Extension du domaine de la solitude juive
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Extension du domaine de la solitude juive
Marianne, n° 1023 du 4 novembre 2016 Extension du domaine de la solitude juive Par Eric Conan Le silence est parfois pire que les mots. On ne sait ce qu’il dissimule : indifférence, lâcheté ou approbation. Surtout quand il est assourdissant comme celui qui a suivi la résolution de l’Unesco niant implicitement tout lien entre Jérusalem et le judaïsme. A l’initiative du Qatar, de l’Algérie, du Soudan, de l’Egypte, du Maroc et du Liban, le Mur des Lamentations – vestige du mur occidental du second Temple et premier lieu saint juif devient Al-Burak. Tout comme le Mont du Temple, site juif, chrétien et musulman n’est plus que Haram al-Sharif. Juifs et chrétiens symboliquement expulsés d’une Histoire trimillénaire au profit du seul récit coranique. C’est gros, très gros, mais c’est passé. Ce crime contre l’Histoire est aussi une affaire française. Pas seulement parce que le vote grotesque à eu lieu à Paris, siège de l’Unesco, mais parce que la France s’est abstenue. Et que tout le monde s’est tu. La presse fut très silencieuse, à part un papier hygiénique du Monde informant qu’Israël rompait avec l’Unesco à cause d’une “résolution controversée” “semblant nier les liens historiques et spirituels du judaïsme” avec Jérusalem, “ce qui, pour les médias israéliens, constitue une sorte d’expropriation sémantique”. Pas un grand reporter envoyé dans le maquis du Quay d’Orsay pour comprendre la pitoyable position française, alors que la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et les Etats-Unis ont voté contre. Pas un politique, en cette période pré-électorale, pour oser demander des explications au gouvernement sur cet attentat contre la vérité au sein d’une institution destinée à « resserrer par l’Education, la Science et la Culture le respect entre les peuples ». Sa gravité avait pourtant été soulignée par la directrice de l’Unesco s’efforçant d’infirmer ce qui venait d’être voté : « Le patrimoine de Jérusalem est indivisible, et chacune de ses communautés a droit à la reconnaissance explicite de son histoire et de son lien avec la ville. Nier, occulter ou vouloir effacer l’une ou l’autre des traditions juive, chrétienne ou musulmane revient à mettre en péril l’intégrité du site ». « Nier, occulter ou vouloir effacer » les traces des traditions qui précédent l’islam est le réflexe des fondamentalistes : proclamer un lieu « musulman » c’est l’interdire aux autres. Voir ce réflexe surgir au cœur de l’Unesco crée un malaise en attestant que le drame israélo-palestinien relève moins d’un conflit entre nations que d’un conflit religieux. Il ne s’agit pas seulement du Hamas dont la Charte appelle au meurtre des juifs au nom d’Allah, mais aussi du modéré Mahmoud Abbas adhérant à la vision islamiste d’une Jérusalem judenfrei: “La mosquée A l A qsa et l’église du Saint Sépulcre sont nôtres. Elles sont entièrement nôtres et ils (les juifs) n’ont pas le droit de les souiller de leurs pieds sales”. Et le grand Mufti de Jérusalem nommé par le chef de l’Autorité palestinienne explique que l’Esplanade des mosquées existe depuis la “création du monde” et qu’aucun temple juif n’y fut jamais construit. Les rumeurs d’un complot juif pour détruire les lieux saints de l’islam circulent depuis la déclaration de Balfour de 1917, mais c’est l’inverse qui se produit, comme l’a raconté ici Martine Gozlan: les travaux d’une mosquée souterraine sous le Mont du Temple ont extrait en 2000 des milliers de tonnes de débris archéologiques juifs, romains, chrétiens, évacués dans une décharge publique. Effacés. Le silence gêné suscité par ces humiliations accroît le sentiment de solitude des juifs de France. L’on ne relève pas sans trouble que la quasi-totalité des protestations face à cet effacement juif sous les auspices de l’Unesco sont le fait de juifs. Comme s’il était désormais admis que les malheurs des juifs ne concernent que les juifs. Depuis quelques années, bien d’autres effacements suscitent le même silence. Ainsi du sort des enfants juifs à l’école. Dominique Schnapper publie cette semaine les actes d’un colloque sur l’antisémitisme (Réflexions sur l’antisémitisme, Odile Jacob) confirmant les effets de l’importation d’un « antisémitisme profondément enraciné dans les sociétés musulmanes » et insistant sur « une stupéfiante et cruelle réalité : en France, les enfants juifs – et ils sont les seuls dans ce cas – ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement ». L’inspecteur général Obin raconte avoir signalé dès 1996 dans un rapport d’inspection l’abattement d’un principal face à l’exfiltration « des deux derniers élèves juifs » de son collège de la région lyonnaise après que tous les autres avaient fuit le « harcèlement physique et moral de certains de leurs condisciples ». Mais ce constat fut effacé du rapport définitif. Aujourd’hui, Georges Bensoussan, auteur des prémonitoires Territoires perdus de la République, est poursuivi pour racisme pour avoir évoqué sur France-Culture le tabou de cet antisémitisme culturel. Même gêne face au slogan « Mort aux juifs ! » réapparu depuis les manifestations de Barbès et de Sarcelles en juillet 2014. Alors que, dans certains journaux, consigne était donnée de les effacer, il fallut que Robert Badinter s’indigne du « silence devant ces clameurs antisémites qui n’avaient retenti depuis l’occupation nazie ». Silence gêné encore quand, en juillet dernier, une pétition de “Français et musulmans” appelant à “prendre nos responsabilités” dressait une liste détaillée des actes terroristes oubliant l’assassinat d’enfants juifs à Toulouse et les morts de l’Hyper Casher. Une “omission manifeste et fâcheuse”, a dit Le Monde, mais la gêne pesait plus sur ceux (pour la plupart juifs…) qui osèrent relever ce lapsus que sur leurs auteurs. Les juifs ne craignent pas seulement la montée de l’antisémitisme. Ils souffrent de le voir considéré comme un problème juif. Depuis 2000, plus de 50000 d’entre eux en ont déjà tiré une conclusion en émigrant. Près de 10% des Français juifs se sont ainsi effacés de leur pays. En silence.