Comment deVeLopper Les CompetenCes

Transcription

Comment deVeLopper Les CompetenCes
Comment dEvelopper
les compEtences
en matière de
diversité culturelle?
culturelles des cadres et des employés en la matière, puisque
l’expérience montre que les intégrations réussies reposent
sur des changements dans les savoir-faire et les savoir-être.
Pourtant, bien souvent, les programmes de formation à la
diversité donnés par les organisations à leurs membres
échouent ou manquent leurs objectifs et sont considérés par
les employés comme superficiels et peu adaptés (Nancherla,
2008).
Les auteurs
Vincent Calvez et Yih-teen Lee1
A
ujourd’hui, la main-d’œuvre est de plus en plus
diversifiée culturellement alors que l’histoire et
l’expérience nous montrent que les personnes
ont tendance à valoriser ce qui leur ressemble et
à rejeter ce qui diffère d’eux ou, au mieux, à le
tolérer. On parle alors d’ethnocentrisme, soit de la tendance à
privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le
seul modèle de référence. Ainsi, de façon plus ou moins
consciente, le milieu de travail est propice à l’apparition de
l’incompréhension et d’iniquités plus ou moins sournoises,
systémiques et démobilisatrices qui entraînent la non-reconnaissance et la non-intégration des personnes. En France,
selon une étude de la Haute autorité de lutte contre la discrimination à l’emploi (HALDE), près de 30 % des participants
affirment avoir été témoins d’une discrimination au cours des
12 mois précédents, un des motifs de discrimination les plus
cités étant l’âge. Selon une autre source, «un Français, fils
d’Algériens, a une probabilité cinq fois plus importante d’être
au chômage qu’un Français, fils de Français» (Sabeg et Charlotin,
2006).
Les nouveaux milieux de travail «mondialisés» nécessitent,
de fait, des compétences culturelles aptes à compléter l’exper­
tise technique des professionnels. Elles peuvent permettre
aux travailleurs de saisir le sens implicite, souvent caché, des
situations culturelles nouvelles, de réagir de manière appropriée et de faire face au stress et aux émotions diverses provoqués par les conflits de normes et le sentiment d’incertitude
qui les engendre. Ces compétences sont devenues aujourd’hui
indispensables tant aux dirigeants d’entreprise qu’à chaque
travailleur œuvrant au sein d’une organisation, quels que soient
sa taille et son secteur.
Cela dit, il faut admettre que les connaissances relatives
aux compétences culturelles sont aujourd’hui embryonnaires.
De surcroît, des vues divergentes existent quant à leur nature
même. Ces compétences sont-elles universelles ou spécifiques?
Sont-elles assimilables à des traits personnels, par exemple
aux traits de personnalité? Peut-on les développer? Si oui,
dans quelle mesure et par quels moyens? Est-il possible de les
développer comme on développe, par exemple, les compétences d’un ingénieur? Existe-t-il des facteurs qui, sur le plan
collectif, influent sur l’exercice de ces compétences? Disposet-on de méthodes ou de connaissances suffisantes pour évaluer les compétences culturelles d’un individu et lui proposer
ensuite une formation adéquate? Voilà autant de questions
auxquelles les organisations doivent trouver des réponses.
Aussi, comment peut-on vivre le monde dans sa diversité,
sans ses exclusions coûteuses pour tous? Quel type de compétences faudra-t-il aux dirigeants et aux gestionnaires pour
animer leurs équipes de plus en plus métissées et multiculturelles et pour établir des pratiques de gestion adaptées à la
diversité? En effet, il importe de développer les compétences
Cet article vise à aider les gestionnaires et les dirigeants à
déterminer les compétences nécessaires pour intégrer la diver­
sité dans l’entreprise. Notre propos s’appuie sur des exemples
réels d’organisations avant-gardistes en matière d’intégration
du personnel diversifié. Nous offrons également des pistes de
réflexion permettant d’affiner certains aspects du savoir en
Vincent Calvez est professeur au Groupe ESSCA, [email protected].
Yih-teen Lee est professeur à l’IESE Business School, Universidad de Navarra,
[email protected].
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
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Respecter les lois
Le paysage législatif international ne cesse d’évoluer et les
organisations ont le devoir de se conformer aux lois. Au niveau
international, la non-discrimination est un principe fondamental rappelé dans la Déclaration sur les principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du travail
de 1998. Les États sont tenus de respecter ce droit même
s’ils n’ont pas ratifié les conventions n° 100 sur l’égalité de
rémunération entre hommes et femmes et n° 111 sur la discrimination en matière d’emploi et de profession. En France, le
Code du travail (article L-122-45) précise les motifs et les pratiques discriminatoires. Le traité d’Amsterdam (1997, article
13) a déclenché pour les pays de l’Union européenne l’obligation de se doter de politiques publiques de lutte contre les
formes de discrimination. La Première Directive européenne
(2000/43/CE) porte sur la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race
ou d’origine ethnique. Quant à la Deuxième Directive européenne (2000/78/CE), elle a créé un cadre général en faveur
de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail
(Mutabazi et Pierre, 2008). En ce qui a trait à la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne, elle a étendu le
nombre de motifs discriminatoires pour inclure des éléments
comme l’âge, l’ethnie, le sexe, les capacités physiques, la race,
l’orientation sexuelle, l’éducation, la localisation géographique,
la situation de famille, le patrimoine, le statut militaire, le statut
parental, la religion et l’expérience de travail (Point et Singh,
2005).
