L`identité de la ville de Soissons - sahs

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L`identité de la ville de Soissons - sahs
SOCIETE ARCHEOLOGIQUE
HISTORIQUE ET SCIENTIFIQUE
DE SOISSONS
PATRIMOINE ET CULTURE EN PÉRIL À SOISSONS
Observateur privilégié du patrimoine et de l'activité culturelle de la ville de Soissons, la
Société historique de Soissons s'interroge sur le patrimoine, la politique culturelle, l'histoire et
l'évolution de notre ville.
Soissons se singularise par une politique culturelle que l’on peut qualifier de binaire. D’une
part, elle offre aux Soissonnais des spectacles variés et de qualité, où tous les publics trouvent leur
compte. D’autre part, notre « ville d’art et d’histoire » consacre tous ses moyens à la promotion de
l’art contemporain. L’histoire, l’archéologie et le patrimoine sont réduits à la portion congrue.
L’absence de coordination entre les domaines du patrimoine et de la culture ne fait
qu’accroître l’état d’abandon de notre patrimoine. Les quartiers anciens sont délaissés, le
patrimoine, petit ou grand est négligé : Depuis soixante ans, faute d’un plan d’embellissement
d’ensemble, la ville est défigurée jour après jour et ne parvient pas à reprendre une identité de ville
bien dans son siècle, c'est-à-dire fière de son histoire et allant de l’avant.
POUR UNE POLITIQUE CULTURELLE AU SERVICE DU PATRIMOINE,
DU TOURISME ET DES SOISSONNAIS
La politique culturelle actuelle de la ville présente des lacunes qu’il nous semble nécessaire
de combler. Elle perd en effet de vue qu’elle doit être l’un des éléments de la politique de
développement de la ville. Son but doit être notamment de proposer aux visiteurs la meilleure offre
touristique possible et aux Soissonnais des animations culturelles variées. Cela suppose la prise en
compte du rôle des associations qui animent la ville dans une véritable politique de communication.
A cet effet il convient de :
Valoriser le tourisme
A une époque où le public porte un intérêt de plus en plus grand au patrimoine sous toutes
ses formes, le tourisme apparaît comme un des vecteurs de développement économique d’une ville
et d’une région. Personne ne le conteste, encore faut-il prendre les mesures adaptées pour offrir aux
visiteurs une gamme variée. Cela suppose un certain nombre d’actions en terme de valorisation et
d’animation du patrimoine qui font défaut à Soissons. L’offre est d’autant plus limitée qu’elle pâtit
de l’état de délabrement du patrimoine de la ville et de l’absence d’une réelle politique d’animation.
Il y a peu de temps, la ville qui voulait garder sa vitrine, a refusé le transfert de la
compétence touristique à la communauté d’Agglomération. Cette solution aurait pourtant constitué
une possibilité de développement supplémentaire sans rien retirer à Soissons, partie prenante à 50%
dans la communauté d’agglomération.
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- Culture Urbanisme et patrimoine de Soissons, SAHS
Valoriser les associations culturelles
Un certain nombre d’associations animent la ville. Chacune d’elles a ses particularités : type
d’activité, mode de fonctionnement, genre d’adhérents. Cette diversité est une richesse et un atout
pour la ville.
Le fonctionnement d’une association nécessite des moyens financiers que les cotisations des
membres ne parviennent pas à couvrir. Cela conduit à demander une subvention à la ville, car sans
aide, il n’y a plus d’association. La question se pose donc : Que doit couvrir la subvention, et
comment en déterminer le montant ? frais de fonctionnement ou projets ? Peut-on comparer le
fonctionnement de la société historique (avec les charges qu’implique sa bibliothèque) et une
association de musique, de théâtre ou un club de bridge ? Tous animent la ville de manières
différentes.
Nous sommes de ceux qui pensent qu’une association doit formaliser une convention avec la
ville afin de fixer les obligations réciproques. La subvention n’est pas un droit, mais si l’association
remplit les critères fixés par la convention, l’aide lui est due. Par exemple, il semblerait tout à fait
indigne de la part d’une ville de supprimer une aide à une association dont l’expression des opinions
a pu déplaire au maire. Reste que le montant à attribuer sera toujours un peu subjectif, mais il y a
des moyens de l’apprécier : évaluation des charges et recettes, nombre d’heures de bénévolat,
effectif concerné, actions dans et pour la ville.
