memoire en replique_0706
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CONSEIL D’ETAT Section du Contentieux MEMOIRE EN REPLIQUE POUR : L’ASSOCIATION FRANCAISE DES MEDECINS ESTHETICIENS Ayant son siège social sis 60 Boulevard Malesherbes - 75008 PARIS Prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié es qualités audit siège social, dûment habilité aux fins des présentes ; Ayant pour Avocat : CONTRE : CHRISTOPHE EDON CONSEIL Selarl Maître Christophe EDON Avocat au Barreau de Paris 84 rue de Grenelle 75007 PARIS Dûment mandaté à cet effet par pouvoir annexé Le Décret n°2005-776 du 11 juillet 2005 relatif aux conditions d’autorisation des installations de chirurgie esthétique et modifiant le Code de la Santé Publique (deuxième partie décrets en Conseil d’Etat) publié au Journal Officiel le 12 juillet 2005 (Production 1) Par requête introductive d’instance en date du 9 septembre 2005, l’Association Française des Médecins Esthéticiens a déposé un recours devant le Conseil d’Etat visant à ; - « Déclarer l’A.F.M.E. recevable et bien fondée en son recours ; Ce faisant, - Annuler en l’ensemble de ses dispositions le décret 2005-776 du 11 juillet 2005 relatif aux conditions d’autorisation des installations de chirurgie esthétique et modifiant le Code de la Santé Publique (deuxième partie décrets en Conseil d’Etat) ; - Prononcer la condamnation au paiement à l’A.F.M.E. de la somme de 2.000 € en application de l’application des dispositions de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative ; - L’exposante demande très expressément à ce que lui soit communiqués, par l’intermédiaire de son mandataire (Me Christophe EDON Avocat à la Cour 15 rue du Temple 75004 PARIS) tous mémoires, écritures et pièces de l’Administration ; - L’exposante demande également à être avisée de la date à laquelle cette affaire sera appelée à l’audience du Conseil d’Etat. » Par mémoire en date du 9 juin 2006, Monsieur le Ministre de la Santé et des Solidarités demande au Conseil d’Etat de : - « déclarer la requête de l’Association des médecins esthéticiens irrecevable ; - à défaut, la rejeter au fond. » Il sera demandé au Conseil d’Etat de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par Monsieur le Ministre de la Santé et déclarer de plus fort l’Association Française des Médecins Esthéticiens bien fondée en ses demandes et d’y faire droit. * * * 2 L’Association Française des Médecins Esthéticiens regroupe les professionnels de la médecine à visée esthétique et anti-âge, dont elle a vocation à protéger le statut et les conditions d’exercice professionnel (Production 2). L’esthétique médicale se définit comme l’ensemble des techniques non chirurgicales permettant d’améliorer l’image corporelle des patients. La médecine anti-âge se définit comme l’ensemble des techniques médicales permettant de ralentir et de prévenir les effets indésirables dus au vieillissement. La requérante a été amenée à saisir le Conseil d’Etat en annulation des dispositions du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 modifiant le Code de la Santé Publique en ce que les dispositions de ces textes, compte tenu de leur imprécision, ont pour effet d’entraver le principe de liberté de prescription et d’installation dont bénéficient les médecins. Il convient de rappeler en préambule qu’aux termes de l’article L. 6322-1 du Code de Santé Publique (CSP) : « Une intervention de chirurgie esthétique, y compris dans les établissements de santé mentionnés au livre Ier , ne peut être pratiquée que dans des installations satisfaisant à des conditions techniques de fonctionnement. Celles-ci font l'objet d'une accréditation dans les conditions prévues à l'article L. 6113-3 » Les rédacteurs de la loi la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ont laissé à ceux de son décret d’application le soin de définir la notion « d’intervention de chirurgie esthétique » ou de « prestations à visée esthétiques », seules expressions retenues par le législateur. Lors des débats parlementaires ayant précédé la promulgation de la loi du 4 mars 2002, le Ministre de la Santé rédacteur de la loi avait admis le caractère « nécessaire » d’une clarification sur la nature de ces différents actes. Il a ainsi été clairement indiqué que seraient 3 « précisées par décret » les distinctions entre les interventions lourdes nécessitant des anesthésie générales et des interventions sous anesthésie locale1. Or, aux termes de l’article R 740-1 du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 et modifiant le Code de la Santé Publique (C.S.P.), « sont soumises aux dispositions du présent titre les