Comite d`Agitation Publique
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Comite d’Agitation Publique Les impôts négatifs Introduction : En 2000, l’administration Jospin a demandé à l’économiste Jean Pisani-Ferry de lui faire un rapport sur la situation économique et les mesures qu’il serait rationnel de prendre dans le futur proche. Or une de mesures phares préconisée par l’économiste dans son rapport Les chemins du plein emploi était relative à l’instauration d’« impôts négatifs » Le concept d’impôt négatif est très largement rattaché au nom de l’économiste libéral américain Milton Friedman. Cet impôt négatif sur le revenu est une méthode de réforme des impôts qui vise à marquer la continuité qu’il y a entre les impôts qui sont payés aux pouvoirs publics et les transferts que les citoyens en reçoivent. L’impôt négatif existe quand un contribuable reçoit plus de transferts qu’il ne paye de contributions. Ce système pose cependant de nombreux problèmes, comme celui de maintenir l’incitation au travail pour les travailleurs dont le revenu n’est que très légèrement supérieur au minimum garanti. C’est ainsi que dans un premier temps nous allons nous intéresser aux principes théoriques de l’impôt négatif, à ses limites théoriques. Nous verrons ensuite l’exemple concret de projet d’allocation universelle et ses limites, puisque c’est le type même du principe de l’impôt négatif. Nous verrons enfin les différentes politiques d’impôts négatifs ayant été mises en œuvre dans les pays industrialisés développés. II) Les principes théoriques et les limites du système d’impôts négatifs : 1) Principe de l’impôt négatif : Les prémisses du concept d’impôt négatif ont été inventés par Juliet Rhys-Williams dans les années 40. Inspirée des réflexions des économistes américains Milton Friedman et Daniel Moynihan et de certaines expériences britanniques, la théorie de l’impôt négatif, recouvre une méthode permettant de répartir une fraction du produit national, prélevé sur la population active, au profit des travailleurs à faibles revenus et des personnes inaptes au travail. Les principes de l’impôt négatif ont été introduits en France, en particulier par Lionel Stoléru. Le principe de l’impôt négatif consiste à subventionner le travail faiblement rémunéré. Les subventions sont accordées sous forme de réduction d’impôt. Leur barème peut être conçu de manière à ce que la subvention dépasse le montant de l’impôt qui aurait dû être acquitté. L’administration fiscale verse alors directement la différence à la personne concernée (d’où l’expression « impôts négatifs »). Dans son principe général, l’impôt négatif a pour but d’unifier le système fiscal et le système social, puisqu’il consiste à remplacer les différentes aides de l’État aux familles les plus défavorisées, celles qui ont atteint le seuil de pauvreté, par le versement annuel d’une subvention calculée, comme en matière fiscale, d’après le revenu. En pratique, les personnes entrant dans le champ d’application de cet impôt négatif, c’est-à-dire celles dont les revenus n’atteignent pas un minimum garanti, produisent une déclaration qui fait apparaître l’intégralité des ressources dont elles disposent. À partir de cette déclaration, l’État fixe le montant de l’allocation destinée à compléter les revenus perçus pour que soit atteint le minimum légal. Cette recherche du pragmatisme conduit toutefois à envisager des solutions d'impôt négatif basées sur le système actuel de transferts, c’est-à-dire des solutions passant par l'intégration au monde du travail. Un « impôt négatif sur le revenu » règlerait de nombreux problèmes actuels de nos systèmes économiques. Selon ses partisans, cela résoudrait la question de l'assistance sociale (« welfare trap » en anglais) et du revenu minimum. Si cela est souvent considéré comme une méthode de réduction du temps de travail, cela peut également être considéré comme une subvention pour l'emploi ayant pour principal résultat de réduire les coûts salariaux, en particulier pour les emplois les moins qualifiés. De ce point de vue, cette méthode peut être considérée comme la plus bénéfique à l'égard des tâches les plus asservissantes, et moins à celles plus directement relatives aux capitaux. 