Comment deVeLopper Les CompetenCes
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Comment deVeLopper Les CompetenCes
Comment dEvelopper les compEtences en matière de diversité culturelle? culturelles des cadres et des employés en la matière, puisque l’expérience montre que les intégrations réussies reposent sur des changements dans les savoir-faire et les savoir-être. Pourtant, bien souvent, les programmes de formation à la diversité donnés par les organisations à leurs membres échouent ou manquent leurs objectifs et sont considérés par les employés comme superficiels et peu adaptés (Nancherla, 2008). Les auteurs Vincent Calvez et Yih-teen Lee1 A ujourd’hui, la main-d’œuvre est de plus en plus diversifiée culturellement alors que l’histoire et l’expérience nous montrent que les personnes ont tendance à valoriser ce qui leur ressemble et à rejeter ce qui diffère d’eux ou, au mieux, à le tolérer. On parle alors d’ethnocentrisme, soit de la tendance à privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence. Ainsi, de façon plus ou moins consciente, le milieu de travail est propice à l’apparition de l’incompréhension et d’iniquités plus ou moins sournoises, systémiques et démobilisatrices qui entraînent la non-reconnaissance et la non-intégration des personnes. En France, selon une étude de la Haute autorité de lutte contre la discrimination à l’emploi (HALDE), près de 30 % des participants affirment avoir été témoins d’une discrimination au cours des 12 mois précédents, un des motifs de discrimination les plus cités étant l’âge. Selon une autre source, «un Français, fils d’Algériens, a une probabilité cinq fois plus importante d’être au chômage qu’un Français, fils de Français» (Sabeg et Charlotin, 2006). Les nouveaux milieux de travail «mondialisés» nécessitent, de fait, des compétences culturelles aptes à compléter l’exper tise technique des professionnels. Elles peuvent permettre aux travailleurs de saisir le sens implicite, souvent caché, des situations culturelles nouvelles, de réagir de manière appropriée et de faire face au stress et aux émotions diverses provoqués par les conflits de normes et le sentiment d’incertitude qui les engendre. Ces compétences sont devenues aujourd’hui indispensables tant aux dirigeants d’entreprise qu’à chaque travailleur œuvrant au sein d’une organisation, quels que soient sa taille et son secteur. Cela dit, il faut admettre que les connaissances relatives aux compétences culturelles sont aujourd’hui embryonnaires. De surcroît, des vues divergentes existent quant à leur nature même. Ces compétences sont-elles universelles ou spécifiques? Sont-elles assimilables à des traits personnels, par exemple aux traits de personnalité? Peut-on les développer? Si oui, dans quelle mesure et par quels moyens? Est-il possible de les développer comme on développe, par exemple, les compétences d’un ingénieur? Existe-t-il des facteurs qui, sur le plan collectif, influent sur l’exercice de ces compétences? Disposet-on de méthodes ou de connaissances suffisantes pour évaluer les compétences culturelles d’un individu et lui proposer ensuite une formation adéquate? Voilà autant de questions auxquelles les organisations doivent trouver des réponses. Aussi, comment peut-on vivre le monde dans sa diversité, sans ses exclusions coûteuses pour tous? Quel type de compétences faudra-t-il aux dirigeants et aux gestionnaires pour animer leurs équipes de plus en plus métissées et multiculturelles et pour établir des pratiques de gestion adaptées à la diversité? En effet, il importe de développer les compétences Cet article vise à aider les gestionnaires et les dirigeants à déterminer les compétences nécessaires pour intégrer la diver sité dans l’entreprise. Notre propos s’appuie sur des exemples réels d’organisations avant-gardistes en matière d’intégration du personnel diversifié. Nous offrons également des pistes de réflexion permettant d’affiner certains aspects du savoir en Vincent Calvez est professeur au Groupe ESSCA, [email protected]. Yih-teen Lee est professeur à l’IESE Business School, Universidad de Navarra, [email protected]. Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 83 Respecter les lois Le paysage législatif international ne cesse d’évoluer et les organisations ont le devoir de se conformer aux lois. Au niveau international, la non-discrimination est un principe fondamental rappelé dans la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du travail de 1998. Les États sont tenus de respecter ce droit même s’ils n’ont pas ratifié les conventions n° 100 sur l’égalité de rémunération entre hommes et femmes et n° 111 sur la discrimination en matière d’emploi et de profession. En France, le Code du travail (article L-122-45) précise les motifs et les pratiques discriminatoires. Le traité d’Amsterdam (1997, article 13) a déclenché pour les pays de l’Union européenne l’obligation de se doter de politiques publiques de lutte contre les formes de discrimination. La Première Directive européenne (2000/43/CE) porte sur la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Quant à la Deuxième Directive européenne (2000/78/CE), elle a créé un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (Mutabazi et Pierre, 2008). En ce qui a trait à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, elle a étendu le nombre de motifs discriminatoires pour inclure des éléments comme l’âge, l’ethnie, le sexe, les capacités physiques, la race, l’orientation sexuelle, l’éducation, la localisation géographique, la situation de famille, le patrimoine, le statut militaire, le statut parental, la religion et l’expérience de travail (Point et Singh, 2005). Le cas de la multinationale Sodexo Ce leader mondial de la restauration d’entreprise vise à devenir une référence en matière de diversité. Il a aussi pour objectif de doubler ses effectifs en 10 ans. Les actions mises en place pour promouvoir la diversité sont nombreuses, et les conditions semblent réunies pour permettre une bonne inclusion de la diversité dans cette organisation. En effet, la