1 Habiter et construire en pays bushinengue : l

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1 Habiter et construire en pays bushinengue : l
Habiter et construire en pays bushinengue : l’architecture, l’une des clés de lecture des
mutations de la vie matérielle (XVIIIe – années 1990)1
Le thème traité ici s’inscrit dans l’évolution de la culture matérielle d’un des groupes
socioculturels de la Guyane française et du Surinam, les Bushinengue. Apparus à l’issue du
marronnage en Guyane hollandaise (Surinam) au XVIIIe siècle, les Marrons organisent leur
société et exploitent les ressources de l'espace dans lequel ils ont choisi de vivre. Dans les
colonies du Surinam et de la Guyane française, ils connaissent une histoire différente de celle
du monde des plantations, et fondent une identité collective aux facettes multiples, puisant
leurs ressources dans la manière d’être et dans le savoir-faire de chaque marron. Cette
manière d’être et ce savoir-faire sont étroitement imbriqués dans les pratiques culturelles
portées depuis l’Afrique, ou empruntées à la vie menée dans les plantations. S'ajoutent
également des éléments culturels venus des Amérindiens de la Guyane hollandaise et de la
Guyane française. Parmi les éléments constitutifs de leur identité, l’architecture est révélatrice
des changements qu’ont connus ces sociétés marronnes puis post-marronnes, entre la fin
XVIIIe et le début des années 1990.
L’étude relative au modèle architectural bushinengue, à son évolution et à la manière
dont les Bushinengue pensent l’organisation de l’espace villageois n’a pas fait l’objet de
travail approfondi. L’architecture est néanmoins présente dans les contributions des
chercheurs qui nous ont précédé, tels que Richard et Sally Price (anthropologues), ou encore
Jean Hurault (ingénieur-géographe) qui a décrit les techniques de construction des Boni, peu
différentes de ce que nous pouvons observer ailleurs, parmi les autres groupes bushinengue. A
ces auteurs, peuvent être ajoutés Anne Hublin2 (1987), Carole Aubert3, Jeanne Bianchi4,
Marie-Pascale Mallé5 et plus récemment Martina Amoksi6, Clémence Léobal7. Le modèle
architectural réalisé par les Marrons bushinengue et leurs descendants peut être interprété
comme un héritage direct de leurs ancêtres, ouest-africains8 et centre-africains, devenus
esclaves en Guyane hollandaise. Des données ethnographiques témoignent de cette origine,
tels la forme architecturale (document 1 f g) adoptée jadis (base rectangulaire, carrée,
circulaire ; forme conique de la toiture) et le savoir-faire technique. Par conséquent, l’origine
africaine reste indéniable, comme le remarquait à juste titre Gabriel Debien à propos des cases
d’esclaves de plantation (physionomie, plan des cases, silhouette). Mais il se pourrait que les
Marrons bushinengue aient aussi épousé le style architectural des Amérindiens (document 1 a,
5) avec lesquels ils ont été durablement en contact. Sous certains aspects, des similitudes
peuvent également être observées avec le modèle de construction coloniale dont les traces
existent encore dans le paysage urbain de Paramaribo. La recherche d’une origine purement
1
Version longue de l’article sur « Les Bushinengue du Surinam et de la Guyane française : le modèle architectural développé, une clé de
lecture de leur évolution », Emile Eadie (dir), L’esclavage de l’Africain en Amérique du 16e au 19e siècle- les héritages, Collection Etudes,
Presse Universitaire de Perpignan et Association Dodine, 2011, p. 191-194. Ce nouvel article publié sur le site du GRENAL, avec un titre
différent du premier, fait l’objet d’une étude plus approfondie de la question. N’étions pas en mesure de fournir le texte définitif après le
colloque, seule la version orale a été publiée.
2
Hublin Anne, « La prolétarisation de l’habitat des Marrons de Guyane, MELATT, Bureau de la recherche architecturale, Paris, Ecole
d’architecture de Paris-Villemin, 1987. Lire également son article sur « Marges urbaines et minorités ethniques. L’habitat marron de Guyane
française », in Cahier de la recherche architecturale, n° 27-28, 1992, p. 183-196.
3
Aubert Carole. « L’habitat des bushi-nenge du Maroni en Guyane française », in P. Erny, (dir), Cultures et habitat. Douze contributions à
une ethnologie de la maison. Coll. Culture et Cosmologie. Langres, 2000, p. 42-60.
4
Bianchi Jeanne, Modes de vie traditionnels et modernisme dans l’habitat en Guyane, Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la
construction, Plan Urbanisme Construction Architecture Atelier de sociologie, Guyane, octobre 2002, 27 p.
5
Marie Pascale Mallet (Conservatrice en chef du patrimoine, Musée national des Arts et Traditions populaires-antenne de préfiguration du
Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, Marseille), « Les maisons des Noirs marrons de Guyane », In Situ n°5 - décembre
2004.
6
Amoksi Martina, De Marronvrouw in de stad, Een historische analyse van de gevolgen van de urbanisatie voor de Marronvrouwen in
Suriname, NINSEE REEKS, Amrit, Amsterdam, 2009.
7
Léobal Clémence, Saint-Laurent du Maroni. Une porte sur le fleuve, Editions Ibis Rouge, Matoury, 2013, p. 84-95, 109-144.
8
Zones particulièrement pourvoyeuses de la traite négrière transatlantique hollandaise (Côte au vent, Côte de l’Or, Côte des esclaves,
Loangos/Congo) : cf, Johannes Postma, « The Dutch Slave. A quantitative assessment », RFHOM, tome 62, n°226-227, 1975, p. 232-244 ;
Curtin Philip. D, The Atlantic slave Trade : A census, University of Wisconsin Press, Madison, Milwaukee, 1969, p. 123.
1
africaine dans ce domaine peut être nuancée compte tenu du fait que les sociétés bushinengue
sont nées de la rencontre entre l’Amérindien, l’Européen et l’Africain aux Amériques dans le
cadre de la colonisation, de l’esclavage puis du marronnage. D’ailleurs, le modèle
architectural bushinengue diffère peu de la case en bois que nous observons dans le monde
rural des régions tropicales, parfois urbain du littoral guyanais, caribéen (document 1 e h).
L’identité culturelle, artistique ou cultuelle des Marrons bushinengue, entre le XVIIIe et la
première moitié du XIXe siècles, oscillait en effet entre africanisation et américanisation.