Il faut bien admettre qu’à Soissons, le montant de la subvention relève de l’usage, du type
d’activité et de la cote d’amour. Certaines activités sont favorisées par choix plutôt politique (ce
n’est pas anormal) et plus souvent par choix personnels (c’est anormal)1.
La Région a compris tout ce que pouvait apporter les associations et a entrepris des Etats
généraux afin de recenser les besoins et d’organiser le mouvement associatif. L’Etat l’avait
d’ailleurs précédé avec un certain nombre de mesures dont la création d’un secrétariat d’état.
Pour leurs activités, la plupart des associations utilisent des équipements publics. Les
associations culturelles doivent maintenant payer la location du centre culturel alors que la plupart
proposent des conférences gratuites ouvertes au public. En revanche un certain nombre d’autres
associations bénéficient de la gratuité des locaux selon des critères qui manquent de transparence 2.
Il serait souhaitable que les associations soient reconnues comme partenaires à part entière
dans la vie de la cité. La signature d’une convention est le moyen d’y parvenir.
Instaurer un niveau de concertation et de communication convenable
Un constat : la communication fait totalement défaut à Soissons. La société historique en a
fait l’expérience à propos de la place Mantoue. Les 4800 signatures de la pétition n’ont pas permis
d’ouvrir le moindre dialogue. C’est sans doute un record dans le genre !
Il est symptomatique de voir qu’à Soissons, un courrier adressé au maire obtient rarement
une réponse. Si on ne la relance, une demande de rendez-vous peut rester des semaines sans
réponse. Un projet proposé à la ville n’obtient de réponse qu’après des mois d’attente et de
nombreuses relances.
Cette difficulté de dialoguer peut être considéré comme un manque de reconnaissance des
associations et autres interlocuteurs, mais c'est surtout un aveu de faiblesse. Communiquer ce n’est
1
Pour ce qui concerne la société historique, le montant de la subvention est inchangé depuis 17 ans. Elle n’a pu
compenser ce manque de recette dû à l’érosion monétaire que grâce à ses publications et à l’investissement bénévole de
ses membres. Elle peut ainsi financer un emploi aidé, informatique, photocopieur, achats de livres, reliures etc.
2
A noter la procédure lourde mise en place pour la réservation des salles, des réservations qui ne peuvent être faites sur
le long terme, une facturation identique pour 2 h ou 8h. Les aménagements de l’auditorium sont obsolètes : pas
d’informatique, pas de vidéo projecteur.
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pas seulement écouter les revendications, mais aussi s’efforcer d’expliquer et de faire comprendre
ses décisions, et prendre en compte éventuellement l’avis des autres.
Aussi somme nous amenés à faire connaître publiquement les raisons de notre insatisfaction
et au-delà des constats, faire des propositions.
LES RAISONS DE L’IRRITATION ?
État des lieux
Un patrimoine délaissé
A la suite de la Grande Guerre, la ville a été en grande partie reconstruite entre 1920 et 1930.
Dans les années qui ont suivi, il n’y avait donc pas de problème d’entretien du Patrimoine. La durée
de vie d’une couverture étant d’environ 80 ans, il est normal que les toitures de Saint-JeandesVignes, la cathédrale, Saint-Léger ou l’Arquebuse soient à refaire. Le problème est que c’était
aussi prévisible depuis… 80 ans. En d’autres termes le patrimoine n’est pas éternel, il s’entretient.
Aujourd’hui, le patrimoine ancien de la ville est dans un état de délabrement tel qu’il est
légitime de se demander si les 2 millions d’euros de la place Mantoue n’auraient pas donné un tout
autre aspect à la ville s’ils avaient été investis dans la rénovation des bâtiments anciens. On aurait
pu commencer par l’hôtel de ville, inscrit récemment à l’inventaire des monuments historique. Son
état médiocre donne une vision attristante du centre du pouvoir municipal. Les fenêtres XVIIIe s.
qui ont échappé à l’incendie en 1814 et aux bombardements de 14-18, sont, faute d’entretien,
remplacées par des baies modernes.
Le reste du patrimoine de la ville n’est pas mieux considéré. L’Hôtel de Roye, rue Porte
Hozanne, sauvé de la démolition en 1976 et classé monument historique, a été affublé de fenêtres en
pvc, volets roulants et Velux. Sur la place Saint-Christophe, le monument des coopératives de
lareconstruction est dans un état pitoyable. Certains souhaitaient même sa démolition, mais il a été
classé. Une remise en état, une mise en valeur et un panneau signalant son intérêt particulier lui
redonneraient de l’attrait.
