pharmacie faut-il sortir la logistique des murs?

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pharmacie faut-il sortir la logistique des murs?
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PHARMACIE
FAUT-IL SORTIR
LA LOGISTIQUE
DES MURS?
La logistique hospitalière se professionnalise.
Un nombre croissant d’établissements s’est ainsi
doté de plateformes logistiques dédiées.
Certains pharmaciens d’hôpitaux préconisent même
leur externalisation totale. Des dépositaires
pharmaceutiques se positionnent sur cette nouvelle
approche.
——————
aut-il externaliser la logistique
de distribution des produits
de santé à l’hôpital ? Depuis le
début de la décennie, la question est sur de nombreuses lèvres. Il
est vrai qu’elle concerne à ce jour
quelque 3,17 milliards de boîtes de
médicaments et autres produits de
santé qui transitent par les pharmacies centrales des hôpitaux et cliniques vers les patients. Elle se retrouve aussi en filigrane de nombreux
rapports sur l’hôpital, qu’il s’agisse
de la nouvelle gouvernance, de l’état
de son informatisation, de ses procédures d’achats ou encore de sa logistique même. « L’optimisation des processus formant le circuit du
médicament dans les établissements
de santé constitue un enjeu important », souligne déjà en 2001 un document du ministère délégué à la
Santé relatif à l’informatisation du circuit. « Car une telle démarche sert à
la fois des objectifs d’amélioration de
la qualité des soins et des préoccupations de rationalisation logistique et
économique », peut-on lire.
F
© BSIP
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Un enjeu important. Plus récemment, un rapport qui a fait date sur « le
médicament à l’hôpital », publié en
mai 2003, souligne « l’enjeu impor-
tant » que représente le circuit du médicament en regrettant cependant
que ce leitmotiv soit « répété, sans effet, depuis de nombreuses années,
malgré une réglementation précise ».
La prise de conscience de cet enjeu est
très récente, selon le rapport, qui déplore qu’elle soit « encore insuffisamment prise en compte par le corps
médical ». Non content d’observer
que la prescription arrive rarement,
dans sa globalité, à la pharmacie, en
évoquant des pratiques pour le moins
discutables, sinon condamnables, où
« la vision globale du traitement d’un
malade est absente », le rapport sur
le médicament souligne également la
situation « encore moins idéale » de la
dispensation nominative. Pour songer
à étendre cette dernière, il faudrait,
ajoutent les experts1, « résoudre
quelques aspects techniques, en particulier la nécessité du conditionnement unitaire des médicaments ».
L’approvisionnement des établissements n’est guère mieux loti. « Les
conditions de gestion des stocks sont
très inégales », poursuit le constat. « Il
convient donc de rechercher les
conditions d’optimisation des flux logistiques et de poser la question de regroupements géographiques autour
de plateformes communes, voire de MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES
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plateformes sous-traitées à un prestataire de services. » Trois ans après ce
constat sans appel, où en sont les établissements ? Initié par le CHU de
Montpellier, véritable précurseur en la
matière dès 1996, le concept de la plateforme logistique spécialisée et dédiée à quelques grandes fonctions
(hôtellerie, cuisine, blanchisserie,
pharmacie centrale, archives centrales) a depuis fait recette, sans toutefois se généraliser à l’ensemble des
établissements publics. Installé sur le
parc d’Euromédecine, aux côtés de
l’unité centrale de restauration et de la
blanchisserie, le pôle logistique montpelliérain, doté d’une bonne centaine
de personnes, assure ainsi l’approvisionnement et la mise à disposition de
plus de 10 000 références, dont 3 500
produits pharmaceutiques et médicaux, aux divers établissements du
CHU. Plus de 7 000 lignes de produits
y sont préparées par jour.
Si la formule a consisté à « externaliser » la pharmacie centrale sur un
même site logistique proche du CHU
et à professionnaliser une fonction
clé, elle n’a pas toujours créé des
émules sur les lieux mêmes. Car le volontarisme de la direction de l’établissement de l’époque, notamment en la
personne de Claude Storper, n’a pas
été sans rencontrer des résistances.
