Une histoire du Japon et de la Corée
Transcription
Une histoire du Japon et de la Corée
Takeo Miyahara Nicolas Mollard Une histoire du Japon et de la Corée In: Ebisu, N. 38, 2007. pp. 13-21. Citer ce document / Cite this document : Miyahara Takeo, Mollard Nicolas. Une histoire du Japon et de la Corée. In: Ebisu, N. 38, 2007. pp. 13-21. doi : 10.3406/ebisu.2007.1480 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2007_num_38_1_1480 Ebisu n° 38, Automne-Hiver 2007 E,ECRIRE L'HISTOIRE COMMUNE DU JAPON ET DE LA CORÉE MIYAHARATakeo K Université de Chiba Depuis le mois de juillet 2001, la Commission de concertation des enseignants d'histoire (Rekishi kyôikusha kyôgikai MîÉi&W^afôliâ') japonaise et la Société nationale des professeurs d'histoire (Chônguk yôksa kyosa moim îJ^^A|-liiA|-a.^i) coréenne ont noué un dialogue fécond. La tâche qu'elles se sont assignée est double : éditer conjointement du matériel pédagogique sur l'histoire nippo-coréenne et organiser des colloques pour réfléchir sur la mise en pratique de ces matériaux. À ce jour, les colloques se sont déroulés en six sessions selon le calendrier suivant : Mars 2002, Université Sungkyunkwan (Séoul), 70 participants (dont 1 1 Japonais) ; Janvier 2003, Université Meiji (Tokyo), 105 participants (dont 34 Coréens) ; Mars 2004, École primaire de Sangin et Université Kyungpook (Taegu), 62 participants (dont 23 Japonais) ; Janvier 2005, Université des Ryûkyù (Okinawa), 85 participants (dont 38 Coréens) ; Août 2006, Lycée Joongang (Séoul), plus de 100 participants (dont 25 Japonais) ; Janvier 2008, bibliothèque préfecturale d'Okayama (Okayama), 114 participants (dont 23 Coréens). Le travail d'édition a abouti à deux volumes intitulés Face à face — Histoire du Japon et de la Corée : des origines à l'époque moderne {Mukaiau — Nihon to Kankoku-Chôsen no rekishi : zenkindai-hen Hfr\*foi B^-h. en japonais), qui sont parus respectivement 14 MIYAHARATakeo en août 2006 à Séoul et en décembre de la même année à Tokyo. L'ouvrage s'organise autour de dix-huit thèmes-clés de l'histoire nippo-coréenne et chaque thème est traité du point de vue des deux parties. Ces échanges ont révélé d'importants écarts entre Japonais et Coréens dans leur perception du passé. En relatant ici quelques-unes de ces divergences les plus éclairantes, j'espère contribuer utilement à l'élaboration future d'une histoire commune. Divergences dans l'appréhension des réalités nippo-coréennes Trois exemples pour commencer : 1) Le comité de rédaction a décidé de regrouper les trente-cinq articles du livre en quatre sections et d'adjoindre à chacune d'elles une introduction générale de deux pages. On doit ainsi à Sin Byông-Chôl ^j?f?ifc le texte de la première section, qui porte sur la préhistoire et la période antique, et s'intitule « Des voisins de longue date ». Dans la première page, le terme « centralisation du pouvoir » {chûô shûken ^^ HHO revient à six reprises. Sin Byông-Chôl écrit par exemple que, autour de l'an 1, plusieurs petits États étaient en passe de se réunir autour d'un pouvoir central pour former le Pays des Wa (Wakoku fit®), ou que la construction des kofun ^Ml suggère le niveau de centralisation du pouvoir de Yamato, ou encore que l'introduction du bouddhisme au vie siècle a consolidé le pouvoir central. Pourquoi cette insistance ? En Corée, on ne saisit pas le déroulement de l'histoire antique avec les notions de régime des codes {ritsuryô taisei W^W-M) et de régime des tributs {sakuhô taisei flïi^^^J) : il faut nécessairement passer par le concept de centralisation du pouvoir. Or tout rapporter à celui-ci ne permet pas de distinguer les différents stades d'évolution de l'Etat (unification des petits Etats autour de l'an 1, construction des kofun au IVe siècle, puis introduction du bouddhisme au vie siècle). Manifestement, le Japon et la Corée n'accordent pas la même importance à la fondation de l'Etat antique. 