Texte 4 – Planche 68 La ruse d`Héra Du haut de l`Olympe

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Texte 4 – Planche 68 La ruse d`Héra Du haut de l`Olympe
Texte 4 – Planche 68
La ruse d’Héra
Du haut de l'Olympe, Héra, assise sur son trône d'or, abaisse ses regards sur la terre et reconnaît
aussitôt Poséidon : elle se réjouit en le voyant courir au milieu des combats. Elle aperçoit aussi Zeus qui
se tient sur les sommets de l'Ida, arrosé par d'abondantes fontaines ; mais elle s'indigne contre lui et
médite comment elle pourra séduire l'esprit de son époux. Le parti qui lui semble préférable est de se
parer de riches vêtements et de se rendre sur les hauteurs de l'Ida. Elle pense que Zeus, la voyant si
belle, désirera de s'unir à elle, et qu'alors un doux sommeil descendra sur ses yeux et obscurcira ses
pensées. Soudain Héra se rend à l'appartement que lui avait construit son fils Héphaïstos, et dont les
portes solides étaient retenues par un verrou secret qu'aucun autre dieu ne pouvait ouvrir. Quand la
déesse est entrée, elle referme les portes brillantes. Elle répand sur son corps voluptueux l'ambroisie1
qui enlève jusqu'à la plus légère poussière ; elle se parfume d'une huile céleste d'un parfum délicieux qui
embaume à la fois le riche palais de Zeus, la terre et le ciel. Héra arrange sa belle chevelure et forme
des boucles éblouissantes qui retombent en flots d'or sur ses épaules. Elle se couvre d'une robe
magnifique tissée avec un art merveilleux et ornée de ravissantes broderies faites par Athéna elle-même ;
puis elle les fixe sur sa poitrine avec des agrafes d'or. Elle entoure sa taille d'une ceinture garnie de
nombreuses franges, et elle attache à ses oreilles des anneaux superbes enrichis de trois diamants et qui
brillent de mille feux. Elle pose sur sa tête un voile récemment achevé et d'une blancheur égale à celle des
splendides rayons du soleil ; elle attache à ses pieds brillants de riches et élégants brodequins2. La déesse
Héra, après avoir achevé sa parure, sort de son appartement ; elle court appeler Aphrodite, qui se
tenait loin des autres divinités, et lui dit :
« Ô ma fille chérie, m'accorderas-tu ce que je vais te demander, ou bien, irritée de me voir protéger
les Grecs tandis que tu favorises les Troyens, me refuseras-tu ton secours ? »
Aphrodite, la fille de Zeus, lui répond en ces termes :
« Ô Héra, déesse auguste, fille du puissant Cronos, dis-moi quels sont tes désirs. J'accomplirai tes
vœux si j'en ai le pouvoir et si cela m'est possible. »
L'artificieuse Héra réplique aussitôt :
« Accorde-moi les charmes et les désirs qui soumettent à ton empire les immortels et les faibles
humains. Je vais aux extrémités de la terre féconde visiter l'Océan, le père des dieux, et la belle
Thétis, qui me nourrirent et m'élevèrent dans leur palais (ils me reçurent de Rhéa lorsque le formidable
Zeus précipita Cronos dans les profondeurs de la terre et dans les abîmes de la mer stérile). J'irai les
voir pour mettre un terme à leurs continuelles discordes : depuis que la colère a subjugué leur âme, ils
fuient les douces joies de l'amour. Si par mes paroles je puis les fléchir et les ramener dans la couche
nuptiale, je serai toujours pour eux une déesse vénérable et chérie. »
Aphrodite au doux sourire, prend la parole et dit :
« Je ne puis repousser ta demande, ô déesse, puisque tu reposes dans les bras du puissant Zeus. »
(…) Héra s'empresse de descendre des hauteurs de l'Olympe ; elle franchit les monts de Piérie,
l'Émathie aux riantes campagnes, et s'élance sur les sommets escarpés des montagnes couvertes de
neige des Thraces, dompteurs de coursiers : les pieds de la déesse ne touchent point la terre. Elle se
précipite des hauteurs de l'Athos sur les vagues agitées de l'Océan et arrive bientôt à Lemnos, ville du
divin Thoas. Elle s'approche du Sommeil, frère de la Mort, le prend par la main et lui parle en ces
termes :
« Sommeil, roi des dieux et des hommes, si jamais tu écoutas mes paroles, obéis-moi donc aujourd'hui,
et je t'en garderai une reconnaissance éternelle. Ferme les yeux étincelants du redoutable Zeus dès que
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Le plus souvent, ce terme désigne la nourriture des dieux, mais il peut aussi, comme ici, être un onguent.
