[Tekening van het hotel. Daarrond de volgende tekst:] HÔTEL DU

Transcription

[Tekening van het hotel. Daarrond de volgende tekst:] HÔTEL DU
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
1
[Tekening van het hotel. Daarrond de volgende tekst:]
HÔTEL DU DAUPHIN
FRÈRES OMARINI
ISOLA BELLA
JLES BORROMÉES — LAC MAJEUR — ITALIE
Stab. Lit. Podino Salvatore. Intra
TENU PAR LES
PROPRIÉTAIRES
Isola bella — Lundi 3 octobre 1892.
Mon cher Gust,
J'ai reçu hier ta bonne lettre par l'intermédiaire de cet excellent De Raet 1: car c'est hier
seulement que nous nous sommes réunis & voici comment.
Samedi 1 octobre, jour du rendez-vous fameux nous sommes allés à Côme l'après-midi, à
travers une pluie toute équinoxiale, afin de faire une réception, honorable & gracieuse aux
chers individus2 qui doivent partager nos destins à Bologne. Mais ils avaient manqué leur
train à Bâle & ne sont arrivés que le soir trop tard à Côme pour venir à Bellagio. Nous avons
examiné sous toutes ses faces l'église principale de Côme, une église commencée dans le
style gothique, mais continuée & achevée dans le style renaissance, & où il n'y a plus grandchose de gothique. C'est une de ces premières églises italiennes si riches par les matériaux
employés, par la profusion des marbres surtout. Mais le marbre au lieu d'avoir ces bons tons
de vieil ivoire que l'on m'avait vantés est noirci, abîmé par le temps, par les pluies. Les détails
des sculptures, des colonnes sont diablement curieux. Sur la façade-pignon sur rue — il y
a un fouillis complexe d'ornementation, sculptures, bas-reliefs, colonnettes torses, tourelles
précieusement ouvragées: on dirait une châsse. Mais point d'union interne entre l' ensemble &
les détails: ce sont des morceaux de sculptures appliqués sur les murs, dirait-on. Rien de cette
harmonie de nos monuments gothiques où jusqu'aux dernières des grimaçantes gargouilles
tiennent intimement à la masse. Nous sommes revenus en bateau, la nuit, à travers un violent
orage dont les éclairs sulfureux donnaient au lac des aspects diaboliques.
A midi, en partant, nous avions été voir la villa Carlotta, en face de Bellagio, à Cadenabbia
où se trouve le fameux groupe Amour & Psychè de Canova: c'est très délicieusement érotique
mais que le marbre est lourd pour rendre les cheveux, les draps retombant ou la souplesse des
chairs plongées!
......
1
2
In brief 154bis vraagt Dwelshauvers aan Vermeylen om ofwel postliggend te schrijven, ofwel via Koettlitz
of De Raet een brief te bezorgen.
Lodewijk de Raet en Hermann Koettlitz.
1
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
2
La traversée de Bellagio à Cadenabbia nous l'avons faite en barquette sous la pluie & la
tempête: elle m'a laissé comme souvenir un grand mal d'estomac, un commencement de mal
de mer: depuis ce jour il me semble à tout moment que les choses autour de moi ne sont plus
bien d'aplomb!
Hier-dimanche-matin Köttlitz & De Raet sont enfin arrivés à Bellagio ..... Je me suis plaint
une ou deux fois d'Alfred, mais que je m'en repens! A côté de cette calamité-ci, ce n'était rien
ce que j'ai souffert. Depuis qu'ils sont arrivés nous voyageons en "étudiants" ..... je te laisse
réfléchir à tout ce que ce terme renferme de bêtise profonde & irrémédiable.
Tout le long de la route on gueule des chansons... und was für Welche!!! .... "Il était un petit
navire", le chant des étudiants de ce suave revuiste de Garnir;3 les plus ignoblement sales des
chansons de médecine. On ne fait que parler de femmes, de baisage, etc avec ce cynisme naïf
& stupide que tu connais. C'est bon qu'on a le désir des voluptés toujours profondément ancré
dans sa chair, sans quoi ce serait à en rester chaste ad vitam aeternam. — J'oublie d'ajouter
— comble de misères! — les calembours dont ce petit crétin de Köttlitz accouche toutes les
cinq minutes. Et après cela tous ces gens se mettent à agiter, les grandes questions politiques
& sociales, à parler des devoirs de l'homme, des lois de la procréation .... ils ont même été sur
le point de parler de l'immortalité de l'âme!!! ... Nom de Dieu, ces gens-là ne sentent-ils pas la
merde qui leur emplit la gueule?.. Je deviens formidablement orgueilleux, mon cher ami, & je
me sens si supérieur à ces êtres nauséeux que je me console presque d'être en leur compagnie.