2) Limites Mais l'impôt négatif sur le revenu est critiqué aussi car revenant à une subvention d'État donnée aux employeurs d'ouvriers non qualifiés, qui peuvent ainsi réduire leurs dépenses en n'ayant pas à rémunérer convenablement leurs employés. Il peut donc dévier la revendication de hausse des salaires du patronat vers l'État. L'inconvénient principal est le même que pour n'importe quel système d'impôt sur le revenu : il nécessite des démarches onéreuses de vérification et de supervision afin d'éviter les fraudes. Le coût qu’il supposerait aussi pour la société, les fonds qu’il faudrait lever pour le mettre en place, semblent aussi être un obstacle majeur à sa mise en œuvre. Cependant, la critique majeure qui est faite à ce système d’impôt négatif, est le possible effet de « trappe » qu’un revenu minimum universel causerait.. Les « trappes à chômage », ou « trappe à pauvreté », exemple de la France A l’aube de l’industrialisation de l’Angleterre, au début du 19ème siècle, Malthus encourageait l’application des Lois sur les pauvres britanniques (Poor Laws), qui réduisaient le versement d’une aide aux pauvres. Il disait que des aides créaient les pauvres qu’elle avait mission d’assister. Dans la lignée de Malthus, de nombreux économistes libéraux, font remarquer que les revenus sociaux issus des impôts négatifs constituent une « trappe à pauvreté », c'est-àdire qu'ils n'incitent pas ceux qui en bénéficient à obtenir un travail qui leur permettrait de gagner moins d’argent, du fait de la suppression des avantages liés aux impôts négatifs. On peut donc considérer l’effet « trappe à chômage » ou « trappe à pauvreté » pour le cas de la France : Exemple : En pratique, un chômeur en France est susceptible d'être titulaire de trois types d'indemnités qui sont cumulables: - le RMI ou à défaut l'Allocation Sociale de Solidarité (ASS), pour les chômeurs en fin de droits - l'Allocation Parent Isolé (API) et les Allocations Logement (ALS, APL). Le cumul de ces allocations fait que le retour à l'emploi n'est pas toujours très avantageux pour un chômeur puisque celui-ci ne peut cumuler son salaire et ses allocations que s'il exécute un forfait d'heures de travail annuel inférieur à 750 heures ou s'il signe un Contrat Emploi Solidarité (CES)). A défaut, les allocations disparaissent progressivement en même temps que le salaire augmente (principe de l'allocation différentielle). Chiffres concrets : une personne allocataire du RMI à qui l'on propose un CDD avec une rémunération nette égale au SMIC verra, s'il accepte l'offre, ses prestations du trimestre suivant diminuer d'au moins de moitié (taux marginaux de 50%), s'il était en plus bénéficiaire d'une allocation logement c'est 70% du gain qui disparaît. Cette vision des impôts négatifs comme vision de trappe à chômage est cependant à nuancer, en effet, limiter un emploi à la simple dimension coûts-avantages est fausse, voire dangereuse. En effet, un emploi procure bien plus au travailleur qu’un simple chiffre sur une fiche de paye, il lui permet d’avoir un véritable rôle dans la société et permet de mieux s’y insérer. Il y a toute une nuance psychologique et sociologique à insérer dans la prise en compte de ce phénomène de trappe à chômage par rapport aux effets négatifs économiques qu’impliquerait le système d’impôts négatifs.. Dans tous les cas, l'effet de subvention aurait probablement pour cause une réduction à long terme du chômage, mais en l'absence de salaire minimum, n'aurait pas d'effet à long terme sur les salaires fixes : les employeurs compenseraient ainsi en abaissant le salaire brut. II) Une forme concrète d’impôt négatif : L’idée d’une allocation universelle. 