Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation

Transcription

Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation
Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation de Daesh» - Le Soi... Page 1 of 4
Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de
mobilisation de Daesh»
MIS EN LIGNE LE 31/07/2016 À 19:05
PAR LUDIVINE PONCIAU
Des experts internationaux, réunis à l’initiative de l’International
Centre for the Study of Radicalisation (ICSR) font le point sur
l’évolution du djihadiste. Parmi eux : Rik Coolsaet, professeur en
relations internationales à l’Université de Gand et membre de
l’Institut Royal des Relations Internationales (EGMONT).
D
es experts
internationaux se sont réunis
à l’initiative de l’International
Centre for the Study of
Radicalisation (ICSR), pour
faire le point sur l’évolution
du djihadiste et redéfinir les grands axes de la lutte contre le terrorisme. Parmi ces experts : Rik
Coolsaet, professeur en relations internationales à l’Université de Gand et membre de l’Institut
Royal des Relations Internationales (EGMONT). Selon lui, les concepts de radicalisation et, a
fortiori, de déradicalisation sont obsolètes et ne s’appliquent pas à la nouvelle génération de
djihadistes. Des individus qui ne seraient motivés ni par la religion, ni même par l’idéologie mais
par des raisons personnelles.

Lire aussi
Déradicalisation: déprogrammer sans connaître les codes
Quel était l’objectif de cette conférence d’experts ? Dégager de nouvelles pistes ?
Comprendre la dynamique de Daesh. À ce stade, on entend toutes les évaluations possibles :
Daesh est une menace croissante, Daesh est en train de perdre de sa dynamique… Entre ces
deux extrêmes, ne pourrait-on pas concentrer nos expertises pour comprendre le fonctionnement
de l’organisation. Sans cette compréhension, il nous est impossible de réagir. Richard Barett,
ancien chef du renseignement britannique et qui était présent à la conférence, a dit deux choses
capitales : « On est en train de surestimer la menace » et « Daesh est à court de clients ». Ce qui
va dans le sens contraire de l’analyse de la situation que font les Français. Ce qui m’a conforté
dans mon approche c’est que quasi-tout le monde était d’accord pour dire que l’idéologie ou la
religion n’est pas le moteur principal de la vague actuelle de combattants. Qu’il s’agisse des
foreign fighters ou de ceux qui commettent des attaques individuelles, comme l’auteur des
assassinats de Magnanville. Le but de cette rencontre n’était pas d’aboutir à des conclusions
mais ce qui est tout de même ressorti de la conférence, c’est que ceux qui ont commis les
derniers attentats en Europe appartiennent bien à la même mouvance mais dont l’idéologie n’est
pas le moteur.
Qu’est-ce qui séduit toutes ces personnes qui appartiennent donc à la même mouvance ?
http://plus.lesoir.be/52841/article/2016-07-31/rik-coolsaet-il-ne-faut-pas-surestimer-la... 31/07/2016
Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation de Daesh» - Le Soi... Page 2 of 4
Marc Trévedic, le juge français qui a suivi pendant 18 ans les dossiers antiterroristes à Paris
estime que 10 % des djihadistes sont poussés par la religion/l’idéologie et que dans 90 % des
cas, ce sont les motivations personnes qui jouent. Pour ma part, je pense que la force de Daesh
a été d’inspirer, de canaliser toutes ces motivations personnelles extrêmement diverses.
Beaucoup plus que la radicalisation telle qu’on la conçoit depuis le 11 septembre. A plusieurs
reprises, les experts ont d’ailleurs fait la comparaison entre Al-Qaida et Daesh. Al-Qaïda est un
mouvement élitiste porté par l’idéologie. Il a toujours pris soin, y compris à l’heure actuelle,
d’essayer de convaincre les savants islamiques qu’il se situe dans une tradition légitime
islamiste. Tandis que Daesh est un mouvement qui ne s’intéresse pas du tout à l’idéologie, ni à la
théologie. Daesh ne sort pas des tracts sophistiqués comme Al-Qaida. C’est un mouvement
d’exécutants. La bibliothèque d’Al-Qaida, comparée à celle de Daesh, est remplie d’informations
pratiques du type ‘comment faire des bombes’ ? Certainement pas de documents idéologiques
ou théologiques. Ceux qui agissent aujourd’hui pour Daesh sont des novices religieux qui n’ont
pas de passé salafiste. Ils ont une réflexion politique extrêmement superficielle. Ce sont des gens
qui « pètent un plomb ». Avec cette génération-là, la religion et l’idéologie servent de légitimation
mais ce sont les motivations personnelles qui importent.
Ne néglige-t-on pas également le facteur « psychologique », voire « psychiatrique » en
dressant le profil de ces djihadistes ?
Tout à fait. Pour moi, ça rentre aussi dans les motivations personnelles. On le constate avec
Lahouaiej Bouhlel (NDLR : l’auteur de la tuerie de Nice) ou ce syrien en Allemagne dont on a
refusé le passeport et qui a essayé de se suicider deux fois (NDLR : avant de se faire exploser à
Ansbach)…
Jusqu’ici, on disait que ces gens étaient aussi « normaux » que vous et moi d’un point de vue
psychologique et psychiatrique. Or, on est en face d’un groupe de gens qui sont encore différents
de par leurs comportements déviants.
Comment lutter contre ce phénomène si on est face à des jeunes sans espoirs et qui ont
l’impression que le racisme augmente ?
On pense que contre ces idées radicales, il faut déradicaliser. C’est une erreur. Il n’y a pas