Et dire que ces conversations, que les calembours, que les crapuloseries osent se produire
ici, au milieu de cette merveilleuse, de cette exceptionelle nature des lacs italiens .... Car j'en
viens à la partie la plus admirable de mon voyage.
La journée d'hier n'a pas encore été exceptionnellement intéressante: nous sommes allés de
Bellagio à Menaggio en bateau, de là à Porlezza en chemin de fer, puis à Lugano en bateau
j'ai vu là des fresques de Luini qui ne m'ont pas enchanté). De Lugano nous avons été à pied à
Ponte-Tresa & Luino (22 km) où nous sommes arrivés à 7 heures du soir. Ce matin le temps
s'est enfin décidé à nous être clément; après avoir expédié vers Bologne nos bagages restés
en douane à Luino nous avons pris le bateau. La journée était superbe & j'ai décidément pu
me convaincre que le "ciel d'Italie" n'est pas une simple blague romantique, un poncif mil huit
cent trente-six! Non! il existe bien réel, surnaturellement lumineux, bleu profond passant à
l'horizon à un bleu vert très caractérisé. Les nuages y sont tels que les îlots, solides, compacts:
on les voit vaguer nettement, on voit qu'ils ne sont pas appliqués sur la voûte d'azur, que
derrière eux il y a de l'espace encore, imprégné de lumière. Les montagnes peu élevées qui
entourent le lac sont veloutées, il flotte autour d'elles une prestigieuse buée de clarté qui
adoucit les ombres, amollit les lignes. Parmi les verdures les villages apparaissent d'un blanc
éclatant avec leurs maisons étagées. Mais le plus merveilleux c'est le lac même, le lac aux
surfaces miroitantes qui semble émaner de la clarté tant les choses se reflètent claires en lui,
......
3
Georges Garnier schreef succesrijke revues vol satire op de toenmalige actualiteiten.
2
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
3
tant les blancheurs des nuages, les blancheurs des maisons sont plus intensément blanches
dans ses profondeurs.
Ce jeu des reflets, ce trépidement des eaux où le soleil éclate en petites bombes éblouissantes,
on demeurerait infiniment à le contempler. Je crois que nulle part mes yeux n'ont vu un si
sensuel plaisir ...... Et quand ils n'auraient pas assez de toute leur attention pour admirer ces
merveilles, ces animaux qui me servent de compagnons chantent pour épater les passagers,
font de l'oeil aux moindres laidrons de femme qu'ils aperçoivent, essayent des jeux de mots,
se font remarquer ... — Pardon d'en revenir là, mais ce que j'enrage est inimaginable quand
je songe que ce n'est pas avec toi que je puis faire ce voyage & qu'à chaque instant il me
faut sortir de mes contemplations pour répondre à leurs lazzis & faire moi-même parfois des
calembours, horreur!
Enfin nous avons atteint ce golfe du lac Majeur où sont les îles Borromées & ici le spectacle
était tel que "la bêtise même des étudiants rêvait" ( je parodie une phrase des Goncourt que
tu sais!). Ici le lac est d'un calme entier, à peine gaufré par le vent: sa surface est miroitante
& métallique: jusqu'à l'horizon c'est un vaste bain de lumière. Au centre l'isola Madre se
détache en vert sombre: à droite nous voyons l'Isola dei Pescatori & l'isola bella. Je renonce
absolument à te décrire l'impression d'enchantement, de séduction, d'enveloppement,
de volupté de ces paysages. Cela est unique, rien n'y équivaut & je ne sais rien qui soit
comparable. Nous arrivons à 2 /2 h à l'Isola bella qui est occupée en très grande partie par le
château des comtes Borromée & son parc. Le reste sont quelques maisons parmi lesquelles
l'hôtel où nous logeons. Nous dînons à l'air sous un toit de vignes d'où pendent de bleues
grappes de raisins, au milieu poussent de fins bambous noirs. A peine sommes-nous installés
que viennent deux guitaristes qui jouent des mélodies italiennes en accentuant & scandant
la mesure — comme nos tziganes. Des Italiens — à demi pleins — assis à une table, se
mettant alors à chanter avec de fort belles voix, ma foi, accompagnés par les guitares...