1) Le principe de l’allocation universelle. L'allocation universelle est la forme la plus « pure » d'impôt négatif. L'idée consiste à verser à tout individu, de la naissance (certains proposent à partir de l'âge de 20 ans) à la mort, sans condition d'emploi ou de revenu ni contrepartie, un revenu de base permettant de couvrir ses besoins essentiels. Seul le nombre et de l'âge des enfants à charge permet de moduler ce revenu. Cette allocation, encore appelée revenu d'existence ou revenu de citoyenneté (« basic income »). Elle est donc accordée aux citoyens quelque soit leur statut (actif ou non). Elle trouve sa contrepartie normale dans un impôt à taux unique au premier Euro (flat tax) et prélevé à la source sur tous les revenus d'activité et du patrimoine. Ce système présente de nombreux avantages. Pour Milton Friedman, dans son ouvrage Capitalism and Freedom, le revenu d'existence permet de combler les inégalités en capital humain produites par l'environnement socio-éducatif, il évite tout phénomène de « stigmatisation » et de « disqualification sociale » induits par le système de redistribution actuel et enfin il est un outil approprié dans une société où le travail est une valeur en voie de disparition. L. Stoleru dans Vaincre la pauvreté dans les pays riches (1977) ou P. Van Parijs avec Real Freedom for all : what can justify capitalism ?(1995) sont les principaux partisans du revenu d'existence ainsi conçu. Ces auteurs insistent sur le fait que le revenu d'existence permet tout à la fois de lutter contre les trappes à pauvreté et à chômage et de rétablir un partage de la Valeur ajoutée plus équitable. 2) Le système de l'allocation universelle soulève toutefois deux objections propres aux impôts négatifs en général : - Le coût : Il est difficile à évaluer, mais semble toutefois rendre le projet irréaliste. Deux économistes, F. Bourguignon et A. Chiappori dans un rapport (Fiscalité et redistribution) effectuent une évaluation chiffrée du système qu'il préconise. Un scénario qui aurait pour base une allocation de l'ordre de 5000 € par an et par adulte (équivalent du RMI) aurait un coût total de 140 milliards d’€ déduction faîte des prestations actuellement versées ce qui conduirait à l'instauration d'un impôt supplémentaire de 30% des revenus nets. Selon eux, dans un tel système, tous les ménages qui touchent à l'heure actuelle moins de 1500 € par mois seraient gagnants. Un deuxième scénario plus réaliste est cependant envisagé, avec une allocation à 2500 € par an et par adulte mais cette fois avec maintien du RMI (et compensation éventuelle avec l'allocation universelle). Ce scénario conduirait à un prélèvement supplémentaire de 17% des revenus nets qui cette fois-ci se substituerait à l'impôt sur le revenu. Ce scénario pose cependant un problème, puisqu'il ne permet pas de « remotiver », les personnes qui touchent déjà le RMI et qui ne verraient ainsi leur situation en rien modifiée. - Effet de « trappe à chômage » (désincitation à travailler) et la solution qui lui est apportée. En plus du problème précédent, l'impôt négatif dont ne bénéficierait seulement qu'une tranche de la population, génère des effets de seuil et est dès lors susceptible de renforcer les trappes à pauvreté existantes. Certains individus dont le revenu est particulièrement bas auraient ainsi intérêt à s'arrêter de travailler pour bénéficier d'une aide. Pour contrer ce risque les partisans du revenu d'existence proposent d'introduire un "taux modérateur d'oisiveté" ce qui revient à accompagner l'impôt négatif de mesures d'incitation au travail. Le principe est simple : une partie seulement du revenu primaire reçu viendra en déduction de la prestation étatique. Supposons que le minimum garanti soit fixé à M (en Euros par an) et que le contribuable bénéficie d'un revenu primaire égal à P, le taux d'imposition sur ce revenu sera fixé à un niveau inférieur à 100% de sorte que l'agent économique bénéficiera d'un revenu égal à R=M +(1-t)P. Le paramètre (1-t) peut être considéré comme un taux modérateur d'oisiveté. La prestation versée par l'Etat sera quant à elle égale à S=M-tP. On voit que