L’arrivée des logisticiens issus du
monde industriel dans le pré carré des
pharmaciens d’hôpitaux ne s’est pas
faite sans quelques grincements de
dents. « Il manque au plan administratif une vraie collaboration et un res-
pect de tout ce qui est prérogative
pharmaceutique », résume aujourd’hui Marie Christine Douet, l’actuelle
pharmacienne responsable de la
pharmacie centrale. Pour cette dernière, « les critères logistiques ne doivent pas prévaloir sur les critères
pharmaceutiques ».
Une bonne vision de l’approvisionnement permet d’avoir une vision de
l’arsenal thérapeutique et de cerner
un peu mieux la pression qu’exerce
l’industrie ». Mais sur la question d’externaliser davantage le processus en
place, la pharmacienne se montre
toutefois plus réservée. Si, pour
l’heure, la réglementation ne le perLe pharmacien logisticien ? « La lomet pas encore, son collègue expert
gistique du médicament est mon mélogisticien sur le CHU dijonnais, Frantier et elle demeure un sous-processus
çois Bisch, par ailleurs président de la
de la pharmacie », explique de son
commission logistique hospitalière à
côté Gaël Grimandi, pharmacien resl’ASLOG2, considère qu’une externalisation partielle est envisageable pour
ponsable au CHU de Nantes, où la
ce qui concerne les transports, la maplateforme logistique joue le rôle de
nutention ou encore le
grossiste pour les trois
stockage, sous la respharmacies de l’établisLa préparation ponsabilité d’un pharsement. Aux yeux de ce
macien. Reste ce qui redernier, l’externalisation
nominative au
de la logistique est un
cœur du métier lève de la préparation
de la commande, « plus
« faux problème », un
difficile à sous-traiter en
prestataire industriel exfonction du degré de finesse de cette
térieur n’étant pas prêt ou capable de
préparation », explique l’ingénieur et
livrer comme il le fait à ce jour 95 %
responsable technique du futur entredes services de soins à J +1. Une opipôt logistique spécialisé du CHU de
nion que ses confrères d’autres sites
Dijon, une plateforme de 6 000 m2.
ne partagent pas nécessairement.
« La préparation nominative est très
Telle Véronique Jost, pharmacienne
proche de l’administration du produit
en charge du pôle logistique de Dijon.
au malade, explique François Bisch.
« Depuis fort longtemps, le pharmaElle se situe au cœur du métier du
cien était un logisticien, commente
pharmacien. C’est un acte pharmala responsable, mais il était un mauceutique par excellence. »
vais logisticien ! L’évolution fait qu’il
« Aujourd’hui la logistique à l’hôpiretrouve son vrai métier de clinicien et
tal est une canne blanche ! » explique
il est normal que la logistique sorte
volontiers Bernard Dieu, pharmacien
de la pharmacie, tout en maintenant
chef de département au CHU de
sa responsabilité sur les approvisionRouen qui a, pour sa part, fait le pari
nements, mais en abandonnant ce
de l’externalisation. A la fois franc tiqu’il faisait de manière artisanale (…)
reur parmi ses collègues pharmaciens
et pionnier sur le sujet, il a fait converL’E-PROCUREMENT EN APPUI À LA LOGISTIQUE
ger un ensemble de fournisseurs de
17 CHU – avec ceux de Lille, Amiens et
l’hôpital vers un même prestataire lojour des catalogues. Chaque fournisseur
Nantes comme pionniers - travaillent à
gistique, la société Aexxdis, déposirenseigne le catalogue public
la mise en place d’une solution
taire de produits de santé. Se séparer
correspondant au moins à l’ensemble des
d’approvisionnement électronique
de l’amont, la gestion des stocks avec
références en marché avec les
commune dès 2006-2007. Objectifs :
les fournisseurs, pour se concentrer
établissements de santé et complète
moderniser les processus
sur l’aval, l’approvisionnement rales données commerciales par
d’approvisionnement et logistiques des
tionnel et économique des unités de
établissement pour les articles du
soins, au plus près des besoins et apétablissements, augmenter la
périmètre marché. Le prix de la mise en
puyé par une traçabilité complète des
productivité par automatisation des
œuvre du nouveau système coûtera
produits, est le schéma qu’il défend
procédures d’approvisionnement, de
forfaitairement 1 500 euros la première
réception et de liquidation, piloter la
volontiers et met en pratique depuis
année puis 1 000 euros par an pour la
fonction approvisionnement via des
bientôt 4 ans. « L’objectif à plus long
gestion des mises à jour, quel que soit le
données consolidées ou encore opérer
terme est de monter un pôle logisnombre de CHU client, la taille du
une traçabilité des produits
tique privé de sous-traitance, en recatalogue… AchatPro ne gère pas toute
conformément aux obligations légales.