Nous parlons, d’une part, d’africanisation chez les Marrons bushinengue dans la mesure où
ils ont reproduit, adapté, juxtaposé, transformé parfois réinterprété [voire reconstitué à travers
la mémoire collective, clanique, familiale des divers individus marrons et du savoir des wenti
(divinité) par l’intermédiaire des cultes de possession] la culture, les savoirs et les savoir-faire
de leurs Ancêtres du Centre et de l’Ouest africains. D’autre part, nous utilisons le terme
américanisation par rapport au contexte des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et non pas à celui
d’aujourd’hui, en raison de la domination de la puissance états-unienne qui pourrait fausser
notre analyse. En effet, au contact de la civilisation de leurs anciens maîtres de plantation et
au contact des Amérindiens, ces groupes en ont épousé les caractéristiques culturelles. Parmi
la population bushinengue du Maroni-Lawa, s’est opéré, entre la fin du XIXe et la première
moitié du XXe siècles, un processus de créolisation dû aux relations entretenues avec les
orpailleurs créoles du littoral guyanais, des Antilles française et anglaise. Enfin, depuis les
années 1960 et aux cours des années 1990, de nouveaux « ingrédients » sont entrés en ligne
de compte (scolarisation, politisation, urbanisation, christianisation, etc).
N’étant pas expert du domaine, notre étude s’inscrit dans une perspective historique,
anthropologique, voire sociologique et dans une analyse comparée des pratiques
architecturales des Bushinengue du Maroni-Lawa. Il s’agit, à travers des sources croisées et
souvent complémentaires, iconographies, documentaires, incluant notre enquête de terrain,
notre propre expérience en tant que descendant de Marron, incluant la mémoire des sabiman9
et des sabiuman bushinengue, les récits de voyage du XVIIIe et de la première moitié du XXe
siècles, d’étudier les mutations de l’architecture et de l’aménagement de l’espace des lieux de
vie des Bushinengue, comme stratégie d’appropriation de l’espace, entre le XVIIIe siècle
(époque du marronnage) jusqu’aux années 1990, années qui signent définitivement leur entrée
dans la société urbaine du littoral guyanais et surinamien. L’insertion progressive des
Bushinengue dans la société urbaine, qui commence dès la fin du XIXe siècle et s’accentue au
cours des années 1950 et 1960, traduit également une appropriation lente, mais progressive du
modèle architectural urbain (maison citadine). Conséquence de l’exode rural10, l’urbanité se
diffuse à l’intérieur de leur village et génère une nouvelle manière d’utiliser l’espace et de
nouveaux rapports sociaux. L’étude évoquera également la question liée à la représentation
dont fait l’objet la maison dite « traditionnelle »11 (fositen osu ou fookitaosu : maison des
temps passés ou maison aux ailes d’oiseau au repos) et celle dite « moderne » (bakaaosu,
bakaa conde sama osu, keyoluosu ou dooseï-sama osu)12 aux yeux des Bushinengue. Elle
s’intéressera à l’ensemble des sociétés bushinengue, plus particulièrement celles qui habitent
le long du fleuve Maroni-Lawa et du Tapanahony. Néanmoins, entreprendre une démarche
globalisante paraît très délicat, dans la mesure où les groupes n’évoluent pas au même rythme.
La situation socio-économique d’un Bushinengue et la distance géographique entre son
village et la ville peuvent représenter des facteurs explicatifs. Le cadrage chronologique varie
également puisqu’il n’y a pas de décalque temporel exact d’un groupe à l’autre. Ainsi, nous
avons préféré, à partir de l’exemple des Boni, élargir le sujet aux autres groupes. Après avoir
9
Terme évoquant celui ou celle qui a le savoir et le savoir-faire. Il désigne la personne qui maîtrise la connaissance.
Lire, Frédéric Piantoni, « Les recompositions territoriales dans le Maroni : relation mobilité-environnement », Revue Européenne des
Migrations Internationales, vol. 18 n°2, 2002.
11
Ce terme est à utiliser avec précaution puisqu’une tradition peut être « fabriquée », « inventée » ou « reconstruite ». Lire Eric Hobsbawm
& T. Ranger, The Invention of Tradition, Cambridge, 1983 (traduction française: L'invention de la tradition, trad. par Christine Vivier,
Éditions Amsterdam, 2006).
12
Termes signifiant : maison des Blancs ou maison du pays des Blancs, des Créoles autrement dit, la maison des gens du dehors, c’est-à-dire
des étrangers.
10
2
enquêté auprès d’eux et lu des travaux les concernant, nous constatons en effet que
l’évolution de leur bâti est similaire à celle qu’ont connue les Boni. Plusieurs échelles
d’analyse sont possibles puisque certains groupes semblent plus avancés dans la modification
de l’habitat et dans l’appropriation du modèle architectural urbain que d’autres. De même, à
l’intérieur de chaque groupe, certains clans enregistrent une avance par rapport à d’autres. Ce
processus s’opère également à l’intérieur des familles. Toutefois, dans tous les groupes, le
modèle du bâti suit sensiblement la même logique : partant de la maison intégralement
végétale habitée du XVIIIe à la fin du XIXe siècles, voire jusqu’à la fin de la première moitié
du XXe siècle, selon les groupes, les clans, les familles, les Bushinengue intègrent
progressivement le matériel de construction utilisé dans le monde colonial tout en conservant
l’ancienne architecture (1880-1950). Néanmoins, à partir des années 1950-1960 (selon les
groupes), ils importent de plus en plus le style architectural du monde urbain en adoptant deux
attitudes : soit en détruisant la maison « traditionnelle » pour construire à sa place la maison
citadine, soit en la laissant à l’abandon pour bâtir sur un autre site. De nos jours, le modèle
urbain est la norme architecturale qui s’impose, selon un processus irréversible, à l’instar de
ce que nous observons dans d’autres territoires. La question de la sauvegarde de la maison
« traditionnelle » se pose.
Mots-clés : architecture traditionnelle, architecture coloniale, maison, habitat, tchanga,
patrimoine bâti, Amérique tropicale, marron, bushinengue, Djuka, Boni, Pamaka, Saamaka,
exode rural, Maroni-Lawa, maison citadine, urbanisation, « quartiers-villages », intégration.