La toiture de l’église Saint-Léger ne durera plus longtemps, pas plus que les portes, si on ne
se préoccupe pas de leur rénovation, ce qui conduira à une nouvelle fermeture des lieux.
Le pavillon de l’Arquebuse continue à se dégrader avec le carrelage qui se décolle et par
temps d’orage, il faut un parapluie, même à l’intérieur ! Quant au site de Saint-Médard, on peut
dire que Soissons est véritablement amnésique de son passé. L’une des rares cryptes carolingiennes
de France est laissée à l’abandon. La chapelle Saint-Charles est restée fermée près de dix ans et
sans les trésors d’énergie et de patience développés par l’association de sauvegarde nous en serions
au même point. Enfin, autre exemple du désintérêt de la ville pour le patrimoine ancien est la
maison de la Grand place, « sauvée des griffes d’un promoteur » il y a cinq ans. Rigoureusement
rien n’a été fait depuis et on dit à son sujet qu’il y a d’autres priorités. Pour se donner bonne
conscience, la ville se félicite des travaux effectués à Saint-Jean-des-Vignes, en oubliant qu’ils
résultent d’obligation légale pour un édifice classé 3.
L’opération façade lancée il y a quelques années résume la situation. Les initiatives de
ravalement sont toutes venues des particuliers et la ville n’a rigoureusement rien fait sur son propre
patrimoine.
Pour ce qui est du patrimoine récent le constat n’est pas meilleur, il suffit de voir le
monument de la place Saint-Christophe pour en être convaincu. Le monument aux morts de la place
F. Marquigny était autrefois environné d’un bassin. Quant à la salle des Feuillants le projet de
réhabilitation prévu par la précédente municipalité a été abandonné. On envisage d’en faire des
3
La loi oblige un propriétaire d’édifice classé de l’entretenir et permet à l’état de se substituer à lui en cas de
manquement.
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logements alors que dans le même temps on prévoit de construire une maison des associations en
périphérie de la ville. Voilà une idée saugrenue. Les associations forment un tissu culturel qui
anime une ville. Les rejeter en périphérie serait une forme de marginalisation. Ne serait-il pas plus
judicieux d’installer cette maison dans la salle des Feuillants, par exemple ? La vocation publique
de ce lieu serait ainsi conservée.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un ouvrage ancien, nous évoquons ici l’état de la passerelle des
Anglais qui devra, dans un avenir proche être fermée, si on ne se préoccupe pas rapidement de son
état4.
La réponse toute faite à cet état des lieux est évidemment que cela coûte cher. On ne peut
pas le nier mais entretenir et valoriser le patrimoine est aussi un choix politique, tout comme l’a été
le lourd investissement de la place Mantoue.
Des aménagements urbains hétéroclites
Les aménagements urbains valorisent une ville et contribuent à renforcer son identité.
Malheureusement, on ne peut pas dire que Soissons en ait pris conscience.
Alors que de nombreux villages enfouissent leurs réseaux5, les câbles et pylônes électriques
qui défigurent les façades sont un des traits marquants de Soissons. Certains datent même des
années vingt et vont bientôt relever du classement monument historique !
On se demande selon quels critères le revêtement des trottoirs de Soissons est renouvelé. On
a vu apparaître des grands carreaux noir et blanc sur les trottoirs de la place Marquigny, des petits
carreaux beiges et rouges rue de la Bannière, des dalles de ciment, des pavés jaunes ailleurs.
Les lampadaires soissonnais constituent un véritable catalogue des productions. Ils
présentent une accablante diversité qui contribue à brouiller l’image de la ville. Les travaux en
cours vont-ils améliorer la situation ?
Un point positif cependant, les fleurs, en abondance à Soissons, tentent de combler ce déficit
esthétique mais y parviennent difficilement6.
Le jardin d'Horticulture, qui n'est pas un simple espace vert, n'est pas traité à la hauteur de sa
valeur historique et arboricole (jardin d'agrément aux essences rares dont l'usage a été dévoyé :
enlèvement des grilles, ch'tiot cadet… ).
On le voit, la ville n’a pas encore pris conscience que le pittoresque d’une ville, d’un
quartier, ou d’un site est le résultat d’une infinité de détails qui assemblés donnent un ensemble
harmonieux. Il n’y a pas de recettes miracles, seule une mise en cohérence de tous les
aménagements de la ville peut lui redonner une identité.