installations où sont pratiqués les actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ». Cet article précise le champ d’application des dispositions du CSP relatives aux installations nécessitant une autorisation en en précisant l’objet (la modification de l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice) sans pour autant en préciser la nature dès lors qu’est évoqué « des actes chirurgicaux ». La définition la plus courante d’un acte chirurgical est l’acte par lequel on intervient manuellement et généralement à l’aide d’instruments sur un être vivant. L’Académie Française la définit comme la « partie de la thérapeutique qui implique des opérations internes ou des manœuvres externes » alors que le Littré évoque « une partie de l'art de guérir qui s'occupe des maladies externes, de leur traitement, et, particulièrement, des procédés manuels qui servent à leur guérison. » L’expression « actes chirurgicaux » est donc générale et trop imprécise. Dans cette acception « d’acte chirurgical », les médecins esthéticiens qui pratiquent quotidiennement des actes à visée esthétique tendant « à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice » doivent alors se conformer aux dispositions du C.S.P. et pratiquer leurs actes dans les installations autorisées dans les termes du C.S.P. Or, aux termes du décret n°2005-777 du 11 juillet 2005 (JO 12 juillet 2005) insérant l’article D 766-2-14 dans le C.S.P., « l’équipe médicale pratiquant dans ces installations les interventions de chirurgie esthétique ne comprend que : 1 Débats Sénat – Audience du 5 février 2002 au sujet de l’amendement n°310 4 1° un ou plusieurs médecins qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe II en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; 2° un ou plusieurs médecins qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe I en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; Il résulte de ces dispositions que nombre d’actes à visée esthétique pratiqués par les médecins esthéticiens en structure ambulatoire et ne nécessitant aucune anesthésie ou une anesthésie locale doivent être désormais pratiqués dans les installations visées à l’article L 6322-1 du CSP par des praticiens qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe I et II en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique. Le décret attaqué pour les motifs exposés ci-après constitue une entrave à la liberté de prescription et d’installation des médecins de sorte qu’il sera demandé au Conseil d’Etat de l’annuler en l’ensemble de ses dispositions. * * * 5 II. DISCUSSION II.1. SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS DE L’A.F.M.E. Sous le visa de l’article R 432-1 du Code de Justice Administrative, Monsieur le Ministre de la Santé conclut à l’irrecevabilité de la requête introductive d’instance au motif que l’Association Française des Médecins Esthéticiens n’est pas représentée par un avocat au Conseil d’Etat. L’exception sera rejetée au double motif suivant : - En premier lieu, s’agissant d’un recours pour excès de pouvoir, les dispositions de l’article R 432-2 prévoyant une dispense de ministère d’avocat au Conseil sont applicables ; En outre, il a été jugé qu’un avocat à la Cour peut parfaitement être mandataire d’une partie devant le Conseil d’Etat dès lors qu’il justifie d’un mandat en ce sens (CE 26 juillet 1946 GP 1946 2, p 156), ce qui est le cas en l’espèce par la production n°4. - En second lieu, et en tout état de cause, il est constant qu’il n’est pas possible de déclarer irrecevable un recours faute pour une partie d’être représentée par un avocat au Conseil, si une mise en demeure préalable de régulariser ne lui pas été adressée (CE 20 octobre 1989 req n°98680, CE 27 janvier 1989 RFD Adm 1989 p 751). En l’espèce, force est de constater qu’aucune mise en demeure préalable de régulariser n’a été notifiée à L’Association Française des Médecins Esthéticiens et/ou à son Conseil. En conséquence, le Conseil d’Etat ne pourra que rejeter l’exception d’irrecevabilité et déclarer la requérante recevable en son recours. 