haute direction soutient activement le projet. La diversité est devenue un axe stratégique majeur et un des premiers facteurs de différenciation pour cette multinationale. Les ressources allouées sont importantes : une direction entière dédiée à la diversité, des milliers d’heures de formation, des colloques, des magazines internes, des objectifs chiffrés, etc. Les pratiques de Sodexo semblent adéquates tant au point de vue qualitatif – elle mène des actions sur tous les plans en manifestant un besoin réel de diversité – qu’au point de vue quantitatif – elle se donne les moyens de ses ambitions. Le cabinet de conseil en ressources humaines Hewitt a fait une enquête en 2008 afin de connaître la perception des employés au sujet de ce grand projet. L’enquête démontre que seulement 40 % d’entre eux jugent la démarche positive. Près de deux employés sur trois trouvent la démarche abstraite et ne la vivent pas au quotidien. Ces résultats indiquent-ils un syndrome du beau projet éthique de la direction sans débouchés concrets ou illustrentils plutôt la difficulté à faire évoluer les croyances? Issu du milieu masculin et blanc de la cuisine française, Sodexo se heurte aujourd’hui aux perceptions bien ancrées de ses employés. Même si la conduite du changement va aujourd’hui dans le bon sens, la problématique est ici psychosociale : comment faire évoluer les stéréotypes et les représentations d’un groupe? Comment faire évoluer la culture d’un secteur de métier traditionnel? Préserver et améliorer l’image d’employeur Si la question de la diversité n’est pas comprise et traitée, cela risque de porter atteinte à l’image de l’entreprise. Au niveau étatique, un exemple extrême et bien connu demeure celui de l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid, ce qui a abouti au boycottage de ce pays par une grande partie de la communauté internationale. Les entreprises occidentales qui continuaient de commercer avec l’Afrique du Sud étaient désignées à la vindicte publique. En France, certains préjugés négatifs entourent toujours la présence de l’entreprise pétrolière Total en Birmanie, pays régi par une dictature. Parmi d’autres exemples des désavantages liés au non-respect de la diversité, citons les millions de dollars payés par AT&T en 1973 à 2 000 employés noirs qui ont subi de la discrimination (Mutabazi et Pierre, 2008 : 52). matière de compétences culturelles. Pour ce faire, nous proposons un cadre général susceptible de servir de point de départ pour l’acquisition de compétences culturelles. Dans la première partie de l’article, nous nous demandons pourquoi il faut développer des compétences en matière de diversité culturelle. Dans la deuxième partie, nous faisons un tour d’horizon des compétences que les organisations doivent acquérir pour mieux comprendre et intégrer la diversité culturelle. Puis, dans la troisième partie, nous nous tournons vers les compétences qui sont nécessaires aux membres de l’organisation pour relever le défi de la diversité. Enfin, dans la quatrième partie, nous voyons comment il est possible de favoriser le déploiement des compétences individuelles en matière de diversité. L’image est un enjeu pour tous les types d’organisations. Rappelons, par exemple, le climat de racisme et d’exclusion qui a terni l’image du baseball professionnel aux États-Unis. La politique non écrite qui excluait, jusqu’en 1947, les joueurs afroaméricains et latino-américains était nommée «la frontière de la couleur dans le baseball». Des équipes ont cependant poursuivi de façon informelle cette politique de non-intégration. Ainsi, les Red Sox de Boston traînent, selon leur propriétaire Larry Lucino, «un héritage indéniable d’intolérance raciale». Les propriétaires de l’équipe ont, des années plus tard, pris conscience de la nécessité d’affronter ce passé afin de changer l’image de l’entreprise auprès de la communauté afroaméricaine en lançant différents programmes de formation, de dons d’équipements et de travail avec les associations2. i Pourquoi développer des compétences en matière de diversité culturelle? Il est important que les organisations acquièrent des compétences en matière de diversité culturelle en vue de se conformer aux lois, de préserver et d’améliorer leur image d’employeur ainsi que d’accroître la créativité, la compétitivité et le développement des affaires. 84 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Accroître la créativité, la compétitivité et le développement des affaires obtenir la participation des dirigeants, concevoir et communiquer une vision, fixer des objectifs ou encore se doter des compétences individuelles et organisationnelles nécessaires. De nombreuses entreprises ont bien compris l’avantage d’une gestion intelligente de la diversité et l’ont inclus dans leur stratégie. Plutôt que d’une approche strictement défensive, nous parlerons d’une approche proactive. Ainsi, L’Oréal perçoit l’intérêt qu’il y a, grâce à son personnel multiculturel, de pouvoir anticiper et intégrer, pour ses lignes de produits, les différentes sensibilités et les besoins futurs des consommateurs de nombreux pays. La politique de recrutement se focalise donc sur la diversité des profils devant être présents à tous les niveaux de l’organisation de manière à refléter la diversité des clients et à apporter de nouvelles perspectives d’affaires. Le tableau 1 compare quatre organisations chefs de file en matière de diversité : Verizon, Google, L’Oréal et Sodexo. Plus précisément, il présente les problématiques et les décisions, les catégories de personnel concernées par cette démarche, les objectifs visés, les ressources allouées, les pratiques adoptées, la communication effectuée ainsi que des statistiques indiquant les résultats des efforts déployés en matière de diversité. L’expérience de ces grandes entreprises montre qu’elles ont entrepris les actions suivantes en vue d’établir une culture favorable à la diversité : • Elles ont fait un audit de la culture de l’organisation (symboles, histoire, croyances, traditions, etc.) afin de relever