Des possibilités inexploitées
Si on entre un peu plus dans le détail, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup à faire pour
améliorer l’aspect de la ville. Le silo abandonné est un véritable scandale. Qu’attend-on pour le
démolir et aménager les berges de la rive droite ?
L’Aisne a perdu sa vocation d’artère économique importante. Cela explique l’état d’abandon
de ses berges, mais ne justifie pas la persistance de cette situation. De Pommiers à Villeneuve, la
rivière pourrait constituer un axe de promenade touristique agréable.
En plein centre-ville, la Croix d’or est dans un état lamentable. Son chantier de rénovation
est « en cours de démarrage » depuis au moins cinq ans7.
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Sans entrer dans les détails techniques, il s’agit d’une structure de type « cantilever » constituée de deux culées en
console portant une poutre. La liaison poutre-culée est assurée par une articulation qui est actuellement corrodée avec,
à terme, un risque de désordre.
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Voir en particulier le bel exemple de Septmonts
6
Toutefois elles deviennent parfois un exercice de style qui oublie son environnement. C’est le cas, par exemple, de la
façade sur jardin de l’hôtel de ville.
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Il s’agit d’une propriété privée mais il nous semble qu’une pression forte et continue de la part de la ville devrait faire
bouger les choses.
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La ville a encore des quartiers anciens intéressants qui peuvent ajouter une plus-value
touristique. Pour autant, cela suppose de les valoriser. Les rues Plocq, Saint-Gaudin, Richebourg,
des Paveurs, de Guise, pour ne citer que celles-ci, sont évocatrices de l’ancien Soissons. Elles
devraient bénéficier d’un véritable programme d’embellissement.
L’avenue Thiers a été refaite, mais elle donne une perspective bouchée par une ancienne
poudrière inutilisable, délabrée et qui masque partiellement la vue sur Saint-Jean-des-Vignes.
On ne cesse de dire que la voiture n’a plus d’avenir dans le centre des villes. Soissons est
une cité horizontale dotée de larges avenues. Elle se prête donc admirablement à l’implantation de
pistes cyclables qui pourraient créer des parcours découvertes.
Après l'engloutissement du moulin Notre-Dame dans l'ensemble de Chevreux, la Crise a
perdu cette zone où elle pouvait se répandre en cas de fortes eaux. Les bords de Crise pourraient
être aménagés comme sentier et espace de détente depuis le château de Chevreux, le moulin de
Crèvecœur, jusqu'au Préfoireux pour rejoindre l'Aisne par le Jardin d'Horticulture, la sente du
Moulin de la Buse et la rue Dehaître.
Un réseau plus étoffé de sentiers ou pistes cyclables relié aux communes voisines devrait
pouvoir être aménagé le long du halage et même côté Saint-Waast/Saint-Médard jusqu'au Ponceau
et les étangs de Clémencin, en accord avec l'Office de Navigation et la Communauté
d'agglomération du Soissonnais.
Historique d'une identité perdue
Les années vingt : Perte d’identité
À la veille de la guerre de 1914, le tissu urbain était assez semblable à celui de Senlis ou
Crépy-en-Valois aujourd’hui. La pierre de taille avait développé une architecture de qualité où
toutes les époques étaient représentées. À la périphérie, les dernières années du 19 e s., avaient vu la
création de nouvelles voies bordées d’hôtels particuliers et de maisons bourgeoises.
Les importantes destructions de la guerre de 1914-1918, ont imposé à la ville de se
reconstruire. L’architecte de la ville, Devauchelle conçoit un plan. De nouvelles rues sont percées,
d’autres sont élargies en ne conservant qu’un seul côté. Ce plan est très contesté par l’architecte de
l’Etat Paul Normand qui lui reproche de ne pas sauvegarder les quartiers anciens. Après quatre
années de discussions laborieuses le plan de Soissons est définitivement adopté.
Avec le recul du temps on peut dire que la reconstruction a donné des résultats contrastés.
En matière d'urbanisme, la ville est plus aérée et la circulation y est facile. En revanche, de
nombreux immeubles de caractère (par exemple le théâtre et l’abbaye Notre-Dame) ont fait les frais
du nouveau plan. La création de la place F . Marquigny a supprimé le centre historique pour créer
une perspective sans intérêt sur le chevet de la cathédrale. À l’opposé, la place a pour point de vue
la petite église Saint-Pierre, perdue dans ce grand vide. Le monument et la passerelle des Anglais
étaient chargés de prolonger cet ensemble, mais la différence de niveau les rend invisibles.