2) Au chapitre 3, intitulé « L'Asie de l'Est vue à travers les ouvrages historiques chinois », Kasuya Masakazu H^i^fn écrit : « Dans cette période en mouvement, le royaume grandissant de Koguryô Wi^lM s'étend vers le sud de la péninsule coréenne après avoir anéanti la commanderie de Lelang s^rîllîP en 313. Au même moment, dans le Sud, les Etats de Paekche W^r, Shilla if H et Kaya fifllIP gagnent en influence. » Réagissant à ces propos, un Coréen a signalé que, dans son pays, on faisait remonter 1 Les kofun ^"iH, ou « sépultures antiques », désignent les vastes monuments funéraires élevés au Japon entre le ine et le vne siècle. Une histoire du Japon et de la Corée 15 au premier siècle avant notre ère la date de fondation des trois royaumes de Koguryô, Paekche et Shilla, ainsi que de la confédération de Kaya, qui constituaient ensemble le premier État national. Il a ajouté que ce fait était nié par les Japonais qui la situent au IVe siècle et que, étant donné la difficulté qu'il y aurait à expliquer cette différence, il valait mieux rayer tout simplement la mention. La recherche japonaise estime en effet que la datation de la fondation des trois royaumes coréens au premier siècle avant notre ère relève de la mythologie et qu'il n'y a pas de preuves historiques avérées avant le IVe siècle après J.-C. Si au Japon, la distinction rigoureuse entre histoire et mythe se fait couramment depuis la Seconde Guerre mondiale, la Corée considère encore les mythes de la fondation de l'État comme des faits historiques. Gang Tae-Won ^ÈMM a certes relevé que l'authenticité des Chroniques historiques des Trois royaumes (Samguk sagi HiUlèfB, 1 145) était sujette à différentes appréciations en Corée même et qu'il serait bon d'énoncer clairement les divergences d'appréhension de l'histoire entre les deux pays. Mais finalement, les Japonais ont décidé d'éliminer cette mention, pensant qu'il n'était pas nécessaire de heurter la sensibilité des Coréens. 3) Dans leur lecture de l'histoire, les enseignants japonais reconnaissent que l'État centralisé devient une réalité avec la constitution du système des codes, mais ils préfèrent souligner les souffrances du peuple qui est alors assujetti au triple impôt [soyôchô fâHtif) et astreint au service militaire et au travail forcé. Ils mettent ainsi davantage l'accent sur les changements dans la vie quotidienne du peuple, induits par la centralisation du pouvoir, que sur la constitution elle-même de cet État. Cette vision a soulevé des questions de la part des membres coréens du comité de rédaction : les Japonais considèrent-ils donc que l'introduction du système des codes a été un échec ? Pourquoi n'apprécient-ils pas mieux la constitution d'un État centralisé ? Ces quelques exemples laissent entendre qu'en Corée, l'État est perçu comme une entité qui se développe de manière continue à travers l'histoire et le peuple, comme faisant corps avec lui. Or au Japon, nous avons tendance à voir dans l'État une entité fluctuante et à considérer les intérêts de l'État et ceux du peuple comme antagonistes. D'où provient cette divergence ? Deux cadres de pensée historiographique différents II est aujourd'hui courant de considérer que l'État, en tant que produit d'une opposition entre les différentes classes sociales qui le composent, a une double fonction : une fonction essentielle de contrôle de ces classes et une fonction plus visible de service public. Dans sa version moderne, 16 MIYAHARATakeo l'État réprime le peuple pour favoriser le capital à l'aide du système bureaucratique, de l'armée ou