Midi Libre

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Jeudi 27 avril 2005 :
un premier vol "sans faute" pour le géant d’Airbus.
Un événement salué par plus de 50 000 personnes.
Deux PME de la région heureuses
Le chantier de l’A380 a valorisé le savoir-faire des entreprises
Captels (pesée de l’avion) et Capelle (le transport routier
d’éléments de construction)
Basée à Saint-Mathieu-de-Tréviers (Hérault), Captels est experte en pesage industriel. Depuis
vingt ans, elle conçoit des bascules spéciales électroniques, dotées de capteurs. Sous le poids de
l’engin à peser, ces derniers se déforment, ce qui modifie leur résistance électrique. Ces
variations sont traduites en signaux, indiquant le poids recherché. Ce type de bascule permet de
peser ainsi des trains, des poids lourds... En 2003, Captels (vingt salariés) a gagné le marché
pour l’A380. Jean-Paul Léa, directeur général, explique : « Nous avons installé à Toulouse 69
bascules, enterrées dans deux halls différents, chacune pouvant peser 40 tonnes. Mais ne me
demandez pas le poids réel de l’A380, c’est confidentiel ! De plus, l’appareil expérimental a un
poids spécial car il est bourré d’électronique et dépourvu de sièges ».
Quant à Capelle (Alès), qui emploie 350 personnes dont 250 conducteurs, elle a assuré le convoi
exceptionnel initial (répliques d’ailes, fuselage) entre les usines et Blagnac.
Georges MATTIA
Ces 2 500 heures de vol qui conditionnent l’avenir
« Il est impérial ! On pensait qu’il serait mastoc, mais pas du tout,
il est élégant et silencieux ». L’un des spectateurs, hier à Toulouse,
exultait en le voyant passer au-dessus de lui.
Mais dans le cockpit, l’heure était aux tests, aux constatations, aux premières décisions
pratiques.
C’est un cycle infernal de 2 500 heures de vols d’essai qui a démarré en fait hier. Quatre autres
exemplaires seront, en plus de celui d’hier, soumis à la question - au sens médiéval du terme jusqu’à la certification de l’appareil, espérée dans un an pile, avant le début de sa
commercialisation en juillet 2006.
L’équipe de Claude Lelaie et Jacques Rosay a du pain sur la planche. Cela s’appelle explorer le
domaine de vol. Il faudra lui faire encaisser des accélérations, des virages sur l’aile, des
trépidations, des décollages et atterrissages durs.
Il faudra le secouer, déterminer quelles sont ses vitesses minimale et maximale, le torturer en un
mot pour qu’il donne tout ce qu’il a. Pour éviter au pilote de ligne et au passager lambda des
surprises qui peuvent être désagréables. Et faire en sorte qu’un voyage dans le « paquebot des
airs » puisse être aussi doux que possible et être une expérience unique.
De ces essais dépendront également les délais de livraison. Là aussi, il s’agira de ne pas être en
retard.
Airbus-Boeing : la guerre dont le passager est l’enjeu
Atlanta boude. Au pied des monts Appalaches, la grande cité
américaine n’a pas l’intention de bouger le petit doigt pour
accueillir l’A380 européen sur son aéroport, l’un des plus grands du
monde.
Ce fait est révélateur du climat de guerre économique qui oppose Européens et Américains,
Airbus et Boeing, avec pour but ultime de séduire les compagnies aériennes, donc les passagers.
Au lancement du programme, au Bourget 2000, l’avionneur de Seattle avait estimé d’abord que
le marché des très gros porteurs était inexistant. Puis Boeing a jeté de la poudre aux yeux, en
jouant soi-disant sur un jet qui volerait près de la vitesse du son.
En fait, le géant américain a préféré laisser, pour l’instant du moins, le marché des "superjumbos" à Airbus, préférant faire ce qu’il fait de mieux : des avions de 400-450 sièges sur de
longues distances. Une philosophie qui a fait naître le 787, dit Dreamliner , déjà commandé à plus
de 220 exemplaires et présenté comme le champion du bas coût.
Mais à Doah, dans l’émirat du Qatar ou à Singapour, des aérogares à la dimension de l’A380 sont
déjà sorties de terre...
A Toulouse, l’envolée belle du paquebot des airs
Un appareil d’une masse de 421 tonnes, célébré par toute une ville
et tout un continent.Après avoir atteint 3 000 mètres et multiplié
les tests sur l’avion, l’équipage a survolé les Pyrénées encore
enneigées.
Ils seraient revenus de la Lune ou de Mars que l’accueil au pied de la passerelle n’aurait pas été
plus chaleureux, plus délirant. Mais leur Lune à eux s’appelle A380. Une lettre et trois chiffres que
six Européens, engoncés dans leur combinaison de vol d’un orange vif, ont fait voler pour la
première fois hier matin, dans le ciel très pur de Toulouse.