Finalement, cet ensemble est une vue de l’esprit qui n’est perceptible que d’avion.
En matière d’architecture, cette reconstruction a produit des immeubles arts déco
intéressants. Malheureusement, faute de règles d’urbanisme précises, ils sont le plus souvent
estompés par un environnement architectural sans intérêt.
En définitive, la reconstruction des années vingt a gommé la diversité architecturale que les
siècles avaient créée. Les nouvelles rues et celles élargies ne parviennent pas à donner l’aspect
hausmanien recherché par le plan. Soissons a ainsi perdu en grande partie, son identité de ville
ancienne sans parvenir à se donner une cohérence d’ensemble. Pourtant, dans les années trente, la
nouvelle ville était considérée comme une réussite.
Les années quarante, une erreur
Après la Deuxième guerre, la reconstruction des ponts détruits rouvre le débat sur
l’aménagement de la ville. On envisage de déplacer les ponts, mais finalement rien n’est changé car
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- Culture Urbanisme et patrimoine de Soissons, SAHS
on est fier de la reconstruction des années vingt. On commet néanmoins une erreur : le pont des
Anglais devient une passerelle piétonne. Cela a pour effet de marginaliser le quartier Saint-Waast,
la RN2 l’ayant déjà coupé en deux depuis la construction du pont Gambetta en 1924. Ce quartier
proche du centre est désormais en dehors.
Les années soixante-dix, virage manqué
En 1976 le dossier de l’urbanisme de la ville est rouvert dans le cadre d’un contrat de « ville
moyenne » qu’on envisage de signer avec l’état. C’est une refonte complète de la ville qui est
envisagée avec pour objectif 40000 habitants en 2000. Un parking de 400 places sera construit sous
la place Fernand Marquigny. Une voie verte pour piétons et cyclistes longera l’Aisne dans le
prolongement du Mail. Le quartier Saint-Waast sera rattaché au centre-ville grâce à une nouvelle
voie et un axe piétonnier. Ce projet ne verra jamais le jour.
Les années quatre-vingt, prise de conscience étriquée
Dans les années qui suivent, on se préoccupe du bâti ancien. Un site « protégé» est créé dans le
centre-ville. Une évaluation du patrimoine ancien de la ville est réalisée. Elle se concrétise par le
plan Froideveau du nom de l’architecte qui l’a établi. Ce plan, d’une grande utilité, recense les
immeubles selon leur intérêt et leur ancienneté. Malheureusement, on en fait peu de cas dans les
décennies suivantes. Régulièrement des bâtiments de caractère, signalés sur ce document, sont
détruits.
Puis, un projet d’aménagement des abords de la cathédrale est imaginé par l’architecte des
bâtiments de France. Il prévoit notamment le dégagement du transept sud et la création d’un
cheminement entre la cathédrale et Saint-Médard. Ce plan ne sera pas mis en œuvre.
En 1998 on parle de réaménagement du centre-ville. Il s’agit de le rendre plus attractif et de
redonner une identité à la ville. Des aménagements nouveaux sont prévus rue de l’Evéché, place
Marquigny, au bord de l’Aisne avec la création d’un port de Plaisance, etc8. La première étape
consistera à embellir la ville en mettant en place une trame verte dans le cadre d’une charte florale
et arboricole. Une nouvelle fois ce projet restera dans les cartons. Néanmoins quelques mesures sont
prises à cette époque : la place de la République et l’avenue Thiers sont incontestablement une
réussite dans la simplicité.
Les années deux mille : des millions au coup par coup
Ces deux dernières années des projets de rénovation des places sont lancés avec beaucoup de
discrétion, comme si ce n’était pas l’affaire des Soissonnais. En fait, il n’y a pas de projet
d’urbanisme d’ensemble. Il s’agit de réaménager9 les places, sans rechercher une cohérence
d’ensemble. Un premier aménagement est lancé, la place de Finfe, on se demande d’ailleurs selon
quel critère puisqu’elle était en bon état.
La place Mantoue, qui ne manquait pas de charme, avait échappé aux destructions de 14-18.
Personne ne contestait qu’il fallait la rénover, mais le bon sens aurait voulu que le patrimoine des
lieux soit évalué préalablement. Le souci principal des architectes semble avoir été de laisser une
marque de leur passage au détriment d’une valorisation bien pensée du patrimoine existant.