Le cas de la multinationale Sodexo
Ce leader mondial de la restauration d’entreprise vise à devenir
une référence en matière de diversité. Il a aussi pour objectif de
doubler ses effectifs en 10 ans. Les actions mises en place pour
promouvoir la diversité sont nombreuses, et les conditions semblent réunies pour permettre une bonne inclusion de la diversité
dans cette organisation. En effet, la haute direction soutient
activement le projet. La diversité est devenue un axe stratégique
majeur et un des premiers facteurs de différenciation pour cette
multinationale. Les ressources allouées sont importantes : une
direction entière dédiée à la diversité, des milliers d’heures de
formation, des colloques, des magazines internes, des objectifs
chiffrés, etc. Les pratiques de Sodexo semblent adéquates tant
au point de vue qualitatif – elle mène des actions sur tous les
plans en manifestant un besoin réel de diversité – qu’au point de
vue quantitatif – elle se donne les moyens de ses ambitions. Le
cabinet de conseil en ressources humaines Hewitt a fait une
enquête en 2008 afin de connaître la perception des employés au
sujet de ce grand projet. L’enquête démontre que seulement 40 %
d’entre eux jugent la démarche positive. Près de deux employés
sur trois trouvent la démarche abstraite et ne la vivent pas au
quotidien. Ces résultats indiquent-ils un syndrome du beau projet éthique de la direction sans débouchés concrets ou illustrentils plutôt la difficulté à faire évoluer les croyances?
Issu du milieu masculin et blanc de la cuisine française, Sodexo
se heurte aujourd’hui aux perceptions bien ancrées de ses
employés. Même si la conduite du changement va aujourd’hui
dans le bon sens, la problématique est ici psychosociale : comment faire évoluer les stéréotypes et les représentations d’un
groupe? Comment faire évoluer la culture d’un secteur de métier
traditionnel?
Préserver et améliorer l’image d’employeur
Si la question de la diversité n’est pas comprise et traitée,
cela risque de porter atteinte à l’image de l’entreprise. Au
niveau étatique, un exemple extrême et bien connu demeure
celui de l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid, ce qui a
abouti au boycottage de ce pays par une grande partie de la
communauté internationale. Les entreprises occidentales qui
continuaient de commercer avec l’Afrique du Sud étaient désignées à la vindicte publique. En France, certains préjugés
négatifs entourent toujours la présence de l’entreprise pétrolière Total en Birmanie, pays régi par une dictature. Parmi
d’autres exemples des désavantages liés au non-respect de la
diversité, citons les millions de dollars payés par AT&T en
1973 à 2 000 employés noirs qui ont subi de la discrimination
(Mutabazi et Pierre, 2008 : 52).
matière de compétences culturelles. Pour ce faire, nous proposons un cadre général susceptible de servir de point de
départ pour l’acquisition de compétences culturelles.
Dans la première partie de l’article, nous nous demandons
pourquoi il faut développer des compétences en matière de
diversité culturelle. Dans la deuxième partie, nous faisons un
tour d’horizon des compétences que les organisations doivent
acquérir pour mieux comprendre et intégrer la diversité culturelle. Puis, dans la troisième partie, nous nous tournons vers
les compétences qui sont nécessaires aux membres de l’organisation pour relever le défi de la diversité. Enfin, dans la quatrième partie, nous voyons comment il est possible de favoriser
le déploiement des compétences individuelles en matière de
diversité.
L’image est un enjeu pour tous les types d’organisations.
Rappelons, par exemple, le climat de racisme et d’exclusion
qui a terni l’image du baseball professionnel aux États-Unis. La
politique non écrite qui excluait, jusqu’en 1947, les joueurs afroaméricains et latino-américains était nommée «la frontière de
la couleur dans le baseball». Des équipes ont cependant poursuivi de façon informelle cette politique de non-intégration.
Ainsi, les Red Sox de Boston traînent, selon leur propriétaire
Larry Lucino, «un héritage indéniable d’intolérance raciale».
Les propriétaires de l’équipe ont, des années plus tard, pris
conscience de la nécessité d’affronter ce passé afin de changer l’image de l’entreprise auprès de la communauté afroaméricaine en lançant différents programmes de formation,
de dons d’équipements et de travail avec les associations2.
i
Pourquoi développer des compétences
en matière de diversité culturelle?
Il est important que les organisations acquièrent des compétences en matière de diversité culturelle en vue de se
conformer aux lois, de préserver et d’améliorer leur image
d’employeur ainsi que d’accroître la créativité, la compétitivité
et le développement des affaires.
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Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
Accroître la créativité, la compétitivité
et le développement des affaires
obtenir la participation des dirigeants, concevoir et communiquer une vision, fixer des objectifs ou encore se doter des
compétences individuelles et organisationnelles nécessaires.
De nombreuses entreprises ont bien compris l’avantage
d’une gestion intelligente de la diversité et l’ont inclus dans
leur stratégie. Plutôt que d’une approche strictement défensive, nous parlerons d’une approche proactive. Ainsi, L’Oréal
perçoit l’intérêt qu’il y a, grâce à son personnel multiculturel,
de pouvoir anticiper et intégrer, pour ses lignes de produits,
les différentes sensibilités et les besoins futurs des consommateurs de nombreux pays. La politique de recrutement se
focalise donc sur la diversité des profils devant être présents à
tous les niveaux de l’organisation de manière à refléter la
diversité des clients et à apporter de nouvelles perspectives
d’affaires.
Le tableau 1 compare quatre organisations chefs de file en
matière de diversité : Verizon, Google, L’Oréal et Sodexo. Plus
précisément, il présente les problématiques et les décisions,
les catégories de personnel concernées par cette démarche,
les objectifs visés, les ressources allouées, les pratiques adoptées, la communication effectuée ainsi que des statistiques
indiquant les résultats des efforts déployés en matière de
diversité. L’expérience de ces grandes entreprises montre
qu’elles ont entrepris les actions suivantes en vue d’établir
une culture favorable à la diversité :
• Elles ont fait un audit de la culture de l’organisation (symboles, histoire, croyances, traditions, etc.) afin de relever les
obstacles potentiels.