concentrant les moyens pharmaceula partie amont (appels d’offres, choix des
AchatPro, filiale de la BRED, est le
tiques là où c’est nécessaire, dans la
fournisseurs) et n’est pas un outil de
fournisseur de la solution
partie liée au bon usage des produits
sourcing destiné à comparer des
d’e-procurement qui met à disposition
de santé, en affinant notre capacité
fournisseurs. Contacts pour les CHU :
des fournisseurs une interface de mise à
d’analyse des ordonnances et de pré[email protected]
paration des produits ». Un second DR
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axe de développement concernera la
fabrication, au sens large, pour répondre aux attentes des équipes médicales. Un projet qui, pour l’heure,
n’est toujours qu’en phase de négociation, le temps de trouver une solution juridique. La création d’un groupement de coopération sanitaire, qui
associerait une entreprise privée, est à
l’étude. « Un industriel pharmaceutique dépositaire pourrait entrer et
faire profiter de son savoir-faire »,
glisse Bernard Dieu. « Aujourd’hui, la
question mérite d’être posée », commente au CHU de Strasbourg Laurence Beretz, pharmacienne future
responsable du pôle logistique du
nouvel hôpital civil qui ouvrira ses
portes fin 2008 et qui aura à gérer
13 000 références. « L’offre de service
est limitée, mais émergente, et l’on
peut espérer que les grossistes répartiteurs ou l’industrie pharmaceutique
nous proposent quelque chose à
l’avenir. »
Les dépositaires sur les rangs.
De son côté, l’OCP se prépare à jouer
en direction des unités de soins hospitalières le même rôle que joue le répartiteur en direction des officines de
ville. Une prestation sur laquelle il se
montre peu disert, mais qui constitue une opportunité certaine de redéploiement. D’autres opérateurs, plus
particulièrement certains dépositaires, se sont mis sur les rangs. Aexxdis notamment qui, pour le CHU de
Rouen, a mis en place un partenariat
actif qui a conduit pour ce dernier éta-
blissement à une réduction significatainement une logistique de santé à
tive de ses coûts logistiques. « Il y a
créer et les choses évoluent. Une rétout à gagner de part et d’autre dans
volution est en marche avec les ingécette externalisation, mais certainenieurs logisticiens dans les hôpitaux »,
ment pas à encourager le modèle de la
note encore ce dernier. Chez TNT,
répartition », martèle volontiers Serge
l’opportunité de développer de nouKratz, pdg de la société née en 2004,
veaux services en direction de l’hôpide la cession des activités de distrital n’a pas non plus échappé à Hervé
bution des laboratoires Baxter. Reste
Feat, directeur marketing. « L’hôpital
que la démarche entreprise par ce
est un univers complexe et la livraison
jeune dépositaire ne saurait encore
hospitalière un métier à part entière. »
être globale, faute de cadre légal bien
La société livre 300 000 colis au quoétabli, sinon de culture
tidien, dont 60 000 en
logistique avancée, sur
pharmacie de ville ou
Economies
un terrain où le poids
d’hôpital. Au regard des
d’échelle
des habitudes, sinon
changements de praà la clé
des résistances, comptique logistique qu’opère
te plus que celui des inà ce jour le monde hosnovations. Depuis sa plateforme lopitalier, les retards sont encore pagistique rouennaise, dénommée
tents. « Nous sommes tous pris par
Astelog, Aexxdis livre les unités de
notre quotidien, nous avons du mal à
soins, met en place les produits dans