les obstacles potentiels. Selon les écrits sur le sujet, les entreprises soucieuses du respect de la diversité culturelle accordent des promotions aux personnes les plus talentueuses, conservent mieux leur personnel et abaissent donc de façon importante leurs coûts de recrutement. Pour Richardson (2004), la pratique de la discrimination, en plus d’être non éthique, mène à la discorde dans le lieu de travail. Des liens sont également établis entre l’appréciation des efforts de l’entreprise pour prendre en compte la diversité et la satisfaction globale des employés. Ces derniers seront davantage portés, par la suite, à recommander leur entreprise à d’autres candidats potentiels. Sur les avantages économiques, de récentes études conduites auprès d’agences fédérales américaines démontrent le lien fort existant également entre le fait de prendre en considération la diversité dans les pratiques de gestion et la performance des groupes au travail (Pitts, 2009). Un sondage Gallup effectué dans le cadre du quarantième anniversaire de la Civil Rights Act aux États-Unis révèle de plus que la loyauté envers l’organisation est aussi liée fortement aux efforts perçus par les employés à ce sujet. Cela amène Susan Meisinger, présidente de la Society for Human Resource Management, aux ÉtatsUnis, à dire que l’engagement en faveur de la diversité dans le lieu de travail n’est pas seulement «une obligation politique ou morale reconnue, mais aussi une nécessité pour les affaires» (Butler, 2006). • Elles ont précisé les compétences à développer pour pouvoir recruter, intégrer et conserver les divers profils souhaités. • Elles ont déterminé si ce sont les individus ou l’organisation tout entière qui doivent acquérir les compétences. • Elles ont établi les actions de formation qui permettront d’acquérir les compétences (programmes d’information, de sensibilisation, formations pratiques, etc.). • Elles recherchent un équilibre entre philanthropie et efficacité. • Elles ont inclus la diversité dans la stratégie en fixant des objectifs en la matière et en instaurant un programme de reconnaissance pour leur atteinte. • Elles pensent «ergonomie du travail» afin que le travail demandé puisse s’adapter à de nouveaux profils (flexibilité des horaires, aménagement physique, accès, etc.). • Elles ont rendu concrète la vision de la direction. • Elles communiquent et informent de manière constante et pertinente sur la diversité. • Elles rendent l’organisation «apprenante» en matière de diversité par le biais de communautés de pratique, du dialogue, de conférences, etc. i L’acquisition de compétences en matière de diversité culturelle par les organisations Aux fins de cet article, une compétence est un ensemble de connaissances, de techniques, de méthodes, d’attitudes et de comportements qu’on peut mobiliser dans une situation de travail afin d’atteindre un objectif professionnel. En matière de diversité, les compétences doivent être déployées tant au niveau organisationnel qu’au niveau individuel. En ce qui concerne les compétences que les organisations doivent mettre en œuvre, nous avons analysé la documentation ainsi que les initiatives que prennent les organisations exemplaires en la matière. Les bonnes pratiques de gestion à adopter et les compétences organisationnelles à déployer dans une démarche liée à la diversité sont sensiblement analogues à celles que l’on recommande d’adopter dans la gestion de projet ou la conduite du changement. Par exemple, il faut Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 En somme, comme le résume le tableau 2, la création d’un milieu favorable à la diversité nécessite de relever trois compétences comportant chacune des objectifs et des actions particuliers : savoir surmonter les obstacles, savoir fixer des règles équitables et savoir tirer parti des différences. i L’acquisition de compétences en matière de diversité culturelle par le personnel Cet incident montre que, au-delà des compétences organisationnelles, le déploiement d’une culture favorable à la diversité nécessite de développer les compétences du personnel, notamment celles des superviseurs et des gestionnaires. Pour pérenniser une démarche liée à la diversité, les acteurs devront acquérir de nouvelles compétences. Celles-ci comprennent 85 86 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Tableau 1 Âge Origine ethnique Orientation sexuelle Sexe Attirer et conserver des employés issus des minorités. Parler la langue du client. Respecter et promouvoir le style de vie des clients. Chercher constamment ce que veut le client issu de la diversité. Objectifs visés Le tiers du marché est multiculturel et les deux tiers sont hispaniques. Le pouvoir d’achat des Afro- Américains, des Hispaniques, des homosexuels et des handicapés est estimé à 2,5 trillions pour 2010. Les entreprises dirigées par des femmes ou des personnes issues des minorités croissent rapidement. La force de vente ressemble aux clients, parle leur langue et comprend leurs besoins. Catégories concernées par la diversité Problématiques et décisions Verizon Les utilisateurs anglophones ne représentent que 30 % : pour être compétitive, Google doit parler toutes les langues. Les produits et les services sont destinés à une clientèle mondiale et diversifiée. Un avantage stratégique pour Google est que les équipes reflètent la diversité des clients et des fournisseurs. Les équipes diversifiées permettent de confronter les idées et d’innover. Elles améliorent la cohésion et la productivité. Google veut être une entreprise locale dans chaque pays pour mieux comprendre les utilisateurs. Google Favoriser l’accès aux femmes à des postes de responsabilité et la parité dans toutes les fonctions. Favoriser l’emploi des personnes handi capées. Miser sur la diversité culturelle des salariés, rallonger les parcours professionnels, valoriser l’expérience pour prévoir l’allongement de la durée de la vie professionnelle. Nationalité Origine sociale et ethnique Sexe Handicap Âge Dans le secteur de la grande consommation, la clientèle est de plus