Le bâti bushinengue entre permanence et mutation (XVIIIe siècle et milieu du XXe) :
l’exemple des Boni du Maroni-Lawa
La maison intégralement végétale (XVIIIe-1880)
Jules Crevaux, de passage parmi les Boni, chez les Redimusu (Peïgudu-nengue), et les
Djuka en 1877, témoigne à propos de l’habitat boni ; une description d’ailleurs valable pour
l’ensemble des Bushinengue du Maroni-Lawa et du Tapanahony : « […] les Boni vivent
généralement sous des huttes carrées, [ajoutons aussi rectangulaires] recouvertes de feuilles
de palmier. Quelques-unes de ces habitations sont ouvertes à tous les vents
[langa/pikiosu/fayaosu/boliosu : première catégorie de maison]. La plupart sont fermées de
tous les côtés [gaaosu/chiibiosu/lontuosu : deuxième catégorie de maison], et l’on ne peut y
entrer que par un office étroit et très bas, qui est quelquefois muni d’une serrure en bois
[…] » (J. Crevaux : 1987, p. 75). Les deux catégories de maisons renvoient à des réalités
différentes en raison de leur contexte d’émergence et remplissent chacune une fonction
spécifique :
La première catégorie correspond à ce que les sabiman qualifient d’abri temporaire et
spontané, hérité de l’époque du marronnage (XVIIIe siècle- 1863) et recouvrant différents
aspects, transposé en une version améliorée dans le contexte de paix, dans les villages
sédentaires et permanents. A l’époque du marronnage, avant la signature du traité entre le
pouvoir colonial et les Djuka et les Saamaka, au cours des années 1760 par exemple et plus
tard chez les autres marrons, la structure de l’habitat qui prévalait répondait à une logique de
fuite et de guerre. Cet habitat13 avait une durée d’existence variable (une semaine, un mois,
voire davantage selon les circonstances), liée au contexte de la fuite et à la capacité de
résistance à l’esclavage et à la situation économique des marrons. Il arrivait qu’il ne dure
qu’une nuit pour être détruit le lendemain en raison de la proximité des troupes coloniales
mises à leur poursuite. Ce type d’habitation, dont l’équivalent serait la cabane au sens
13
L’iconographie, tirée des livres de J. Gabriel Stedman (Stedman : 1796, p. 336), de l’illustrateur et planteur belge, Theodore Bray (habitat
de trois nègres marrons au Surinam, 1850), de Frédéric Bouyer (F. Bouyer : 1867, p. 303), de Jules Brunetti (J. Brunetti : 1893), nous éclaire
sur ce type d’habitat.
3
occidental du terme, est réalisé à l’aide de branchages, de feuillage et de lianes, à l’image de
ce qu’on trouve chez les Pygmées encore de nos jours, et est désigné par des termes
génériques qui changent d’appellation selon le lieu où il a été construit : au village, dans un
espace agricole, ou en milieu forestier. Le tchanga épouse le modèle de construction d’un tipi
avec sa forme conique. Les Boni appellent également cet abri wayapoku tiki, pour faire
allusion à l’habitat des Amérindiens de l’Oyapock. Il s’élabore à l’aide de trois perches
formant un brêlage tripode au sommet et un triangle équilatéral au sol. D’autres perches sont
ensuite ajoutées pour permettre l’étalage des feuilles de palmier. Le latioko14 (déformation du
mot créole latche hocco signifiant la queue du hocco), appelé aussi paawichi tee en
nenguetongo (langue des Bushinengue), est un style d’habitat dont l’ossature du toit emprunte
la forme de la queue du hocco (oiseau de la famille des cracidés), c’est-à-dire un triangle
isocèle. Il se conçoit de deux manières : soit par l’installation de trois fourches disposées en
triangle isocèle pour soutenir l’ossature ; soit par la présence de deux à trois perches fichées
au sol, jointes au sommet à une fourche centrale ou à un tronc d’arbre axé verticalement.
L’habitat rudimentaire pouvait également se construire au pied d’un arbre imposant pourvu de
grandes racines et de contreforts faisant office de cloisons (gaan udu fu olo), mais aussi en
hauteur, autour d’un tronc d’arbre (baakoto : de l’anglais bracket). Le baakoto, qui désigne
également un grenier (sous la forme d’une étagère aménagée), permettait d’atteindre la partie
mince du tronc situé dans l’abattis et facilitait ainsi son abattage. Il pouvait servir de couchage
lorsque l’abatteur était fatigué ; lorsqu’un chasseur perdu n’avait pas suffisamment de temps
pour regagner le village à la tombée de la nuit ou lorsqu’il guettait un animal nocturne après
lui avoir tendu un piège (seti baakoto).
Il existe d’autres formes d’abris sommaires, à toiture plate (paatadaki : du néerlandais,
plat dak), à toiture légèrement arrondie (lontudaki : du néerlandais, afgeronde dak), à toiture
en tonneau (botoosu) et à toiture en bâtière à forte ou faible pente (masanga ou langa). On
rencontre les deux premiers dans les abattis, dans la brousse ou au bord du débarcadère d’un
village lors de la construction d’un canot. La charpente est soutenue par quatre fourches
(parfois davantage) fichées au sol de manière à former un carré ou un rectangle. Le troisième
(abri à toiture en tonneau) est construit sur un canot et sert de couverture (botoosu ou
pomacari). Son émergence coïncide avec l’époque du transport des orpailleurs et des
marchandises à destination des champs aurifères du haut Maroni entre 1880 et 1960 et avec
l’époque de l’acheminement des explorateurs en mission scientifique et ethnographique. Placé
au milieu du canot, à environ un mètre de la poupe devant le patoon (guide du canot), le
botoosu était réalisé à l’aide de branchages et recouvert de feuilles de waï tressées. Sa
fonction était multiple : lieu où s’asseyaient les orpailleurs et les administrateurs en mission
durant la navigation, pour se protéger des intempéries ; espace de couchage et de cuisine,
lorsque les canotiers n’avaient pas suffisamment de temps pour construire un carbet sur la
berge ; lieu qui servait également de dépôt d’objets précieux.
Le quatrième, le masanga15 (carbet), appelé aussi gooosu (cabane de l’abattis), est
l’abri le plus élaboré parmi les habitations élémentaires évoquées. Il est situé généralement
dans les lieux de culture, en zone forestière, lorsque les bushiman (chasseurs) partent à la
chasse ou à la pêche durant plusieurs jours, dans le contexte de fêtes funéraires. Le masanga
était aussi l’abri que les guides bushinengue, au service des explorateurs, réalisaient lors des
missions ethnographiques, scientifiques, géologiques entre 1880 et 1950. Aujourd’hui, il est
l’habitat par excellence, des orpailleurs des zones isolées de la Guyane et du Surinam. Cet
abri, est identique à celui que l’on rencontre dans l’espace villageois, à proximité de la maison
principale (gaaosu, chiibiosu, lontuosu)16 ou en bordure du fleuve, non loin du débarcadère.
Au village, il permet d’héberger les personnes de passage et remplit une pluralité de
14
Ce terme peut être utilisé aussi pour parler au sujet d’une belle maison. Son emploi, par le propriétaire, est certes une marque d’humilité,
mais il s’agit d’un moyen aussi de mettre à distance le mauvais œil éventuel des villageois qui le complimentent.