Selon les écrits sur le sujet, les entreprises soucieuses du
respect de la diversité culturelle accordent des promotions
aux personnes les plus talentueuses, conservent mieux leur
personnel et abaissent donc de façon importante leurs coûts
de recrutement. Pour Richardson (2004), la pratique de la discrimination, en plus d’être non éthique, mène à la discorde
dans le lieu de travail. Des liens sont également établis entre
l’appréciation des efforts de l’entreprise pour prendre en
compte la diversité et la satisfaction globale des employés.
Ces derniers seront davantage portés, par la suite, à recommander leur entreprise à d’autres candidats potentiels. Sur les
avantages économiques, de récentes études conduites auprès
d’agences fédérales américaines démontrent le lien fort existant également entre le fait de prendre en considération la
diversité dans les pratiques de gestion et la performance des
groupes au travail (Pitts, 2009). Un sondage Gallup effectué
dans le cadre du quarantième anniversaire de la Civil Rights
Act aux États-Unis révèle de plus que la loyauté envers l’organisation est aussi liée fortement aux efforts perçus par les
employés à ce sujet. Cela amène Susan Meisinger, présidente
de la Society for Human Resource Management, aux ÉtatsUnis, à dire que l’engagement en faveur de la diversité dans le
lieu de travail n’est pas seulement «une obligation politique ou
morale reconnue, mais aussi une nécessité pour les affaires»
(Butler, 2006).
• Elles ont précisé les compétences à développer pour pouvoir
recruter, intégrer et conserver les divers profils souhaités.
• Elles ont déterminé si ce sont les individus ou l’organisation
tout entière qui doivent acquérir les compétences.
• Elles ont établi les actions de formation qui permettront
d’acquérir les compétences (programmes d’information,
de sensibilisation, formations pratiques, etc.).
• Elles recherchent un équilibre entre philanthropie et efficacité.
• Elles ont inclus la diversité dans la stratégie en fixant des
objectifs en la matière et en instaurant un programme de
reconnaissance pour leur atteinte.
• Elles pensent «ergonomie du travail» afin que le travail
demandé puisse s’adapter à de nouveaux profils (flexibilité
des horaires, aménagement physique, accès, etc.).
• Elles ont rendu concrète la vision de la direction.
• Elles communiquent et informent de manière constante et
pertinente sur la diversité.
• Elles rendent l’organisation «apprenante» en matière de
diversité par le biais de communautés de pratique, du dialogue, de conférences, etc.
i
L’acquisition de compétences
en matière de diversité culturelle
par les organisations
Aux fins de cet article, une compétence est un ensemble
de connaissances, de techniques, de méthodes, d’attitudes et
de comportements qu’on peut mobiliser dans une situation de
travail afin d’atteindre un objectif professionnel. En matière de
diversité, les compétences doivent être déployées tant au
niveau organisationnel qu’au niveau individuel.
En ce qui concerne les compétences que les organisations
doivent mettre en œuvre, nous avons analysé la documentation ainsi que les initiatives que prennent les organisations
exemplaires en la matière. Les bonnes pratiques de gestion à
adopter et les compétences organisationnelles à déployer
dans une démarche liée à la diversité sont sensiblement analogues à celles que l’on recommande d’adopter dans la gestion
de projet ou la conduite du changement. Par exemple, il faut
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
En somme, comme le résume le tableau 2, la création d’un
milieu favorable à la diversité nécessite de relever trois compétences comportant chacune des objectifs et des actions
particuliers : savoir surmonter les obstacles, savoir fixer des
règles équitables et savoir tirer parti des différences.
i
L’acquisition de compétences
en matière de diversité culturelle
par le personnel
Cet incident montre que, au-delà des compétences organisationnelles, le déploiement d’une culture favorable à la diversité nécessite de développer les compétences du personnel,
notamment celles des superviseurs et des gestionnaires. Pour
pérenniser une démarche liée à la diversité, les acteurs devront
acquérir de nouvelles compétences. Celles-ci comprennent
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Tableau 1
Âge
Origine ethnique
Orientation sexuelle
Sexe
Attirer et conserver des employés issus
des minorités.
Parler la langue du client.
Respecter et promouvoir le style de vie
des clients.
Chercher constamment ce que veut
le client issu de la diversité.
Objectifs visés
Le tiers du marché est multiculturel et
les deux tiers sont hispaniques.
Le pouvoir d’achat des Afro- Américains,
des Hispaniques, des homosexuels et des
handicapés est estimé à 2,5 trillions
pour 2010.
Les entreprises dirigées par des femmes
ou des personnes issues des minorités
croissent rapidement.
La force de vente ressemble aux clients,
parle leur langue et comprend leurs
besoins.
Catégories
concernées
par la diversité
Problématiques
et décisions
Verizon
Les utilisateurs anglophones ne
représentent que 30 % : pour être
compétitive, Google doit parler
toutes les langues.
Les produits et les services sont
destinés à une clientèle mondiale
et diversifiée.
Un avantage stratégique pour Google
est que les équipes reflètent la diversité des clients et des fournisseurs.
Les équipes diversifiées permettent
de confronter les idées et d’innover.
Elles améliorent la cohésion et la
productivité.
Google veut être une entreprise
locale dans chaque pays pour mieux
comprendre les utilisateurs.
Google
Favoriser l’accès aux femmes à des postes
de responsabilité et la parité dans toutes
les fonctions.
Favoriser l’emploi des personnes handi­
capées.
Miser sur la diversité culturelle des salariés,
rallonger les parcours professionnels, valoriser l’expérience pour prévoir l’allongement
de la durée de la vie professionnelle.
Nationalité
Origine sociale et ethnique
Sexe
Handicap
Âge
Dans le secteur de la grande consommation,
la clientèle est de plus en plus diverse.
Les équipes doivent refléter cette diversité.