en plus diverse. Les équipes doivent refléter cette diversité. L’Oréal donne une image d’entreprise ouverte sur le monde et sur les multiples talents. Il faut comprendre le client, développer des produits en phase avec celui-ci et prévoir ses besoins. Les équipes doivent être créatives, élargir leur champ de réflexion et avoir une vision globale du marché. L’Oréal Sodexo Favoriser la parité à chaque niveau de qualification en privilégiant la formation et l’évolution de carrière des femmes. Favoriser la motivation et l’évolution professionnelle quel que soit l’âge. Favoriser l’embauche et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées. Assurer à tous les niveaux de l’entreprise une meilleure représentation multiculturelle. Être la référence en matière de diversité, pour attirer et fidéliser les clients. Faire passer la représentation des femmes de 18 % à une fourchette de 23 % à 25 % d’ici à 2012. Handicap Générations Femmes Minorités Pour Sodexo, la diversité est plus qu’une obligation morale ou un objectif sociétal : c’est un impératif économique qui détermine sa capacité d’attirer et de fidéliser les talents, d’accroître l’engagement de ses collaborateurs et de proposer des solutions qui améliorent la qualité de vie des clients. Le milieu de la cuisine française est essen tiellement blanc et masculin. Selon le président, «la diversité est un facteur de différenciation». qui mène au succès. Plus Sodexo intégrera des salariés issus de la diversité, plus ses équipes se différencieront sur le marché et créeront des solutions innovantes pour des consommateurs diver sifiés. Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 87 Tableau 1 Pratiques adoptées Ressources allouées Verizon encourage le développement des entrepreneurs issus des minorités. Elle encourage ses fournisseurs à traiter avec des fournisseurs issus de la diversité. Elle emploie de petites entreprises d’investissement spécialisées dans l’aide aux minorités. Elle a créé des groupes-ressources pour les employés issus de la diversité. Elle a créé des équipes de marketing issues de la diversité qui mènent des programmes de recherche sur le marché des minorités. Elle a établi des indicateurs de la per formance analogues aux indicateurs économiques classiques : les hauts dirigeants sont incités à atteindre leurs objectifs à court terme en matière de diversité. Engagement de la haute direction (objectif lié à la performance en matière de diversité). Création d’une direction chargée de la stratégie en matière de diversité. La diversité influe sur le développement des ressources humaines, les relations avec les fournisseurs, le développement marketing et la philanthropie. Verizon Google a mis sur pied des groupesressources pour les employés issus de la diversité. Google L’Oréal établit des partenariats avec des universités, des associations et des cabinets de recrutement engagés dans la diversité. Elle participe à des forums de recrutement dédiés à des candidats féminins ou issus de groupes minoritaires. Elle acquiert un réflexe diversité dans le travail quotidien. Elle a donné une formation de 2 jours aux 8 000 gestionnaires en Europe pour favoriser la mise en place de la politique de diversité. La moitié des recruteurs ont été sensibilisés à la diversité, dans des séminaires de formation. Les gestionnaires ont aussi été formés en matière de diversité. Elle donne des outils pour intégrer et gérer la diversité au sein de ses équipes. Le directeur général communique et donne le ton. Il existe une direction mondiale de la diversité. 10 000 gestionnaires de la diversité sont formés (sensibilisation et découverte des outils pour favoriser l’inclusion). Une chaire Diversité et performance permettra la formation de gestionnaires sensibilisés à l’importance de la diversité. 23 Observatoires de la diversité et de la cohésion sociale, en France, visent à promouvoir le respect de la diversité et de la non-discrimination. Un Observatoire au niveau international est créé. L’Oréal Sodexo mesure les progrès quantitatifs et qualitatifs de ses efforts pour attirer, déve lopper et fidéliser des ressources humaines compétentes et diverses. Elle a lancé de nombreuses initiatives formelles et informelles de flexibilité du travail dans de nombreux pays. Sodexo Belgique pilote un programme de formation destiné à apporter des compétences et à fournir des outils de gestion relativement à un environnement de travail inclusif. Plus de 700 gestionnaires seront formés. Sodexo World se penche sur la cohabitation des générations au travail et la communication interculturelle. La réussite du travail de Sodexo Canada avec les populations aborigènes est devenue une référence pour Sodexo dans le monde entier. Depuis plus de 20 ans, il y a eu 22 partenariats et des investissements dans des programmes de formation et de développement Le groupe de travail global Diversité et inclusion a été constitué en 2006 pour mettre en œuvre des initiatives relatives à la diversité dans les activités de Sodexo à travers le monde. Il y a une direction de la diversité Europe et un responsable des «projets diversité» dans chaque direction des ressources humaines. Le deuxième Global Inclusion Summit de Sodexo a réuni à Paris, en 2008, plus de 200 dirigeants et 25 clients. Comité exécutif Sodexo Europe : les dirigeants et les hauts potentiels féminins participent à un programme de parrainage. 