15
Ce mot signifie cabane en ki-kongo.
16
Traduction littérale : grande maison/maison pour dormir/maison fermée.
4
fonctions. Contrairement au masanga, situé en zone agricole, qui disparaît une fois la récolte
terminée, le langa (hangar) désigne l’abri des zones de vie (village), plus durable. Il est le
nom générique employé pour désigner en général une habitation dont les quatre côtés restent
ouverts au vent. Il porte des dénominations différentes en fonction des activités spécifiques
qui s’y déroulent : keeosu (maison des pleurs) pour les rites funéraires ; lantiosu/kuutuosu
(maison des justiciers/maison des réunions/maison commune) pour rendre la justice ;
dansiosu/peeosu/dansi sali (salle de danse et de jeux) pour les activités de réjouissance et les
loisirs ; pikiosu (maisonnette)17, appelé aussi fayaosu (abri du feu) ou boliosu (maison de
cuisson) pour la cuisine, le grenier, le débarras (mortier, pilon, couleuvre, platine pour le
couac…), le lieu de préparation du manioc, la salle à manger, l’espace de rencontre et de
discussion entre résidents (condeeman) et visiteurs (conlibiman/wakaman), d’apprentissage et
de transmission des savoirs et des savoir-faire.
A l’exception du botoosu (abri du canot) qui émerge à partir des années 1880,
l’époque du loweten (marronnage) se caractérisait par l’existence de ces différents types
d’abris sommaires (tchanga, latioko, baakoto, masanga…). Ces constructions, qui ne
comportaient en général aucune fermeture latérale, frontale ou arrière, facilitaient la
circulation de l’air, mais aussi le va-et-vient des personnes. Toutefois, la sédentarisation, plus
ou moins durable, qui s’est produite à des époques différentes selon les groupes (traité de
paix, éloignement de la zone de vie par rapport à la plantation, abolition de l’esclavage), puis
définitive, a permis non seulement la stabilisation des villages, mais a également donné lieu à
de véritables constructions (gaaosu, chiibiosu, lontuosu) non dénuées d’ingéniosité de la part
des Marrons bushinengue et de leurs descendants.
La deuxième catégorie d’habitation dont parle Jules Crevaux est le lontuosu, que les
Bushinengue nomment également gaaosu (grande maison), chiibiosu (maison pour dormir).
Une demeure dont la réalisation n’a été possible qu’en situation de paix durable et de
permanence des villages. A l’époque du marronnage (au XVIIIe siècle et jusqu’en 1863), cette
maison était souvent constituée d’une seule pièce, modèle de base de la maison traditionnelle
bushinengue. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas eu de maisons à deux pièces,
voire davantage, construites durant cette période. Néanmoins, selon le récit des sabiman, la
pratique n’était pas courante. La chambre (document 2 c), quand elle existait, servait au
rangement d’objets précieux, de lieu de repos pour les parents, parfois de lieu d’hébergement
de l’autel de la divinité familiale. Cette divinité pouvait aussi avoir une demeure spécifique
appelée, kunuosu ou wentiosu. Le séjour attenant était un espace consacré à l’étalage des
ustensiles de cuisine, de manière à révéler la richesse matérielle d’une femme (document 2 c).
Il était utilisé aussi pour le rangement des beenki kuaka (barils de farine de manioc), des goô
(gourdes servant de récipients pour garder l’eau à boire ou conserver le riz). Ce séjour servait
également de dortoir quand la famille était nombreuse. D’après le témoignage des sabiman
d’aujourd’hui, les Anciens mangeaient dans le séjour seulement à de rares occasions (sortie
tardive des champs, forte pluie…). De manière générale, seul le père de famille jouissait de ce
privilège quand ses amis venaient partager le repas avec lui. De nos jours, dans les villages, le
salon des maisons citadines est devenu un espace de vie et d’échange (cf, chapitre III).
Lorsque le lontuosu était constitué deux pièces, il possédait trois portes fixées en
dessous des trois arbalétriers de la ferme. La porte d’entrée (fesiosu doo) était située au milieu
ou dans un coin du mur pignon (façade principale), en dessous du tympan ; une autre porte
(iniosu doo) accédait à la chambre18 des parents ; une dernière (bakaosu doo) se trouvait sur le
mur pignon arrière. Comme l’écrit Jules Crevaux, les portes étaient généralement étroites et
basses (en moyenne un mètre de hauteur sur soixante-dix centimètres de largeur)19. Leur
faible dimension s’expliquait par la structure très basse de la maison et nécessitait l’usage de
17
Le pikiosu, construit loin de la maison principale, remplit une autre fonction. Endroit généralement fermé, il sert d’abri à la divinité
chtonienne (gadu baakotoosu, nommée aussi mamagoosu ou goongaduosu) ou à la divinité protectrice du groupe (sweliosu).
18
Parfois, cette pièce est séparée du salon par un rideau.
19
L’apparence de la porte est en rapport avec la condition socio-économique des Bushinengue d’avant les années 1960. L’amélioration de
leur condition de vie aura un impact dans leur art de construire. Les portes seront alors plus grandes et plus larges.
5
peu de matériaux. A l’époque du marronnage, l’étroitesse des portes, de la porte d’entrée
notamment, constituait une arme de défense redoutable. Obligé de se baisser pour entrer, le
soldat des troupes coloniales ou l’individu malintentionné prenait le risque d’être frappé,
neutralisé et même de se faire tuer par l’occupant des lieux. La porte à glissière, fabriquée à
l’aide de tiges de bois et de feuilles de palmier, facilement démontable, comme l’était
également la serrure en bois, n’assurait pas une grande sécurité. En revanche, lorsqu’elle était
montée sur des gonds en bois (doo kaanpu), elle produisait tant de bruit lors de son ouverture
que l’intrus ne pouvait faire preuve d’aucune discrétion. La façade principale des maisons
était généralement orientée, soit vers le débarcadère ou la place centrale du village, soit vers le
carbet-cuisine (langa). L’adossement de la façade postérieure à la forêt donnait à la porte
arrière une fonction très importante à l’époque du marronnage : en cas d’attaque du village ou
du kampu (hameau) par les troupes coloniales, les marrons l’empruntaient pour s’enfuir. La
couverture de la toiture, des murs pignons et des gouttereaux du lontuosu se composait de
feuilles de palmier20 issues du maripa (maïpa), du tcheemaka/keemaka (astrocayum
paramaca), du bugu (astrocaryum sciophilum), de l’awara (astrocaryum vulgare) et du pinot
(apodo/pina), mais aussi de feuilles de waï tressées (tasi) provenant d’espèces comme le
geonoma oldemanii, le paalu (arbre voyageur) ou le tutu (bambou). Le feuillage de ces
palmiers a servi également d’élément d’identification des maisons, comme vont l’être, la
planche (paangaosu), le bardeau (baadoosu), la tôle ondulée (sinkiosu), le ciment (sitoosu ou
simaosu) au cours du XXe siècle. Citons : maïpaosu (maison couverte de feuilles de palmier
maripa), tasiosu (maison couverte de feuilles de waï), paaluosu (maison couverte de feuilles
de palmier voyageur), buguosu (maison couverte de feuilles de palmier astrocaryum
sciophilum), tutuosu (maison couverte de feuilles de bambou).