de la police, mais en même temps, vu de l'extérieur, il ne peut survivre qu'en remplissant sa fonction de service public, c'est-à-dire en garantissant au peuple, toujours au moyen de ces mêmes organes, la protection de son existence, de son patrimoine et de ses droits humains. On peut qualifier la première fonction d'« axe d'opposition » et la seconde d'« axe de dépendance » ou de « coexistence ». Les détenteurs du pouvoir et leurs porte-parole ont souvent dissimulé l'axe d'opposition en substituant à l'idée d'« intérêt de classe » ou d'« intérêt privé » celui d'« intérêt d'État ». En mettant ainsi en avant l'axe de coexistence, ils ont pu maintenir leur souveraineté sur le peuple. Dans le Japon d'après-guerre, les forces d'occupation américaines ont incité le peuple japonais à critiquer le nationalisme et l'ethnocentrisme de l'État afin de changer son sentiment antiaméricain en sympathie et transformer la doctrine militariste en pensée démocratique. Les Japonais se sont engagés sur cette voie parce que saisir l'État et l'individu selon l'axe d'opposition était à la fois conforme aux principes démocratiques et plutôt nouveau en comparaison du militarisme et du patriotisme régnant durant la guerre. Dans un Japon démilitarisé, qui avait perdu son système de conscription, il n'était plus nécessaire de nourrir un sentiment de fidélité envers l'État. En revanche, dans le cas de la Corée du Sud après la libération, les États-Unis avaient pour objectif d'instituer un gouvernement proaméricain et anticommuniste. Tout en réprimant sévèrement les mouvements populaires et en jouant sur le sentiment national antijaponais, ils mirent en valeur l'axe de coexistence entre l'État et le peuple au détriment de l'axe d'opposition. Ainsi fut développée une vision de l'histoire et de l'État inverse de celle du Japon. Après avoir créé l'armée coréenne et instauré le service militaire obligatoire, les Américains œuvrèrent à renforcer la cohésion nationale, le sentiment de fidélité envers l'État, en favorisant le nationalisme, l'ethnocentrisme et l'anticommunisme. À tel point que l'article 1 de la loi sur l'éducation pérennise l'image du héros semi-mythique Tan'gun Wanggôm ffifîJEfô assimilé à un « bienfaiteur de l'humanité » {hongik ingan ^^APa]) qui aurait enseigné l'agriculture et la sériciculture au peuple coréen. Cela dit, il faut concéder qu'une partie des représentants de la Société nationale des professeurs d'histoire commence à voir d'un œil critique le nationalisme et l'ethnocentrisme de ce gouvernement de Séoul qui a signé le traité nippo-coréen de 1965 en réprimant le peuple par la force et participé à la guerre du Vietnam. Ce nouveau regard témoigne d'un déplacement dans la perception de l'État de l'axe de coexistence vers celui d'opposition. Une histoire du Japon et de la Corée 17 Saisir objectivement les relations entre l'État et les individus selon ces deux axes et expliciter historiquement le véritable patriotisme et la conscience ethnique débarrassés de toute idéologie nationaliste, voilà la tâche commune qui incombe au Japon et à la Corée. Nul doute que si la Commission de concertation japonaise et la Société nationale coréenne ont pu poursuivre le travail d'édition conjointe de matériaux pédagogiques historiques, c'est parce qu'elles partageaient cet objectif. Différences dans les fondements de la conscience historique Parvenus à la dernière étape du travail d'édition, nous avons tenté, de part et d'autre, de mettre à l'épreuve le texte final à travers une expérimentation pédagogique. Choe Hyôn-Sam HtkH a présenté au Japon une « leçon sur la paysannerie à l'époque Chosôn fondée sur les matériaux éducatifs sur l'histoire commune nippo-coréenne ». Il a utilisé le chapitre 