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Prosecco
: ces petites bulles italiennes qui montent.
À la Une
Par Olivier Tosseri
Politique
- Société
Depuis
deux
ans, les ventes de prosecco, ce vin blanc pétillant produit dans le nord-est
de l'Italie, dépassent celles du champagne. Et la croissance se poursuit. Un miracle pour
COP21
une
région vénitienne durement frappée par la crise.
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Les Echos 360
Patrimoine
Il y a encore quelques décennies, personne n'en voulait de ces vignes. On les laissait en
héritage
aux cadets ou à ceux qui avaient émigré. Aujourd'hui, c'est une mine d'or… »
Week-End
Manuela désigne du doigt les flancs abrupts d'une colline verdoyante couverte de
Sport
sarments.
Cette enfant du pays, fille et petite-fille d'agriculteurs, travaille depuis plus de
quinze ans pour la Villa Sandi, principale maison productrice et exportatrice de prosecco.
Dossiers
Le
cœur de la « mine d'or », dont parle Manuela, se situe entre les villes de Conegliano et
Valdobbiadene, les deux poumons d'un terroir de 27.000 hectares de vignes dans la
province de Trévise, dans le nord-est de l'Italie. Ce sont elles qui produisent ce vin blanc
pétillant qui a conquis le monde. Près d'un demi-milliard de bouteilles sont prévues pour la
cuvée 2015, trois fois plus qu'il y a à peine six ans.
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« La vendange vient tout juste de se terminer, et on s'en souviendra : elle a été
exceptionnelle », se réjouit Giancarlo Moretti Polegato sur le seuil de son domaine. Lui
aussi est un enfant de la Vénétie, terre fertile en grands marchands et entrepreneurs. Les
vignes, sa famille s'en occupe depuis trois générations et ne les a jamais considérées
comme un fardeau. C'est son grand-père qui fonde l'entreprise viticole la Gioiosa. Son
père la fera prospérer, diffusant dans toute la région les célèbres bouchons au motif Vichy
de ses bouteilles. Son frère aîné Mario lui transmettra la gestion du domaine familial
préférant, malgré ses études d'œnologie, se dédier à l'entreprise de chaussures Geox,
qu'il fonde en 1995. Un héritage que Giancarlo Moretti Polegato a su faire fructifier. Le
vigneron-homme d'affaires prend des allures de stratège en indiquant avec fierté une
grande maquette de ses terres trônant au milieu d'une pièce, dont les murs sont couverts
de diplômes et d'un planisphère. « Regardez, là, ce sont les médailles gagnées dans les
concours et les foires en Italie et à l'international. Là, ce sont les pays dans lesquels nous
vendons, plus de 90 dans le monde entier. »
Avant de traverser les océans, son vin frais et pétillant a franchi les Alpes. Au cours des
années 1960, il séduit les touristes allemands, suisses ou autrichiens en vacances sur la
lagune ou sur la côte Adriatique. Ils en assurent le succès dans leurs pays respectifs, qui
deviennent rapidement le premier marché ouvert à l'étranger. Des tables de Vénétie aux
rayons des supermarchés, le prosecco passe les frontières, aidé par l'obtention en 1969
du statut de DOC (« Denominazione di Origine Controllata »). La montée en gamme et
celle des exportations ne se démentiront plus.
Des barriques de vin à la place des barils de poudre
Si la Gioiosa fait la richesse de la maison qui contrôle 1.500 hectares et en possède 90
en propriété, Villa Sandi en fait la renommée. Au début des années 1980, les Moretti
Polegato achètent une villa de style palladien du XVII e siècle, en ruines. Au cours des
travaux, un plancher s'écroule. Sous la demeure, qui abritait pendant la Première Guerre
mondiale le commandement italien, est mis au jour 1,5 km de galeries qui servaient à
l'époque à stocker les munitions. Giancarlo Moretti Polegato, encore ébloui par un voyage
effectué quelques années plus tôt dans les caves champenoises, décide d'y entreposer ou
faire vieillir ses plus belles bouteilles. Entourée de son jardin à l'italienne et de ses vignes
en paliers, la Villa ne repose plus sur des barils de poudre mais sur des barriques de vin,
ses armes pour la conquête des restaurants et bars de luxe. Elle est maintenant le siège
d'un groupe avec un pied dans la grande distribution (la Gioiosa) et un autre dans la
restauration de haut niveau (Villa Sandi). Un groupe qui s'est mis à courir au rythme de la
croissance exponentielle des exportations de prosecco. Avec en guise de consécration, la
reconnaissance en 2009 par Bruxelles de la DOCG (l'appellation d'origine garantie et
protégée) Valdobbiadene Prosecco Superiore.
« Nous avons, ainsi, pu mieux protéger mais surtout vendre le fruit de notre terroir,
explique Giancarlo Moretti Polegato, comme c'est le cas depuis longtemps pour le
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champagne. Nous sommes alors partis enthousiastes le proposer dans le monde entier en
vendant un produit “Made in Italy”. J'ai pris ma valise et fait le tour des foires aux vins. Le
problème était juste de le faire connaître. Déguster du prosecco, c'est l'adopter. »
En 2014, il a ainsi vendu 24 millions de bouteilles de ce vin simple et fruité qui peut
accompagner toutes les cuisines. 65 % d'entre elles ont pris la route de l'Europe, de
l'Amérique du Nord, du Brésil, de la Chine ou encore de l'Australie.