18 000 cadres et 24 500 collaborateurs ont été formés en 2008. Sodexo Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité (suite) 88 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Tableau 1 Presse Site Web se l’entreprise Participation à de grands événements culturels touchant les minorités 20 % d’Afro-Américains 5 % d’Asiatiques 65 % de Blancs 9 % d’Hispaniques 1 % d’Amérindiens 59 % de femmes (30 % dans la haute direction) 35 % de minorités (17 % dans la haute direction) Communication effectuée Statistiques Verizon Site Web se l’entreprise Presse Film interne Concours de recrutement Gay Pride Google 54 % de femmes cadres, 34 % de femmes au comité de direction 112 nationalités 60 % de non-Français dans le comité de direction 20 % de l’ensemble des gestionnaires issus de minorités visibles aux États-Unis 33 % de l’ensemble des collaborateurs issus des minorités aux États-Unis Presse Magazine interne sur la diversité Site Web se l’entreprise Site de recrutement Événements : journée des personnes handicapées, soirées de remise de prix sur la diversité L’Oréal 128 nationalités Les femmes représentent : – 57 % des effectifs – 44 % de l’encadrement – 22 % du comité exécutif du groupe – 28 % du conseil d’administration – 23 % des cadres dirigeants 800 salariés atteints d’un handicap chez Sodexo France 75 «contrats à durée indéterminée», 30 apprentis, 200 stagiaires recrutés chaque année Site Web de l’entreprise Film I am Sodexo, accompagné d’un guide, distribué aux équipes dirigeantes à travers le monde. Un bulletin d’information trimestriel renseigne sur les actions, les bonnes pratiques, les objec tifs et les résultats en matière de diversité. Programme de webinaires trimestriels. Sodexo Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité (suite) Tableau 2 Compétences organisationnelles permettant de créer une culture favorable à la diversité Savoir surmonter les obstacles Savoir fixer des règles équitables Savoir tirer parti des différences Objectifs Objectifs Objectifs Créer une organisation inclusive où tous les employés ont les mêmes chances. Créer une organisation inclusive où tout le monde a les mêmes chances. Reconnaître les différences et voir en elles des forces. Travailler sur un groupe cible à la fois. Recruter les meilleurs candidats, sans égard à leurs différences. S’assurer que la culture organisationnelle valorise tous les styles. S’assurer que les règles d’admissibilité et de promotion favorisent la diversité. Solliciter les opinions de tous les groupes. Analyser les attitudes négatives apprises et examiner ses propres préjugés. Intégrer des personnes issues de la diversité. Promouvoir les décisions qui tirent parti du bagage culturel. Apprendre à apprécier les différences au lieu de chercher à les réduire. Actions Actions Actions Donner une formation pour saisir ce que le groupe cible ressent et apprendre à reconnaître les préjugés négatifs. Supprimer les désavantages (aménager l’accès au lieu de travail, etc.). Faire des réunions et des activités visant la formation d’équipes. Examiner les pratiques formelles et informelles pour déceler des signes de favoritisme. Assurer une formation axée sur la confiance en soi, la résolution de problèmes, etc. Créer des mesures correctives visant la valozrisation des différences. Apporter un soutien individuel pour régler les problèmes. Assurer une formation pour promouvoir le respect des différences. Établir des programmes de mentorat et de développement de carrière. Donner une formation en histoire culturelle et sociale de divers groupes. Faire preuve de transparence dans les politiques de recrutement et de promotion. Réviser les politiques et les procédures afin d’accélérer le recrutement et la promotion de candidats issus des groupes cibles. Assurer la flexibilité du travail. Annoncer les postes et les emplois pour attirer des candidats de tous les horizons. rellement différentes de lui-même, et d’agir d’une manière acceptable de leur point de vue de manière à faciliter la communication et la collaboration3. Un incident à L’Oréal Sur le plan pratique, les compétences en matière de diversité culturelle sont nombreuses. Parmi celles-ci, mentionnons les suivantes : gérer une équipe interculturelle, être empathique à l’égard de l’autre, travailler à la cohésion d’une équipe, intégrer les nouveaux collaborateurs de façon innovante, informer une équipe sur la diversité, former les collaborateurs, faire preuve de pédagogie, gérer les conflits entre personnes de sensibilités et de milieux différents, gérer les conflits liés à la diversité (racisme, incompréhension, sentiment d’injustice), transformer une équipe en une organisation apprenante, susciter l’échange entre les membres d’une équipe, communiquer au sein d’une équipe interculturelle et intergénérationnelle. Ces savoir-être et ces comportements peuvent contribuer à établir une réelle intégration au sein d’un groupe. À travers leur communication et l’exemplarité de leur gestion, les gestionnaires doivent faire comprendre au quotidien que l’autre n’est pas différent, qu’il ne constitue pas une menace, qu’au contraire il est une valeur ajoutée pour l’organisation. En 2005, l’une des entités de cette multinationale, Garnier, a envoyé une télécopie à l’agence de recrutement Adecco. Cette télécopie, censée expliquer le poste et les attentes en matière de profil, comportait la mention «des animatrices BBR». Par BBR, il faut comprendre «bleu-blanc-rouge», soit les couleurs de la France. L’entreprise Garnier s’est défendue en affirmant que «BBR» signifiait simplement, pour elle, «sachant s’exprimer correctement en français». Les employés d’Adecco, quant à eux, avaient interprété ces initiales comme signifiant «pas d’étrangers». En d’autres termes : pas d’animatrices de couleur. L’Oréal affirmait pourtant avoir sensibilisé et formé la moitié de ses recruteurs à la diversité en 2005. Le directeur de la diversité monde affirme que c’est une pratique condamnable et contraire aux principes de l’entreprise. les compétences culturelles, qu’on peut définir comme étant l’ensemble des connaissances, des habiletés et des capacités qui permettent à un individu de comprendre les comportements, les valeurs et les représentations de personnes cultu- Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Sur le plan des recherches sur les compétences culturelles, bon nombre de chercheurs ont tenté de relever les traits personnels qui distinguent les cas de réussite et les cas d’échec 89 dans l’expatriation ou qui sont à la base de ce qu’on peut appeler l’intelligence culturelle4. La liste des compétences culturelles clés est longue : la volonté de communiquer, la capacité de décoder et de comprendre les comportements