30, « La vie des paysans à l'époque Chosôn », et le chapitre 31, « La vie des paysans à l'époque d'Edo ». À l'issue de cet exercice, notre intérêt a été éveillé par un fait singulier : nous avions relevé plusieurs erreurs chez les élèves coréens dans leur compréhension de la paysannerie de l'époque d'Edo, bien que le manuel fût censé leur fournir des connaissances précises. Et il me semble que si l'on pouvait mieux comprendre la conscience historique de ces élèves, qui est à l'origine de ce genre de méprise, il serait possible, dans le futur, de construire une façon commune nippo-coréenne d'appréhender l'histoire. 1) À l'époque Chosôn, les paysans devaient verser un impôt foncier à l'Etat, qui s'élevait à 10 % du fruit de leur récolte, et ceux qui ne possédaient pas leur terre devaient s'acquitter envers leur propriétaire d'un droit de fermage équivalent à la moitié de leur récolte. Or il n'existait pas à l'époque d'Edo d'impôt foncier étatique. Un élève a écrit que, grâce au développement des outils agricoles et à l'accroissement de la production, le bakufu a baissé les impôts de 40 % à 18 %. Or, le manuel dit à propos des impôts annuels {nengu ^îf) de l'époque d'Edo : « L'impôt annuel s'élevait environ à la moitié du revenu en boisseaux de riz, ce qui représentait en général plus ou moins 40 % de la récolte. Dans la seconde moitié du xvme siècle, ce taux pouvait atteindre 1 8 % dans certaines régions. » Aucune mention n'est faite d'une évolution de 40 % à 1 8 % (le taux de « 40 % pour le seigneur, 60 % pour le peuple » (sbikô rokumin ES^-TaK) ne change pas, mais l'accroissement des revenus grâce à l'hybridation des espèces, aux cultures de rapport en vue de commercialisation ou aux ressources d'appoint, fait baisser 18 MIYAHARATakeo le taux effectif d'imposition) : l'élève a vraisemblablement confondu l'impôt annuel japonais perçu par les seigneurs domaniaux avec l'impôt foncier coréen perçu par l'État. En effet, sous la dynastie Chosôn ^^3E^§ (1392-1910), l'État prélève un impôt foncier sur tous les propriétaires terriens du pays, tandis que sous le bakufu d'Edo rXpUH? (1603-1867), seuls les propriétaires qui contrôlent directement des terres, soit un quart de l'ensemble du territoire, sont imposés. Les trois-quarts restants appartiennent aux daimyô i^h. Malgré leur proximité, la nature de l'État diffère dans les deux pays à la même époque. Mais dans l'esprit de cet élève, un État reste un État quel que soit le pays, ce qui l'a probablement conduit à penser que l'impôt est prélevé sur l'ensemble de la population et que son taux est fixé par l'Etat. 2) Un autre élève a compris que les paysans japonais travaillaient avec leurs propres outils les terres qui leur étaient assignées par le bakufu H= M. Dans le manuel, la « vie des paysans à l'époque d'Edo » est décrite concrètement sous l'angle de l'évolution des outils et techniques agricoles ; les impôts annuels ainsi que les fêtes et événements marquants de l'année sont aussi abordés. Mais aucune mention n'est faite de la nature des terres cultivées par les paysans. À l'époque d'Edo, le droit de cultiver était garanti aux paysans grâce à l'arpentage (kenchitfkî$L) , ce qui signifie implicitement qu'ils cultivaient leurs propres terres. Mais en Corée après le xvie siècle, le système propriétairefermier (chiju chônho-je iÉiffflP ^U) s'étant généralisé, la majeure partie des paysans sont devenus fermiers et leur droit de cultiver ne fut plus garanti. Supposant une situation similaire au Japon, l'élève avait faussement conclu que les terres étaient assignées directement par le bakufu. 