L’Oréal donne une image d’entreprise
ouverte sur le monde et sur les multiples
talents.
Il faut comprendre le client, développer
des produits en phase avec celui-ci et
prévoir ses besoins.
Les équipes doivent être créatives, élargir
leur champ de réflexion et avoir une vision
globale du marché.
L’Oréal
Sodexo
Favoriser la parité à chaque niveau de qualification en privilégiant la formation et l’évolution
de carrière des femmes.
Favoriser la motivation et l’évolution professionnelle quel que soit l’âge.
Favoriser l’embauche et le maintien dans
l’emploi des personnes handicapées.
Assurer à tous les niveaux de l’entreprise une
meilleure représentation multiculturelle.
Être la référence en matière de diversité, pour
attirer et fidéliser les clients.
Faire passer la représentation des femmes
de 18 % à une fourchette de 23 % à 25 % d’ici
à 2012.
Handicap
Générations
Femmes
Minorités
Pour Sodexo, la diversité est plus qu’une obligation morale ou un objectif sociétal : c’est
un impératif économique qui détermine sa
capacité d’attirer et de fidéliser les talents,
d’accroître l’engagement de ses collaborateurs
et de proposer des solutions qui améliorent la
qualité de vie des clients.
Le milieu de la cuisine française est essen­
tiellement blanc et masculin.
Selon le président, «la diversité est un facteur
de différenciation». qui mène au succès.
Plus Sodexo intégrera des salariés issus de
la diversité, plus ses équipes se différencieront sur le marché et créeront des solutions
innovantes pour des consommateurs diver­
sifiés.
Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
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Tableau 1
Pratiques
adoptées
Ressources
allouées
Verizon encourage le développement
des entrepreneurs issus des minorités.
Elle encourage ses fournisseurs à traiter
avec des fournisseurs issus de la diversité.
Elle emploie de petites entreprises
d’investissement spécialisées dans
l’aide aux minorités.
Elle a créé des groupes-ressources pour
les employés issus de la diversité.
Elle a créé des équipes de marketing
issues de la diversité qui mènent des
programmes de recherche sur le marché
des minorités.
Elle a établi des indicateurs de la per­
formance analogues aux indicateurs
économiques classiques : les hauts
dirigeants sont incités à atteindre leurs
objectifs à court terme en matière de
diversité.
Engagement de la haute direction
(objectif lié à la performance en matière
de diversité).
Création d’une direction chargée de
la stratégie en matière de diversité.
La diversité influe sur le développement
des ressources humaines, les relations
avec les fournisseurs, le développement
marketing et la philanthropie.
Verizon
Google a mis sur pied des groupesressources pour les employés issus
de la diversité.
Google
L’Oréal établit des partenariats avec des
universités, des associations et des cabinets
de recrutement engagés dans la diversité.
Elle participe à des forums de recrutement
dédiés à des candidats féminins ou issus
de groupes minoritaires.
Elle acquiert un réflexe diversité dans
le travail quotidien.
Elle a donné une formation de 2 jours aux
8 000 gestionnaires en Europe pour favoriser la mise en place de la politique de
diversité.
La moitié des recruteurs ont été sensibilisés à la diversité, dans des séminaires de
formation.
Les gestionnaires ont aussi été formés
en matière de diversité.
Elle donne des outils pour intégrer et gérer
la diversité au sein de ses équipes.
Le directeur général communique et donne
le ton.
Il existe une direction mondiale de la
diversité.
10 000 gestionnaires de la diversité sont
formés (sensibilisation et découverte des
outils pour favoriser l’inclusion).
Une chaire Diversité et performance
permettra la formation de gestionnaires
sensibilisés à l’importance de la diversité.
23 Observatoires de la diversité et de
la cohésion sociale, en France, visent à
promouvoir le respect de la diversité et
de la non-discrimination. Un Observatoire
au niveau international est créé.
L’Oréal
Sodexo mesure les progrès quantitatifs et
qualitatifs de ses efforts pour attirer, déve­
lopper et fidéliser des ressources humaines
compétentes et diverses.
Elle a lancé de nombreuses initiatives formelles
et informelles de flexibilité du travail dans de
nombreux pays.
Sodexo Belgique pilote un programme de
formation destiné à apporter des compétences
et à fournir des outils de gestion relativement
à un environnement de travail inclusif. Plus de
700 gestionnaires seront formés.
Sodexo World se penche sur la cohabitation
des générations au travail et la communication
interculturelle.
La réussite du travail de Sodexo Canada avec
les populations aborigènes est devenue une
référence pour Sodexo dans le monde entier.
Depuis plus de 20 ans, il y a eu 22 partenariats
et des investissements dans des programmes
de formation et de développement
Le groupe de travail global Diversité et inclusion
a été constitué en 2006 pour mettre en œuvre
des initiatives relatives à la diversité dans les
activités de Sodexo à travers le monde.
Il y a une direction de la diversité Europe et
un responsable des «projets diversité» dans
chaque direction des ressources humaines.
Le deuxième Global Inclusion Summit de
Sodexo a réuni à Paris, en 2008, plus de 200
dirigeants et 25 clients.
Comité exécutif Sodexo Europe : les dirigeants
et les hauts potentiels féminins participent à
un programme de parrainage.
18 000 cadres et 24 500 collaborateurs ont été
formés en 2008.