S=M pour P=0 et S=0 pour P=M/t. La prestation publique devient donc nulle à partir d'un seuil critique de revenu primaire égal au quotient du minimum garanti par le taux d'imposition en vigueur. Avec un tel système, les familles continuent de percevoir l'impôt négatif bien au-delà du minimum garanti Ainsi, pour éviter l’écueil, on a considéré que l’allocation ne devait pas diminuer en fonction directe de l’accroissement des ressources, mais que le montant de l’allocation devait diminuer plus lentement que n’augmentent les gains. Les individus sont incités à travailler, puisque leurs ressources sont égales à la somme de leurs revenus et des allocations. III) Applications concrètes dans les pays industrialisés La proposition de Friedman a fait naître dans les années 1970 un premier débat circonscrit toutefois aux pays anglo-saxons. En 1974, l'OCDE a publié une revue sur L'impôt négatif sur le revenu. En 1968, le parti conservateur britannique a inscrit dans son programme électoral la proposition de Friedman. Le candidat démocrate aux présidentielles aux Etats Unis, la même année, a développé toute sa campagne sur le thème de l'allocation universelle en proposant un taux marginal d'imposition unique de 33,3% des revenus (qui de toute évidence était insuffisant pour financer le transfert envisagé). Enfin des expériences d'impôt négatif ont été lancées dans certains États des Etats-Unis à la fin du gouvernement Johnson. - Les Etats-Unis ont mis en place depuis 1975 un impôt de ce type appelé Earned Income Tax Credit (EITC). Il est ciblé sur les foyers à bas revenus dans lesquels au moins une personne travaille et concerne à peu près un foyer sur cinq. - Le Royaume-Uni a aussi expérimenté l’impôt négatif depuis la fin des années 70. La dernière réforme importante, introduite en 1999, est le Working Families Tax Credit (WFTC). Il s’agit d’un crédit d’impôt octroyé aux foyers avec enfants, dont le plus jeune a moins de 19 ans et où au moins une personne travaille. Les conditions d’éligibilité et le mode de calcul des sommes versées sont assez complexes. Ce crédit s’avère très important pour les foyers les plus défavorisés. Il peut être nettement supérieur au salaire direct. - La prime pour l’emploi (PPE) a été instituée en France par une loi du 30 mai 2001. Elle s’accorde un crédit d’impôt au profit des personnes dont les revenus d’activité sont compris entre 0,3 et 1,4 fois le SMIC. Cela concernerait ainsi statistiquement environ un foyer sur quatre. Cette mesure a été saluée par des libéraux comme Alain Madelin. Elle vient en déduction de l'IRPP et peut donc aboutir, si cette remise est supérieure à l'impôt, à la remise d'un chèque au contribuable. Conclusion : Les impôts négatifs sont donc un cadre théorique de renouvellement du système de prélèvement et de subventions, qui est d’actualité, dû moins dans les prévisions de réforme. Malgré les obstacles que constituent son coût et les possibles effets de « trappe », des solutions à ces problèmes sont envisageables et le principe des impôts négatifs semble donc relativement applicable. Bien que la notion ait été répandue chez les économistes, il n'a jamais été possible politiquement de l'appliquer directement. Ceci est dû en partie à la haute complexité et la nature immobile des codes des impôts actuels dans la majorité des pays. Ces codes qui, pour être conformes à un système d'impôt négatif sur le revenu, devraient être réécrits, dans l’optique d’y introduire certains des principes de base des impôts négatifs. Bibliographie : Pierre Cahuc et André Zylberberg, La microéconomie du marché du travail, Repères, 2003 Bernard Gazier, Economie du travail et de l’emploi, Précis Dalloz, 1992 Mokhtar Lakehal, Dictionnaire d’économie contemporaine, Vuibert, 2002. Gérard Cormier, Milton Friedman : Vie, œuvres, concepts, Ellipses, 2002 Samuelson et Nordhaus, Economie , Economica, 2005, chapitres 16 et 19 Joseph E.Stiglitz, Carl E Walsh, Principes d’Economie moderne, 2ème édition, De Boeck, 2004, chapitres 22 et 23.