La base de ce lontuosu était généralement rectangulaire. Sur les quatre ou six piliers
reliés entre eux par des poutres, était posée une charpente dont la ferme en forme de lettre A,
tel un triangle isocèle (document 2 a b), supportait le poids de la toiture (daki), elle-même
composée de deux longs-pans21 symétriques à pente très forte qui descendaient jusqu’au sol.
Cette maison à toit en bâtière à forte pente est qualifiée par les Bushinengue, fookitaosu
(Alphonse Richenel : source orale). Elle est désignée ainsi en raison de sa similitude avec la
position des ailes d’un oiseau au repos. Un auvent est parfois ajouté à la façade principale
(fesi osu), au niveau du mur pignon, au-dessus de la porte d’entrée. La plupart des maisons
étaient autrefois sans fenêtre. Toutefois, la disposition des planches (baguette de bois) ou la
disposition de lucarnes sur le mur pignon permettaient d’éclaircir l’intérieur. Seule, la porte
d’entrée apportait la lumière nécessaire pour pouvoir nettoyer et ranger les affaires.
L’explication vient du fait que le lontuosu servait uniquement pour dormir, puisque les
activités quotidiennes se pratiquaient essentiellement à l’extérieur (ganda). Ces
caractéristiques constituent les singularités de la maison « traditionnelle » bushinengue
(document 1 b c d, 9, 10 b c d e) en Amérique tropicale. Notons toutefois que cette forme de
construction est encore visible en Afrique de l’Ouest, en zone forestière22, et centrale
(document 1 d e), dans l’espace caribéen23 (document 1 c f) durant l’époque esclavagiste et
coloniale24 et l’est encore de nos jours dans certaines zones rurales. Elle a aussi existé en
Europe. Citons, par exemple, la cabane de gardian, habitat de l’ouvrier agricole (document 1
i) en Camargue (France) au XIXe siècle et au début du XXe, dont la structure (toit en bâtière à
forte pente, façade principale sur mur pignon) et l’emploi de végétaux ne diffèrent pas du
modèle architectural bushinengue.
20
Lire Jean-Jacques de Granville, « Les palmiers de la Guyane française », ORSTOM, Revue Bois et Forêts des Tropiques, n°220, numéro
spécial Guyane, 1989, pp. 43-54, pour plus de renseignements.
21
Il existe aussi de lontuosu qui dispose d’un toit en bâtière avec un comble retroussé (yaki wata), mais aussi à un seul versant
(paatadakiosu : maison à toit plat) à forte pente. La différence du paatadaki de l’abri sommaire de celui du lontuosu est que ce dernier, plus
élaboré, est plus solide.
22
Lire, (Bjerhagen Torbjörn et Sävfors Ingemar : 1972).
23
Lire Jack Berthelot, « L'habitat rural : la case guadeloupéenne », Présence Africaine, 1982/1 N° 121-122, p. 54-58.
24
Citons, par exemple, les jardins de cases à Saint-Pierre en 1845 (gravure d’Alcide d’Orbigny, publiée en 1854) ou la cabane en Martinique
avant 1900.
6
Document 1, Style architectural amérindien (1743), boni (1886 et 1930), à Cuba dans la région de Vinalez
(2009), au Congo et à Costa Rica
Sources : (a), Pierre Barrère, Habitat amérindien, 1743), p. 141 ; (b), Maison boni, in Jules Brunetti, 1886 ; (c), Maison boni au début du XXe siècle aux murs gouttereaux en bambou, in
ADGuy : Fonds iconographiques, volume n° 1, 2, 3. ; (d), Maison boni, in R. Grébert, op.cit, 1936, p. 40 ; (e) cliché, Jean Moomou, Maison de séchage du tabac, Cuba, 15/08/09 ; (f),
Forme architecturale des maisons du village de Teke de Kinshasa vers 1912, et chez les Bakuba en 1907, in Starr Frederick, Congo natives - an ethnographic album, The Lakeside Press,
Chicago, 1912 ; (g), Maison au Congo, in F. Lamal, Basuku et Bayaka des districts Kwango et Kwilu au Congo, 1965 ; (h), Village indien Cabecar, in http://www.costarica-nature.org; (i),
Cabanes de gardian », carte postale ancienne, B. F., Chalons-sur-Saône, début XXe siècle, in http://commons.wikimedia.org (sous licence Public domain via Wikimedia Commons).
Les deux types de construction évoqués par Jules Crevaux n’ont pas disparu du
paysage villageois. Toutefois, le fookitaosu (maison à toit en bâtière à forte pente), en tant que
style architectural ancien du lontuosu, n’est pratiquement plus construit aujourd’hui dans les
villages bushinengue du Maroni-Lawa, à l’exception du langa. La plupart des lontuosu qui
ont été construits dans ce style, et qui sont présents encore de nos jours dans les villages,
datent d’avant les années 1970, parfois des années 1980. On peut toutefois les retrouver
encore dans les abattis (espaces agricoles) proches ou éloignés des villages, dans la plupart
des hameaux, aux abords des axes routiers (Cayenne-Saint-Laurent, Albina-Paramaribo), mais
aussi dans les villes du littoral guyanais ou surinamien. On les rencontrait par exemple, il y a
encore une quinzaine d’années au cœur du village saamaka de Kourou. Même s’ils sont
devenus rares, on peut les voir encore à Saint-Laurent du Maroni dans certains quartiersvillages bushinengue éloignés du centre-ville (document 16 c), avec une modification
apportée à la toiture, maintenant recouverte de tôles à la place des feuilles de waï.
Document 2, Ferme en forme de A (a/b), croquis de maison de type boni (c/d)
Source (a), Le reste de la forme d’une ferme (lettre A) de maison bushinengue (Redimusu-nengue/Peïgudu-nengue) en 1903, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap,
exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde) ; source (b), Le reste de la forme d’une ferme (lettre A), village wanfinga, Emmanuel Bendayo, 2010; source (c), Jean
Hurault, (boni) 1965, p. 69 ; Source (d), Christian Martin, Etude patrimoniale des habitations traditionnelles Boni, Villages de Boniville et Loka, commune de Papaïchton (Guyane),
Mission de janvier-février 2013
.