Sous les arbres du bord nous voyons les eaux à peine frémissantes du lac, le bord d'une
montagne, voilée de lumière bleuâtre; des barques passent de temps en temps, glissent sur
les eaux, laissant derrière elles un village de soleil... Et ce chant, cette langue harmonieuse
où les voyelles ont des sonorités chaudes sont si bien en accord avec la nature ambiante que
l'un semble le complément nécessaire de l'autre: le chant semble l'expression, la voix des
choses; & ce chant est empreint d'une telle nostalgie, plongé si avant dans l'infini, pénètre
tant d'âme qu'on se sent involontairement prêt à pleurer de je ne sais quelle désespérance
inconnue, du trop d'amour peut-être & de l'incapacité de comprendre de pareilles sensations.
Mais l'enchantement continue. Nous visitons le château, une magnificence du XVIIième
siècle, un joyau, tout incrusté de pierres rares, tout mosaïqué. Mais le jardin fait de terrasses
superposées la la dernière baigne dans l'eau ses murs & ses grands escaliers de pierre est
surtout un émerveillement; les palmiers, les cèdres aux branches torses, d'immenses agaves,
d'épaisses touffes de bambous, des magnolias aux feuilles métalliques, des eucalyptus
argentés, des bouquets de lauriers-roses y poussent librement, en plein air. L'herbe est une
herbe japonaise drue, d'un vert foncé métallique. Des espaliers de citronniers aux feuilles
aromatiques tapissent les murs; d'étranges lierres se balancent sous des arcades. C'est toute
3
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
4
une végétation tropicale accumulée sur le coin de terre restreint enveloppé d'eaux. A mesure
que le soir vient les nuances se font plus fines; les tons s'harmonisent, se fondent davantage.
Il est 5 1/2 h.: nous prenons une barque & voguons jusqu'à la tombée de la nuit autour de
l'isola Bella & de l'isola dei Pescatori; ce doux bercement de la barque au rez des flots est
délicieux au milieu de ce paysage qui s'éteint lentement: la nuit est très pure: la lune très claire
se casse en taches jaunes sur les rides de l'eau. Vers 8 heures là-bas Stresa en fête s'illumine &
le reflet des fusées, des maisons dessinées par des lanternes se répète tremblant dans le lac.
Ici comme contraste je dois placer cette petite scène étudiantesque qui remue toute l'Isola
bella: excité par de trop fortes libations de chianti nous débobinons notre plus beau répertoire
de chansons; puis après avoir chanté on gueule; après avoir gueulé Köttlitz & Walravens
jouent à saute-mouton sur la rive, puis on rentre en sarabande à l'hôtel, on exécute un cancan
monstre à la grande joie des garçons qui commencent à nous traiter en égaux. Les trois ou
quatre exemplaires du sexe feminin qu'on peut trouver à l'isola bella se réunissent; on déterre
une horrible boîte à musique de quelque fond secret & voilà un bal improvisé; heureusement
je ne sais pas danser & ne le puis pas, ce qu'est une garantie à cause du vertige que me
donnent les mouvements giratoires. Je reste donc un peu à l'écart & peux contempler à mon
aise la sarabande effrénée de mes trois compagnons qui tourbillonnent avec leurs danseuses,
tourbillonnent toujours plus vite, deviennent littéralement épileptiques, sautent sur des
chaises, sur des tonneaux, se flanquent par terre au grand plaisir de la galerie & des bons
italiens qui se foutent d'eux. Enfin, quand ils sont sérieusement fourbus ils s'arrêtent épuisés,
haletants & vont philosophiquement se laver de pied en cap & nous exhiber leurs anatomies.
Puis ils vont se coucher, très satisfaits sans doute & convaincus qu'ils se sont bien amusés. Je
ne crois pas qu'Alfred en pense autant: il a l'air de fort mal dormir; celui-là je l'ai quelque peu
"gangrené".
