Jordi Savall - Les Riches Heures de Valère
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Jordi Savall - Les Riches Heures de Valère
Jordi Savall CONCERT 4 Dimanche 29 septembre 2013 17h | Basilique de Valère, Sion Rêves et plaintes : La rêveuse INVOCATION Karl Friedrich Abel Johann Sebastian Bach Johann Schenck Arpeggiata Allemande Air Burlesque LA PEINE Sainte-Colombe le fils Sainte-Colombe le père Johann Sebastian Bach Fantaisie en Rondeau Les Pleurs Bourrée II LES GOÛTS ÉTRANGERS Sainte-Colombe le fils Marin Marais Marin Marais Trad. breton / Jordi Savall Prélude en Mi Sarabande à l'Espagnol Tambourin Variations sur "O Sonjal" LA RÊVEUSE Sainte-Colombe le fils Marin Marais Sainte-Colombe le fils Marin Marais Prélude en Fa La Rêveuse Fantaisie en La Muzettes I-II & La Sautillante LES VOIX HUMAINES Mr. de Machy Marin Marais Anonyme & Improvisations Prélude Les Voix Humaines Les Folies d'Espagne Jordi Savall, viole de gambe basse à 7 cordes (Barak Norman, Londres, 1967) Jordi Savall Dans l’univers de la musique actuelle, Jordi Savall tient une place exceptionnelle. Depuis plus de trente ans, il fait connaître au monde des merveilles musicales abandonnées dans l’obscurité et l’indifférence : jour après jour, il les lit, les étudie, et les interprète, avec sa viole de gambe ou comme chef d’orchestre. C’est un répertoire essentiel rendu à tous les mélomanes curieux et exigeants. Au sein de trois ensembles musicaux fondés avec Montserrat Figueras Hespèrion, La Capella Reial de Catalunya et Le Concert des Nations - les deux interprètes ont créé un univers rempli d’émotions et de beauté, offert à tous les passionnés de musique. Le monde entier les a salués, à travers leurs concerts et leurs productions discographiques, comme les principaux défenseurs de tant de musiques oubliées. Jordi Savall est l’une des personnalités musicales les plus polyvalentes de sa génération. Concertiste, pédagogue, chercheur et créateur de nouveaux projets musicaux et culturels, il se situe parmi les acteurs essentiels de l’actuelle revalorisation de la musique historique. Sa participation fondamentale au film d’Alain Corneau Tous les matins du monde (César de la meilleure bande-son), son intense activité de concerts (environ 140 par an), sa discographie (6 enregistrements par an) avec la création en 1998 d’Alia Vox – son propre label d’édition – prouvent que la musique ancienne n’est en rien élitiste et qu’elle peut intéresser, dans le monde entier, un public chaque fois plus jeune et plus nombreux. Jordi Savall a commencé sa formation à six ans au sein d’un choeur d’enfants à Igualada (Barcelone), sa ville natale, la complétant par des études de violoncelle, terminées au Conservatoire de Barcelone (1964). En 1965, il commence en autodidacte l’étude de la viole de gambe et de la musique ancienne (Ars Musicæ), et se perfectionnera à partir de 1968 à la Schola Cantorum Basiliensis (Suisse). En 1973, il succède à son maître August Wenzinger à Bâle, y donne des cours et des masterclasses. Au cours de sa carrière, il a enregistré plus de 170 CD, dont le dernier, paru chez Alia Vox, est le livre-disque Eloge de la Folie, Erasme. Parmi les distinctions qu’il a reçues, il faut souligner: Officier dans l’Ordre des Arts et Lettres (1988), la Creu de Sant Jordi (1990), Musicien de l’année du Monde de la Musique (1992) et Soliste de l’année des Victoires de la Musique (1993), Médaille d’Or des Beaux-Arts (1998), Membre d’honneur de la Konzerthaus de Vienne (1999), Docteur Honoris Causa de l’Université Catholique de Louvain (2002) et de l’Université de Barcelone (2006), Victoire de la musique pour l’ensemble de sa carrière (2002) et en 2003, la Médaille d’Or du Parlement de Catalunya ainsi que le Prix d’Honneur de la Deutsche Schallplattenkritik. Plusieurs Midem Classical Awards lui ont été décernés (1999, 2000, 2003, 2004, 2005, 2006). En 2006, l’album Don Quichote de la Mancha a non seulement été récompensé dans la catégorie Musique ancienne, mais il a aussi créé l’événement en étant élu Disque de l’année. En 2008, Jordi Savall a été nommé Ambassadeur de l’Union Européenne pour un dialogue interculturel et avec Montserrat Figueras, ils ont été nommés Artistes pour la Paix dans le cadre du programme des Ambassadeurs de bonne volonté de l’UNESCO. En 2009, il a été nommé Ambassadeur de la Créativité et de l’Innovation par l’Union Européenne et le Conseil National de la Culture et des Arts de Catalogne lui a décerné le Prix National de la musique. En 2010, en compagnie de Montserrat Figueras, il reçoit le Prix Méditerranée remis par le Centre Méditerranéen de Littérature à Perpignan et le Prix Midem Classical Awards 2010 du meilleur disque classique de musique ancienne pour le livre-disque Jérusalem, la Ville des deux Paix. Toujours en 2010, Jordi Savall a reçu le Pr ix de la Musique en tant que mei lleur in terprète so lis te pour le disque The Celtic Viol de la Real Acade mia des Arts et des Sciences . Il a égale men t remporté le Prae torius Mus ikpreis N iedersachse n de Basse Saxe. En 2011, le livre-disque Dinastia Borgia, Eglise et pouvoir à la Renaissance a été couronné par le Grammy Award 2011 dans la catégorie Best Small Ensemble Performance. Il a reçu également le prix du Meilleur disque de musique ancienne 2011 de l’International Classical Music Awards (ICMA). La Rêveuse Selon l’illustre philosophe et théoricien de la musique Marin Mersenne, c'est dès le début du XVIIe siècle que se trouvent en France des violistes