La maison incorporant le matériel de construction du monde colonial (1880-1950)
En 1946, R. de Lamberterie publiait un article dans la revue Société des Américanistes
consacré aux Boni. Il écrivait à propos de l’architecture : « […] une évolution a dû se
7
produire pendant les soixante ou quatre-vingt dernières années […] »25. Son constat nous
interpelle. Que s’est-il passé dans l’architecture boni ? Les changements concernent-ils le
choix des matériaux ou la conception même de la maison ? Le témoignage des sabiman, des
timbeeman (menuisiers-charpentiers-sculpteurs) et des bôman (bâtisseurs/architectes)
maintenant âgés, qu’ils soient boni, djuka, pamaka, ajouté à l’iconographie des récits de
voyage du XIXe et de la première moitié du XXe siècles, celle des missionnaires néerlandais,
installés dans leur espace de vie ou en visite lors d’enquêtes ethnographiques sur le terrain,
nous renseignent à propos de l’habitat bushinengue. Comme dans le timbe (art géométrique)
et la broderie, « […] chaque génération [écrit Richard Price] a introduit des innovations
techniques, des changements stylistiques […] des formes nouvelles » (Richard et Sally Price :
2003, p. 104). Alors qu’ils avaient vécu jusque-là dans des habitations aux faibles dimensions,
couvertes de feuilles de palmier, les Boni, les Pamaka et les Djuka transforment peu à peu la
structure de la maison traditionnelle qu’ils qualifient dorénavant de fookitaosu (maison à ailes
d’oiseau) ou de fositen osu (maison des temps passés), par opposition à la maison urbaine ;
une mutation architecturale intervenue lors de leur contact avec les chercheurs d’or créoles
vers la fin du XIXe siècle et rendue possible grâce à l’argent obtenu au cours de la première
moitié du XXe siècle du canotage, de la coupe du balata (1920-1925, 1960-1970) ou dans
diverses activités : scieur de long, layonneur, porteur de charges, guide des missions à
vocation ethnographique, scientifique, géostratégique, géologique.
Les premières maisons décrites (maisons entièrement végétales), généralement
exiguës, renvoient à la situation économique de l’époque qui précède le ma-udo-nengue ten
(époque des orpailleurs créoles) et le cula boto ten (époque du grand transport de
marchandises), c’est-à-dire avant les années 1880 selon les groupes. Ne disposant pas des
moyens suffisants en matière d’outillage pour leur permettre de construire de grandes maisons
aux parois latérales surélevées (heï bansa osu), les Boni, les Saamaka, les Djuka et les
Pamaka faisaient descendre la toiture jusqu’au sol (document 9, 10), de manière à protéger les
quelques planches des murs gouttereaux (bansaosu paanga). La panne faîtière élevée de ces
maisons favorisait un écoulement des eaux efficace dans un environnement pluvieux, humide,
ensoleillé et évitait le changement rapide des feuilles de waï ou du bois. On y appréciait
également le maintien d’une température idéale. Cette technique économique leur permettait
d’utiliser le moins de planches possible. Les murs gouttereaux étaient composés de deux ou
trois planches (parfois une seule), façonnées à l’aide d’une hache et d’un sabre. La hache étant
un outil encore très rare avant 1880, ces planches pouvaient être utilisées alors qu’elles étaient
à peine travaillées. Les murs pignons et les portes étaient réalisés à partir de rondins de pinot
(apodo), de paasaa26, du kwali (bois wapa), de tige tutu (bambou) ou fendus en deux pour les
transformer en lattes. Ces végétaux souples étaient plus faciles à travailler que certains arbres
de la forêt, comme l’acajou. Toutefois, des feuilles de palmier tressées ou de paalu pliées en
deux pouvaient être utilisées pour couvrir les parois latérales et les murs pignons. Jusqu’aux
années 1990, cette technique se pratiquait encore dans la plupart des villages bushinengue du
Surinam et du fleuve Maroni-Lawa.
La maison intégralement végétale découlait certes des conditions socio-économiques
des Bushinengue, de l’importante distance géographique qui les séparait du monde colonial
jadis, mais elle découlait aussi du milieu environnemental qui offrait gratuitement les
ressources naturelles en quantité, facilement exploitables, et ne nécessitant aucune
modification. La topographie, associée à la hauteur des moyens financiers de la personne,
influençaient également le bâti. Ainsi, dans la plupart des zones inondables du Maroni-Lawa
et du Tapanahony (villages insulaires ou en terre ferme), un certain nombre de Bushinengue
ont construit des sodo27 (maisons sur pilotis ou à deux niveaux) au style fookitaosu (document
25
R. de Lamberterie, « Notes sur les Boni de la Guyane française », Société des Américanistes, tome 35, 1943, p. 132.
« Palmier awara monpère ».
27
Déformation du terme néerlandais, zolder, signifiant grenier. Par analogie, les Bushinengue utilisent ce mot pour désigner à la fois la
maison sur pilotis et la maison à deux niveaux.
26
8
3 a c, 10 a). Nous retrouvons également des sodo dans la plupart des villages bushinengue,
sur les berges proches d’Albina ou de Saint-Laurent du Maroni (1950-1990), en remarquant
une nette influence du style architectural urbain (document 3 b d). Le style architectural des
annamites du village Chinois (Saint-Laurent du Maroni) a pu servir aussi de modèle aux
Bushinengue qui se sont s’installés en ville. En témoignent les documents iconographiques
des anciens résidents, de l’architecte Jean-Pierre Wieczorek (1984) et de l’ARUAG28, les
rapports sur les Villages insalubres à Saint-Laurent du Maroni (Hublin Anne, Bonnet
Philippe, Pojol Alain : 1981 ; Barnard Chatain et Léon Attila Cheyssial : 1981).
Document 3, Maisons sur pilotis à Assissi (boni), à Tabiki (djuka) et dans un quartier-village des berges de
Saint-Laurent du Maroni (années 1980)
Cliché (a/b), Jean Moomou, Assissi, 27/03/ 09 ; Cliché (c), Clémence Léobal, Tabiki, (pays djuka), 20/02/10 ; source (d), Quartier-village, des berges de Saint-Laurent du Maroni, in SaintLaurent du Maroni, in Barnard Chatain et Léon Attila Cheyssial, Villages insalubres à Saint-Laurent du Maroni, 1981.