6 II.2. MOYEN TIRE DE L’ILLEGALITE EXTERNE DU DECRET L’exposante croit pouvoir soutenir que le Décret attaqué et finalement adopté n’est pas conforme à la rédaction adoptée par le Conseil d’Etat. Il suffira à ce dernier pour s’en convaincre de se livrer à l’examen de la lettre de réponse de Monsieur le Ministre de la Santé en date du 4 août 2005 (Production 6) à la Confédération des Syndicats Médicaux Français (Production 5) l’interrogeant sur les conditions d’application du décret attaqué. Or, Monsieur le Ministre de la Santé a fait très expressément fait référence à un avis du Conseil d’Etat précisant la notion d’actes chirurgicaux en ces termes : « Celui-ci (le Conseil d’Etat) considère la greffe de cheveux hors champ par rapport à ce décret car dans cette pratique le prélèvement ne dépasse pas le derme ». Il résulte de ce document que dans son avis, le Conseil d’Etat a introduit un critère de délimitation entre les différents actes à visée esthétiques basé sur le derme et permettant de délimiter avec précision le champ d’application du texte attaqué. Or, cette référence au derme, dont le Ministre de la Santé admet lui-même dans ses écrits qu’elle constitue « la limite entre la chirurgie et la médecine », n’apparaît aucunement dans le décret attaqué alors qu’elle constitue un critère déterminant pour l’application de ce dernier. Il s’en suit que la procédure consultative du Conseil d’Etat est entachée d’irrégularité en ce qu’en présence d’un texte imprécis sur la notion essentielle « d’actes chirurgicaux », il n’a nullement été tenu compte dans le texte adopté d’un avis du Conseil d’Etat pourtant significatif pour la délimitation de son champ d’application. Cette méconnaissance de l’avis du Conseil d’Etat constitue une violation de la procédure consultative entachant d’irrégularité le texte attaqué. 7 En réponse, Monsieur le Ministre de la Santé tente de soutenir que le texte attaqué ne serait pas entaché d’irrégularité en ce que la définition de la chirurgie esthétique issue de l’article R 6322-1 du décret serait conforme à la définition des actes de chirurgie esthétique retenue par le Conseil d’Etat donnée par l’Académie de chirurgie. Or, le Conseil d’Etat relèvera que Monsieur le Ministre de la Santé ne produit pas aux débats l’avis consultatif du Conseil d’Etat précisant la notion d’actes chirurgicaux en ces termes : « Celui-ci (le Conseil d’Etat) considère la greffe de cheveux hors champ par rapport à ce décret car dans cette pratique le prélèvement ne dépasse pas le derme ». Apparaît ici l’évidente contradiction dans laquelle s’est placée le Ministre de la Santé face à une définition de la chirurgie esthétique ressortant du décret attaqué imprécise et floue, source de difficultés majeures pour l’exercice de la médecine, dès lors qu’il est amené aux termes de son mémoire à fixer un critère anatomique fixant la limite entre les deux pratiques : à savoir, la chirurgie est « un acte effractif dépassant le derme ». Or, force est de constater que ce critère prétendument retenu par le Conseil d’Etat dans son avis que le Ministre de la Santé se garde produire, n’apparaît pas dans le texte attaqué de telle sorte que le Ministre de la Santé est désormais contraint d’agir au cas par cas, acte par acte, pour déterminer s’il relève des dispositions du décret ou non. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat relèvera celui donné par le Ministre de la Santé lui-même dans son mémoire sur la microgreffe de cheveux par prélèvement de bandelettes qui n’entre pas dans le champ de la chirurgie esthétique. Cependant, il existe un nombre important d’actes techniquement similaires à la microgreffe de cheveux dont le régime applicable n’est pas prévu et ne peut être fixé sur la seule base des dispositions du décret attaqué. Ainsi, et à titre d’exemple, il y a lieu de s’interroger sur le régime applicable aux implants capillaires. 8 L’absence d’introduction dans le décret du critère anatomique, « d’effraction du terme » tel que retenu par le Conseil d’Etat dans son avis tiré de la définition donnée par l’Académie de chirurgie constitue une violation de la procédure consultative entachant d’irrégularité le texte attaqué. II.3. MOYEN TIRE DE L’ILLEGALITE INTERNE DU DECRET Au soutien de sa requête, la requérante soutient que le décret attaqué a été pris en VIOLATION - de l’article 4 de Déclaration des Droits de l’Homme et énonçant le principe de liberté d’entreprendre et disposant que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » ; - de l’article L 162-2 du Code de la Sécurité Sociale disposant que « Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi nº 71-525 du 3 juillet 1971. » - de l’article 8 du Code de déontologie médicale (article R.4127- 8 du code de la santé publique) disposant que « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à 9 l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. » - de l’article 70 du Code de déontologie médicale (article R.4127-70 du code de la santé publique) disposant que « Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. » En effet, en application de l’article R 740-1 du Décret 2005-776 du 11 juillet 2005 prévoyant que « les actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice » sont obligatoirement pratiqués dans les installations réglementées régies par les dispositions des articles L 6322-1 et suivants du CSP, de sorte que les médecins esthéticiens ont l’obligation de pratiquer leurs actes, quelle qu’en soit leur nature, dans lesdites installations. Au surplus, les dispositions de l’article D 766-2-14 du C.S.P. inséré par le décret n°2005-777 du 11 juillet 2005 impose que lesdits actes sont obligatoirement pratiqués par une équipe médicale composés de « un ou plusieurs médecins qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe I et II en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ». En l’absence de toute définition légale de la notion « d’actes chirurgicaux » entrant dans le champ d’application des dispositions des articles L 6322-1 et suivants du C.S.P., l’essentiel des actes réalisés quotidiennement en structure ambulatoire, avec ou sans anesthésie locale légère par les médecins esthéticiens entrent dans le champ d’application des dispositions précitées. Il est nécessaire d’opérer une distinction entre les actes dits de « chirurgie esthétique » et relevant des dispositions des articles L 6322-1 et suivants du C.S.P. et les actes médicaux à visée esthétique ne relevant pas de ces dispositions sous réserve 10 qu’ils soient effectués en conformité avec les dispositions légales en vigueur s’appliquant à ce type d’actes et par des praticiens disposant des qualifications professionnelles requises. Or, en s’abstenant d’opérer cette distinction et/ou en n’insérant pas dans les décrets d’application les critères juridiques permettant de dissocier la nature des actes en cause, les dispositions des décrets attaqués imposent aux médecins esthéticiens de se conformer aux dispositions légales applicables aux « actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice » afin d’éviter d’être accessibles aux sanctions pénales prévues par les textes en vigueur. Or, nombre d’actes pratiqués par les médecins esthéticiens sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application particulièrement flou des dispositions des décrets attaqués. N’exerçant pas dans une structure répondant aux critères légaux et n’étant pas qualifiés ou titulaires des diplômes visés à l’article D 766-2-14 du C.S.P. inséré par le décret n°2005-777 du 11 juillet 2005, les médecins voient leur liberté de prescription et d’installation tout particulièrement entravée alors que ce principe fondamental est rappelé par les textes précités. Au cours des débats parlementaires ayant précédé la mise en place de la loi du 4 mars 2002 précitée, il apparaissait que la philosophie de ce texte et plus particulièrement, les dispositions des articles 36 à 39 (article 6322-1 à 6322-3 du C.S.P.) était d’encadrer l’exercice de la chirurgie esthétique à l’effet de répondre à une exigence de sécurité sanitaire que les patients sont en droit d’attendre de leurs services médicaux. Le Ministre de la Santé avait à cet égard souligné que « ces conditions techniques doivent en effet être adaptées à la nature des interventions. C’est ainsi que les installations où se pratiquent des interventions lourdes, nécessitant des anesthésies générales devront disposer d’un plateau technique adéquat correspondant aux moyens 11 techniques que l’on trouve dans les services de chirurgie, les blocs opératoires et les services d’anesthésie »2. Les critères retenus par le rédacteur du texte semblaient donc être le caractère « lourd » de l’intervention et la nécessité d’une anesthésie générale, le même rédacteur ayant, semble-t-il, écarté du champ d’application de la loi les interventions nécessitant des anesthésies locales3. Lors de l’élaboration du décret 2005-777 du 11 juillet 2005, le Conseil d’Etat est, semble-t-il, revenu sur ce critère en introduisant un critère anatomique de distinction entre les actes de médecine et de chirurgie esthétique. En effet, selon Monsieur le Ministre de la Santé et des Solidarités, au sujet des greffes de cheveux, « la limite entre la chirurgie et la médecine se situe en deçà et au-delà du derme ». Pour autant qu’il permet de délimiter plus précisément le champ d’application du décret attaqué, ce critère anatomique demeure source de confusion dans la mesure où en l’appliquant à la lettre, de nombreux actes tels qu’une simple injection souscutanée, une application de champ électrique ou ultrasonique (de kinésithérapeute par exemple), ou un geste de mésothérapie à visée esthétique devraient alors être pratiqués par un chirurgien plasticien au sein d’une structure agréée dès lors qu’ils