Simone

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Simone
Simone
Morgenthaler
Ces
années-là...
Mes souvenirs
radio-télé
Figures d’Alsace
La Nuée Bleue
CES ANNÉES LÀ...
Marie-Paule Urban et Freddy Ruhlmann,
de l’amour et du talent
Marie-Paule Urban est entrée à l’ORTF en 1972, nantie d’un
diplôme en presse et communication de l’université des sciences
politiques, économiques, juridiques et sociales Robert-Schuman à
Strasbourg. Elle débute le même été comme assistante radio et à la
discothèque. Retenue sur concours par Jean-Louis Guillaud, directeur de la naissante troisième chaîne, la première à émettre en
couleurs en 1973, elle crée la même année le service de presse
radio et télé auprès d’Alain Jacquemard puis de Pierre Roubaud.
Les services de presse n’étaient alors pas monnaie courante : ceux
de Lille, Marseille et Strasbourg furent les premiers à voir le jour.
Elle a aussi créé un journal interne et externe à cette époque. Elle
fut nommée expert au Parlement européen pour la femme et l’audiovisuel et fut membre de la commission pour l’avenir de l’audiovisuel public.
Nous nous rapprochâmes à partir de 1977 : elle venait tous les
lundis durant une heure dans l’émission que j’animais avec Ric
Alban pour présenter les programmes télévisés de la semaine. Je
garde de cette époque des souvenirs de magnifiques fous rires
provoqués par les pitreries de Ric Alban. Nos rencontres hebdomadaires se prolongeaient en général autour d’une table. Ric nous
entraînait à La Chaumette, un restaurant strasbourgeois du centreville qui n’existe plus, pour des tripes ou de la tête de veau. Je
découvrais alors plus la vie de Marie-Paule, son enfance obernoise
auprès d’un papa boulanger-pâtissier-chocolatier.
Marie-Paule a dirigé le service de la communication jusqu’en
1995. Entre-temps, elle m’épata en reprenant parallèlement les
études en 1992 à l’université des sciences humaines. Elle passa alors
un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de troisième
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MES SOUVENIRS RADIO-TÉLÉ
cycle à l’Institut de traducteurs, d’interprètes et relations internationales (ITIRI) dont elle sortit major en 1993. Elle publia en 1994
Les Institutions et la dimension régionale de l’espace audiovisuel
européen. Elle a été élue première secrétaire générale adjointe du
CIRCOM régional implanté à Strasbourg, réseau audiovisuel unique
en Europe qui regroupe trois cent soixante-seize télévisions régionales de service public de trente-huit pays. Depuis 2002, elle est
chargée de mission pour les programmes européens de France 3.
Elle est restée fidèle à ceux qu’elle connut à ses débuts en télévision
et qui partirent vers Paris ou d’autres villes. Parfois elle réussit avec
Évelyne Dreyfuss à les réunir autour d’une table, toutes chaînes
confondues : Bruno Albin, grand reporter à France 2 ; François
Jacquel, producteur du magazine de la mer Thalassa ; Gilles
Schneider, directeur de France Inter ; François Poulet-Matthis,
responsable de la rédaction européenne de France 3 ; Michel Meyer,
directeur de France Bleu, pour ne citer qu’eux.
Marie-Paule m’offrit un jour des graines de ses pavots de Chine
qui, depuis, éclaboussent de rose mon jardin. Elle possède à
Obernai un joli jardin composé de fleurs souvent rapportées des
voyages effectués avec l’homme qui partageait sa vie, Freddy
Ruhlmann, que la mort emporta en mai 2004.
Freddy est sans doute l’être le plus éclectique que j’aie jamais
rencontré : sculpteur, peintre, graphiste, producteur de documentaires et de fictions, journaliste indépendant. À cela il faudrait
ajouter champion de France de volley, jouant comme international
dans l’équipe du Racing de Strasbourg et assurant les commentaires de matches pour Le Nouvel Alsacien. Refusant de porter les
armes pendant la guerre d’Algérie, il fut interné en camp disciplinaire au sud de l’Algérie et put retrouver la liberté grâce au volley,
en devenant entraîneur de l’équipe de l’armée française avec
laquelle il joua tous les matches en France, Allemagne et Suisse.
Je le savais nanti d’une licence de lettres modernes et d’un
certificat de philosophie, en osmose avec des études de dessin et
de couleurs à l’École des arts décoratifs de Strasbourg et de sculpture aux ateliers Rodié à Paris. Il était honnête homme avant tout.
De nature modeste, il parlait très peu de lui mais, en le questionnant, on découvrait un être riche de tant de passions que l’on se
demandait comment il arrivait à les contenir toutes : l’égyptologie
(il écrivait en hiéroglyphes), Sartre sur lequel il avait fait sa thèse,
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CES ANNÉES LÀ...
l’astronomie, Umberto Eco, Nicolas de Staël, Olivier Messiaen,
Kandinsky et bien d’autres. Il avait aussi sur chaque instant de vie
un passionnant regard d’analyste. Je crois que je l’aimais surtout
pour la douceur et l’intégrité qui transparaissaient dans son regard.
Il produisit pour la chaîne nationale le premier film-portrait
réalisé en France sur Tomi Ungerer. Il est l’auteur de nombreux
documentaires et de courts-métrages artistiques dont celui intitulé
D’une poignée de sable blanc, monté sur la musique de L’Oiseau
de feu de Stravinsky. Ce documentaire montre la création d’un
verre taillé, depuis la quête du sable blanc de Fontainebleau jusqu’à
l’objet d’art qu’il devient par la main de l’homme, en passant par
le fascinant travail du feu aux cristalleries de Saint-Louis. Il fut
primé par les ministères de l’Artisanat et de la Culture.
Il a conçu plusieurs génériques de FR 3, dont celui de 1977
avec les couleurs de l’arc-en-ciel, qu’il réalisa avec cinq cent
cinquante dessins exécutés à la main. Il est le créateur du trophée
de la Fondation Alsace, la première inclusion de bronze et de
cristal jamais réalisée. Cette sculpture fut présentée dans l’exposition De main de maître organisée par la Confédération française
des métiers d’arts au Grand Palais à Paris en 1988.
Depuis mai 2004, Marie-Paule doit pactiser avec son absence.
« J’ai connu trente-quatre ans de bonheur », dit-elle. Pour elle, il
s’agit de son plus précieux capital. Quelques jours avant de
mourir, Freddy écrivait : « Dans un univers troublé et souvent
violent, le chaos rend la tolérance difficile, parfois surhumaine, et
c’est là, pourtant, qu’elle est la plus indispensable. » Les fleurs
qu’il a semées dans son jardin d’Obernai lui survivent. Le premier
pavot de Chine qui ouvrit ses pétales, signe de vie très lumineux,
était celui situé tout juste au pied de son atelier.
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