Sodexo
Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité (suite)
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Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
Tableau 1
Presse
Site Web se l’entreprise
Participation à de grands événements
culturels touchant les minorités
20 % d’Afro-Américains
5 % d’Asiatiques
65 % de Blancs
9 % d’Hispaniques
1 % d’Amérindiens
59 % de femmes (30 % dans la haute
direction)
35 % de minorités (17 % dans la haute
direction)
Communication
effectuée
Statistiques
Verizon
Site Web se l’entreprise
Presse
Film interne
Concours de recrutement
Gay Pride
Google
54 % de femmes cadres, 34 % de femmes
au comité de direction
112 nationalités
60 % de non-Français dans le comité de
direction
20 % de l’ensemble des gestionnaires
issus de minorités visibles aux États-Unis
33 % de l’ensemble des collaborateurs
issus des minorités aux États-Unis
Presse
Magazine interne sur la diversité
Site Web se l’entreprise
Site de recrutement
Événements : journée des personnes
handicapées, soirées de remise de prix
sur la diversité
L’Oréal
128 nationalités
Les femmes représentent :
– 57 % des effectifs
– 44 % de l’encadrement
– 22 % du comité exécutif du groupe
– 28 % du conseil d’administration
– 23 % des cadres dirigeants
800 salariés atteints d’un handicap chez
Sodexo France
75 «contrats à durée indéterminée»,
30 apprentis, 200 stagiaires recrutés chaque
année
Site Web de l’entreprise
Film I am Sodexo, accompagné d’un guide,
distribué aux équipes dirigeantes à travers
le monde.
Un bulletin d’information trimestriel renseigne
sur les actions, les bonnes pratiques, les objec­
tifs et les résultats en matière de diversité.
Programme de webinaires trimestriels.
Sodexo
Comparaison des pratiques d’organisations reconnues comme chefs de file en matière de gestion de la diversité (suite)
Tableau 2
Compétences organisationnelles permettant de créer une culture favorable à la diversité
Savoir surmonter les obstacles
Savoir fixer des règles équitables
Savoir tirer parti des différences
Objectifs
Objectifs
Objectifs
Créer une organisation inclusive où tous
les employés ont les mêmes chances.
Créer une organisation inclusive où tout
le monde a les mêmes chances.
Reconnaître les différences et voir en elles
des forces.
Travailler sur un groupe cible à la fois.
Recruter les meilleurs candidats, sans égard
à leurs différences.
S’assurer que la culture organisationnelle
valorise tous les styles.
S’assurer que les règles d’admissibilité et
de promotion favorisent la diversité.
Solliciter les opinions de tous les groupes.
Analyser les attitudes négatives apprises
et examiner ses propres préjugés.
Intégrer des personnes issues de la diversité.
Promouvoir les décisions qui tirent parti
du bagage culturel.
Apprendre à apprécier les différences au lieu
de chercher à les réduire.
Actions
Actions
Actions
Donner une formation pour saisir ce que
le groupe cible ressent et apprendre à
reconnaître les préjugés négatifs. Supprimer les désavantages (aménager l’accès
au lieu de travail, etc.).
Faire des réunions et des activités visant
la formation d’équipes.
Examiner les pratiques formelles et informelles
pour déceler des signes de favoritisme.
Assurer une formation axée sur la confiance
en soi, la résolution de problèmes, etc.
Créer des mesures correctives visant la
valo­zrisation des différences.
Apporter un soutien individuel pour régler
les problèmes.
Assurer une formation pour promouvoir
le respect des différences.
Établir des programmes de mentorat et
de développement de carrière.
Donner une formation en histoire culturelle
et sociale de divers groupes.
Faire preuve de transparence dans les
politiques de recrutement et de promotion.
Réviser les politiques et les procédures afin
d’accélérer le recrutement et la promotion
de candidats issus des groupes cibles.
Assurer la flexibilité du travail.
Annoncer les postes et les emplois pour
attirer des candidats de tous les horizons.
rellement différentes de lui-même, et d’agir d’une manière
acceptable de leur point de vue de manière à faciliter la communication et la collaboration3.
Un incident à L’Oréal
Sur le plan pratique, les compétences en matière de diversité culturelle sont nombreuses. Parmi celles-ci, mentionnons
les suivantes : gérer une équipe interculturelle, être empathique à l’égard de l’autre, travailler à la cohésion d’une équipe,
intégrer les nouveaux collaborateurs de façon innovante, informer une équipe sur la diversité, former les collaborateurs, faire
preuve de pédagogie, gérer les conflits entre personnes de
sensibilités et de milieux différents, gérer les conflits liés à la
diversité (racisme, incompréhension, sentiment d’injustice),
transformer une équipe en une organisation apprenante, susciter l’échange entre les membres d’une équipe, communiquer
au sein d’une équipe interculturelle et intergénérationnelle.
Ces savoir-être et ces comportements peuvent contribuer à
établir une réelle intégration au sein d’un groupe. À travers
leur communication et l’exemplarité de leur gestion, les gestionnaires doivent faire comprendre au quotidien que l’autre
n’est pas différent, qu’il ne constitue pas une menace, qu’au
contraire il est une valeur ajoutée pour l’organisation.
En 2005, l’une des entités de cette multinationale, Garnier, a
envoyé une télécopie à l’agence de recrutement Adecco. Cette
télécopie, censée expliquer le poste et les attentes en matière
de profil, comportait la mention «des animatrices BBR». Par BBR,
il faut comprendre «bleu-blanc-rouge», soit les couleurs de la
France. L’entreprise Garnier s’est défendue en affirmant que
«BBR» signifiait simplement, pour elle, «sachant s’exprimer correctement en français». Les employés d’Adecco, quant à eux,
avaient interprété ces initiales comme signifiant «pas d’étrangers». En d’autres termes : pas d’animatrices de couleur. L’Oréal
affirmait pourtant avoir sensibilisé et formé la moitié de ses
recruteurs à la diversité en 2005. Le directeur de la diversité
monde affirme que c’est une pratique condamnable et contraire
aux principes de l’entreprise.
