Les effets transitoires des rafales de vent : de l`aile d`avion aux ponts
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Les effets transitoires des rafales de vent : de l`aile d`avion aux ponts
49 Les effets transitoires des rafales de vent : de l’aile d’avion aux ponts haubannés Pascal HÉMON Laboratoire d'Hydrodynamique de l'École Polytechnique (LadHyX) UMR CNRS - EP 7646 Ainsi nous avons découvert puis mis en évidence expérimentalement un mécanisme appelé croissance transitoire de l’énergie qui était resté inaperçu jusqu’alors dans la communauté. Ce phénomène peut se produire à l’issue d’une perturbation dans la vitesse de l’écoulement, comme par exemple une rafale de vent. Cette rafale transmet une certaine quantité d’énergie à la structure qui la dissipe en oscillant. A priori puisque la structure est bien conçue (elle est stable du point de vue du flottement), les oscillations s’amortissent rapidement et l’énergie mécanique devrait décroître. Mais c’est sans compter sur le phénomène de croissance transitoire de l’énergie : il arrive dans certaines conditions que l’énergie commence d’abord par augmenter pendant quelques secondes, et les oscillations avec elle, avant de dimi- nuer puis de s’atténuer complètement. Si le phénomène n’est pas dommageable à court terme, ce n’est pas obligatoirement le cas pour la fatigue à long terme. En 2006/2007 nous avions quantifié en soufflerie et modélisé par calcul ce mécanisme sur un profil d’aile dans le cadre d’un contrat de partenariat avec Airbus. Mais un profil d’aile d’avion est une structure aérodynamique simple. Tandis que dans le domaine du génie civil, les formes d’ouvrage sont nettement plus compliquées, la fonction aérodynamique n’étant pas leur objectif premier. Dans la thèse de Shehryar Manzoor soutenue en © Coll. EP /Ph. Lavialle L ’hôtesse vient à peine de servir le café que le commandant de bord annonce une zone de turbulence. Tous les passagers rattachent leur ceinture et se saisissent de leur tasse, concentrés au maximum pour éviter les débordements de liquide. Qui, au cours d’un trajet, n’a pas déjà vécu un scénario analogue ? Car les avions traversent régulièrement des zones d’atmosphère perturbée qui déclenchent des tremblements de la structure. Pour les voilures, cela se traduit par des oscillations de l’aile qui la font fléchir et se tordre. On parle ainsi de flexion-torsion. Le calcul du mouvement de la structure à la suite d’une excitation transitoire par la turbulence atmosphérique relève du domaine des interactions fluide-structure, et plus précisément de l’aéroélasticité. Il s’agit en effet de calculer le comportement de structures souples en présence d’un écoulement d’air et éventuellement de ses perturbations. Plusieurs types d’instabilités peuvent se produire : les flottements qui conduisent généralement à destruction, à l’instar du pont de Tacoma, ou bien des instabilités transitoires à durée de vie courte. Leur étude est l’une des spécialités du LadHyX depuis plusieurs années. Vue de la soufflerie du LadHyX conçue pour les essais aéroélastiques. 50 Figure 1 : Mise en évidence en soufflerie d’une croissance transitoire de l’énergie sur un tablier de pont de type Millau. 2010, nous avons étudié la croissance transitoire de l’énergie sur un tablier de pont de forme semblable au viaduc de Millau. Pour cela nous avons produit en soufflerie un écoulement d’air de vitesse moyenne auquel nous avons superposé une rafale de vent unique à l’aide d’un volet placé en amont et brutalement tourné de 180° (figure 2). La rafale se traduit par une survitesse de la composante longitudinale u conjointement à une double impulsion, positive puis négative, sur la composante verticale w (figure 3). Cette perturbation est semblable à une rafale turbulente naturelle ramenée à l’échelle de la soufflerie. Elle transmet à la structure une énergie initiale E0 qui sert de référence et sur laquelle se mesure l’amplification. Mais l’enjeu réside surtout dans la modélisation du phénomène afin d’enrichir