prendre du recul », note le Dijonnais
les services et le conditionnement des
François Bisch. « Mais il faut encore
traitements par patient pour les perque les logistiques se mettent en
sonnels de santé. « Les économies
phase, notamment en matière de trad’échelle sont flagrantes, poursuit le
çabilité, entre les industriels fabricants
pdg. Il y a eu rationalisation des achats
et les hôpitaux utilisateurs de leurs
et des approvisionnements et tout le
produits. » Et sans doute également
monde a à y gagner, le laboratoire
en terme de conditionnements ! Pour
pharmaceutique inclus, mais intellil’heure, les débats sont largement engemment. » La démarche intéresse
tamés. Les réponses et solutions égaégalement le dépositaire Geodis qui se
lement. ■
rapproche sensiblement du monde
JEAN-JACQUES CRISTOFARI
hospitalier pour lui apporter son expertise. « Je peux amener à l’hôpital les
(1) Dr Marie-Christine Woronoff-Lemsi,
compétences clés d’un prestataire
pharmacienne PH au CHU de Besançon,
supply chain avec des moyens logisDr Jean-Yves Grall, praticien hospitalier,
centre hospitalier de Châteaubriant, Bernard
tiques flexibles et adaptables », plaide
Monier, directeur Centre hospitalier d’Avignon,
Jacques Masbou, directeur marché
Jean-Paul Bastianelli, inspecteur général des
affaires sociales (rapporteur).
santé chez Geodis France. « Il y a cer(2) Association française pour la logistique.
La traçabilité au service de la logistique
Le chaînon manquant de la logistique est,
pour l’heure, la traçabilité sans rupture
entre les expéditeurs et les utilisateurs.
« En France, en décembre 2005, le CIP a
émis une recommandation en matière de
normalisation de la codification et du
marquage des produits de santé », souligne
Jean-François Fusco, pharmacien
responsable et dg chez Aexxdis. Une
recommandation qui précise les
informations obligatoires de codification et
s’appuie sur le standard international GS1
128. Les informations retenues sont : le
code CIP 7 chiffres, le numéro de lot et/ou
le numéro de série, la date de péremption.
« Cette nouvelle codification répond à des
enjeux de santé publique : elle est destinée
à faciliter les retraits de lots et à lutter
contre la contrefaçon. Elle débouche sur le
choix d’un système de marquage, le code
Datamatrix ECC200. » Au sein du CIP, son
délégué général, Marc Gilbert, a
récemment rappelé que son club a été saisi
par l’Afssaps de la question. Un nouveau
code EN 128 de 13 caractères devrait
pouvoir être utilisé par les industriels à
compter du 1er janvier 2008. La société
GS11, une organisation internationale
« neutre et à but non lucratif », présente
dans plus de 20 secteurs industriels, est le
moteur du projet. Un nombre croissant de
pays ont, à travers le monde, adopté ses
standards. A la demande de l’ensemble des
acteurs de la chaîne de distribution, la
Commission répartiteurs – fabricants du
CIP a émis une recommandation en
matière de normalisation de la codification
et du marquage des produits de santé
(www.cipclub.org). Cette recommandation
a été soumise à l’ensemble des acteurs de
la chaîne santé dont les industriels du
médicament. Cette nouvelle codification a
été au centre des débats du health care
user group, réunissant récemment à Rome
fabricants et distributeurs de produits de
santé.
(1) voir http://www.gs1fr.org
ou contacter Valérie Marchand, 01 40 95 54 27.
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