La naissance de Vénus - Art

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La naissance de Vénus - Art
La naissance de Vénus
Florence - 1486
de Sandro Botticelli
1445-1510
Analyse de la Composition de tableau
Introduction à la Géométrie Comparée
La particularité de l'oeuvre
par Yvo Jacquier
Prague | Janvier 2010
Yvo Jacquier - La Naissance de Vénus, de Sandro Botticelli, 1486
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La Naissance de Vénus
Vénus anadyomène (sortie des eaux)
-
Artiste :
Sandro Botticelli
Technique :
Tempera sur toile
Format actuel :
172.5 × 278.5 cm
Date :
1486 (parfois 1485)
Conservation : Galerie des Ofces, Florence
Modèle posthume: Simonetta Vespucci
Commanditaire :
Pierre-François de Médicis
◊ Introduction
Cet article rassemble les faits qui caractérisent et distinguent cette peinture, les
preuves objectives sensées précéder et fonder toute opinion. Plusieurs autres
articles en exposent l'étude, expliquent leur parcours et leurs conséquences. Le
présent texte s'attache à distinguer cette Vénus dans l'Histoire de l'Art, et dans le
champ d'investigation de la Géométrie Comparée. Il répond à deux questions qui
n'en font qu'une concrètement, par les réponses apportées : Quels éléments rendent
cette oeuvre intéressante pour l'Histoire de l'Art et pour la Géométrie Comparée* ?
* Liste des oeuvres étudiées dans leur intégralité
-
Planche du Livre de Kells - VIIIème Siècle
La Vierge de Vladimir - XIIème Siècle (Byzance) et XVème Siècle (Rublev ?)
La Sainte Trinité, Rublev - 1420/28
La naissance de Vénus, Botticelli - 1486
Autoportrait, Dürer - 1500
La Vierge au Rosaire, Dürer - 1506
Melencolia, Dürer - 1514
Les Tarots de Marseille, modèle de Conver, Dürer - 1512/14
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◊ Élément 1 - La nature aquatique du tableau
L'idée n'est pas nouvelle. En revanche, les preuves sont inédites. L'idée même de
proposer des preuves est une révolution dans un domaine habitué aux métaphores,
aux similitudes, aux sentiments et aux "liens afectueux".
Le lien de Vénus avec l'Eau est un classique de la littérature. La Beauté que
représente Aphrodite, l'Esthétique qu'elle révèle au monde humain, est une
composante essentielle de la féminité. Son élément est donc l'Eau, face au feu viril
de Mars. Ce Feu est autant le résultat du désir que provoque Vénus que la chaleur
qui la pousse à se transcender (la notion de couple est ici essentielle). Voilà ce que
retient la Tradition, voilà ce que l'on peut en dire. Cette afrmation repose à son
origine sur une construction, un fondement Symbolique, et il prend la forme d'une
expression picturale. Les deux aspects sont du domaine de la Géométrie Comparée.
Elle identife les formes d'expression, mais encore les structures qui révèlent leur
origine. Les deux aspects sont inaccessibles sans la pratique de la Géométrie Sacrée.
La scène du tableau se passe au fond de l'eau. Une observation attentive permet de
comprendre les alertes de nos sens qui captent en premier lieu la grande fuidité de
tous les éléments. Les étofes et les chevelures fottent par un efet que l'on croirait
être celui du vent, représenté par Zéphyr. Mais l'ampleur du résultat et la lourdeur
manifeste de la cape réclament un fuide plus lourd que l'air pour se justifer. La
déformation du paysage, qui contraste avec le réalisme soigné des personnages,
confrme cette opinion. La coquille elle-même apparaît brune sous le pied de la Belle
là où la nacre devrait couvrir cette face. Quel élément mieux que l'eau pourrait
provoquer cette déformation optique ? Une dernière observation vient compléter ce
faisceau : Vénus ne tiendrait pas debout si elle devait afronter les lois de la
pesanteur. Il lui faudrait une canne pour compenser le décalage de sa ligne de
gravité avec la base que forme ses pieds (ce point est repris et développé à la
section suivante). Botticelli, le peintre, ne peut pas se tromper. La qualité des
personnages démontre son talent comme sa grande précision. Il sait ce qu'il fait, et
maîtrise parfaitement son tableau. La preuve : nous n'avons pas remarqué
immédiatement toutes ces incohérences. L'impression qui se dégage de cette scène
est celle d'une grande harmonie, d'une beauté naturelle. L'hypothèse d'une bravade
de l'artiste qui mettrait en oeuvre des procédés et des artifces pour abuser notre
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oeil ne tient pas d'avantage. La raison esthétique se passe de performances pour
s'accomplir, particulièrement chez Botticelli dont le déf concerne l'harmonie et le
naturel chez tous ses personnages que l'on dira "humains".