se situent au-delà du derme. En retenant l’exemple de la greffe de cheveux retenu par Monsieur le Ministre de la Santé, il apparaît que le critère anatomique du derme est source d’erreur. En effet, une greffe de cheveux touche nécessairement l’hypoderme qui est la zone cutanée située en dessous du derme de sorte que si l’on devait retenir « la limite » ainsi fixée, une greffe de cheveux devrait être pratiquée dans une installation agréée. En outre, selon plusieurs spécialistes anatomistes, l’hypoderme est difficilement dissociable du derme auquel il est intimement lié. Certains biologistes définissent par 2 3 op cit op cit 12 ailleurs l’hypoderme comme faisant partie du derme. Dès lors, fixer « la limite » entre médecine et chirurgie esthétique au derme est source de confusion car imprécis. En tout état de cause, il apparaît que par l’application des textes précités, le médecin esthéticien perd à l’égard de son patient sa liberté de prescription. En effet, confronté à un patient lui demandant de pratiquer un acte dépassant le derme qu’il pratiquait habituellement dans son cabinet avant l’entrée en vigueur des décrets attaqués, le praticien sera confronté à l’alternative suivante : - amener son patient à subir un acte n’entrant pas dans le champ d’application des décrets attaqués, ce qui va précisément à l’encontre de l’exigence de sécurité sanitaire instauré par la loi du 4 mars 2002 dans la mesure où l’acte en cause ne sera nécessairement pas adapté au cas du patient ; - adresser ledit patient à l’un de ses confrères chirurgien habilité à intervenir dans les installations agréées. Le Conseil d’Etat observera que cette branche de l’alternative va également à l’encontre de l’exigence de « démocratie sanitaire » voulue par le législateur dans la mesure où l’accès aux soins sera limité par des contingences financières. En réponse, - Monsieur le Ministre de la Santé soutient que « le gouvernement aurait la possibilité de fixer par un texte du même niveau des règles particulières à l’exercice d’une profession spécifique sans être lié par des dispositions réglementaires de caractère général ». Un tel argument ne résiste pas à l’examen en fait et en droit. En droit, il est constant que “le libre accès, par les citoyens, à l'exercice d'une activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale” est réservé au législateur et de ce fait interdit aux seules autorités réglementaires d’en fixer une (CE, 29 mai 1992, Mongeot : Juris-Data n° 1992-042837 ; Rec. CE 1992, p. 218. – CE, 27 juin 1997, Hayat : Rec. CE 1997, p. 264. – CE, ass., 7 juill. 2004, Min. int. c/ 13 Benkerrou : Juris-Data n° 2004-067191 ; RFD adm. 2004, p. 913, concl. M. Guyomar ; RFD adm. 2004, p. 1130, note A. Haquet, M. Degoffe ; AJDA 2004, p. 1695, chron. C. Landais et F. Lenica). En l’espèce, le décret attaqué porte nécessairement, par son imprécision et son absence d’élaboration de critères permettant réglementairement de fixer la limite entre les actes relevant de chirurgie esthétique et les autres, atteinte aux principes posés par les textes énoncés ci-dessus. L’application en l’état du décret attaqué revient à faire interdiction aux médecins esthétiques de la pratique de tous leurs actes « visant à modifier l’apparence corporelle » alors qu’aucun texte légal ne leur en fait interdiction. S’il n’est pas question pour la requérante de remettre en cause le principe légal énoncé par la loi du 4 mars 2002 de sécurité sanitaire formalisé par la nécessité de pratiquer les actes de chirurgie tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne à sa demande dans des installations spécifiques, encore faut-il que les textes applicables chargés du respect de ce principe permettent de déterminer avec certitude et précision quels actes en relèvent. Or, l’état de la rédaction actuelle des textes attaqués, « l’acte chirurgical tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice » englobe tous les actes chirurgicaux et médicaux à caractère esthétique sans distinction entravant les médecins dans l’exercice quotidien de leur art. Ainsi, la microgreffe de cheveux par prélèvement de bandelettes modifie l’apparence corporelle d’une personne à sa demande sans visée thérapeutique ou reconstructive et devrait dès lors en tant que tel relever des dispositions du décret attaqué. Or, Monsieur le Ministre de la Santé écrit très expressément qu’un tel acte ne relève pas de ces dispositions ce qui met en évidence l’impéritie du texte en cause. 