Patrick Le Lay, ancien patron de TF1, renvoyé devant le tribunal

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Patrick Le Lay, ancien patron de TF1, renvoyé devant le tribunal
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régulièrement poursuivies devant les prud’hommes
par d’anciens salariés, elles sont rarement confrontées
à la justice pénale. Et quand elles le sont, c’est plutôt
un manager intermédiaire qui passe à la barre.
Patrick Le Lay, ancien patron de TF1,
renvoyé devant le tribunal correctionnel
PAR MATHILDE MATHIEU
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 25 JUILLET 2012
Or d’après l’ordonnance de renvoi datée de décembre
2011 que Mediapart s’est procurée, la juge Anne
Vincent a précisément estimé que Patrick Le Lay
(2,4 millions d’euros de rémunération annuelle en
2007) ne pouvait se défausser sur un subordonné
– en l’occurrence son ancien directeur technique,
que TF1 prétendait désigner comme seul responsable
pénal. C’est bien l’ex-PDG (définitivement retraité de
l’empire Bouygues depuis deux ans et demi) qu’elle
renvoie devant le tribunal, et lui seul, jugeant que
le recours abusif à des intermittents a relevé d’« un
choix d’entreprise et non d’individus isolés ». Parti
assouvir sa passion du foot à la tête du Stade rennais,
l’homme qui se vantait de « vendre du temps de
cerveau disponible » se retrouve, à 70 ans, inquiété
par la justice.
À la tête de TF1, Patrick Le Lay a soigné son audimat
durant deux décennies. À la rentrée, d’après nos
informations, c’est devant les magistrats qu’il devra
réussir son audience. Après dix ans d’une procédure
interminable, une juge d’instruction de Nanterre vient
de renvoyer l’ancien PDG de la première chaîne
(1988-2007) devant le tribunal correctionnel, estimant
que Patrick Le Lay avait « eu recours de manière
abusive » à des intermittents du spectacle en 2002 et
2003, sur des postes à caractère durable pour lesquels
le Code du travail impose la signature de CDI.
Car l'enquête de l’inspection du travail de BoulogneBillancourt en 2002, puis celle des policiers de
la BRDP de Paris (Brigade de répression de la
délinquance à la personne) ont conduit aux mêmes
conclusions : sur la période incriminée (mai 2002 à
mars 2003), des intermittents ont occupé à TF1 des
emplois non pas saisonniers, mais liés à « l’activité
normale et permanente de l’entreprise » (journaux
télévisés, météo, etc.), jusqu’à cumuler, dans un cas,
onze années d’ancienneté.
Patrick Le Lay en 2010 © Reuters
Révoltés par un « précariat » touchant alors des
monteurs du journal télévisé comme des cadreurs
ou des maquilleurs, la CGT-TF1 et le SNRT-CGT
(Syndicat national des radios et télévisions) avaient,
en mars 2003, déposé plainte avec constitution de
partie civile, s’appuyant sur un procès-verbal rédigé
par l’inspection du travail. Si la loi autorise les sociétés
audiovisuelles à signer avec la même personne
plusieurs contrats courts successifs (en dérogation à
la règle générale), c'est uniquement pour couvrir des
emplois temporaires, non liés à l’activité normale
et permanente de l’entreprise. « En abusant, les
chaînes déportent une partie du coût de leur masse
salariale vers le système d’assurance chômage »,
pointe l’avocat de la CGT, Me Oury Attia.
Sous la menace de la justice, TF1 n'était pas resté
inactive, puisqu'elle avait illico intégré une partie de
ses précaires : environ 200 ont signé un CDI dans
les deux années qui ont suivi la plainte (dont certains
techniciens entendus par la police), selon la CGT.
« Le nombre de jours de travail effectués par les
intermittents et les pigistes a été quasiment divisé par
5 entre 2000 et 2011 », se félicite le secrétaire général
de la CGT-TF1, Jean-Christophe Meunier, qui avait
du coup décidé en 2006 de retirer sa plainte. Le grand
ménage, à l'époque, avait été orchestré par Patrick Le
Lay lui-même.