remarquables, tant par leur jeu virtuose et raffiné que par leur capacité d'improvisation. D’après lui, « personne en France n'égale Maugars et Hottman, hommes d’une grande habileté dans cet art; ils dominent surtout par leur agilité dans les diminutions et par leur manière de jouer avec l’archet, incomparables de délicatesse et de suavité… Mais le premier exécute seul et à la fois deux, trois ou plusieurs parties sur la basse de viole, avec tant d’ornements et une prestesse de doigts dont il paraît si peu se préoccuper, qu'on n'avait rien entendu de pareil auparavant par ceux qui jouaient de la Viole, ou même de tout autre instrument... » (Marin Mersenne, De Instr. Harm., 1635). Ce sont probablement les mêmes qui rendent les possibilités expressives de la viole, car « si les instruments sont prisez à proportion qu'ils imitent la voix et si, de tous les artifices on estime davantage celui qui représente mieux le naturel, il semble que l'on n'en doit pas refuser le prix à la Viole qui contrefait la voix en toutes ses modulations et mesme en ses accents les plus significatifs de tristesse et de joie : car l'archet qui rend l'effet dont nous avons parlé, a son trait aussi long à peu prez que l'haleine ordinaire d'une voix, dont il peut imiter la joie, la tristesse, l'agilité, la douceur et la force par sa vivacité, par sa langueur, par sa vitesse, par son soulagement et par son appuy : de mesme que les tremblements et les flatteries de la main gauche, que l'on appelle la main du manche, en représentent naïvement le port et les charmes. » (M. Mersenne, Harmonie Universelle 1636-37) J'ai eu l'opportunité de découvrir toutes ces merveilleuses musiques que j'ai commencé à travailler sur la viole de gambe en 1965. J'étais alors fasciné par la connaissance de toutes les surprenantes descriptions concernant l'art de jouer de cet instrument et j'avais très envie de récupérer cet art oublié, cette tradition perdue avec la disparition de la viole de gambe à la fin du XVIIIe siècle. Quand j'ai lu l'amusant pamphlet d'Hubert Le Blanc sur La défense de la viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle (1740), son insistance quant à l'importance et aux avantages de "lire à livre ouvert" m'a surpris. J'ai compris que la solution ne pouvait venir que de la musique elle-même et qu'il convenait d'aborder l'apprentissage du langage de cet instrument en établissant un dialogue réel avec la musique, partant de cet "état d'innocence" que Furtwängler considérait comme "la condition imprescriptible de toute véritable création", puisque toute idée préconçue aurait pu déformer les besoins mêmes du discours musical. Patiemment, j'ai travaillé sur ces musiques, les agréments, les divers coups d'archet nécessaires aux différents jeux de Mélodie, d'Harmonie ou d'Accompagnement, tout en analysant les nombreux textes des Traités ou les instructions que les différents Maîtres nous ont laissées. Peu à peu, les solutions apparaissaient plus compréhensibles jusqu'à devenir évidentes. En premier lieu, avec les musiques imprimées de Marais, Couperin, De Machy, Caix d'Hervelois, Forqueray et, plus tard avec des oeuvres manuscrites comme celles de Sainte-Colombe le père et plus spécialement celles de Sainte- Colombe le fils où, à côté des manières plus habituelles (du jeu de Mélodie et d'Harmonie), il fallait retrouver la manière juste du "jeu de s'accompagner soi-même". Finalement, la grâce et la beauté de toutes ces musiques, apparemment si lointaines de notre sensibilité actuelle, se laissent entrevoir et nous montrent un univers surprenant, plein d'émotion et de tendresse, de fantaisie et d'enchantement, de déchirements et de joie qui peut devenir très proches de nous, grâce aux charmes de cette âme profondément fragile qui est le principal caractère de la viole comme de l'être humain. Dans Le Parnasse français de Titon du Tillet (1732), nous trouvons des données fort intéressantes sur les relations entre Sainte-Colombe, Lully et Marais, comme par exemple l'anecdote de Marin Marais étudiant, "qui se cachait sous le cabinet" où son maître Sainte-Colombe s'enfermait "afin d'y jouer plus tranquillement et plus délicieusement de la Viole" pour profiter "de quelques passages et de quelques coups d'archets que les Maîtres de l'Art aiment à se conserver". En ce qui concerne Sainte-Colombe le fils, nous disposons de peu de données biographiques, peut-être à cause de sa condition de fils illégitime, de ses convictions religieuses et de son exil en Angleterre. Dans le cas de Marin Marais et de Sainte-Colombe, ces anecdotes ou ces légendes dans lesquelles ils apparaissent nous procurent encore aujourd'hui une information détaillée de grande valeur pouvant éclairer les aspects les plus notables de leurs vies, de leurs goûts et de leurs personnalités musicales. L'inspiration, la force expressive, la douceur évocatrice et la compréhension du caractère poétique et dramatique du moment musical convertissent ces "Pièces de Viole", comme "La Rêveuse" ou les "Voix Humaines" en chefs-d'oeuvre de la musique de chambre, dans le meilleur hommage que peut certainement rendre un violiste à la recherche de l'expression des sentiments humains les plus profonds. Tout ceci, son maître Monsieur de Sainte Colombe l'avait déjà pressenti quand il affirmait : "qu'il avait des élèves qui pouvaient surpasser leur Maître, mais que le jeune Marais n'en trouverait jamais qui le surpassât" (Titon du Tillet, Le Parnasse français, 1732). Jordi Savall Bellaterra, Printemps 2012