— Ils sont couchés tous trois, je suis bien tranquille, je t'écris en toute liberté & m'imagine
quasi converser avec toi. La nuit est merveilleuse: la lune brille: elle est sereine & joue sur les
flots, suivant le cliché admis. Je m'interromps de temps à autre pour respirer l'air au balcon &
contempler les eaux sommeillantes. On entend encore les bruits de fête à Stresa: les musiques
jouant de joyeuses marches & les détonations intermittentes des fusées: il va être minuit.
Je n'ai pas envie de me coucher: c'est si bon d'avoir quelques heures où l'on puisse rêver
sans devoir subir les imbécillités de ses compagnons. Ces heures-là je les voudrais pouvoir
prolonger. Mais demain il faudra partir & voyager encore: nous serons à Milan. De là nous
irons voir la chartreuse de Pavie, enfin en route pour Bologne où nous arriverons la nuit du 6
au 7 à 2 heures du matin (!!!), une idée à Alfred.
Mon adresse exacte est Via Guerrazzi 20.4 Je compte y recevoir une lettre de toi, sitôt arrivé.
A propos du voyage en Suisse, la carte que je t'ai écrite de Monte Spluga n'était qu'une
plaisanterie sans conséquences.5 Je suis persuadé que c'est à ce cher Alfred que reviennent
......
4
5
Adres van het Collegio dei Fiamminghi. Zie brief 161, noot 5.
Brief 155bis.
4
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
5
toutes les fautes de notre itinéraire. Oh! sacredieu, non! je ne voyagerai plus de cette manièrelà.
Je lâcherai avec enthousiasme les longs chemins médiocres qui éreintent & je m'étendrai tout
à mon aise & des jours entiers aux endroits qui me plaisent pour bien digérer les paysages. —
Va, je déplore autant que toi d'être livré aux pharisiens! Enfin, je vais rejoindre au moins peu
quelques chers livres! la correspondance de Flaubert6 & les bons Huysmans7 & je tâcherai de
travailler à La Vie impossible, mais je doute que j'y parvienne au milieu des souffrances de
l'installation. Allons, donne-moi encore du courage par tes bonnes lettres, mon seul, mon vrai
ami. Dors bien & rêve du lac Majeur & de moi
Jacques
......
6
7
Gustave Flaubert, Correspondance (Paris, Bibliothèque Charpentier). Van de eerste uitgave waren in 1892
drie delen verschenen; een vierde verscheen in 1893.
Het is niet duidelijk welke werken van Huysmans worden bedoeld. Dwelshauvers had heel wat lectuur in
zijn reiskoffer meegenomen. Zie daarover brief 170bis.
5
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
i
Titel:
Zender:
Ontvanger:
Plaats:
Datum:
03.10.1892, Jacques Dwelshauvers aan August Vermeylen
Jacques Dwelshauvers
August Vermeylen
Type:
Brief, met omslag, Drie vellen gelijnd papier. , Het eerste
vel is doormidden gevouwen tot vier gelijke schrijfhelften.
Alle vier de helften zijn beschreven. De eerste schrijfhelft
bevat een briefhoofd van Hotel du Dauphin uit Isola Bella.
De tweede, derde en vierde helft zijn genummerd. De
middenste vouwlijn is vrijwel helemaal gescheurd, waardoor
(ook) dit eerste vel in twee delen dreigt uiteen te vallen. , De
andere twee vellen zijn precies half zo groot als het eerste.
Allebei de zijden van allebei deze vellen zijn beschreven
en genummerd. , De omslag bevat eveneens voorgedrukte
informatie van Hotel du Dauphin. , 210 267
Fysieke bijzonderheden:
Bewaarplaats:
Collectie:
Elektronische publicatie:
Editeur:
Algemene leiding:
1892-10-04
Letterenhuis, Antwerpen, België
M525, nummer 113688/7a-b-c-d
Centrum voor Teksteditie en Bronnenstudie / Centre for
Scholarly Editing and Document Studies Gent , © Copyright,
CTB
Bert Van Raemdonck
Prof. dr. Yves T'SjoenEm. prof. dr. Anne Marie Musschoot
i

Documents pareils