L’aménagement réalisé ne manque pas de qualité architecturale, mais n’était-ce pas le minimum
qu’on pouvait attendre pour ce qui a coûté plus de 2 millions d’euros. En revanche, en terme
d’identité et de patrimoine, c’est un échec. L’aménagement dix-neuvième siècle n’existe plus. Le
seul rempart romain du département de l’Aisne reste occulté, la tour de l’évêché n’est pas mise en
valeur. Le transept sud, principal attrait de la cathédrale, demeure derrière son grillage. L’élément
identitaire et central de la place qu’était la fontaine a été remis en scène « au chausse-pieds » dans
une situation incompréhensible, bien repeinte, mais sans sa grille, avec une margelle toute neuve et
un angelot disproportionné.
On se préoccupe maintenant de l’aménagement du boulevard Jeanne d’Arc. Deux des
projets proposés lui conservent sa vocation actuelle de l'un des principaux axes urbains de la ville.
Le troisième lui supprime ce rôle pour en faire un axe de promenade style ramblas espagnole. Il
nous semble qu’un type d'aménagement, quel qu’il soit, découle d’une fonction. Or ici on fait la
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Le plan d’aménagement devant s’étaler sur une durée de 12 ans
On parle toujours de requalification, mot à la mode qui ne veut pas dire grand-chose.
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- Culture Urbanisme et patrimoine de Soissons, SAHS
démarche contraire. On décide que le boulevard doit devenir un axe piéton sans aborder le problème
des conséquences pour la circulation. Tout cela pour 6 ou 7 millions d’euros. Pour faire passer la
pilule on a évalué la rénovation du boulevard, sans rien changer, à un coût de 4 millions. Ce n’est
évidemment pas crédible. Tout le monde est d’accord sur le fait que le boulevard doit être rénové.
En refaisant la chaussée, en gérant le stationnement et en complétant les arbres manquant le résultat
sera satisfaisant et à la mesure du besoin et de nos impôts.
La place Saint-Christophe, conçue en 1900 comme l’aboutissement du boulevard Jeanned’Arc, a fait l’objet d’un projet, qui n’a pas été révélé au public. Il semble maintenant abandonné au
profit d’un aménagement provisoire dans le style « rondin autoclavé » qui risque bien de devenir
définitif.
Finalement, on voit que depuis soixante ans, faute d’une idée directrice d’ensemble, la ville
évolue au coup par coup et sans cohérence. La création d’un site protégé dans le centre-ville, puis
celle du POS, n’ont rien changé : la pression immobilière à conduit à des constructions
malheureuses10. L’aspect de la ville s’est ainsi dégradé faute d’une politique suivie en matière
d’urbanisme. La rénovation des places et voiries est indispensable, mais elle devrait se faire avec
bon sens, c'est-à-dire, dans la simplicité (exemple de l’avenue Thiers et de la République), en
fonction des moyens financiers de la ville et suivant un plan d’urbanisme d’ensemble donnant des
aménagements cohérents.
Le déficit Soissonnais
Le label " Villes d'art et d'histoire " n’est pas une fin en soi. Selon les critères d’attribution,
fixés par le ministère de la culture, il est attribué aux villes qui souhaitent valoriser leur patrimoine.
Ce terme doit être entendu dans son acception la plus large puisqu'il concerne aussi bien l'ensemble
du bâti que les sites naturels, industriels, ainsi que la mémoire des habitants. Il s'agit donc d'intégrer
dans la démarche tous les éléments qui contribuent à l'identité d'une ville.
Or depuis une dizaine d’année il n’y pas eu d’exposition importante11 sur l’histoire, le
patrimoine ou l’archéologie. A contrario, il est remarquable de voir l’intérêt croissant du public
pour les choses anciennes. La société historique augmente continuellement son nombre d’adhérents.
Il en est de même du cercle de généalogie de l’Aisne, de l’associations Soissonnais 14-18. Cet
intérêt gagne les entreprises qui, dans certains cas, apportent maintenant leur mécénat aux
associations. Les résultats obtenus par l’association de sauvegarde de la chapelle Saint-Charles sont,
sur ce plan, significatifs.
Dans ce contexte, le comportement de la ville est incompréhensible. Elle mène une politique
culturelle qui ne tient pas compte des tendances et aspirations du public et privilégie exclusivement
l’art contemporain. Pour quelles retombées touristiques pour la ville ?