« Ces dernières vendanges nous permettent d'envisager l'avenir avec confiance et de
nous développer encore plus sur ces marchés », prévoit le discret Giancarlo Moretti
Polegato en arborant un large sourire lorsqu'il s'agit d'égrener les chiffres de la santé
florissante de sa maison. « Notre chiffre d'affaires cette année sera de 70 millions d'euros
en progression de 18 %. L'euro faible par rapport au dollar et à la livre sterling nous a
aidés. Sur le podium de nos exportations les Etats-Unis devancent la Grande-Bretagne
juste devant l'Allemagne qui est un marché saturé. Les marges de progression sont
néanmoins encore grandes dans les pays anglo-saxons mais aussi en Extrême-Orient et
en France. »
Son regard pétille lorsqu'on évoque le champagne comme un concurrent. « Ce sont deux
produits complètement différents : raisins, méthode de fabrication, prix… Ouvrez une liste
de vins dans un restaurant à New York ou à Tokyo, le prosecco est maintenant présent
aux côtés du champagne. Il ne l'a pas remplacé, il l'accompagne. » Il l'a même dépassé
en 2013, avec 307 millions de bouteilles vendues dans le monde contre 304 millions pour
son cousin français. Premier vin effervescent importé aux Etats-Unis, ses ventes ont par
ailleurs bondi de 75 % cette année en Grande-Bretagne, les faisant passer pour la
première fois devant celles de champagne (479 millions d'euros contre 353 millions).
La « carte du voyage »
Mais le chemin reste encore long avant qu'il ne le rattrape sur ses terres. En 2014,
environ 500.000 caisses sont arrivées dans l'Hexagone soit moins de 3 % de la
consommation française de vins effervescents. Sur le papier, le Groupe Villa Sandi
dispose, donc, d'une belle marge de progression. Il a déjà signé des partenariats avec de
grandes enseignes françaises et un accord de distribution en juin dernier avec les Grands
Chais de France pour le réseau CHR. Jérôme Grosjean est chargé de promouvoir le
prosecco de Villa Sandi en France et, comme son client, il ne le perçoit pas comme un
rival du champagne : « L'italien est plus simple, de consommation quotidienne avec un
bon rapport qualité/prix et il plaît aux femmes. Ce sont elles qui lancent les modes. Le
français est plus élaboré et sophistiqué, destiné à des événements particuliers ou aux
grandes occasions. Ce sont deux produits proches mais avec des instants de
consommation différents et le consommateur ne s'y trompe pas. »
Outre le prix (environ 9 euros pour une bouteille de prosecco contre 20 euros en moyenne
pour un champagne), c'est « la carte du voyage » qui est jouée pour pénétrer un marché
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français rétif aux intrusions étrangères, lorsqu'il s'agit d'un symbole du patrimoine national.
« Lorsque l'on vend du cava, ce vin pétillant catalan, c'est l'image de Barcelone qui est
proposée au client, explique Jérôme Grosjean. C'est la même chose avec le prosecco. On
vend de l'Italie, de la convivialité et tout l'imaginaire culinaire et culturel qui va avec.
Quand vous débouchez une bouteille de prosecco avec des amis, ce n'est pas le
champagne du pauvre que vous leur servez, mais un peu de dolce vita. »
Ce vin a rendu en tout cas la vie plus douce en Vénétie, durement frappée par la crise.
Depuis 2008 ce sont 26.000 entreprises dans les secteurs de l'industrie et des services
qui ont fermé et plus de 130.000 emplois qui ont été supprimés dans les environs. Le
président de la région, Luca Zaia, œnologue de formation et ancien ministre de
l'Agriculture de 2008 à 2010, est l'artisan de la reconnaissance par Bruxelles de
l'appellation DOCG, qui a suscité l'engouement que l'on connaît pour le prosecco. Certains
prédisent une production d'un milliard de bouteilles d'ici à quinze ans, mais cette
croissance exceptionnelle ne sera pas infinie. Luca Zaia souhaiterait maintenant valoriser
et structurer une filière qui est devenue la deuxième contributrice au PIB de sa région.
Plus qu'un rival, le champagne est ainsi présenté comme un modèle, y compris
concernant le classement au Patrimoine mondial de l'Unesco de ses coteaux, caves et
maisons. Les vignerons italiens ont déposé leur candidature pour l'y rejoindre et une
commission se rendra sur les collines du prosecco en mai prochain. La mine d'or a encore
de beaux jours devant elle. D'autant qu'elle recèle de nouveaux filons : des visites
œnogastronomiques y sont désormais organisées - 20.000 touristes visitent le domaine de
la Villa Sandi chaque année. Et l'auteur d'un roman policier bientôt adapté à Hollywood y a
même situé son intrigue… Son titre prête à sourire, mais pourrait être la devise de la
région : « Tant qu'il y a du prosecco, il y a de l'espoir. »
Par Olivier Tosseri
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