Chaussures
j'aurai reposé entre ses bras, et je te d o n nerai de riches présents, un trône d'or magnifique et
impérissable qui sera construit par mon fils Héphaïstos. Je joindrai à ce trône une riche escabelle pour
reposer tes pieds pendant les festins. (…) Si tu exécutes mes ordres, je te donnerai pour épouse la plus
jeune des Grâces, Pasithée, que tu désires depuis si longtemps. »
A ces paroles, le Sommeil tressaille de joie et il répond aussitôt à la déesse en disant :
« Touche d'une main la terre fertile et de l'autre les flots argentés de la mer. Jure-moi par les eaux du
Styx3, devant les dieux infernaux rassemblés autour de Cronos, que tu me donneras pour épouse la
plus jeune des Grâces, Pasithée, que je désire depuis si longtemps. »
Héra aux blanches épaules fait le serment inviolable que lui demande le Sommeil ; elle prononce le
nom de tous les dieux qui sont sous le Tartare4 et qu'on appelle Titans. Quand la déesse a fait son
serment, le Sommeil et Héra, enveloppés d'un nuage, abandonnent tous deux la ville d'Imbros et celle
de Lemnos. Ils s'élancent avec rapidité et arrivent bientôt à Lectos, qui est située près des hauteurs de
l'Ida, source d'abondantes fontaines. Là ils quittent la mer et s'avancent sur le continent : le sommet
de la forêt est agité sous leurs pieds. Le Sommeil s'arrête avant d'être aperçu par Zeus ; il monte sur un
sapin élevé qui croissait sur l'Ida et portait sa tête jusqu'aux régions éthérées ; il se cache sous l'épais
feuillage de l'arbre et ressemble à cet oiseau mélodieux qui, dans les montagnes, est appelé Chalcis par
les immortels et Cymindis par les hommes.
Héra monte rapidement sur le Gargare, qui est le sommet le plus élevé de l'Ida. A peine Zeus a-t-il vu la
déesse qu'il sent aussitôt un vif désir s'emparer de son âme : il est enflammé de cette ardeur qu'il
éprouva jadis, quand, pour la première fois, il partagea la couche d’Héra à l'insu de leurs parents. Il
s'approche de son épouse et lui parle en ces termes :
« Héra, pourquoi as-tu quitté l'Olympe pour venir en ces lieux sans coursiers et sans char ? »
L'artificieuse Héra lui répond aussitôt :
« Je vais aux extrémités de la terre féconde visiter l'Océan, le père des dieux, et la belle Thétis, qui me
nourrirent et m'élevèrent dans leur palais. Je vais les voir pour mettre un terme à leurs continuelles
discordes ; car depuis que la colère a subjugué leur âme, ils fuient les douces joies de l'amour. J'ai laissé
au pied du mont Ida les coursiers qui doivent me porter sur la terre et sur l'onde, et je suis venue en ces
lieux pour que tu ne sois point irrité contre moi, parce que je me rends dans les profonds abîmes de
l'Océan ténébreux. »
Le dieu qui rassemble au loin les nuages lui dit :
« Ô Hér a, tu pourras plus tard, si tu le désires, descendre dans ces abîmes. Maintenant reposons
tous deux sur la même couche et livrons-nous aux charmes de l'amour. Non, jamais déesse ou mortelle
n'a subjugué mon âme avec tant de violence ! Non, jamais je n'aimai avec tant d'ardeur, ni l'épouse5
d'Ixion qui me donna le divin Pirithoüs, ni la belle Danaé, fille d'Acrise, qui mit au jour Persée, le
plus illustre des hommes, ni la mère célèbre de Minos et de Rhadamanthe, ni Alcmène, ni Sémélé, de
Thèbes, l'une mère de l'indomptable Héraclès, l'autre de Dionysos, qui réjouit les mortels, ni la
reine Gérés à la belle chevelure, ni la glorieuse Léto, ni toi-même, ô Héra ! No n, jamais tu ne fis
naître dans mon cœur une flamme si vive et de tels désirs ! (…) Ne crains point les regards des dieux et
des hommes ; car je vais t'envelopper d'un nuage d'or si épais que le Soleil même ne pourra nous voir,
lui dont les rayons sont si perçants. »
A ces mots le fils de Cronos entoure de ses bras son auguste épouse. Soudain la Terre divine fait croître
des herbes nouvelles, le lotos6, humide de rosée, le safran aux fleurs de pourpre et l'hyacinthe épaisse et
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Rivière séparant le monde terrestre du royaume des morts.
Endroit le plus profond des Enfers.
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Zeus énumère ici quelques-unes de ses conquêtes féminines ou divines.
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Plante, variante du lotus, qui, chez Homère, apporte l’oubli.
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douce : ces plantes soulèvent mollement les deux divinités ; un nuage d'or entoure Zeus et Héra, et la
rosée tombe en perles étincelantes.
Zeus, vaincu par les charmes du sommeil et de l'amour, repose au sommet du Gargare en tenant son
épouse dans ses bras.

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