L’histoire valorise le patrimoine
De l’époque gauloise à 14-18, l’histoire de la ville est riche, extrêmement riche. Cette
histoire ne commence pas sous Clovis comme pourrait le faire croire le site Internet de la ville. C'est
cette histoire, depuis les temps les plus reculés, que la société historique s’efforce de faire connaître.
Elle renseigne les chercheurs et, grâce à Internet, et grâce aux bonnes relations qu’elle entretient
avec la bibliothèque, le musée et les archives municipales, elle multiplie les contacts. On l’aura
compris, cela ne relève pas d’une politique culturelle, absente en ce domaine, mais de bonnes
relations entre les personnes qui ont compris qu’il y avait là une attente du public. Dans l’intérêt de
la ville, il y aurait évidemment beaucoup à faire avec une politique adaptée dans ce domaine :
circulation des informations, mise en réseau des moyens, diffusions et publications.
10
Des immeubles ont été construits sans tenir compte de l’environnement : HLM de la Grand’place, immeubles rue
Porte Hozanne, rue Quinquet, etc.
11
« L’Archéologie quel chantier » était organisée par le Conseil général de l’Aisne.
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- Culture Urbanisme et patrimoine de Soissons, SAHS
Nous pensons en effet que les publications historiques et patrimoniales sont un vecteur de
rayonnement de la ville. Pourtant, l’édition des « Mémoires du soissonnais » publiés par la société
historique, relève de sa seule initiative. A chaque publication, elle met en exergue des collections
méconnues du musée, non pas par intérêt excessif pour celles-ci, mais pour valoriser notre musée. Il
est remarquable de voir que le dernier tome consacré aux maires de Soissons, ou la publication des
légendes du Soissonnais ont été boudés par la municipalité. A l’opposé, la bibliothèque de la
Sorbonne nous aide régulièrement par ses commandes de nos publications.
Les conditions d'hébergement de la société historique mais aussi des archives de la ville, et du
musée sont évocatrices du désintérêt de la ville dans ce domaine.
À Soissons, la guerre de 1914-1918 n’a pas eu lieu
La guerre de 14-18 a profondément marqué la ville, ses environs et tout le département de
l’Aisne. Durant la guerre, Soissons a été une ville-symbole, de première ligne.
Le tourisme des champs de bataille 14-18 se développe de façon importante depuis une vingtaine
d’année. Beaucoup de villes ou régions ont compris que ce tourisme pouvait être un vecteur de
développement. Soissons est géographiquement très bien placé. Aux environs, les traces de 14-18
sont extrêmement nombreuses : monuments, cimetières, carrières, champs de bataille, etc. Les sites
prestigieux sont à proximité, Rethondes, Le chemin des Dames, la Somme, etc.
Des musées se sont aménagés à Péronne, Thiepval, Reims etc. Tout dernièrement, la petite ville de
Suippes s’est dotée d’un centre d’interprétation de la Grande guerre réussi. Le plus grand musée 1418 sera bientôt construit à Meaux.
Et à Soissons ? Rien, pas la moindre exposition, pas la moindre manifestation. À l’occasion
du 90e anniversaire de l’année 1917, toutes les villes du département, sauf Soissons, ont
accompagné le Conseil général dans cette commémoration. L’importance des embouteillages sur le
chemin des Dames le 16 avril a montré l’intérêt du public pour cette période. La ville a même fait
en sorte que le colloque 14-18 ne puisse pas s’y tenir. Il a donc réuni une cinquantaine
d’universitaires français et étrangers à Laon, malgré le succès qu’avait connu celui de 2004.
La mémoire de la ville aux oubliettes
Il y a quelques années, la rénovation de la bibliothèque a été faite sans ambition. Celle de
Compiègne, qui vient d’être inaugurée, montre comment un espace ancien peut devenir un lieu de
culture pour tous12, Laon et Noyon l’ont compris. A Soissons, le peu de place, le bruit et l’absence
de prise de courrant pour ordinateurs portables sont dissuasifs pour les lecteurs ou chercheurs. Les
manuscrits ne sont pas consultables dans des conditions de sécurité que requiert ce genre de
documents.
La bibliothèque attend toujours une informatisation qui permettrait de rendre accessible au
public tous les livres anciens dont le fichier a été relégué dans les réserves.