Le résultat devient ici évident : Vénus est une sirène et il
faut la géométrie pour le comprendre. La légende de la
Belle est liée de toutes part aux poissons. Quand Vénus
fuit la persécution du géant Typhon, accompagnée de
son fls Cupidon, elle est portée au-delà de l'Euphrate
par deux poissons (qui gagnent leur place au Zodiaque).
Et ce n'est pas tout ! Concrètement, dans la nature, la femelle du poisson dépose
dans l’eau un grand nombre d’œufs que le mâle féconde avec sa laitance. Ce
processus ressemble étrangement au mythe de la conception de Vénus, quand la
semence d'Ouranos rencontre l'écume des vagues. Cette dimension "Scientifque
avant l'heure" est une des bases de la Symbolique, telle que la développe la
Géométrie Sacrée. Les mythes s'additionnent comme ils peuvent, et se traduisent au
fl du temps, en des langages qui fuctuent, ce qui infuence leur sens. La Géométrie
elle, est universelle, intemporelle et indéformable. Qu'elle traite de Sacré ne fait que
renforcer la conviction des Anciens, qui la conçoivent comme langage de Dieu. Ainsi,
si la Mythologie inverse la polarité sexuelle du Ciel et de la Terre (ce que la langue
française perpétue), la Géométrie Sacrée ne se laisse pas accroire. Le Ciel est avec
l'Eau, le domaine privilégié de la Femme, quand la Terre est avec le Feu du ressort de
l'Homme. Tout un système Géométrique, assorti de valeurs numériques, permet aux
sages de vérifer ce qui est pour eux un constat. Et quand Kepler inaugure la Science,
il s'appuie amplement sur l'héritage de cette Culture, abordée par Platon à travers
ses solides, mais considérablement développée ensuite par la Géométrie Sacrée.
L'équation fondamentale du Nombre d'Or se rapproche étrangement de la troisième
loi de Kepler... Cette Culture ne fuit pas la réalité : elle l'anticipe dans le cas de la
Science, et elle la rattrape dans le cas des Mythes. Celui de Vénus porte le principe
de la conception des poissons, et cela n'échappe pas au Géomètre du Divin
Botticelli : il cerne la Belle dans un Vesica Piscis (en latin, le corps du poisson) qui y
met tout son corps, y compris les pieds - aucune autre fgure de la construction
n'arrive à les apprivoiser. Et il pousse à la Sirène la nageoire qui lui manque, les
mailles de la construction révélant ses contours. Deux rectangles de 3 (Ciel) sur 4
(Terre) se croisent ici, selon une inclinaison qui vient du Pentagramme (Homme) !
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◊ Élément 2 - Le contrapposto de Vénus
Ce deuxième élément est très lié au premier.
Il faut une règle pour le voir : une verticale est
désignée par Vénus, celle qui passe exactement
entre ses pouces, telle une invitation du Peintre à
regarder. Les pieds de Vénus ne sont pas sous
son poids, et il lui faudrait une canne pour tenir
de la sorte...
Le premier élément impliquait le mythe d'Aphrodite hérité de la Grèce, le second
reprend un autre point caractéristique de la Culture Grecque : le contrapposto. Cette
particularité apparaît dans la sculpture à la fn du VIème Siècle avant J-C, et marque
la transition entre l'art archaïque et le premier classicisme. De fait, Botticelli accède à
une sculpture de Marbre antique fgurant à l'imposante collection des Médicis. Cette
Vénus médicéenne donne d'ailleurs son nom d'origine au tableau, à savoir celui de «
Vénus anadyomène », et il vaudra jusqu'au XIXème Siècle pour céder à une
désignation plus familière. Pour autant, l'intention de l'Artiste et du Commanditaire,
Lorenzo di Pierfrancesco de Médicis, doit être pris en compte autant que le "confort
moderne" de l'utilisateur du Musée... Le choix du contrapposto et de ses
caractéristiques ne peut pas être anecdotique.