les compétences culturelles, qu’on peut définir comme étant
l’ensemble des connaissances, des habiletés et des capacités
qui permettent à un individu de comprendre les comportements, les valeurs et les représentations de personnes cultu-
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Sur le plan des recherches sur les compétences culturelles,
bon nombre de chercheurs ont tenté de relever les traits personnels qui distinguent les cas de réussite et les cas d’échec
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dans l’expatriation ou qui sont à la base de ce qu’on peut appeler l’intelligence culturelle4. La liste des compétences culturelles clés est longue : la volonté de communiquer, la capacité
de décoder et de comprendre les comportements des étrangers, les connaissances culturelles, la capacité de gérer le
stress et de résoudre les conflits, le questionnement critique,
la capacité linguistique, la curiosité culturelle, la tolérance à l’incer­
titude et à l’ambigüité, la flexibilité, la patience et l’empathie
culturelle. Plusieurs auteurs citent des traits de personnalité
clés comme la stabilité émotionnelle, l’extraversion, l’ouverture aux expériences, l’initiative sociale, le souci des autres, la
confiance en soi, l’autonomie, l’ethnocentrisme (qualité négative), la créativité et la capacité d’adaptation.
compétences inopérantes. Dans cette partie, nous visons à
dépasser la simple liste des compétences culturelles de nature
statique afin de mieux saisir la dynamique de leur mise en
œuvre en milieu de travail aux niveaux individuel, de groupe,
organisationnel et culturel. Pour ce faire, nous insistons sur
l’importance de l’identité culturelle et du contexte de travail
(groupe, organisation, culture).
Promouvoir l’identification à la culture d’origine
et à celle des autres
La notion d’identité culturelle aide à comprendre le déploiement des compétences culturelles. L’identité renvoie à une
définition de soi visant à répondre à la question «qui suis-je?»
ainsi qu’à un sentiment d’appartenance à un groupe (Tajfel et
Turner, 1979). Le schéma 1 présente quatre configurations de
l’identité culturelle susceptibles d’expliquer dans quelle mesure
un individu mobilise ses compétences culturelles en contexte
de travail.
C’est cependant Earley et Ang (2003) qui offrent le modèle
le plus intégré relativement aux compétences culturelles. Selon
eux, elles comptent trois dimensions, à savoir les dimensions
cognitive, émotionnelle et comportementale (voir le tableau 3).
Autrement dit, les compétences culturelles ne sont pas qu’une
question de compréhension ou de connaissance. Elles sont
aussi liées à une capacité de transformation de la manière de
penser (une croissance et un enrichissement de la capacité
cognitive), à un engagement émotionnel ainsi qu’à une capacité d’agir adéquatement dans des contextes concrets.
Deux dimensions de l’identité interagissent pour déterminer le niveau de compétences culturelles : une identification
culturelle à sa propre culture d’origine et une identification
culturelle à une culture spécifique ou à d’autres cultures que la
sienne. Certains chercheurs ont défini cette dernière comme étant
une «identité globale» (global identity) (Shokef et Erez, 2006),
voire une «mentalité globale» (global mindset) (Maznevski et
Lane, 2003). Prenant ces deux dimensions de l’identité comme
autant d’axes, nous présentons les configurations liées à l’identité culturelle dans le schéma 1 d’une manière dichotomique
qui est assurément simpliste, mais qui permet de saisir l’aspect
dynamique des compétences culturelles.
i
Comment favoriser le déploiement
des compétences individuelles
en matière de diversité?
Tableau 3
Nous avons vu que les compétences culturelles sont souvent envisagées comme des traits personnels apparemment
peu modifiables. De plus, les chercheurs ignorent couramment les variables contextuelles qui risqueraient de rendre ces
On peut sans doute imaginer facilement que les personnes
ayant une forte identification culturelle à soi et une forte iden-
Les trois dimensions des compétences culturelles à développer chez le personnel
Dimension cognitive : Cette compétence inclut les aspects généraux et spécifiques (particuliers à un groupe donné) des connaissances
culturelles. Dans la rencontre interculturelle, il convient d’abord d’appréhender les différences culturelles à travers les normes et les valeurs
des autres, pour ensuite agir adéquatement. Cette dimension porte surtout sur la capacité cognitive d’acquérir ces connaissances concrètes
(que les auteurs appellent aussi «mégacognition»); il s’agit d’une capacité particulière de raisonnement, d’une capacité d’appréhender et
d’accepter les informations incompatibles avec notre cadre «normal», et de les interpréter correctement. Elle représente une capacité (ou
ressource cognitive élevée) de rester sensible et attentif aux indices culturels souvent implicites (mindfulness, selon Thomas, 2006).
Dimension émotionnelle : Face à l’incertitude, au stress, à l’hostilité et à la peur déclenchés par l’interaction interculturelle, le désir d’entrer
dans une interaction interculturelle et de relever les défis dans la mobilisation des efforts cognitifs et émotionnels joue un rôle important dans
sa réussite. Plus précisément, cette dimension motivationnelle est la force qui nous pousse à sortir de notre «zone de confort» et à entreprendre
les efforts nécessaires pour comprendre les autres et contrôler les émotions négatives envers ces derniers à cause des différences culturelles
(sentiments d’hostilité, d’être dérangé ou menacé). Deux éléments contribuent à cette compétence motivationnelle : l’efficacité et la confiance
en soi (Earley et Ang, 2003) de même que l’ouverture aux autres cultures (Ang et al., 2006).
Dimension comportementale : Être compétent culturellement revient aussi à appliquer les savoirs et les connaissances particuliers dans des
contextes précis en manifestant des comportements culturellement adéquats. En fait, il y a deux niveaux de dynamique. Premièrement, avant
d’adopter les comportements exigés, on procède souvent à une série de négociations en déterminant les règles appropriées du comportement
dans une rencontre; deuxièmement, une fois les règles du jeu définies (résultant en partie des jeux de pouvoir), on applique les règles pour
s’adapter et intégrer ces comportements. Généralement, cette dimension comportementale est en lien avec les connaissances, comme le fait
de parler la langue de l’autre culture et d’assimiler les styles de gestion et de communication.