14 Monsieur le Ministre de la Santé verse aux débats une circulaire du 23 décembre 2005 relative à l’autorisation et fonctionnement des installations de chirurgie esthétique aux termes de laquelle « ne sont pas concernées les pratiques dites de « médecine esthétique » telles que l’utilisation de la toxine botulique ou l’injection de matériaux résorbables ou de substances, notamment pour le comblement des rides ». Cette même circulaire donne en son annexe 2 une liste non exhaustive des interventions les plus fréquemment pratiquées en chirurgie esthétique qui relèvent des dispositions attaquées. La dermabrasion figure au rang des actes chirurgicaux relevant du décret. Cet acte consiste « à enlever la couche superficielle de la peau (l’épiderme4) avec une meule à rotation très rapide ». Or, cet acte est en totale contradiction avec le critère anatomique énoncé par le Ministre de la Santé lui-même dans son mémoire en réponse qui évoque la notion « d’acte effractif dépassant le derme » ce qui n’est nullement le cas de la dermabrasion, acte relevant historiquement et techniquement de la médecine esthétique. - Monsieur le Ministre de la Santé soutient par ailleurs que la liberté d’installation des médecins ne serait pas remise en cause dans la mesure où « ils seraient susceptibles d’intervenir légalement en chirurgie esthétique dans les installations autorisées qu’ils voudront pour exercer leur art ». Une telle affirmation ne résiste pas à l’examen du droit européen applicable et s’imposant au législateur national. Sur la base des articles 49 et 57 du Traité instituant la Communauté européenne, faisant obligation aux Etats membres d’éliminer selon un plan progressif, celles des procédures et pratiques administratives, ainsi que les délais d'accès aux emplois disponibles découlant soit de la législation interne, soit d'accords antérieurement 15 conclus entre les États membres, dont le maintien ferait obstacle à la libération des mouvements des travailleurs, le législateur européen a élaboré une Directive n°93/16/CEE du conseil en date du 5 avril 1993 aux termes de laquelle, notamment, « en vertu de la présente Directive, un état membre d’accueil n’est en droit d’exiger des médecins titulaires de diplômes obtenus dans un autre Etat membre et reconnus au titre de la présente directive aucune formation complémentaire pour l’exercice des activités de médecin dans le cadre d’un régime de sécurité sociale, même s’il exige une telle formation des titulaires de diplômes de médecin obtenus sur son territoire. » Les dispositions du décret attaqué contreviennent au principe énoncé par cette directive ou à tout le moins, créée une distorsion dans la liberté d’installation des médecins sur le plan européen. En effet, il résulte de l’application combinée des R 740-1 du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 et D 766-2-14 du décret n°2005-777 du 11 juillet 2005 (JO 12 juillet 2005) que « l’équipe médicale pratiquant dans ces installations les interventions de chirurgie esthétique ne comprend que : 1° un ou plusieurs médecins qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe II en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; 2° un ou plusieurs médecins qualifiés spécialistes ou titulaires d’un diplôme d’études spécialisées complémentaire de groupe I en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; Or, dans n’importe quel autre pays européen auquel la Directive précitée est applicable, aucun médecin pratiquant des actes de médecine esthétique tels que, par exemple, les implants ou la dermabrasion (qui sont des actes figurant à l’annexe 2 de la Circulaire du 23 décembre 2005 comme relevant d’actes de chirurgie esthétique) ne doivent être titulaire d’un diplôme équivalent au d’études spécialisées complémentaire de Groupe I ou II. 4 Ajouté par nos soins 16 Dès lors, ce texte instaure une obligation de spécialisation pour les médecins français qui n’existe pas dans les autres pays européens. Bien plus, les médecins des Etats membres souhaitant s’installer en France et pratiquer les actes de médecine esthétiques donnés en exemple ci-dessus ne se verraient pas imposer l’obligation d’être titulaire d’un diplôme équivalent au d’études spécialisées complémentaire de Groupe I ou II au nom du principe énoncé à la directive du 5 avril 1993 précité. Cette situation créée une rupture d’égalité entre les médecins ressortissant de pays membre de l’Union européenne en totale contradiction avec les principes fondamentaux énoncés par les Traités l’instaurant. En effet, si l’Etat français est conduit à imposer à ses ressortissants des conditions d’exercice qu’elle n’exige pas des ressortissants européens au nom du principe de liberté d’établissement et d’uniformisation des diplômes voulu par le