La jambe d'appui perche une hanche en hauteur quand
l'autre, libre, montre sa décontraction (son pied se plie
alors légèrement en arrière). Ensuite, la ligne des
épaules oppose symétriquement son inclinaison à celle
des pointes iliaques, jusqu'à provoquer un léger pli à la
taille. Cette attitude, qui renforce le statut de Vénus en
référence à la Grèce antique, contrarie néanmoins la
première des règles en sculpture : l'équilibre de la pose
selon la gravité ! Une véritable provocation qui, comme
nous l'avons évoqué, ne peut se satisfaire d'aucun
passe-droit, pas plus celui de l'Art et de son inspiration
créative que celui de la bravoure technique : ces alibis
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ne tiennent pas dans le cas de ce manifeste esthétique, pour un crédo pictural
dévoué à la Beauté et à sa révélation. Face à ce Chef d'Oeuvre, les femmes du monde
entier se sentent honorées d'être Femme. Botticelli ne pourrait pas leur faire
remarquer qu'elles ne tiennent pas debout ! Il les mène à leur élément naturel : l'Eau.
En toute femme il y a une Sirène qui ne demande qu'à renaître.
Le contrapposto développé avec soin par le Peintre ancre le sujet dans une réalité
humaine. Plusieurs éléments en témoignent : Les angles d'inclinaison se rapportent
au Pentagramme et à la nature humaine. Ensuite, la Déesse atterrit. Par défnition, la
naissance est un atterrissage. Si tel n'est pas le cas, l'on parle de conception ou de
création, pas de naissance. La référence à la sculpture grecque appuie dans ce sens.
Il n'est pas d'art plus fguratif, plus attaché au respect de la nature. La couleur des
chairs rappellent celle du marbre, juste assez pour que l'on sente la trace de l'étude,
mais sans oublier la vie et ses manifestations. L'ombre est pour la Belle l'occasion de
rougir, particulièrement au niveau des pieds - là où elle devient sirène... Tous ces
arguments font de l'anomalie de la posture une véritable provocation. Et cette
exception à la règle élémentaire du comportement physique d'un humain sur terre,
ne saurait s'expliquer par le choix onirique du peintre. Il fait trop d'efort à ancrer
son modèle dans la réalité, autant qu'il souligne la lourdeur de la cape dans ses plis.
Une vision purement onirique de la scène décrocherait bien d'avantage avec la
réalité, le vraisemblable.
Vénus ne fait pas exception à la pesanteur : elle gagne par sa naissance le support
de l'eau. Cela lui permet de révéler sa grâce. La Géométrie nous aide à en prendre
conscience, et la Géométrie Sacrée nous aide à en expliquer le sens. La légèreté de
Vénus ne résulte pas d'une sorte d'inconsistance, ni même d'un passe-droit qui la
placerait à l'écart des règles exigeantes du vivant. Tout au contraire, c'est par son
équilibre et le naturel de son élément que Vénus accroche l'absolu. L'image prétend
à la perfection, et la proclame sans cesser d'être accessible en termes humains. En
cela, Vénus est une véritable leçon, et elle justife sa place aux références du
Zodiaque comme elle réussit dans son rôle de messagère de Dieu, à porter le
Nombre d'Or. La christianisation du symbole ne fait ici aucun doute, et elle ne
contredit pas l'héritage des Grecs, mythologique et mathématique. À cette occasion,
le Sacré afche son unité par l'incorruptible force des Symboles.
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◊ Élément 3 - Le nombril de Vénus
Rien ne prétend surpasser ni déchoir la révélation esthétique de ce tableau
mythique. La sensibilité du lecteur caresse naturellement ce que l'étude explique.