3) Un autre élève encore a écrit, toujours à propos des paysans de l'époque d'Edo, qu'ils partaient travailler à la hâte, en emportant leurs outils et leur pièce d'identité. D'où lui est venue cette idée ? Les manuels scolaires pour lycéens coréens disent ceci sur la dynastie Chosôn: « Elle tenta de garantir des conditions de vie minimales aux paysans et de prévenir leur fuite en dehors de leurs terres. Puis, grâce notamment au renforcement de la loi sur les plaquettes d'identité {hopaepôp HW£ë) ou de la loi sur l'organisation des foyers en unités de cinq {pga chaktong-pôp laM-^W^), elle contrôla encore plus sévèrement leur vagabondage ». Sous la dynastie Chosôn, on établit un état civil pour contrôler la population, et les hommes de plus de seize ans étaient obligés de porter sur eux une pièce d'identité en bois (en ivoire ou en corne pour les yangban M$J£ : lettrés et guerriers) appelée hopae ^W. En outre, on mit en vigueur la loi de l'organisation des foyers en unités de cinq afin de favoriser l'entraide et la surveillance mutuelle à cette échelle. Cette loi Une histoire du Japon et de la Corée 19 est facile à comprendre du fait de ses ressemblances avec les gonin-gumi SÀlâ de l'époque d'Edo, mais la première diffère sensiblement des saufconduits japonais à la même époque. Dans notre ouvrage, nous avons écrit, après avoir expliqué le gonin-gumi et le système des familles affiliées aux temples bouddhiques Çdanka seido f8^rffjf§!) : « un sauf-conduit était nécessaire pour voyager ». S'appuyant sur cette phrase et se fondant sur sa connaissance des plaquettes d'identité que les Coréens devaient porter en permanence, l'élève coréen en a déduit que les paysans japonais devaient eux aussi se munir d'une pièce d'identité pour aller travailler leur terre. À vrai dire, les paysans propriétaires {honbyakushô $Ï3&Ê) de l'époque d'Edo, qui avaient obtenu le droit de cultiver le sol, ne songeaient guère à s'enfuir de chez eux, à moins d'une catastrophe majeure comme une famine. En revanche, durant la période Chosôn, le pourcentage de fermiers et d'esclaves était élevé, et il était sans doute courant de les voir fuir ou abandonner l'agriculture. D'où la nécessité de la mise en place d'un système de contrôle d'identité plus rigoureux. Les étudiants japonais qui apprennent l'histoire coréenne sont certainement enclins au même genre d'erreurs. Des fautes que, bien souvent, seul un enseignant coréen serait à même de déceler. Même si l'on parvient un jour à décrire dans les manuels japonais et coréens une vérité historique fondée sur une vision commune de l'histoire et de l'État, il ne serait pourtant pas garanti que ce genre d'erreurs disparaisse, car les fondements mêmes de la conscience historique des élèves sont différents dans les deux pays. Les élèves ne construisent pas de nouvelles connaissances à partir de rien : elles s'appuient sur des acquis et des expériences préalables. Les méprises de ces élèves, telles celles que j'ai soulignées ci-dessus, traduisent des différences entre la Corée et le Japon dans la perception de l'histoire, dans les connaissances de base de leurs élèves. Que l'on me comprenne bien : les mésinterprétations au cours des premières étapes de l'apprentissage scolaire sont plutôt bienvenues. Il faut que l'élève comprenne par lui-même ses erreurs et qu'il utilise son imagination pour résoudre les problèmes qu'elles soulèvent. C'est cela même le but de l'enseignement. Et c'est justement en prenant conscience de ces différentes références sur lesquelles se construit la perception de l'histoire et en s 'efforçant de les dépasser que l'on peut élaborer une véritable compréhension mutuelle. 