L’argent gagné dans l’activité du canotage, de la coupe de balata, du commerce
(kolupote) a été investi en partie dans l’achat d’outils comme la scie, la cognée canadienne, le
sabre, le compas de menuisier, la hache, les clous, le marteau, la pioche, la pelle, l’herminette,
le ciseau à bois, le rabot et, plus tard, la tronçonneuse (fin des années 1960 en pays boni). La
tronçonneuse a facilité l’abattage d’arbres plus résistants. L’usage de ces outils modernes a
rendu possible le débitage de planches en grandes quantités, ce qui a favorisé l’augmentation
de la hauteur des parois latérales ainsi qu’une diminution de la longueur des pans à pente très
forte du toit de jadis, qui se rapprochait alors des toitures de style urbain. Chez les Boni, ce
type de maison connaît son âge d’or au moment de l’ouverture de la scierie de la commune de
Papaïchton, au cours des années 1970.
Le changement dans l’habitat des Bushinengue du Maroni-Lawa et du Surinam, en
général, s’est d’abord opéré à l’extérieur des maisons. Elles sont plus longues, plus larges et
plus spacieuses. Pour remplacer les toits en bâtière à très forte pente, les Bushinengue
adoptent progressivement des toits en bâtière à faible pente (faible inclinaison des pans,
élévation des murs gouttereaux, rétrécissement de la toiture, entrée placée du côté des murs
gouttereaux, mise en place de fenêtre). De plus, l’utilisation de nouveaux matériaux (tôle
ondulée) ne nécessitait pas de prévoir des toitures à forte pente. L’arrivée des clous (fin XIXe
siècle), qui marque progressivement la fin de l’utilisation de la technique du pen29 et de
lianes, a permis de construire des maisons solides et plus durables, aux planches plus
nombreuses, aux arbalétriers et aux chevrons mieux fixés. Le système de revêtement du sol a
connu aussi un changement. A la place des sols en terre battue (pampan doti), le linoléum
(kalipeti) a fait son apparition à partir des années 1960 et 1970, suivi du béton (chima) vers la
fin des années 1980 et le début des années 1990, puis du carrelage (cawo) au milieu des
années 1990.
Notons que l’intégration progressive des matériaux de construction modernes, entre
1880 et 1950, n’a pas modifié, dans un premier temps, la structure ancienne des maisons. En
effet, au cours de la période, on remarque, à travers les sources iconographiques (cartes
postales, photographies), à travers les données écrites et les sources orales, que la maison,
dans sa combinaison des techniques de construction traditionnelle avec les matériaux du
28
29
Agence Régionale de l’Urbanisme et de l’Aménagement de la Guyane.
Morceau de bois dur servant à fixer les planches ou les poutres.
9
monde colonial (document 9, 10), comme les bardeaux30 (baado), les gaulettes [(golote) vers
la fin des années 1880 et dont les techniques de fabrication ont été transmises par les
orpailleurs créoles (F. Germany , B. Midaye : source orale)] et la tôle ondulée [(sinki :
déformation du mot zinc) dont l’acquisition date des années 1950], reste identique à la maison
rectangulaire intégralement végétale à toit en bâtière à forte pente. Le bardeau et la tôle
ondulée, comme éléments de couverture du toit, n’ont fait que remplacer la feuille de waï
jadis. En témoigne encore de nos jours le paysage villageois, dont la plupart des plus
anciennes maisons ont été construites entre 1920 et 1950. Toutefois, durant les années 1950,
l’appropriation définitive du style architectural des orpailleurs créoles (heï bansa osu : maison
aux murs latéraux surélevés, à la toiture en bâtière à faible pente, à la porte élevée au niveau
des murs gouttereaux, équipée de fenêtres) et sa démocratisation progressive apportent un
changement majeur dans l’art et la manière de construire dans les sociétés bushinengue.
Architecture bushinengue : du style hybride (Afrique-Europe-Amérique) au modèle importé
Dans l’introduction de cet article nous évoquions l’idée que le modèle architectural
développé par les Bushinengue pouvait avoir un lien avec leur origine ouest-africaine ou
centre-africaine ; provenance que nous ne nions pas, dans la mesure où des réminiscences ont
pu réapparaître dans le contexte de la plantation esclavagiste du XVIIIe siècle puis, plus tard,
en fonction de l’ingéniosité du bâtisseur. Nous retrouvons ce style de maison entièrement
végétale dans l’Afrique forestière (document 1 f g) avec des façades couvertes de bois, de
feuilles de palmier, de tiges de bambou ou d’écorce ; avec une toiture en bâtière à très forte
pente couverte de feuilles de palmier, un sol en terre battue (pampa doti), une porte arrière31
réalisée dans le but de s’enfuir en cas d’attaque. La maison étant perçue comme un objet
vivant, des rites sont accomplis en vue de la protéger, elle et ses occupants, contre les forces
maléfiques, par la pose ou la suspension d’objets de protection à l’entrée ou dans un coin de la
maison). Ainsi, l’organisation du village bushinengue (espace profane, espace sacré, espaces
marginaux) et la physionomie de l’habitat rappellent, sous certains aspects, ce que l’on
retrouve à l’intérieur de certains villages, jadis et encore de nos jours, dans la région du
Congo32 (village de Teke de Kinshasa vers 1912 : document 1 f g) ou de l’Afrique centrale,
pour ne citer que ces deux exemples. Les marrons semblent néanmoins avoir incorporé le
modèle des planteurs de la Guyane hollandaise (XVIIe-XIXe siècles) et des Amérindiens
(kalin’na et arawak…) avec qui ils ont cohabité durant l’époque de l’esclavage et du
marronnage par la suite.
L’exemple du modèle architectural (document 5 et 1 a), comme la technique de
construction du carbet (langa), atteste de l’influence amérindienne dans l’art de construire des
Boni et des autres sociétés bushinengue. Jusqu’au début des années 1980, il existait, à
Boniville notamment, un tukusipan réalisé avec le concours des Amérindiens wayana. Ce
style de maison date du début du règne de gaanman Ochi (1891-1915), probablement vers la
fin des années 1890. Il a été introduit en pays boni par Awensaï (frère d’Ochi) qui a épousé
une amérindienne. Les Amérindiens wayana l’ont donc bâti pour le gaanman et pour
symboliser l’alliance entre les deux sociétés. Depuis, le tukusipan est devenu l’un des
emblèmes du pouvoir des gaanman boni. Celui de Boniville, qui servait de lieu où se
déroulaient les réunions coutumières, d’espace de rencontre et d’échange, s’est effondré en
30
Planchettes en bois dur. A titre d’exemple, une maison du village de Cottica durant les années 1930 était entièrement couverte en
bardeaux (cf, René Grébert : 1936, p. 36). De même, gaanman Difou possédait une maison à Boniville entièrement faite de bardeaux.
