Le Doubs Les Brenets–Biaufond

Transcription

Le Doubs Les Brenets–Biaufond
VOYAGE S
Randonnées
Le Doubs Les Brenets–Biaufond
A
En hiver, la vallée du Doubs est très froide.
Stalactites en aval du lac de Moron.
ATE MAGAZINE / AVRIL 2011
u Locle, le mécanicien cache tantôt des glaçons qui se brisent
deux bouteilles de blanc dans au sol, tantôt quelques chamois à
son casier secret. Puis, il démarre la recherche de nourriture.
son automotrice selon l’horaire.
A la hauteur du barrage, un
Elle bringuebale sans hâte à tra- tunnel pédestre perfore l’impovers trois tunnels vers la vallée, sante falaise dressée en travers
pour s’immobiliser aux Brenets, du chemin – d’une éblouissante
gare terminus. Ce voyage est la clarté sous l’effet du soleil. Le
première des nombreuses curio- barrage du Châtelot est une
sités au programme de cette construction déjà ancienne. Il
journée. Par contre, la descente date de 1953. Son béton est parle long de la petite route gou- ticulièrement solide, peut-on lire
dronnée qui nous mène au bout dans le journal local qui s’est indu lac des Brenets – formé voici téressé aux conséquences qu’en14’000 ans à la suite d’un éboule- traînerait sa rupture. Ce constat
ment – n’a, elle, rien d’une curio- doit certainement rassurer le
sité. Mais au-delà du débarcadère patron de l’Auberge du Châtelot,
et de l’hôtel « Saut du Doubs », laquelle se trouve presque au pied
s’ouvre devant nous l’unique
et enchanteresse vallée du
Le Doubs ouvre une
Doubs, long canyon de verdure et de calcaire. Sur sa rive
longue et verte vallée
droite, la Suisse. Sur l’autre,
enchanteresse.
la France. De chaque côté,
d’imposantes falaises façonnent le décor. De chaque côté, on du barrage. La petite fumée qui
parle le français.
émane de la cheminée lui donne
des allures de maison de sorcière.
Bientôt, nous percevons le La salle est un accueillant salon,
grondement du Saut du Doubs, de surcroît très original. Elle est
une chute d’eau de taille moyenne. remplie de journaux, de livres et
Jusqu’à ce point, les touristes de couvercles de bière. Un canapé
peuvent s’aventurer en baskets. trône à côté du bar. Un fourneau
On leur a aménagé une plate- à bois pétille au centre de la pièce.
forme d’observation et une pas- On nous sert du café à discrétion
serelle qui traverse la rivière – et dans une cafetière italienne fudonc la frontière. Côté français, mante: 2 francs 50 par personne.
passe un chemin de Grande Randonnée, tout aussi joli que le senL’auberge, qui propose aussi
tier neuchâtelois, paraît-il. Nous de modestes chambres, elle l’une
choisissons de poursuivre notre des rares à avoir survécu le long
route en dehors de l’UE. Nous du Doubs. Autrefois, les nomapprochons du lac artificiel de breux cafés n’accueillaient pas
Moron – un lac tout en longueur, que des randonneurs. Au 19e
en forme de faucille. Une couche siècle et dans la première moide glace en recouvre la surface. tié du 20e siècle, ils servaient de
Elle est en train de fondre et émet comptoirs pour l’approvisionned’inquiétants craquements clai- ment des habitants de Francherement audibles dans le silence Comté en marchandises suisses.
presque parfait. Ils ressemblent Naturellement, les bistrots isolés
à des sifflements d’oiseaux, suivi servaient aussi de repaire aux
d’échos métalliques stridents. contrebandiers, en transit avec
C’est tout comme si le lac chan- leurs sacs de marchandises, les
tait. D’autres bruits, plus rares, douaniers et leurs chiens à leurs
proviennent de la forêt. Ce sont trousses. Dans les gorges du Châ27
VOYAGE S
Randonnées
Les roches portent d’épaisses fourrures de mousse verte.
telot, même les crues n’arrêtaient
pas le trafic. On faisait passer des
paniers le long d’un câble tendu
d’une rive à l’autre.
A l’époque, la vallée était,
d’une manière générale, bien plus
animée qu’aujourd’hui. De nombreuses petites industries exploitaient l’énergie hydraulique
et la forêt. Vers 1660, sur le seul
tronçon neuchâtelois entre Les
Brenets et Biaufond, le Doubs entraînait les roues de huit moulins
et deux scieries. Une forge et une
verrerie sont venues s’y ajouter
plus tard. L’électricité en a sonné
le glas. Les usines ne devaient
plus s’implanter au fil de l’eau.
Le laminoir de la Roche, qui
produisait de la tôle d’acier pour
l’industrie horlogère, aura résisté
jusqu’en 1938.
