont excédés et inquiets, la police
se déplace mais « ne peut rien faire », les pompiers aussi…
Et puis la mère de la patiente nous appelle. Elle habite en province, est venue à Paris la semaine
d’avant, finalement prévenue par le syndic, elle a rencontré sa fille qu’elle n’avait pas vue depuis
deux ans. Elle est très inquiète, ne l’a jamais vue « dans cet état » et demande ce qu’on peut
faire. Elle est à Paris dès le lendemain pour nous rencontrer. Connaissant la situation et la
patiente, nous proposons une hospitalisation sous contrainte (Hospitalisation à la demande d’un
tiers). Cette femme désemparée mais soulagée de trouver un interlocuteur à l’écoute, engagé,
prend rapidement la décision de signer cette demande de tiers. Nous intervenons au domicile dès
le lendemain, aidés des forces de Police, à qui j’explique que nous devons éviter un passage à
l’acte autoagressif, nous craignons une défenestration. Face à la Police et devant mon ton
autoritaire, la patiente nous suit sans difficulté, elle est transférée en Hospitalisation à la demande
d’un tiers dans le service. La mère est tenue au courant, elle est très soulagée et nous remercie.
A sa sortie de l’hôpital, Mme B. est suivie au CMP. Une curatelle a été demandée. Elle a pu
récupérer son appartement ; sa mère a payé ses dettes de loyers.
Mme G. est une dame de 88 ans que nous connaissons depuis plusieurs années car elle vient de
temps en temps nous parler de son fils Emile, qui est ce qu’on appelle « un grand schizophrène ».
Ce jour là, elle vient nous dire qu’il a tenté de l’étrangler à 2 reprises.
Emile a 57 ans et vit avec sa mère dans un 2 pièces du 12éme. Il n’est plus suivi depuis 3 ans
mais nous le connaissons car, dans les moments difficiles, il avait l’habitude de venir au CATEB à
l’époque du CATEB… les aventures de la structure, temporairement fermée puis réouverte sous
un autre nom, le CAPSID, si elles ont été compliquées à vivre pour nous, l’ont été encore
davantage pour Emile, et nous n’avons donc plus aucun contact avec lui depuis un an.
Emile a donc tenté d’étrangler sa mère. Il ne sort quasiment plus. Il dort une bonne partie de la
journée et lorsqu’il se réveille exige que sa mère lui procure rapidement son paquet de cigarettes
quotidien.
Il n’a plus de repère, une tante (sœur de la mère) est décédée récemment, tiers important dans la
relation du couple mère-fils.
La mère est très soulagée d’être reçue, écoutée, de pouvoir évoquer ses difficultés. Elle est seule
avec ce fils malade et souhaite « que l’on fasse quelque chose » mais ne veut pas entendre parler
d’hospitalisation, d’ailleurs son fils « n’est pas malade », « juste un peu marginal ».
Nous envoyons un courrier à Emile en lui notifiant que s’il ne se présente pas, nous nous
déplacerons.
Il n’est pas venu au rendez-vous fixé, nous nous sommes donc rendus au domicile.
Emile est content de nous voir, il est très délirant, désorganisé, tendu, les cheveux hirsutes, une
longue barbe blanche, un père Noël aux ongles longs. Me souvenant que, « dans chaque patient,
il y a une partie saine », je répète que nous sommes inquiets de son état, qu’il doit se soigner. Il
refuse d’aller à l’hôpital mais il accepte de prendre devant nous un médicament. Il accepte aussi
de nous revoir le lendemain à son domicile. Les visites à domicile se poursuivent donc pendant
quelques jours. Emile parle avec nous, il est moins tendu, il se remet à sortir. Sa mère est
soulagée du calme revenu à la maison. Emile nous demande « une suspension de séance au
domicile ». Nous convenons alors de l’appeler régulièrement et d’évaluer la nécessité de nous
déplacer.
Nous appelons une fois par semaine : quelquefois, il nous parle. Quand il n’est pas là, sa mère
décroche et nous donne de ses nouvelles. Elle est rassurée de notre présence à distance et sait
qu’elle peut nous joindre facilement.
