Erril LAUGIER : Vie secrète - Salle d`exposition Anne de Bretagne à
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Erril LAUGIER : Vie secrète - Salle d`exposition Anne de Bretagne à
Erril LAUGIER : Vie secrète par Jean-Paul GAVARD-PERRET, Professeur-Chercheur Maître de conférence à l´Université de Savoie Peintre paysagiste en Bretagne depuis 1978, Erril LAUGIER, nommé «Maître-Pastelliste» en 2004, est spécialiste, depuis ses débuts, des sous-bois et des Monts d'Arrée. Le pastel est resté longtemps l’enfant pauvre de l’art contemporain. Pourtant la matière même du pastel ouvre des possibilités infinies tant dans l’art dit figuratif que pour des approches plus «abstraites» du paysage. C’est à celui-ci et à celles-là que s’emploie Erril Laugier qui travaille à la craie sèche. «J’essaie de traduire l’atmosphère magique de la Bretagne intérieure : retrouver l’esprit des Anciens en parcourant les landes des Monts d’Arrée et les chemins creux de l’Argoat», dit l’artiste. Le pastel donne accès aux métamorphoses. Il ne s’agit pas de représenter la chose vue in situ mais de capter, à travers elle, les univers qu’elle cache dans un jeu de lumière et de traces auquel l’artiste donne une inconsistance complexe. En surgit une vie secrète. Chaque pastel en formalise plus que l’essai, l’approche. Erril Laugier dépouille le paysage pour donner à chacune de ses œuvres une densité chromatique de base. Ainsi traité, il devient le point de découverte d'une cache profonde. Il s'agit de l'ouvrir jusqu'à en épuiser les secrets lumineux. Erril Laugier se laisse absorber par la présence immédiate afin de la transcender. Il ne s'agit pas de clore mais de faire éclore. C'est pourquoi ses paysages sidèrent. Être sidéré revient à trouver le sens profond du visible, à fusionner avec lui. C’est ce que propose l'œuvre, dans un flot de perplexités harmonieusement agencées, afin de réintégrer un ordre quasiment originel et caverneux. Sans qu'on le comprenne vraiment, Erril Laugier nous fait entrer dans la soif de l'antre ou au sein du chuchotement lumineux des vagues pour prendre la juste distance le long du désastre du temps. Le temps passe, le pastel retient. L’approche devient la métaphore du paysage comme celle du regard qu'on porte sur lui. En conséquence, elle peut tirer de l'ignorance que la connaissance par le réel ne peut envisager. L’artiste breton ouvre à une forme particulière de «théologie copulative» (Nicolas de Cues) avec le réel. Elle se traduit par une combinatoire de traits pulsés qui mènent vers une forme d’essence du paysage. L'artiste passe par delà le réel, même lorsqu'il «construit» géométriquement ses pastels. Ses dessins «chassent» la nature physique pour pénétrer vers ses fonds, mais des fonds lumineux. Contre la confusion du réel s'instruit une fusion. Erril Laugier dépasse même la métaphysique pour atteindre une forme de mystique du réel. À savoir, le «non autre» qui est, non le même, mais ce qui le dépasse dans la contemplation. Les pastels, dans leurs brassages, leurs ondes, leurs humeurs, portent paradoxalement par le «point de vue» de l'artiste vers une forme de paix. Ils deviennent des figures aussi mythiques que mystiques, mais d'un mysticisme sans dieu. Un mysticisme qui se met en branle par les forces telluriques d'une Bretagne à laquelle l'artiste redonne sa mystérieuse puissance. Surgit un dialogue irénique entre les objets perceptifs (paysages) et le sens (l'Idéal) qu'il faut lui redonner. Le pastel en devient un vecteur de choix. Il contient en lui une puissance à faire coïncider les contraires. Il représente un outil méthodologique, non pour expliquer mais pour toucher à l'Idée du paysage. Entre l'individu et la terre, Erril Laugier invente donc un dialogue «amoureux» pratiquement d'égal à égal. Chacun de ses pastels s'espère une intelligibilité de l'inintelligible et ouvre un autre chemin au visible. On peut même y voir l'embryon d'une sorte de laïcisme implicite. La relation de l'art au paysage ouvre aussi à un athéisme mystique. En résumé, Erril Laugier appartient à ceux qui affirment un des paradoxes de l'image. Il n'est pas de lieu unique pour son avancée mais, en même temps, l'image demeure le lieu unique où le passage se fait. À la fois à travers la docte ignorance de ce qui, en elle, n'est que surface, et de ce qui, en tout paysage, n’est qu’apparence. Chambéry - Août 2009