déradicalisation possible contre les motivations personnelles. Pas de solutions toutes faites. Pour
le dire plus simplment – parce que les politiques ne pensent pas à ça : s’il ne s’agit pas de
radicalisation, tout le programme politique de déradicalisation passe à côté de l’objectif.
D’aileurs, le mot radicalisation ne s’applique pas à la situation actuelle. Europol avait déjà conclu
après les attentats de Paris qu’on était confrontés à une mouvance d’extrémisme violent. Notre
société et ses experts sont bloqués par une certaine idée de la radicalisation.
Il faut laisser tomber ce concept ?
Dans le temps, on était confrontés à des islamistes radicaux. Maintenant, nous ne sommes plus
dans cette configuration. La déradicalisation s’applique aux générations précédentes. Pas à
celle-ci.
http://plus.lesoir.be/52841/article/2016-07-31/rik-coolsaet-il-ne-faut-pas-surestimer-la... 31/07/2016
Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation de Daesh» - Le Soi... Page 3 of 4
Et les auteurs des attentats de Paris ou du Musée juif ?
Non ! Qu’est-ce qu’il y a à déradicaliser là-dedans ? Trevedic a raison en parlant d’effet de mode.
La plupart de ces terroristes sont jeunes, ont un passé criminel. Ils veulent passer du stade de
« zero to hero ». Ce qu’il faut, c’est les soigner.
Ils auraient donc pu adhérer à un tout autre projet du moment que, dans leur esprit, cela
leur permette de devenir quelqu’un ?
Tout à fait.
Dès lors, et si on supprime la dimension religieuse, ne faut-il pas reparler
d’endoctrinement de type sectaire ?
Plutôt à un concept de « subculture », soit une culture de niche. La force de Daesh est de
mobiliser les subcultures. Son succès n’est pas l’illustration de la radicalisation des
communautés musulmanes mais sa capacité de donner des perspectives à des subcultures.
Pour en revenir au profil des terroristes : si nous sommes aujourd’hui confrontés à des
gens qui agissent d’initiative, inspirés par Daesh, qui frappent de manière soudaine.
Comment les arrêter ?
Bien sûr, pour ceux qui prennent une hache et se rendent dans un train pour frapper, c’est
difficile. Mais sinon, il y a quand même toujours des actes préparatoires qui peuvent prendre
plusieurs mois. C’était le cas ce week-end avec les suspects arrêtés à Frameries. Ce qui a
déclenché leur arrestation, c’est le fait que l’un des suspects a cherché à se procurer des armes.
Bouhlel a Nice a fait des sorties de reconnaissance. Ce sont des amateurs et ils commettent des
fautes. Il faut reconnaitre ces signes de préactivité opérationennelle.
Mais Daesh préconise à ses partisans de frapper selon leurs moyens. Et en termes de
terreur, c’est vrai que le résultat est identique que l’on utilise une arme, un couteau ou un
camion…
Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation de Daesh. L’organisation a appelé à
commettre des attentats lors du ramadan. Il y en a eu des centaines mais, à part à Magnanville,
ils se sont tous produits en dehors de l’Europe.
Que pensez-vous de la réaction de Merkel face aux critiques ?
Chapeau à Merkel ! (…) Contrairement à ce que dit Holland, nous ne sommes pas en guerre. La
guerre, c’est un terme pour Bush !
Pour vous, nous ne sommes pas en guerre ?
Non, nous ne sommes pas en guerre. Sauf peut-être dans un sens métaphorique. Nous sommes
confrontés à une organisation terroriste comme nous l’avons déjà été par le passé.
http://plus.lesoir.be/52841/article/2016-07-31/rik-coolsaet-il-ne-faut-pas-surestimer-la... 31/07/2016
Rik Coolsaet: «Il ne faut pas surestimer la capacité de mobilisation de Daesh» - Le Soi... Page 4 of 4
Pensez-vous qu’il faille arrêter de publier dans les médias les noms et les visages des
djihadistes ?
Pour moi, ça ne changera rien. C’est vrai que la presse et le politique sont des deux instances
qui façonnent notre manière de penser. Ce qu’il faudrait plutôt mettre en exergue, ce sont les
contre-exemples. Comme la réaction exemplaire des habitants de Saint-Etienne-de-Rouvroy. Il
faut montrer comment une société locale réagit face à ce défi de Daesh d’opposer les
musulmans contre les non-musulmans.
Regardez Molenbeek. C’est une commune chaleureuse quand on y habite. Pas partout mais à
certains endroits. Quand on dit qu’on va nettoyer Molenbeek, ce sont des baffes pour tous ceux
qui ont fait des efforts durant ces dernières années, et même ces dernières décennies.
Par contre, quand le Roi vient en visite à Molenbeek, ça, c’est un danger mortel pour Daesh.
Selon vous, quelles sont les mesures urgentes à prendre pour lutter contre le terrorisme
aujourd’hui ?
L’urgence c’est l’inclusion comme projet politique. Il faut combattre tout ce qui est polarisant dans
notre société en renforçant les projets inclusifs. Là, on est en train de réinventer l’eau chaude en
lançant tous ces programmes pour les jeunes, tous ces programmes contre la discrimination,
contre le chômage. Non, il faut enlever cela de la déradicalisation et le remettre là où c’était.
C’est-à-dire offrir une chance à tout le monde.
Je crois que la génération Daesh va s’étendre. Mais si on ne fait cette démarche inclusive, dans
dix ans, un autre projet sera capable de mobiliser cette jeunesse qui se sent délaissée. Et
redonner l’espoir.

Lire aussi
Dossier spécial | Comment lutter contre la barbarie terroriste?
http://plus.lesoir.be/52841/article/2016-07-31/rik-coolsaet-il-ne-faut-pas-surestimer-la... 31/07/2016