Trust on the Biennale - La Biennale di Venezia

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IL CORPO E LA PERFORMANCE # 0 / 2015
Trust on the Biennale
entretien avec Paolo Baratta
di Estelle Bories
Pubblicato su Artpress
http://www.artpress.com/article/10/06/2014/laquo-trust-on-the-biennale-raquo--entretien-avec-paolo-baratta1/29651
Per gentile concessione di Catherine Millet, direttrice di Artpress
Les modes dans le champ des grandes manifestations
était ainsi un moyen de renouer avec la dimension
possible toute manipulation mémorielle. Le choix de ne
de l'art contemporain (biennales, foires) n'ont cessé
sociale de l’architecture et de rompre avec une tendance
pas adopter une vision chronologique permet de résister
d'évoluer depuis les années 1990, passant des concepts
à la personnalisation (quand l’architecture devient un
à cette tendance.
d'hybridation et d'interactivité à des thématiques aussi
nom propre). Rem Koolhaas va s’attacher à une mise
variées que le "trash", la sous-culture (mainstream vs
en perspective plus historique. La prochaine biennale
underground) ou encore le multiculturalisme. Depuis
d'architecture porte le titre Fundamentals. Elle se
deux ans, la Biennale de Venise propose d'intégrer
déclinera en deux parties : "Elements of Architecture"
une nouvelle donne à la dimension événementielle
au pavillon central (Giardini) et "Monditalia" à la
caractéristique des grandes expositions internationales,
Corderie de l'Arsenal. À côté, il y aura des expositions
celle des archives. Le discours est largement porté
organisées dans les pavillons nationaux sous le thème
par son président (ancien ministre des privatisations)
"Absorbing Modernity 1914-2014", également choisi
Paolo Baratta2. À ses yeux, les archives sont devenues
par Rem Koolhaas. La présence des archives sera un
essentielles pour affirmer un point de vue sur l'art
moyen de questionner la représentation du monde, de
Szeemann.
contemporain, sur l'état de la culture sinon du monde.
plus en plus fractionné, et de comprendre comment
Oui, bien entendu, il existe des fils rouges qui
Cette réorientation est en partie laissée entre les
le glissement s’est opéré d’une approche basée sur des
permettent des passerelles entre les différentes
mains du « curateur-archiviste », qui prendrait la
valeurs nationales à l’émergence d’une vision commune
éditions de la biennale. Massimiliano Gioni s’est
suite du « commissaire-artiste » à la Harald Szeemann
de la modernité en architecture.
particulièrement intéressé à l’idée fixe et à la dimension
ou encore du « curateur-artiste-archiviste ». Mais
archives pour proposer un récit cohérent. Loin de là.
Les archives organisées de manière autonome, sous
forme de "trouvailles", donneraient à voir autrement
et prospective. L’élaboration de son histoire
sera-t’elle
l’occasion
approches
des
de
correspondance
d’établir
entre
les
des
jeux
différentes
commissaires ?
Certains
critiques ont notamment établi des parallèles
entre la démarche adoptée par Massimiliano
Gioni lors de la dernière Biennale et celle de
utopique qui guide la constitution d’une collection5.
attention, il n'est pas question de faire du commissaire
un "ennuyeux" historien mettant en perspective les
La Biennale a alterné entre vision rétrospective
La perception de ce qui a été accumulé à travers le
L'utilisation des archives par les architectes
semble aller parfaitement de soi et fait l’objet
d’un usage tant théorique que pratique.
Pensez-vous que dans les arts plastiques, il
temps remet en perspective cette partie obsessionnelle
qui était également l’un des thèmes chers à Harald
Szeemann6. La Biennale organisée par Bice Curriger
en 2011 (ILLUMInations) avait pour vocation de
l'art contemporain et serviraient par là, de support à la
puisse y avoir de telles affinités ?
revenir sur l’intemporalité de certains questions à
réflexion…
Oui, le rapport entre architecture et archives est très fort
travers le thème de la lumière. Ainsi, la place tenue
*
et il en est de même dans les arts plastiques4. Dans les
par les documents d’archives permettra de mieux
Lors de la précédente Biennale d'architecture
deux cas, l’utilisation des archives ne doit, bien entendu,
mesurer les effets de correspondances à travers le temps
pas revêtir une dimension de contrôle. Dans ce cas, elle
tout en permettant de mieux voir l’avenir. J’ai souvent
s’inscrit en porte à faux avec les archives policières ou
évoqué l’image de l’archive comme un télescope pour
judiciaires. La dimension totalitaire et totalisante doit
mieux envisager le futur. La dimension prospective
être écartée. L’utilisation des nouvelles technologies de
est essentielle. Le fait d’être animé par un esprit de
classification (fichage) à des fins de contrôle encore plus
recherche prouve que les archives peuvent être une
dont
le
directeur
artistique
était
David
Chipperfield (Common Ground), les archives
détenaient une place importante. Il semble
qu’il en soit de même cette année avec
Rem Koolhaas. Comment définiriez-vous les
différences et les similitudes entre les deux
poussé peut être une vraie menace pour l’individu.