Cependant, une révélation se produit en cette oeuvre, qui rend explicite la
Géométrie Sacrée. Les fgures de la construction sont en quelque sorte le bois de
cofrage des oeuvres qu'elle prépare. Le propre de ce bois est de se retirer à la fn du
chantier. Le géomètre reconstitue les tracés de la Géométrie par déduction, et il ne
trouve habituellement pour guider sa lecture que quelques trous de poteaux,
quelques signes laissés par l'Artiste à cette intention ( voir l'article sur les signes de
la composition). Dans le cas de ce tableau, Botticelli propose beaucoup mieux
qu'une simple marque de cofrage, qu'un simple indice sur la piste des fgures.
Au nombril de Vénus se confondent un Symbole
et un point fort de la construction. Son cercle est
surligné d'un trait pour signaler sa présence, et le
milieu de ce trait est un des centres du tableau.
Ce phénomène est assez rare pour être souligné.
Par exemple, l'extrémité de la Cyprée, que l'Heure
tient entre ses doigts, est un autre centre de la
composition, mais ce point n'est pas en soi un
symbole, en dépit de la façon dont il s'exhibe. Concrètement, comme le montre ce
visuel, un Triangle Sacré se pose sur le quadrillage, qui darde sa bissectrice dorée en
direction du nombril de Vénus. La bissectrice de l'angle que forment les segments 3
et 5 du Triangle, celle qui porte sa proportion dorée, joint alors le sommet et le
centre du cercle intérieur au triangle au nombril de la Belle. Un triangle symétrique
envoie une droite équivalente, ascendante, vers le même point. Le cercle intime du
premier triangle expose Zéphyr et Chloris comme un couple, dont le milieu choisit
leur point de rencontre afectif. Le second triangle exhibe en symétrie la mer et la
coquille, qui résument le mythe de la naissance de Vénus. Au fnal se révèle une
double lecture du tableau. L'une "remonte" au mythe et idéalise la création de la
Déesse; l'autre "descend" sur Terre et personnife la procréation. Les deux se
croisent au centre de gravité de Vénus, qui atteste cette dualité de tout son poids.
La richesse de la fgure invite au rêve, à la méditation, autant qu'à l'écriture.
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◊ Élément 4 - La grande Spirale
Cette spirale se construit à partir du grand
Pentagramme dont se distingue l'un des Triangles d'Or.
Toute l'Histoire de Vénus est sur son chemin. Cela
confrme en outre l'implication du temps dans ce type
de ligne, au travers d'un exemple particulièrement
didactique.
1 - La courbe prend son origine dans le ciel, domaine d'Ouranos, père de Vénus.
Sa chevelure se mêle à cette origine, le lien qui la retient colle à la courbe.
2 - Plus loin, l'Heure tient un coquillage à la main : une Cyprée. Ce nom rappelle
Vénus. Les poètes utilisent le dérivé du nom de Chypre où elle atterrit, pour la
désigner. De nombreuses conques des mers se rapportent à Vénus. L'homme a la
"révélation" de la spirale en observant ces coquillages. Vénus est depuis toujours
l'incarnation de l'étoile à cinq branches, du nombre d'Or et de la spirale trouvés
dans le creux d'un coquillage. L'Heure tient bien haut cette cyprée, qu'elle
revendique comme diapason du tableau.
3 - La courbe épouse alors l'arrondi de la cape, et vient ensuite chercher l'aisselle
de la Belle.
4 - Une branche feuillue accueille le trait dans sa chute, et en souligne le sens par
trois chevrons.
5 - La précision du tracé ne cesse de surprendre : elle colle à la robe de l'Heure.
6 - De même pour la coquille, au contact des vagues et de leur écume : c'est le
lieu de conception de Vénus.
7 - Avant de s'envoler, la spirale trouve Chloris, qui semble courir sur son chemin
à grandes enjambées. Cette spirale unit la notion de temps et celle du désir.
La richesse de l'oeuvre est infnie, et justife le nombre des articles qu'elle engendre.
Cette fgure particulière est une des rare à nous faire entrer concrètement en contact
avec la conception du temps des Anciens. Le temps fait son entrée ofciellement en
tant que valeur, avec Kepler quand il crée la Science. Avant les lois de l'Astronomie,
l'Astrologie dresse des calendriers, mais le temps ne joue que sur le mode de la
pendule. Petit ou grand, il reste prisonnier d'un cercle qui cherche son rythme. Avec
cette spirale, un autre espace s'ouvre à notre compréhension.
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