des étrangers, les connaissances culturelles, la capacité de gérer le stress et de résoudre les conflits, le questionnement critique, la capacité linguistique, la curiosité culturelle, la tolérance à l’incer titude et à l’ambigüité, la flexibilité, la patience et l’empathie culturelle. Plusieurs auteurs citent des traits de personnalité clés comme la stabilité émotionnelle, l’extraversion, l’ouverture aux expériences, l’initiative sociale, le souci des autres, la confiance en soi, l’autonomie, l’ethnocentrisme (qualité négative), la créativité et la capacité d’adaptation. compétences inopérantes. Dans cette partie, nous visons à dépasser la simple liste des compétences culturelles de nature statique afin de mieux saisir la dynamique de leur mise en œuvre en milieu de travail aux niveaux individuel, de groupe, organisationnel et culturel. Pour ce faire, nous insistons sur l’importance de l’identité culturelle et du contexte de travail (groupe, organisation, culture). Promouvoir l’identification à la culture d’origine et à celle des autres La notion d’identité culturelle aide à comprendre le déploiement des compétences culturelles. L’identité renvoie à une définition de soi visant à répondre à la question «qui suis-je?» ainsi qu’à un sentiment d’appartenance à un groupe (Tajfel et Turner, 1979). Le schéma 1 présente quatre configurations de l’identité culturelle susceptibles d’expliquer dans quelle mesure un individu mobilise ses compétences culturelles en contexte de travail. C’est cependant Earley et Ang (2003) qui offrent le modèle le plus intégré relativement aux compétences culturelles. Selon eux, elles comptent trois dimensions, à savoir les dimensions cognitive, émotionnelle et comportementale (voir le tableau 3). Autrement dit, les compétences culturelles ne sont pas qu’une question de compréhension ou de connaissance. Elles sont aussi liées à une capacité de transformation de la manière de penser (une croissance et un enrichissement de la capacité cognitive), à un engagement émotionnel ainsi qu’à une capacité d’agir adéquatement dans des contextes concrets. Deux dimensions de l’identité interagissent pour déterminer le niveau de compétences culturelles : une identification culturelle à sa propre culture d’origine et une identification culturelle à une culture spécifique ou à d’autres cultures que la sienne. Certains chercheurs ont défini cette dernière comme étant une «identité globale» (global identity) (Shokef et Erez, 2006), voire une «mentalité globale» (global mindset) (Maznevski et Lane, 2003). Prenant ces deux dimensions de l’identité comme autant d’axes, nous présentons les configurations liées à l’identité culturelle dans le schéma 1 d’une manière dichotomique qui est assurément simpliste, mais qui permet de saisir l’aspect dynamique des compétences culturelles. i Comment favoriser le déploiement des compétences individuelles en matière de diversité? Tableau 3 Nous avons vu que les compétences culturelles sont souvent envisagées comme des traits personnels apparemment peu modifiables. De plus, les chercheurs ignorent couramment les variables contextuelles qui risqueraient de rendre ces On peut sans doute imaginer facilement que les personnes ayant une forte identification culturelle à soi et une forte iden- Les trois dimensions des compétences culturelles à développer chez le personnel Dimension cognitive : Cette compétence inclut les aspects généraux et spécifiques (particuliers à un groupe donné) des connaissances culturelles. Dans la rencontre interculturelle, il convient d’abord d’appréhender les différences culturelles à travers les normes et les valeurs des autres, pour ensuite agir adéquatement. Cette dimension porte surtout sur la capacité cognitive d’acquérir ces connaissances concrètes (que les auteurs appellent aussi «mégacognition»); il s’agit d’une capacité particulière de raisonnement, d’une capacité d’appréhender et d’accepter les informations incompatibles avec notre cadre «normal», et de les interpréter correctement. Elle représente une capacité (ou ressource cognitive élevée) de rester sensible et attentif aux indices culturels souvent implicites (mindfulness, selon Thomas, 2006). Dimension émotionnelle : Face à l’incertitude, au stress, à l’hostilité et à la peur déclenchés par l’interaction interculturelle, le désir d’entrer dans une interaction interculturelle et de relever les défis dans la mobilisation des efforts cognitifs et émotionnels joue un rôle important dans sa réussite. Plus précisément, cette dimension motivationnelle est la force qui nous pousse à sortir de notre «zone de confort» et à entreprendre les efforts nécessaires pour comprendre les autres et contrôler les émotions négatives envers ces derniers à cause des différences culturelles (sentiments d’hostilité, d’être dérangé ou menacé). Deux éléments contribuent à cette compétence motivationnelle : l’efficacité et la confiance en soi (Earley et Ang, 2003) de même que l’ouverture aux autres cultures (Ang et al., 2006). Dimension comportementale : Être compétent culturellement revient aussi à appliquer les savoirs et les connaissances particuliers dans des contextes précis en manifestant des comportements culturellement adéquats. En fait, il y a deux niveaux de dynamique. Premièrement, avant d’adopter les comportements exigés, on procède souvent à une série de négociations en déterminant les règles appropriées du comportement dans une rencontre; deuxièmement, une fois les règles du jeu définies (résultant en partie des jeux de pouvoir), on applique les règles pour s’adapter et intégrer ces comportements. Généralement, cette dimension comportementale est en lien avec les connaissances, comme le fait de parler la langue de l’autre culture et d’assimiler les styles de gestion et de communication. Source : Early et Ang (2003). 