Le temps a effacé toutes les
traces de ce tissu préindustriel.
Aujourd’hui, la forêt se donne
des airs enchanteurs. Les arbres
et les rochers portent de longues
barbes et d’épaisses fourrures de
mousse verte – comme pour se
protéger du froid parfois sibérien
des hivers pratiquement sans soleil. Ici et là, les falaises arborent
de grandes orgues de glaçons,
qui s’y accrocheront jusqu’au
printemps.
Nous retrouvons la civilisation en atteignant Maison Monsieur. L’endroit, immortalisé par
une peinture de Gustave Courbet, doit son nom à la maison
du «Seigneur». Il sévissait ici en
qualité de pêcheur sur le petit lac
naturel, de passeur et de douanier. Du moins jusqu’en 1881,
année où le canton de Neuchâtel a entrepris de construire un
pont plus en aval, à Biaufond. Il
est resté une des rares liaisons
routières à franchir le Doubs. Les
nombreux frontaliers français
qui vont travailler à la Chauxde-Fonds génèrent un dangereux trafic routier aux heures de
pointe. Nous l’esquivons en choisissant de traverser la passerelle
qui nous mène à la Rasse, sur
l’autre rive. Nous sommes finalement entrés dans l’UE.
être passer la nuit à Biaufond. Un
nouveau gîte s’est ouvert à côté
du restaurant. Le lendemain, on
peut se lancer dans la montée
de la charmante, mais abrupte
combe du Valanvron jusqu’à la
Ferrière, ou poursuivre la descente du Doubs. La vallée reste
sauvage et farouche sur une septantaine de kilomètres et trois
bons jours de marche jusqu’à StUrsanne.
En été, Biaufond est desservi
par le car postal. Le départ de
l’unique liaison de l’après-midi
est fixé à 16h30 déjà. Il vaut donc
mieux arriver à l’heure. Ceux qui
ont le temps préféreront peut-
Aller: En train jusqu’aux Brenets via
Le Locle. En été, le Saut du Doubs
est aussi accessible par bateau
depuis Les Brenets (env. 20 min à
pied jusqu’à l’embarcadère de Bourg
Dessus). Horaire: www.nlb.ch
Retour: Peu de points de sortie de
la randonnée avec accès aux TP. En
été, deux liaisons postales par jour
avec Maison Monsieur et Biaufond.
Plus loin, liaisons postales avec
Goumois et Soubey. A pied, plusieurs
possibilité d’atteindre les stations de
la ligne ferroviaire La Chauxde-Fonds–Saignelégier.
Durée de la randonnée: 6 à 7h.
jusqu’à Biaufond, de mars/avril
jusqu’en novembre (en hiver, glace
par endroits).
Cartes: cartes d’excursions 1:50000,
feuillets 232T (Vallon de St-Imier) et
222T (Clos du Doubs)
Pour plus d’infos: www.ate.ch/
excursions
Il faut bien avouer qu’ici les
rivages de l’Aar ne transpirent
pas la nature sauvage. Nous entendons le roulement des trains,
passons devant les palissades
couvertes de graffitis des bains
de la Lorraine et restons une fois
de plus interloqués à la vue de
l’imposant viaduc de l’autoroute.
Toutefois, vue d’en bas, l’activité
fébrile et certes importante qui
règne plus haut nous semble à la
fois irréelle et dérisoire. Les rives
de l’Aar ne sont pas un univers
intact, mais très particulier. C’est
même un peu un contre-univers
dans lequel les gens, avec ou sans
Médor, en faisant du jogging ou
en s’occupant dans les jardins
ouvriers s’accordent un petit retour sur soi. Ils s’adonnent aux
activités qui, déjà, amusaient les
hommes des cavernes: ils font du
feu pour griller de la viande et se
jettent à l’eau vêtus d’un simple
pagne.
L’Aar Berne–Hinterkappelen
u 19e siècle, des ingénieurs
avaient trouvé que l’Aar ne
coulait pas comme elle devrait.
Depuis lors, ils n’ont cessé de
l’endiguer, de lui construire des
barrages pour en freiner le cours
et de la gratifier de centrales atomiques qui la réchauffent et qui
l’évaporent. Ainsi, les ingénieurs
ont tellement corrigé et réglé
l’Aar, que ses rives naturelles sont
devenues une rareté.
Toutefois, de belles portions
A
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subsistent. Etonnement, l’une
d’elles se trouve juste en aval de
la ville de Berne, en plein centre
de son agglomération qui, de là,
semble pourtant très lointaine.
Le parcours balisé part de la
Waisenhausplatz, juste à côte du
siège de la Police cantonale, et
nous mène directement sur les
rives de l’Aar. Nous traversons
la passerelle de l’Altenberg pour
nous rendre sur l’autre rive (la
droite) – et y restons.
ATE MAGAZINE / AVRIL 2011