Source : Early et Ang (2003).
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Schéma 1
Les quatre configurations de l’identité culturelle des personnes
Forte
Déphasage
culturel
Compétence
multiculturelle
Enfermement
culturel
Narcissisme
ethnocentrique
Identification à soi
et aux autres cultures
Faible
Faible
Forte
Identification à la culture d’origine
tification aux autres cultures (une «identité duelle») sont les
plus compétentes dans l’interaction interculturelle (ce qui est
la compétence multiculturelle). Cette identité duelle peut aider
à acquérir de solides compétences culturelles dans les trois
dimensions définies par Earley et Ang (2003). Premièrement,
les individus possédant ce type d’identité peuvent accroître
leur complexité cognitive (Benet-Martínez et al., 2006), ce qui
facilite une compréhension profonde des autres cultures et
l’apprentissage de connaissances spécifiques. Deuxièmement,
ils sont davantage motivés par la rencontre interculturelle car,
d’une part, un fort ancrage identitaire implique une confiance
en soi élevée et, d’autre part, une identité ouverte aux autres
cultures va de pair avec l’intérêt à s’éveiller aux autres. Ces
deux composantes s’avèrent essentielles dans la dimension
émotionnelle des compétences culturelles. Troisièmement,
ces individus peuvent également se constituer un répertoire
plus large de rôles et de comportements (Bell et Harrison,
1996), pour ensuite adopter des comportements adéquats
selon les normes culturelles en question.
l’acquisition des connaissances culturelles, on constate également une dualité : nous devons obtenir des connaissances
culturelles afin de les transformer en action; néanmoins, nous
devons aussi faire attention à ne pas tomber dans le piège des
stéréotypes qui résultent le plus souvent de connaissances
culturelles partielles et figées. Il est donc impératif de prêter
attention simultanément aux exigences apparemment contradictoires, de trouver constamment un équilibre entre elles.
Les autres configurations identitaires présentées dans le
schéma 1 renvoient généralement à l’actualisation de compétences culturelles de moindre qualité. Il est évident que si une
personne a une identification culturelle à soi et aux autres faible, il lui sera difficile, au point de vue de la capacité et de la
motivation, d’opérer une rencontre interculturelle. Cette situation représente le plus souvent un «enfermement culturel»
suivant lequel cette personne s’isole par rapport à l’extérieur,
sa performance culturelle étant par conséquent pauvre. Dans
le cas d’un individu dont une des deux identifications culturelles est forte, la situation devient plus délicate. La force d’une
des dimensions identitaires (c’est-à-dire une identification
culturelle à soi très élevée) ne saurait compenser la faiblesse
de l’autre dimension (l’identification aux autres en l’occurrence).
Dans ce cas de figure, l’individu risque de se comporter
comme un «narcissique ethnocentrique» qui ne voit que les
côtés positifs de sa propre culture et applique ses normes et
valeurs pour juger les autres, tout en ignorant leurs points
positifs. Il s’ensuit qu’il est susceptible de se montrer arrogant,
agressif et d’adopter une attitude consistant à vouloir changer
tout le monde, sauf lui. Dans le cas contraire, lorsqu’une personne présente une identification extraordinaire aux autres
cultures, mais qu’elle possède une identification faible à sa
propre culture, elle court le risque de présenter un «déphasage
culturel». Elle tend à s’adapter à toutes les exigences culturel-
Cette configuration identitaire, parce qu’elle permet de
devenir compétent culturellement, est donc la plus désirable
et la plus désirée. Il s’agit ainsi de percevoir la complexité
duelle dans l’interaction interculturelle par le biais du concept
d’identité duelle. Souvent, l’interaction interculturelle nous
oblige à faire face à des défis duels et à gérer des dilemmes
culturels (Hampden-Turner et Trompenaars, 2000). Il semble
bien que la nature même des compétences culturelles englobe
ce défi duel : d’une part, ces compétences sont enracinées
dans une affirmation de soi-même forte; d’autre part, elles exigent une ouverture extraordinaire aux autres, une capacité de
voir en tout temps nos lacunes (modestie). Nous avons besoin,
pour nous développer, non seulement d’un point de repère de
soi assez stable, mais aussi d’une flexibilité dynamique. Dans
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91
l’acquisition et l’exercice des compétences culturelles. Cela
ne veut pas dire que les stratégies identitaires d’un individu
sont totalement conditionnées par le regard des autres. Bien
au contraire, l’acteur dispose d’une certaine capacité de définir
et de formuler ses identités en face d’une situation, ce qui
justifie pleinement le terme «stratégie». Ce faisant, il faut également reconnaître l’impact des attitudes entre les groupes en
interaction. En ce qui concerne le contexte culturel en général,
la distance culturelle, indice résumant les différences entre
deux cultures, semble aussi rendre l’interaction interculturelle
plus difficile, ce qui réduit les effets des compétences culturelles (Gomez-Mejia et Palich, 1997).
les pour plaire à tout le monde et, finalement, oublie qui elle
est. Elle aura très probablement un problème à moyen ou à
long terme pour devenir un véritable acteur interculturel.
Déployer un contexte facilitateur
dans le groupe et l’organisation
Bien qu’une partie des identités culturelles s’inscrivent dans
les histoires vécues de chacun, il existe une partie dynamique
susceptible d’être activée par certains facteurs internes et
externes. On peut de ce fait parler de «stratégie identitaire»,
celle-ci représentant un choix individuel (donc dynamique et
modifiable) en fonction de la situation, partiellement objective
et partiellement interprétée par l’acteur en question (Camilleri
et al., 1990; Niens et Cairns, 2003). Un individu peut choisir
ses stratégies identitaires dans l’interaction pour atteindre ses
buts. Néanmoins, ses choix stratégiques sont au moins en
partie conditionnés par les situations contextuelles dans lesquelles l’interaction se déroule5.