législateur européen, il créée de ce fait une rupture d’égalité de traitement entre les membres de l’Union européenne. A l’inverse, s’il exige des ressortissants européens qu’ils se conforment aux dispositions réglementaires internes imposant d’être titulaire de diplôme spécifique pour l’exercice d’actes de chirurgie esthétique au sens du décret attaqué, il méconnaît les dispositions de la directive européenne précité et se place en contravention avec les textes européens. Or, il est de principe constant sur le plan européen que les Etats membres doivent veiller au respect du principe d'égalité de traitement des ressortissants communautaires avec les nationaux, règle dont il observait qu'elle n'empêchait nullement les États membres de légiférer mais leur commandait d'assurer un traitement égal entre les ressortissants d'autres États membres et leurs nationaux. La Commission des Communautés européennes, après avoir rappelé que la liberté d'établissement était un droit fondamental dont les limitations doivent être objectivement justifiées et s'interprètent strictement, a exposé que : 17 « Dès l'instant où un bénéficiaire du droit d'établissement démontre, par des documents délivrés par les institutions habilitées à cet effet dans le pays d'accueil, qu'il a acquis, à l'étranger, des connaissances dans le domaine (…), l'exigence formelle d'un diplôme délivré par une institution d'enseignement du pays d'accueil n'aurait plus aucune justification objective et devrait être considérée comme une restriction au titre de l'article 52 ». C’est donc à tort que Monsieur le Ministre de la Santé soutient que le texte attaqué ne porterait aucune atteinte à la liberté d’installation, d’exercice et de prescription des médecins. Le Conseil d’Etat ne pourra en conséquence que dire et juger que les dispositions du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 relatif aux conditions d’autorisation des installations de chirurgie esthétique et modifiant le Code de la Santé Publique (deuxième partie décrets en Conseil d’Etat) méconnaît le principe fondamental de liberté de prescription et d’installation des médecins consacrés par les textes précités. * * * A titre subsidiaire, il sera demandé au Conseil d’Etat d’annuler les dispositions particulières pour les motifs ci-dessus exposés à savoir l’article R 740-1 du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 et modifiant le Code de la Santé Publique (C.S.P.) article R 6322-1 , « sont soumises aux dispositions du présent titre les installations où sont pratiqués les actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ». ________________________ * * * 18 PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office, l’exposante conclut qu’il plaise au Conseil d’Etat - Déclarer l’A.F.M.E. recevable et bien fondée en son recours et le présent mémoire ; Ce faisant, - Rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par Monsieur le Ministre de la Santé et déclarer l’A.F.M.E. recevable et bien fondée en son recours ; - Annuler en l’ensemble de ses dispositions le décret 2005-776 du 11 juillet 2005 relatif aux conditions d’autorisation des installations de chirurgie esthétique et modifiant le Code de la Santé Publique (deuxième partie décrets en Conseil d’Etat) ; - Prononcer la condamnation au paiement à l’A.F.M.E. de la somme de 2.000 € en application de l’application des dispositions de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative ; A titre subsidiaire, Annuler l’article R 740-1 du décret 2005-776 du 11 juillet 2005 modifiant le Code de la Santé Publique (C.S.P.) article R 6322-1 en ces termes « sont soumises aux dispositions du présent titre les installations où sont pratiqués les actes chirurgicaux tendant à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ». - L’exposante demande très expressément à ce que lui soit communiqués, par l’intermédiaire de son mandataire (Me Christophe EDON Avocat à la Cour 84 rue de Grenelle - 75007 PARIS) tous mémoires, écritures et pièces de l’Administration ; 19 - L’exposante demande également à être avisée de la date à laquelle cette affaire sera appelée à l’audience du Conseil d’Etat. Sous toutes réserves 20 PRODUCTION Pièce n°1 Décret attaqué (Décret n°2005-776 en date du 11 juillet 2005 – JO 12 juillet 2005) Pièce n°2 Statuts de l’A.F.M.E. Pièce n°3 Procès verbal du Conseil d’administration de l’A.F.M.E. Pièce n°4 Pouvoir Pièce n°5 Lettre de la C.S.M.F. en date du 26 juillet 2005 Pièce n°6 Lettre du Ministre de la Santé en date du 4 août 2005 Pièce n°7 Extrait débats au Sénat séance du 5 février 2002 Pièce n°8 Directive CEE 93/16 du 5 avril 1993 21