Dans cette affaire, Patrick Le Lay, mis en examen en
mars 2010, risque une simple amende de 3 750 euros,
mais sa condamnation serait exceptionnelle : si les
chaînes de télé et leurs sociétés de production se voient
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« Tout a été réglé, plaide d'ailleurs Me Olivier Metzner,
l’avocat de Patrick Le Lay. Les situations de ceux qui
souhaitaient bénéficier d’un CDI ont été régularisées,
au point que la CGT-TF1 s'est désistée (de la
procédure – ndlr). Reste le SNRT-CGT… Pourquoi
n'a-t-il pas retiré sa plainte lui aussi ? La CGT est
schizophrène ! À l’audience, ça ne tiendra pas. Je vous
rappelle que les contrats à durée déterminée chez TF1,
ça n’est rien par rapport à d’autres (chaînes). Et c’est
l’héritage de l’ORTF ! » D'après le bilan social de
TF1 S.A, 614 salariés en CDD (intermittents, pigistes,
cachetiers, etc.) ont encore travaillé pour l'entreprise
en 2011, à côté de 1633 permanents.
particulier auprès des salariés de la « Vidéomobile »
de TF1 (ces techniciens qui sillonnent le terrain jour et
nuit pour assurer la transmission des images des JT).
« Gagner au pénal n’apporterait peut-être pas grand
chose de plus socialement, reconnaît Me Oury Attia,
défenseur du SNRT-CGT. Mais perdre serait une
catastrophe : ce serait encourager TF1 à repasser
tout le monde en mode précaire. » Si l'avocat regrette
que l'instruction ait pris tant d'années, il se félicite du
« travail intelligent » effectué in fine par la juge :
« Si les patrons de médias sont rarement déférés,
c'est parce qu’ils organisent des jeux complexes de
délégations de pouvoirs pour éviter de prendre euxmêmes les claques… » Ainsi en 2009, la cour d’appel
de Versailles a confirmé la condamnation de deux
responsables de sociétés de production du groupe M6
(Métropole Production et C-Production), qui avaient
abusé de « journaliers » pour tourner certaines
émissions, mais le patron de la chaîne, Nicolas de
Tavernost, n'a jamais été inquiété. Patrick Le Lay, lui,
devra désormais s'expliquer devant le tribunal.
Dans un courrier recommandé adressé en décembre
2010 à Nonce Paolini (l'actuel PDG et ancien
DRH de la chaîne), révélé par le site du Point,
l’inspectrice avait dressé un réquisitoire cinglant :
elle décrivait « l’épuisement physique des salariés »
de la Vidéomobile (« conséquence directe du non
respect par (l’)entreprise des règles posées par le
Code du travail »), « une recherche de rentabilité
et de réduction des coûts qui engendre des risques
psychosociaux », ainsi qu’une « application illégitime
du régime du forfait, ayant notamment pour effet de
priver les salariés du paiement de dizaines, voire
de centaines d’heures supplémentaires effectuées
chaque année ». Elle avait surtout constaté que
Jean-Christophe Meunier, chef de car et secrétaire
général de la CGT-TF1, subissait des « manœuvres
de déstabilisation psychologique et des actions
vexatoires » ayant pour « but manifeste de (le) briser »,
caractéristiques du « harcèlement moral ».
Parallèlement, dans une autre affaire qui inquiétait son
successeur, TF1 peut au contraire souffler : d’après
nos informations, le parquet de Nanterre a classé sans
suite une procédure initiée fin 2010 par l’inspection
du travail des Hauts-de-Seine. Une inspectrice de
Boulogne, Céline Bernardi, avait à l'époque effectué
un signalement au procureur pour « mise en danger
de la vie d’autrui », à l'issue d'une enquête menée en
En plus du signalement pour mise en danger de
la vie d’autrui, l’inspectrice avait transmis deux
PV au procureur : l’un « relatif au délit de
discrimination syndicale et d’entrave à l’exercice du
droit syndical » ; le second « relatif au délit d’entrave
au fonctionnement régulier du CHSCT (Comité
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) ».
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Revenue sur place dix mois plus tard pour constater
d'éventuelles évolutions, Céline Bernardi avait envoyé
une seconde missive à Nonce Paolini, le 5 octobre
2011 : « Vous n'avez tenu aucun compte de
mon (précédent) courrier (…). Loin d’avoir pris
des mesures efficacespour prévenir les risques
psychosociaux (…), vous avez, en qualité de
PDG de TF1, persisté dans la mise en œuvre
d’une organisation et de méthodes de management
pathogènes », écrivait-elle, à quelques jours de la
retraite.
À l'arrivée, le procureur de la République de Nanterre
a estimé devoir classer le dossier : « L’examen
de cette procédure n’a pas permis de caractériser
suffisamment l’infraction », a-t-il annoncé à l'avocat
de TF1, en mars dernier.
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