Les archives municipales anciennes ne sont pas mieux traitées. Elles ne sont consultables
que grâce à l’extrême bonne volonté de son archiviste qui accepte de faire fonctionner ce service
dans des conditions telles que seul son intérêt pour l’histoire lui permet d’accepter. La faiblesse des
moyens est tel qu’il n’est évidemment pas question d’entreprendre le moindre inventaire. Les
archives de notre historien Bernard Ancien, par exemple, ont été déposées aux archives municipales
avec certaines obligations de classement qui n’ont jamais été respectées13. Dans ce contexte, comme
à la bibliothèque, l’informatisation n’est pas d’actualité. C’est pourtant aujourd’hui la grande
préoccupation des bibliothèques et archives.
Un musée fossilisé
12
Elle comprend une salle de consultation des périodiques, une salle de travail, une salle de lecture « enfants », une
salle de consultation des manuscrits. Le cloître et la salle capitulaire ont été aménagés en espace d’exposition. Les
postes informatiques nombreux permettent d’accéder au fichier des ouvrages.
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Elles sont conservées dans les greniers de la bibliothèque et consultables au premier étage de l’hôtel de ville.
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- Culture Urbanisme et patrimoine de Soissons, SAHS
Avec un aménagement datant de 1930, sur trois niveaux, sans ascenseur, il est réservé aux
personnes alertes ! Avec un unique accès, sans accès handicapés, sans détection incendie, on se
demande comment la commission de sécurité n’a pas encore ordonné sa fermeture. En tout cas,
cette situation à haut risque relève de l’inconscience.
Le moins qu’on puisse dire est qu’on a de la place pour circuler. Ne pourrait-on pas le
meubler ou sortir des réserves des collections pour combler ces grands vides ?
L’exposition archéologique temporaire, installée en 1990, est toujours là, intéressante mais
bien défraîchie et poussiéreuse.
On ne fait rien, nous dit-on, en attendant le transfert prévu depuis plus de 10 ans et qui n’est
pas encore programmé.
Une lueur d’espoir ?
Dans ce constat accablant, la création du CIAP14 dans le logis de l’abbé est une lueur
d’espoir atténuée par le transfert des bureaux du musée au premier étage. La vocation d’un
monument historique n’est pas d’abriter des bureaux forcément mal adaptés aux lieux. On notera
d’ailleurs qu’à Soissons, on a fait exactement l’inverse de ce qui se fait partout en France. À Laon
par exemple, les services du patrimoine et des musées du département ont quitté le petit SaintVincent pour un bâtiment plus fonctionnel.
CONCLUSION
Face à un monde en perpétuel changement, nous nous rattachons tous aux fondements de
notre culture que sont l’histoire et le patrimoine. Le formidable intérêt du public pour ces
disciplines s'est considérablement renforcé en 1962 avec l’émission « chefs-d’oeuvre en péril » et
n’a cessé de croître15. Très tôt, les grandes villes ont pris conscience de la nécessité de sauver leur
patrimoine. Le quartier Saint-Jean à Lyon dans les années soixante ; celui du Marais à Paris dans les
années soixante-dix, pour ne citer que ceux-là. Plus près de nous et à notre échelle, il y a cinquante
ans la ville de Compiègne avait la taille de celle de Soissons. Son développement n’a pas été
entravé par la création de l’association « Sauvegarde du vieux Compiègne » qui, bien au contraire,
veille chaque jour sur le patrimoine de la ville, qui plus est, elle est régulièrement consultée par la
municipalité.
On ne voit pas pourquoi Soissons adopte une attitude frileuse vis-à-vis de son patrimoine
alors que d’autres ont su allier sauvegarde, valorisation et animation du patrimoine et
développement économique. Sans sous estimer les moyens financiers limités de la ville, nous
croyons que son patrimoine, classé ou non, souffre d’une absence de programme de mise en valeur
sur le long terme.
On l’aura compris, il ne s’agit pas d’adopter une attitude passéiste refusant toute forme
d’évolution, mais simplement de maîtriser notre développement en prenant en compte les
aspirations du public et les réalités de notre ville. C’est bien parce que nous nous intéressons au
présent et au futur de notre ville que nous avons souhaité transmettre ces quelques réflexions à tous
les acteurs de la vie municipale et en particulier aux candidats aux prochaines élections.
Société Historique de Soissons
Décembre 19/12/07
Ce document, complété par des photographies, peut être consulté sur le site de la société historique :
www.sahs-soissons.org
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Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine.
Peut-être plus spectaculaire encore, dans les années soixante, la généalogie ne comprenait que quelques milliers de
chercheurs. Aujourd’hui, il existe plus de 400 associations regroupant environ 200 000 chercheurs amateurs.
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