90 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Schéma 1 Les quatre configurations de l’identité culturelle des personnes Forte Déphasage culturel Compétence multiculturelle Enfermement culturel Narcissisme ethnocentrique Identification à soi et aux autres cultures Faible Faible Forte Identification à la culture d’origine tification aux autres cultures (une «identité duelle») sont les plus compétentes dans l’interaction interculturelle (ce qui est la compétence multiculturelle). Cette identité duelle peut aider à acquérir de solides compétences culturelles dans les trois dimensions définies par Earley et Ang (2003). Premièrement, les individus possédant ce type d’identité peuvent accroître leur complexité cognitive (Benet-Martínez et al., 2006), ce qui facilite une compréhension profonde des autres cultures et l’apprentissage de connaissances spécifiques. Deuxièmement, ils sont davantage motivés par la rencontre interculturelle car, d’une part, un fort ancrage identitaire implique une confiance en soi élevée et, d’autre part, une identité ouverte aux autres cultures va de pair avec l’intérêt à s’éveiller aux autres. Ces deux composantes s’avèrent essentielles dans la dimension émotionnelle des compétences culturelles. Troisièmement, ces individus peuvent également se constituer un répertoire plus large de rôles et de comportements (Bell et Harrison, 1996), pour ensuite adopter des comportements adéquats selon les normes culturelles en question. l’acquisition des connaissances culturelles, on constate également une dualité : nous devons obtenir des connaissances culturelles afin de les transformer en action; néanmoins, nous devons aussi faire attention à ne pas tomber dans le piège des stéréotypes qui résultent le plus souvent de connaissances culturelles partielles et figées. Il est donc impératif de prêter attention simultanément aux exigences apparemment contradictoires, de trouver constamment un équilibre entre elles. Les autres configurations identitaires présentées dans le schéma 1 renvoient généralement à l’actualisation de compétences culturelles de moindre qualité. Il est évident que si une personne a une identification culturelle à soi et aux autres faible, il lui sera difficile, au point de vue de la capacité et de la motivation, d’opérer une rencontre interculturelle. Cette situation représente le plus souvent un «enfermement culturel» suivant lequel cette personne s’isole par rapport à l’extérieur, sa performance culturelle étant par conséquent pauvre. Dans le cas d’un individu dont une des deux identifications culturelles est forte, la situation devient plus délicate. La force d’une des dimensions identitaires (c’est-à-dire une identification culturelle à soi très élevée) ne saurait compenser la faiblesse de l’autre dimension (l’identification aux autres en l’occurrence). Dans ce cas de figure, l’individu risque de se comporter comme un «narcissique ethnocentrique» qui ne voit que les côtés positifs de sa propre culture et applique ses normes et valeurs pour juger les autres, tout en ignorant leurs points positifs. Il s’ensuit qu’il est susceptible de se montrer arrogant, agressif et d’adopter une attitude consistant à vouloir changer tout le monde, sauf lui. Dans le cas contraire, lorsqu’une personne présente une identification extraordinaire aux autres cultures, mais qu’elle possède une identification faible à sa propre culture, elle court le risque de présenter un «déphasage culturel». Elle tend à s’adapter à toutes les exigences culturel- Cette configuration identitaire, parce qu’elle permet de devenir compétent culturellement, est donc la plus désirable et la plus désirée. Il s’agit ainsi de percevoir la complexité duelle dans l’interaction interculturelle par le biais du concept d’identité duelle. Souvent, l’interaction interculturelle nous oblige à faire face à des défis duels et à gérer des dilemmes culturels (Hampden-Turner et Trompenaars, 2000). Il semble bien que la nature même des compétences culturelles englobe ce défi duel : d’une part, ces compétences sont enracinées dans une affirmation de soi-même forte; d’autre part, elles exigent une ouverture extraordinaire aux autres, une capacité de voir en tout temps nos lacunes (modestie). Nous avons besoin, pour nous développer, non seulement d’un point de repère de soi assez stable, mais aussi d’une flexibilité dynamique. Dans Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 91 l’acquisition et l’exercice des compétences culturelles. Cela ne veut pas dire que les stratégies identitaires d’un individu sont totalement conditionnées par le regard des autres. Bien au contraire, l’acteur dispose d’une certaine capacité de définir et de formuler ses identités en face d’une situation, ce qui justifie pleinement le terme «stratégie». Ce faisant, il faut également reconnaître l’impact des attitudes entre les groupes en interaction. En ce qui concerne le contexte culturel en général, la distance culturelle, indice résumant les différences entre deux cultures, semble aussi rendre l’interaction interculturelle plus difficile, ce qui réduit les effets des compétences culturelles (Gomez-Mejia et Palich, 1997). les pour plaire à tout le monde et, finalement, oublie qui elle est. Elle aura très probablement un problème à moyen ou à long terme pour devenir un véritable acteur interculturel. Déployer un contexte facilitateur dans le groupe et l’organisation Bien qu’une partie des identités culturelles s’inscrivent dans les histoires vécues de chacun, il existe une partie dynamique susceptible d’être activée par certains facteurs internes et externes. On peut de ce fait parler de «stratégie identitaire», celle-ci représentant un choix individuel (donc dynamique et modifiable) en fonction de la situation, partiellement objective et partiellement interprétée par l’acteur en question (Camilleri et al., 1990; Niens et Cairns, 2003). Un individu peut choisir ses stratégies identitaires dans l’interaction pour atteindre ses buts. Néanmoins, ses choix stratégiques sont au moins en partie conditionnés par les situations contextuelles dans lesquelles l’interaction se déroule5. En résumé, des facteurs contextuels influent sur les stratégies identitaires et sur l’efficacité des compétences culturelles. Par exemple, au niveau du groupe (ou d’une interaction interculturelle directe), la composition de ce groupe, sa diversité, la présence du sous-groupe dominant et les rapports de pouvoir entre différents sous-groupes peuvent déclencher des réactions particulières de stratégies identitaires au niveau individuel. Étant soumis aux situations économiques, sociales et géopolitiques entre pays et cultures, nous sommes socialisés par le biais d’attitudes figées à l’égard des autres, dans un doux mélange d’hostilité, de supériorité ou d’infériorité et de peur, sous l’influence de propagandes politiques. Dès lors, nos stratégies identitaires individuelles ainsi que les perceptions ou les stéréotypes au niveau du groupe sont également, au moins en partie, dictés par des perceptions et des histoires d’interactions de plus haut niveau – celui du pays ou de la culture. On pourrait penser que le temps peut permettre aux individus concernés de comprendre les différences et d’apprendre à s’accepter et à se respecter les uns les autres. Mais le temps en soi n’est pas un remède garanti, car il est possible au contraire que les conflits et les malentendus s’aggravent s’ils ne sont pas gérés correctement. De plus, dans un contexte économique, l’exigence de la performance est souvent très élevée, ce qui permet difficilement aux acteurs interculturels de prendre le temps de dépasser les obstacles culturels pour se comprendre. Cela risquerait de déclencher des conflits. En outre, les collaborations de différentes natures exigent aussi des compétences variées. En effet, on constate que la dynamique sociale et politique influe à un degré non négligeable sur les stratégies identitaires adoptées par les acteurs d’une interaction. Plus spécifiquement, l’attitude des interlocuteurs d’autres cultures peut avoir une influence sur la façon dont un individu réagit et définit ses stratégies identitaires. Il ne faut pas oublier la nature interactive des compétences culturelles : on ne peut pas être compétent sans tenir compte de la dynamique interactive avec l’autre partie dans les rencontres interculturelles, que ce soit au niveau individuel ou au niveau institutionnel. Selon Berry (2001) qui a étudié le phénomène de l’immigration, la société accueillante peut démontrer quatre attitudes différentes face aux immigrés : le «multiculturalisme», aidant le développement de l’identité duelle, le «melting-pot», encourageant les personnes culturellement déphasées, la «ségrégation», conduisant à un narcissisme ethnocentrique, et l’«exclusion», produisant l’enfermement culturel. Une personne souhaitant démontrer une identité duelle ne pourrait, par exemple, le faire si ses interlocuteurs, individuellement ou collectivement, présentaient une attitude de ségrégation ou d’exclusion. L’attitude des autres sur ce point est particulièrement pertinente car elle renvoie à la question existentielle : la valeur et le droit d’exister en tant que tel, dans la perception des autres. Les raisons sous-jacentes des attitudes envers d’autres groupes culturels sont multiples. Les stéréotypes et les plaisanteries ne manquent pas entre les pays européens voisins. Parfois, ce sont le résultat de l’histoire. Souvent, les institutions politiques jouent également un rôle en arrière-plan. Des conflits et des tensions politiques entre des pays peuvent aussi enflammer le sentiment d’hostilité. De plus, un sentiment de supériorité – ou d’infériorité – lié au développement économique ou politique du pays risque d’augmenter le malentendu ou de constituer un obstacle à la vraie compréhension et au respect mutuel (Berry, 2001; Vinsonneau, 2002). Les rapports de pouvoir contribueraient eux aussi à la dynamique des interactions interculturelles, dans lesquelles on doit souvent «négocier» le sens, les normes et les règles du jeu. Ces attitudes vis-à-vis des autres, résultant des facteurs mentionnés ci-dessus, créeraient certaines dynamiques conditionnant les stratégies identitaires choisies ou activées, pertinentes pour i Conclusion Concevoir une organisation susceptible de tirer parti des forces d’une diversité équilibrée et assumée est une nécessité aujourd’hui. Cela suggère notamment des implications cruciales en ce qui a trait à la formation et au développement mais aussi à l’engagement de la part de la direction. On n’arrive jamais à épuiser la richesse de la diversité culturelle et l’on ne sera jamais parfaitement à l’aise dans toutes les cultures. Par conséquent, l’acquisition de compétences culturelles exige un effort continuel. Autrement dit, les compétences culturelles impliquent un apprentissage et un ajustement constants, résultant de l’observation des écarts par rapport aux performances attendues et des incidents critiques culturels relevés. Pour les organisations, un programme de formation peut aider les participants à orienter les énergies vers les capacités clés, à formuler les identités culturelles en fonction du contexte et à 92 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009 Harrison, J.K., Chadwick, M., Scales, M. (1996), «The relationship between cross-cultural adjustment and the personality variables of self-efficacy and self-monitoring», International Journal of Intercultural Relations, vol. 20, n° 2, p. 167-188. rester ouverts et attentifs à cet apprentissage permanent dans le développement des capacités cognitives, émotionnelles et comportementales des compétences culturelles. Kelley, C., Meyers, J.E. (1999), «Cross-cultural adaptability inventory», dans Fowler, S.M., Munford, M.G. (dir.), Intercultural Sourcebook: Cross-cultural Training Methods, vol. 2, Intercultural Press, p. 53-60. Notes 1.Les auteurs remercient avant tout la directrice et rédactrice en chef Mme Sylvie St-Onge, ainsi que Mme Tania Saba, la responsable du dossier, pour leurs commentaires exhaustifs et précieux. Nous remercions aussi les deux évaluateurs anonymes pour la finesse de leur lecture. Cet article a également bénéficié du travail de notre assistant de recherche, Olivier Dolidon ; qu’il en soit remercié. 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