les modèles de calcul employés par l’industrie. Or autant un profil d’aile d’avion peut raisonnablement se calculer à l’aide de modèles standards, autant un tablier de pont, même profilé comme celui de Millau, reste difficile à appréhender par le calcul. En se basant sur les résultats expérimentaux obtenus par Shehryar Manzoor, nous avons pu avec Xavier Amandolèse adapter et comparer différents modèles théoriques. L’une des particularités a été l’utilisation de modèles temporels directs, dans lesquels on calcule directement le comportement de la structure en fonction du temps. Or ce type de calcul reste encore peu utilisé en pratique dans la mesure où jusqu’à présent seul le comportement à long terme de la structure était recherché. Mais dans le cadre d’une étude transitoire, l’usage d’un modèle en temps s’impose de lui-même. De plus, pour le génie civil, il existe une tendance grandissante des bureaux d’études industriels à privilégier les calculs temporels car ils permettent de combiner facilement plusieurs cas de charge sur les structures et également de prendre en compte les non-linéarités des matériaux ou des assemblages, par exemple pour les câbles. Des deux principaux modèles testés par comparaison avec les résultats de soufflerie (figure 4), un seul permet de capter la physique liée à la croissance transitoire de l’énergie. Il nécessite la modélisation de la rafale de vent mais les calculs montrent que seule la double impulsion de vitesse verticale joue un rôle dans le mécanisme. Nous avons pu ainsi construire un modèle relativement simple réduit aux ingrédients Figure 2 : Schéma de l‘expérience de soufflerie sur un tablier de pont souple en flexion-torsion z(t)-Į(t). La photo montre l’intérieur de la soufflerie vue depuis l’amont, le volet au premier plan en bas et la maquette de tablier au fond. Flash X n°14 - Transports 51 Figure 3 : Perturbation de la vitesse du vent par l’action du volet mesuré en soufflerie. strictement nécessaires pour représenter le phénomène. Mais ce modèle plutôt dédié aux phénomènes à court terme ne capte pas correctement les instabilités à long terme susceptibles de détruire l’ouvrage. Dans l’étude globale d’un ouvrage il faut donc toujours employer le modèle classique dit « long terme » et compléter l’étude en transitoire avec le modèle spécifique. Évidemment les structures étudiées sont restées suffisamment simples pour pouvoir être reproduites expérimentalement en soufflerie. Néanmoins la connaissance acquise sur la modélisation temporelle des phénomènes aéroélastiques transitoires est importante et trouve des débouchés dans d’autres applications. Par exemple, nous avons ainsi pu mettre en lumière la probable implication de croissance transitoire de l’énergie dans la problématique du dépassement de camion par une automobile, le fameux « coup de volant » que les conducteurs ressentent à cette occasion. Lorsque la voiture traverse le sillage latéral du camion, elle subit l’équivalent de l’impact d’une rafale de vent latéral. Cela induit transitoirement des efforts aérodynamiques, une force de dérive et un moment de dérapage, qui se couplent avec la suspension. Nous avons montré que la réponse du véhicule, en l’absence de réaction du conducteur sur le volant, pouvait effectivement présenter une croissance transitoire de l’énergie. L’application des connaissances acquises trouve également un autre débouché au LadHyX dans le domaine des récupérateurs d’énergie basés sur l’utilisation des instabilités de flottement de structures conçues à cet effet. Ces structures, que l’on place délibérément en oscillation de grande amplitude, posent déjà de nouvelles questions. Comment vont-elles se comporter à l’impact d’une rafale de vent ? Peut-on imaginer récupérer l’énergie supplémentaire liée à la croissance transitoire ? Contact : Pascal Hemon [email protected] Figure 4 : Comparaison calcul-expérience de l’amplification transitoire de l’énergie en fonction de la vitesse du vent pour deux cas de tabliers de type Millau.