« boîte à outils » fabuleuse pour prendre conscience de
architectes?
Le fait, ainsi, de changer de directeur artistique
la charge historique sans mettre à distance l’aspect plus
En dehors de l’aspect très technique et de l’image de
pratiquement à chaque biennale évite de tomber
émotionnel. La dimension ludique et de découverte
chevalier solitaire que l’un et l’autre peuvent présenter,
dans les travers d’une approche normative puisque
ouvre un champ de possibilité immense. Il faut revenir
presque à la Don Quichotte, ils entendent souligner,
nous devons prendre en considération la subjectivité
à une approche plus explicite surtout dans cette période
à l’inverse, la complexité de leur médium par rapport
et le changement permanent. Une nouvelle histoire
de désorientation. Notre objectif est de rejeter toute
au temps et à l’histoire. David Chipperfield avait pris
commence à chaque biennale. Aussi, la manière dont
tentation de centralisation, de limiter le contrôle sur la
comme point de départ de Common Ground3, la
un commissaire est amené à utiliser l’archive est plus
production de la mémoire historique, en multipliant les
dimension de partage et des valeurs collectives. C’est à
directe et plus expérimentale.
intermédiaires.
ce titre qu’il avait intégré des archives du monde entier
Le projet éditorial qui est en train d’être développé
au sein de la Biennale. L’introduction de ces archives
autour de l’histoire de la Biennale évacuera autant que
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Qu’avez-vous contre les historiens ?
Je n’ai rien contre les historiens étant moi même
un passionné d’histoire ! En revanche, j’ai vraiment
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Comment intégrer, par le biais des archives,
NOTE
la présence de pays non démocratiques au
1. Nous tenons à remercier l’équipe de la Biennale de
la question des relations diplomatiques et
sein de la Biennale ? La question est très
Venise, le personnel de l’ASAC et Nicoletta Damioli pour
lorsque j’ai travaillé à l’archivage de documents
française…
le temps qu’ils nous ont consacré.
émanant d’une banque de crédit à prêt moyen qui
Oui, je vois… Elle très française en effet ! Dans le
avait servi à l’industrialisation de l’Italie. Je dois être
passé, et tout spécialement en 1968, on a cultivé
2. Paolo Baratta est né à Milan en 1939. Il est Directeur
moi-même vigilant à maintenir à distance le pouvoir
l’idée que les institutions culturelles pouvaient
d'organismes bancaires dans les années 1980, il devient
qu’elles donnent à celui qui est amené à les utiliser
être utiles dans la lutte pour la liberté7. Pourtant,
ministre des privatisations en 1993 puis ministre du
et, dans mon cas, à les valoriser. Le regroupement des
quand la liberté a été mise au premier plan, cela a
archives au sein d’une institution comme la Biennale
abouti, dans beaucoup de cas, à la destruction des
de Venise ne doit pas aboutir à l’élaboration d’une
institutions culturelles. Par ailleurs, il serait facile
vision déterministe et centralisée. Le respect de ma
de faire des déclarations et des démentis. Il semble
mission ne doit pas déboucher sur une rigidité ni sur
plus utile de revenir sur le fait que la Biennale
l’autoréférence.
de Venise a présenté Jafar Panahi au festival du
C’est pour éviter cela que le recours aux archives de la
film et de nombreuses femmes artistes boycottées
considération les attentes et les préoccupations communes
part des commissaires trouve toute sa pertinence. Le
par leur pays. Je rappellerai aussi que l’œuvre
à un moment d’ « anxiété économique globale ».
public qui se rend à la biennale ne sait pas ce qu’il va
d’Ai Weiwei était représentée dans le pavillon
y trouver. La place de la découverte, de la trouvaille,
allemand cette année alors qu’il demeure en
est donc essentielle et va à l’encontre du phénomène
résidence surveillée en Chine. N’oubliez pas que la
dans la reconstitution de l’exposition culte de 1969 à
de réification habituellement associée aux archives.
Biennale se compose de trois parties : les pavillons
Berne, When Attitudes become Form, à la Fondation
L’aspect expérimental est très important, il renforce le
des pays participants (des États reconnus par la
lien avec le public.
République Italienne) ; la "Mostra internazionale"
pris conscience des dangers de d’une classification
de Telecom Italia depuis le 6 mai 2004. Administrateur
commerce extérieur. Il est ensuite nommé ministre des
travaux publics et de l'environnement. Président de la
Biennale de Venise de 1998 à 2000, il occupe de nouveau
ce poste depuis 2008.