Au bout de trois mois d’accalmie, elle se présente au CAPSID, désemparée car Emile est de
nouveau menaçant et violent avec elle. Elle ne veut pas appeler la Police en cas de danger. Elle
nous parle aussi de son inquiétude concernant l’avenir de son fils quand elle sera décédée.
Une nouvelle fois, nous prévenons Emile de notre passage et nous nous présentons au domicile,
où nous ne nous attardons pas, mis à la porte et poursuivis dans l’escalier par un Emile échevelé
et hurlant, aux ongles longs et menaçants… Comme vous le savez, prendre en charge les
moments de crise au domicile, c’est savoir ne pas être dans le passage à l’acte, écouter et agir si
nécessaire, et aussi savoir courir vite quand il le faut…
La mère se présente le jour même au centre et accepte, pour la première fois, de signer une
demande d’hospitalisation sous contrainte. Elle est d’accord pour que nous intervenions dès le
lendemain en nous aidant des forces de Police.
L’intervention s’est bien passée. Mme G. nous attend et nous ouvre la porte, un soignant reste et
parle avec elle dans une pièce à côté car la séparation avec son fils est un moment difficile, elle a
besoin d’être soutenue. Emile est quant à lui allongé sur le canapé, il est réveillé, nous l’entourons.
Je lui dis qu’il doit aller à l’hôpital, et, là encore, devant mon ton autoritaire et la Police, il nous suit
sans difficulté.
L’hospitalisation a duré plusieurs mois. Depuis sa sortie, il se rend régulièrement à l’hôpital de jour
et il est suivi au CMP. Sa mère nous a appelé, à plusieurs reprises, pour nous remercier et nous
donner des nouvelles de son fils. Elle est contente qu’il se soigne. Emile passe de temps en temps
nous dire bonjour, il fait allusion à notre intervention au domicile. Il est rassuré de savoir qu’il peut
revenir au centre.
Plusieurs remarques pour conclure : d’abord, concernant notre pratique habituelle. En effet, la
situation de crise appelle une réponse. Est urgence ce que le sujet considère comme telle. C’est
en adoptant une position de « modérateur engagé » et en proposant une réponse à la situation de
crise que pourra se construire, pour le patient, aussi bien une demande de soins que la décision
de ne pas aller plus loin. Pour une famille inquiète, engluée dans la crise, ne pas être renvoyée sur
« les pompiers », « SOS psy »…mais être reçue rapidement par un interlocuteur qui écoute, qui
peut agir, cela permet souvent de diminuer la tension. Nous adoptons ce rôle de « modérateur
engagé » avec les familles pour revenir, dès que possible, à une position d’écoute, plus en retrait
avec le patient. Les deux interventions à domicile que je viens d’évoquer ont abouti à des
hospitalisations sous contraintes, nous avons adopté une position autoritaire, qui n’est jamais
facile à vivre, mais pourtant indispensable : le clinicien doit faire comprendre à la personne en
souffrance et à la famille qu’il va faire le nécessaire pour les aider et qu’il prendra les mesures qui
s’imposent quelles qu’elles soient. Une fois la décision prise d’hospitalisation, elle doit être menée
avec le maximum d’organisation et la marche à suivre doit être présentée au patient et à sa famille
de manière ferme mais positive. Il est rassurant pour tout le monde que la démarche
d’hospitalisation soit conduite de façon humaine mais très organisée : une mauvaise organisation
ou un manque de détermination de la part des soignants risque de provoquer une recrudescence
d’acting-out chez le patient.
Ensuite, précisons que le nombre d’Hospitalisation d’Office a diminué dans le service, au profit des
Hospitalisations à la demande d’un tiers, les familles interviennent donc davantage dans la prise
en charge de leur proche.
Enfin, si certains d’entre nous gardent en tête l’image d’une famille idéale avec un père, une mère,
des enfants…. la réalité est souvent différente : la majorité des patients en crise pour lesquels
nous nous sommes déplacés au domicile ont des familles mais vivent seuls. Ils ne sont
évidemment pas épargnés par les conséquences de cette société dite « moderne » dans laquelle
la famille est décomposée, ou, restons optimiste, en cours de recomposition.
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* Docteur PINELLI A., Praticien Hospitalier – CAPSID – secteur 75G10/11
* Docteur SEGUIER N., Praticien Hospitalier – CAPSID – secteur 75G10/11
Service du Docteur VIDON G.