« Cet avion se conduit comme un vélo ». Avec la gouaille de tous les pilotes, Jacques Rosay, le
chef pilote d’essais d’Airbus, a décrit ses premières impressions, au terme d’un vol de près de
quatre heures « sans incident important », a souligné l’un des ingénieurs de vol, l’Allemand
Manfred Birnfeld. La mise au point d’un tel engin est loin d’être un fleuve tranquille et les 2 300
heures de vol à venir vont présenter leur lot de problèmes... et de jurons. N’empêche. Alignés à
côté du directeur des essais en vol, Claude Lelaie, qui occupait la place (gauche) de commandant
de bord, l’Espagnol Fernando Alonso, le Néerlandais Jacky Joye, ingénieurs navigants, et le
Français Gérard Desbois, mécanicien navigant d’essai, avaient tous le sourire des jours qui
illuminent toute une vie. Face à ces centaines d’invités venus du monde entier - des invités que,
facétieusement, Lelaie s’est ingénié à photographier du haut de son cockpit de six étages -, qui
les acclamaient et hurlaient leur joie, les six hommes ont goûté cette joie extraordinaire d’avoir
pu arracher du sol un avion de 421 tonnes, promis aux plus belles destinées.
La nuit de mardi à hier avait été fébrile dans le grand hangar des essais en vol, autour duquel la
sécurité avait été puissamment renforcée depuis plusieurs jours.
Aucune incertitude ne devait s’insinuer dans les esprits, rien qui aurait pu retarder le rendezvous. Car prévoir les risques, c’est faire en sorte que le hasard ne soit pas le copilote d’un tel
premier vol. Pour un avion de cette masse, le décollage a été d’une grande douceur, sous les
ovations de 50 000 personnes, massées autour de l’aéroport de Blagnac, pour les milliers de
Toulousains réunis devant l’écran géant de la place du Capitole. On n’avait pas vu d’aussi grandes
foules depuis le premier vol de Concorde 001, en 1969. Après avoir atteint 3 000 mètres et testé
l’avion « au bout du manche », l’équipage a survolé les Pyrénées encore enneigées, relié au siège
d’Airbus par le fil ténu mais puissant de la télémesure transmettant des milliers de paramètres.
Au retour, les pilotes ont eu l’autorisation de survoler la Ville rose. Hommage à cette cité qui vit
au rythme de l’aéronautique depuis Latécoère, Saint-Ex et Mermoz. On appelle cela une vocation.
50 000 spectateurs pour faire la fête à l’A380
Jeudi à Toulouse, plus de cinquante mille spectateurs directs, sans
compter des milliers réunis sur la place du Capitole devant un écran
géant, ont accompagné le premier envol du dernier en date des
Airbus.
Loin des « dimanches à Orly » de Gilbert Bécaud, le premier vol d’un prototype d’avion est une
expérience confinant au mystique. Car dans chaque humain, il y a un rêveur qui sommeille,
quelqu’un qui veut aller plus loin que sa propre existence, plus haut, pour rejoindre les oiseaux et
voir de plus près les étoiles. Même les mânes d’Icare, de Clément Ader et des frères Wright vont
vibrer, dans leur paradis des aéronautes.
Ce matin à Toulouse, plus de cinquante mille spectateurs directs, sans compter des milliers réunis
sur la place du Capitole devant un écran géant, sans parler même de dizaines de millions
d’Européens scotchés à leurs téléviseurs, accompagneront le premier envol du dernier en date
des Airbus. L’ A380 doit en effet rejoindre pour la première fois l’élément pour lequel il a été
construit : l’air. A Kourou, on a vu des amiraux, étoiles d’or sur uniforme immaculé, hurler des
« Allez, monte ! Allez, monte ! » tonitruants, en trépignant comme des gamins, les poings serrés,
en voyant décoller une fusée Ariane. On comprend alors réellement ce qu’est la troisième
dimension, en voyant cette flèche de feu grimper vers les nuages d’un trait, à la verticale.
L’envol d’un avion est tout autre. C’est une montée lente, après une accélération puissante dans
le déchirement des réacteurs. Bien que ceux de l’A380 feront moins de bruit que ceux du
« petit » 747. C’est un virage sur l’aile, un premier tour de terrain pour vérifier que tout se passe
bien, avant la montée en puissance et en altitude en direction de l’océan Atlantique. Le trafic de
l’aéroport de Blagnac sera interrompu durant un quart d’heure, pour permettre à l’équipage de
six hommes de vérifier des tas de paramètres. Puis au retour, entre une et cinq heures plus tard,
avant que l’avion ne vire en « finale » et s’aligne sur la piste 32. Tout cela devrait, doit se réaliser
ce matin. Laissons le temps au temps.
Philippe DAGNEAUX

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