3. Common Ground, thème de la Biennale d’architecture
de 2012, se proposait de faire le point sur les grandes
créations individuelles architecturales tout en prenant en
4. Il convient de souligner ici l’implication du directeur
actuel de la Biennale d’architecture 2014, Rem Koolhaas
Prada de Venise en 2013. La team curatoriale formée
autour du commissaire Germano Celant associait aussi le
photographe Thomas Demand.
dont le curateur, nommé par la Biennale, se
En dehors de cet aspect d’ouverture et
de méfiance à l’encontre d’une vision de
l’archive comme preuve déterminante, existe-
t-il d’autres aspects qui leur donnent une
charge de l’organisation, et enfin les événements
collatéraux proposés par des institutions à but non
lucratif. C’est le commissaire qui valide la valeur
5. Massimiliano Gioni a dirigé la 55ème Biennale
d’art l’année dernière avec comme thème « Le Palais
encyclopédique ». On comprend ici l’ambiguïté du
terme « archive » qui dans le cas de cette manifestation
artistique de ces derniers. Bien qu’organisées
se confondait avec la notion de collection, car il s’agissait
à l’extérieur de la Biennale officielle, ils sont
de représenter des « artistes-encyclopédistes », dont les
Biennale ?
référencés dans le catalogue, bénéficient du logo
œuvres relevaient clairement de la collection.
Le recours aux archives et l’élargissement du hic et
et de la communication entourant l’événement.
nunc qu’elle autorise est un moyen de lutter contre
Nous avons souvent organisé des expositions qui
6. Harald Szeemann a été nommé deux fois de suite (cas
ce qui représente à mes yeux deux dangers majeurs
« représentaient » des communautés ethniques
Venise, en 1999 pour « d’APERTutto » et en 2001 pour
pour une institution culturelle comme la Biennale :
ou politiques non reconnus par la représentation
« Plateau of Mankind ». Il avait été aussi, avec A. Bonito-
le populisme et le conformisme. S’agissant du
officielle. La structure même de la Biennale permet
dernier terme, l’élargissement temporel conféré
de mener une diplomatie culturelle représentative
7. Paolo Baratta se réfère ici à la crise de 1968, où le boycotte
par les archives permet de s’écarter d’un type de
du pluralisme de la communauté artistique8. de la Biennale par les artistes a amené une restructuration
communication immédiate. Une relation de confiance
Je crois que cette mise au point permet d’attester
de l'institution publique. Votée par le Parlement le 26
doit être maintenue afin de développer l’esprit
que l’on peut se fier à la Biennale. Les archives
d’indépendance et de transmission. S’agissant du
contribueront certainement à le rappeler.
pertinence particulière dans le cadre de la
populisme, il concerne tout particulièrement les pays occidentaux. Il est le résultat de deux phénomènes. La
crise économique, qui, devenue politique, débouche
finalement sur le refus de revenir sur la complexité
des institutions et des règles nécessaires pour concilier
la liberté individuelle et l'intérêt général. Mais la
pensée populiste a aussi été cultivée dans les années
de bien-être que nous avons connues dans le passé.
On a été conduit à l'abus systématique et à la mise
en place d’une communication en continue. Et cette
Oliva, le créateur de la section Aperto en 1980.
juillet 1973, la loi (n°438) pour "une nouvelle régulation
de l'autonomie de la Biennale de Venise" a enclenché
une réforme du comité. Auparavant, celui-ci était formé
de commissaires nationaux qui choisissaient les œuvres
Les archives seront à nouveau, cette année,
mises à l’honneur. On le voit avec le Lion
d’or attribué à Phyllis Lambert, fondatrice
du Centre canadien d’architecture, pour
son œuvre en tant que « gardienne du
patrimoine architectural ». Pouvez-vous
nous dire la manière dont les archives
entreront en ligne de compte lors de la
prochaine biennale d'art dirigée par Okwui
communication à des fins notamment marketing
Enwezor9 ?
agit comme une machine qui transforme une réalité
Il m’est impossible de dévoiler ce que le nouveau
complexe en une réalité prémâchée, prête à être
directeur artistique de la Biennale va choisir. La
ingérée. Tout cela détourne encore de la réalité. C’est
seule chose que je peux cependant évoquer est
ainsi que nous avons développé, à l'intérieur de nos
que la question de l’obsession mémorielle sera
sociétés, le populisme, frère jumeau du conformisme.
certainement structurante.
Les archives et l'histoire nous aide à élargir la
Propos recueillis par Estelle Bories et Marianne
"plateforme" d'observation.
Le Galliard
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unique !) pour diriger la Biennale d’art contemporain de
et attribuaient les prix, impliquant forcément des jeux
de pouvoir par des alliances diplomatiques. Désormais,
le comité "démocratique" est composé de 19 membres
provenant du gouvernement, d'organisations locales, de
syndicats et de représentants du personnel. Ces membres
élisent le Président ainsi que les directeurs de chaque
section (art, danse, architecture..). Le Président, en suivant
la proposition des directeurs, élit ensuite le jury qui va
remettre les prix.
8. Ce positionnement rejoint celui adopté par d’autres
directeurs d’institutions culturelles. L’idée selon laquelle
derrière les paillettes et les mondanités peuvent émerger
des figures d’artistes dissidents est également soutenue
par le président du Festival de Cannes de 2001 à 2014,
Gilles Jacob. 9. Okwui Enwezor, Archive Fever: Uses of the Document in
Contemporary Art., New York, The International Center of Photography, 2008. Rappelons que le nouveau directeur
artistique reste dans une approche très critique de l’archive
comme outil de contrôle et de normalisation.