En résumé, des facteurs contextuels influent sur les stratégies identitaires et sur l’efficacité des compétences culturelles. Par exemple, au niveau du groupe (ou d’une interaction
interculturelle directe), la composition de ce groupe, sa diversité, la présence du sous-groupe dominant et les rapports de
pouvoir entre différents sous-groupes peuvent déclencher des
réactions particulières de stratégies identitaires au niveau individuel. Étant soumis aux situations économiques, sociales et
géopolitiques entre pays et cultures, nous sommes socialisés
par le biais d’attitudes figées à l’égard des autres, dans un
doux mélange d’hostilité, de supériorité ou d’infériorité et de
peur, sous l’influence de propagandes politiques. Dès lors,
nos stratégies identitaires individuelles ainsi que les perceptions ou les stéréotypes au niveau du groupe sont également,
au moins en partie, dictés par des perceptions et des histoires
d’interactions de plus haut niveau – celui du pays ou de la
culture. On pourrait penser que le temps peut permettre aux
individus concernés de comprendre les différences et d’apprendre à s’accepter et à se respecter les uns les autres. Mais
le temps en soi n’est pas un remède garanti, car il est possible
au contraire que les conflits et les malentendus s’aggravent
s’ils ne sont pas gérés correctement. De plus, dans un contexte
économique, l’exigence de la performance est souvent très
élevée, ce qui permet difficilement aux acteurs interculturels
de prendre le temps de dépasser les obstacles culturels pour
se comprendre. Cela risquerait de déclencher des conflits. En
outre, les collaborations de différentes natures exigent aussi
des compétences variées.
En effet, on constate que la dynamique sociale et politique
influe à un degré non négligeable sur les stratégies identitaires
adoptées par les acteurs d’une interaction. Plus spécifiquement, l’attitude des interlocuteurs d’autres cultures peut avoir
une influence sur la façon dont un individu réagit et définit ses
stratégies identitaires. Il ne faut pas oublier la nature interactive des compétences culturelles : on ne peut pas être compétent sans tenir compte de la dynamique interactive avec l’autre
partie dans les rencontres interculturelles, que ce soit au niveau
individuel ou au niveau institutionnel. Selon Berry (2001) qui a
étudié le phénomène de l’immigration, la société accueillante
peut démontrer quatre attitudes différentes face aux immigrés :
le «multiculturalisme», aidant le développement de l’iden­tité
duelle, le «melting-pot», encourageant les personnes culturellement déphasées, la «ségrégation», conduisant à un narcissisme ethnocentrique, et l’«exclusion», produisant l’enfermement
culturel. Une personne souhaitant démontrer une identité
duelle ne pourrait, par exemple, le faire si ses interlocuteurs,
individuellement ou collectivement, présentaient une attitude
de ségrégation ou d’exclusion. L’attitude des autres sur ce
point est particulièrement pertinente car elle renvoie à la question existentielle : la valeur et le droit d’exister en tant que tel,
dans la perception des autres.
Les raisons sous-jacentes des attitudes envers d’autres
groupes culturels sont multiples. Les stéréotypes et les plaisanteries ne manquent pas entre les pays européens voisins.
Parfois, ce sont le résultat de l’histoire. Souvent, les institutions politiques jouent également un rôle en arrière-plan. Des
conflits et des tensions politiques entre des pays peuvent
aussi enflammer le sentiment d’hostilité. De plus, un sentiment de supériorité – ou d’infériorité – lié au développement
économique ou politique du pays risque d’augmenter le malentendu ou de constituer un obstacle à la vraie compréhension
et au respect mutuel (Berry, 2001; Vinsonneau, 2002). Les rapports de pouvoir contribueraient eux aussi à la dynamique des
interactions interculturelles, dans lesquelles on doit souvent
«négocier» le sens, les normes et les règles du jeu. Ces attitudes vis-à-vis des autres, résultant des facteurs mentionnés
ci-dessus, créeraient certaines dynamiques conditionnant les
stratégies identitaires choisies ou activées, pertinentes pour
i Conclusion
Concevoir une organisation susceptible de tirer parti des
forces d’une diversité équilibrée et assumée est une nécessité aujourd’hui. Cela suggère notamment des implications
cruciales en ce qui a trait à la formation et au développement
mais aussi à l’engagement de la part de la direction. On n’arrive
jamais à épuiser la richesse de la diversité culturelle et l’on ne
sera jamais parfaitement à l’aise dans toutes les cultures. Par
conséquent, l’acquisition de compétences culturelles exige un
effort continuel. Autrement dit, les compétences culturelles
impliquent un apprentissage et un ajustement constants, résultant de l’observation des écarts par rapport aux performances
attendues et des incidents critiques culturels relevés. Pour les
organisations, un programme de formation peut aider les participants à orienter les énergies vers les capacités clés, à formuler les identités culturelles en fonction du contexte et à
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Notes
1.Les auteurs remercient avant tout la directrice et rédactrice en
chef Mme Sylvie St-Onge, ainsi que Mme Tania Saba, la responsable
du dossier, pour leurs commentaires exhaustifs et précieux. Nous
remercions aussi les deux évaluateurs anonymes pour la finesse
de leur lecture. Cet article a également bénéficié du travail de
notre assistant de recherche, Olivier Dolidon ; qu’il en soit remercié.
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2.Pour en savoir plus, voir Bryant (2002).
3. Voir Miller (1994), Nordhaug (1998), Earley et Ang (2003).
4. Voir Mendenhall et Oddou (1985), Black et al. (1991), Arthur
et Bennett (1995), Earley et Ang (2003), Hampden-Turner et
Trompenaars (2000), Harrison et al. (1996), Kelley et Meyers
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