20 MIYAHARATakeo Comment comparer le passé historique et la période contemporaine Le 5e colloque des Échanges nippo-coréens entre enseignants d'histoire (Nikkan rekishi kyôikusha kôryû B^M$.WCW^XM) s'est déroulé au mois d'août 2006 au Lycée Joongang de Séoul. On y a célébré la parution de notre Histoire du Japon et de la Corée. Le matin, Choe Hyôn-Sam IËi£H et Hirano Noboru ^PSF # ont donné un cours public en coréen pendant deux heures et demie sur le thème « culture populaire pendant les périodes Chosôn et Edo », en se fondant sur le chapitre 32 « panorama de l'époque vu à travers le théâtre de masques {kamyônguk WiMSS) et la peinture populaire {minhwa BciiË) » et sur le chapitre 33 « panorama de l'époque vu à travers le kabuki %M& et Y ukiyoe W&f$k » dont ils sont les auteurs respectifs. Lors de la séance critique qui s'est déroulée ensuite, deux points ont notamment été relevés. 1) Pour faire comprendre aux élèves coréens le prix d'une image & ukiyoe, Hirano Noboru a expliqué que celle-ci équivalait à un bol de kakesoba, un plat de nouilles de sarrazin qui ressemble au kal-kuksu coréen. Mais les élèves sont restés impassibles et Hirano Noboru a dû abandonner sa comparaison. Sa méthode a été critiquée par les deux partis. Où était l'erreur ? Les élèves japonais croient communément que les ukiyoe sont des œuvres d'art précieuses. Ils sont profondément surpris d'entendre qu'en réalité leur prix équivalait à un bol de nouilles. Mais pour des Coréens, qui ne partagent pas ce préjugé, la comparaison n'avait rien de révélateur. Aussi avons-nous compris que les comparaisons entre le passé historique et la période contemporaine ne sont pas forcément efficaces quand les fondamentaux diffèrent. 2) Sin Byông-Chôl a avancé l'idée qu'il aurait pu être bon de parler de l'influence exercée par Y ukiyoe sur l'impressionnisme français. Ce à quoi Hirano Noboru a répondu qu'il avait éliminé cette donnée de son article car elle pourrait donner l'impression qu'il se vante de l'excellence de la culture japonaise. Il est vrai que ce genre de fait peut attiser le sentiment de supériorité des Japonais. Mais si l'on s'interroge sur la raison de cette influence sur les impressionnistes, on constate que les artistes comme Katsushika Hokusai HfflMtiiff ont créé l' ukiyoe après avoir passionnément assimilé les techniques de la peinture chinoise, occidentale ou de la gravure sur cuivre. C'est donc parce qu'il a des éléments en commun avec la peinture occidentale que Y ukiyoe a pu exercer une influence sur l'impressionnisme français. Cela démontre une fois de plus que pour écrire une histoire commune à l'Asie orientale, il est nécessaire de renforcer les échanges internationaux. C'est le seul moyen pour prendre conscience que notre conception de l'histoire est arbitrairement centrée sur nos propres pays respectifs. C'est le seul moyen de la dépasser. Une histoire du Japon et de la Corée Comment dépasser de l'histoire les 21 différences dans notre conception En éditant ces matériaux éducatifs sur l'histoire commune nippocoréenne, nous avons mis en lumière à plusieurs niveaux des différences dans la manière de concevoir l'histoire. Pour les peuples japonais, coréens et chinois, l'État en place est une entité qui ne revêt pas partout le même sens ; il émerge d'un fonds culturel qui diffère selon chaque pays. Comment trouver un point d'entente si l'on mène une discussion aveuglés par de telles divergences ? Dans la mesure où l'on cherche à construire une appréhension commune de l'histoire en Asie orientale, voire à toute l'humanité, ce sont là des obstacles de premier ordre. En définitive, une solution ne semble envisageable que si l'on s'engage dans une écriture de l'histoire qui présuppose la vision d'une future communauté asiatique, ou tout simplement humaine, respectueuse des divergences culturelles et historiques de chaque pays-membre. Traduit du japonais par Nicolas Mollard Ebisu n° 38, Automne-Hiver 2007, p. 1 3-21