31
Par exemple, chez les Manjas, « des vieux (…) aménageaient secrètement une porte de sortie (…). Cette ouverture était dissimulée par la
paille de la couverture (…). En cas de guerre, d’attaque, cette sortie était utilisée pour faire évacuer la case à la femme et aux enfants,
pendant que l’indigène parlementait avec l’assaillant (…) il s’enfuyait ensuite lui-même, au dernier moment, par cette issue (…) » : A. M.
Vergiat, Mœurs et coutumes des Manjas, Editions L’Harmattan, Paris, 1981, p. 88.
32
Lire, (S. Frederick: 1912) et (S. Denyer: 1978).
10
raison du manque d’entretien. En revanche, le tukusipan construit à Papaïchton (résidence du
successeur de Difou, Tolinga Emmanuel) existe toujours.
Document 5, Le tukusipan de Boniville en 1903 et à Papaïchton au début des années 1970 en pays boni
Source (a), C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap, exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde ; source (b) Cliché, Jean Moomou, Papaïchton,
27/02/11
A l’influence amérindienne peut être ajoutée celle du modèle architectural colonial.
Les sources iconographiques (du XVIIIe jusqu’à la première moitié du XXe siècle) permettent
d’établir cette corrélation entre la structure de l’habitat des esclaves, l’organisation de l’espace
et l’art de construire des descendants de Marrons bushinengue (document 6). La connexion
s’explique en partie par le fait que dans les plantations, il y avait des « esclaves-charpentiers
pour construire des maisons » (J. G. Stedman : 1806, p. 372). Devenus marrons, ce savoirfaire a été réinvesti dans leur nouvel espace de vie. Ainsi, hormis les chevrons qui dépassent
la panne sablière (langa udu) en atteignant le sol et sur lesquels repose une toiture composée
de deux longs-pans à pente très forte, les éléments constitutifs de la charpente de la maison
bushinengue, notamment la ferme (poinçon, extrait simple, faux-entrait, entrait retroussé,
blochet, aisselier…), semblent s’inspirer du modèle de construction des planteurs du Surinam.
De même, la maison principale et ses dépendances, l’espace commun laissé libre en face des
maisons rappellent, d’une certaine manière, la distribution spatiale de l’habitat33 du monde de
la plantation (plan d’une plantation de café traditionnelle, Stedman : 1806, p. 366). La
structure de la case des esclaves est à mettre en parallèle avec ce qu’on observe dans d’autres
colonies esclavagistes34 des Amériques ou dans l’Océan Indien, sur l’île de la Réunion par
exemple. L’organisation spatiale du monde de la plantation esclavagiste a certainement
influencé la structuration des villages bushinengue ; toutefois, des approfondissements sont
encore nécessaires pour étayer la réflexion.
Document 6, Maisons d’esclaves dans les plantations du Surinam en 1708 (a), en 1820 (a) et en 1839 (c)
Source (a), Plantation Waterland (Surinam), réalisée en 1708 par Dirk Valkenburg, une maison d’esclaves (n°5 à droite), Rijksmuseum (Amsterdam), in https://apps.carleton.edu. Cf, également (Richard Price : 2013, p. 90);
Source (b) : Clazien Medendorp, Kijkkasten Uit Suriname De diorama’s van Gerrit Schouten35, KIT Publishers, Amsterdam, 2008, p. 82; Source (c), Jacques Benoist, op. cit., 1839.
Nous observons également cette influence coloniale dans le système métrique (mesure
de longueur, de poids, de capacité, mesure de surface, de volume), dans le lexique propre à
33
Lire, (Anne Hublin: 1988, p. 17-18).
Lire Dutertre, Histoire naturelle des Antilles habitées par les Français, (publié en 1667), rééd. Kolodziej, Fort-de-France, 1978, tome 2,
p.457. Lire également le Journal de Charles de l’Yver, Annales des Antilles, n° 26, 1983-1987, p. 66.
35
Gerrit Schouten (1779-1839) : artiste important de la Guyane hollandaise du xixe siècle. Il dépeint à travers ses tableaux la vie quotidienne
des esclaves, des Amérindiens, etc du Surinam au cours des années 1820.
34
11
l’architecture (document 7), dans la désignation des figures géométriques (rectangle,
triangle)36 que les Bushinengue utilisent pour décrire la composition de la charpente de leur
maison. Le vocabulaire employé, en dehors du terme masanga, n’est pas originaire de
l’Afrique de l’Ouest ni du Centre. Il semble tombé dans l’oubli au profit de notions véhiculées
par les anciens maîtres dans leur nouvel espace d’expérience, la plantation esclavagiste. Cette
appropriation du vocabulaire tiré de l’anglais, du néerlandais, voire du portugais ou de
l’espagnol, s’explique sans doute par le fait que les esclaves construisaient non seulement
leurs propres cases, mais ils participaient également à la construction de demeures, de hangars
destinés à leurs maîtres, dans les plantations du Surinam. Ainsi, l’origine anglaise se retrouve
dans le vocabulaire des mesures de longueur, de surface, de masse et de capacité. Même si les
appellations consacrées à chacune des catégories citées n’ont pas été conservées en totalité,
chacune est néanmoins représentée. Pour mesurer les longueurs, nous relevons les termes inch
(le pouce) et foot/feet (le pied/les pieds), le yard et le mile étant ignorés. Il est rare d’entendre
un Bushinengue parler de la longueur de son canot en mètres ; il dira plutôt que son canot est
long de tant de futu. Pour mesurer une superficie, seul le mot one square inch (wan skuensi) a
été gardé. Avec ces appellations interfèrent des termes provenant de la langue néerlandaise,
portugaise, espagnole. A titre d’exemple, le mètre carré, tiré du néerlandais vierkante meter,
se dit fiikanti meti. Il en est de même pour la longueur (langa : lengte en néerlandais ou length
en anglais), la largeur (baadi: du néerlandais, breedte), le volume (lun : déformation probable
du terme volume en néerlandais ou en anglais) et l’encoignure (uku: du néerlandais hoek) des
maisons.
Document 7, Tableau illustrant l’origine du lexique de l’architecture chez les Bushinengue du Maroni-Lawa
Lexique de l’architecture
Anglais
Néerlandais
Portugais
Espagnol
osu,
daki
noko-tiki
fense,
paanga/lati
kamba
postu (posu)
doo
langa
baliki
tchanga
Kopo
Baïkon
Taapu
house/home
deck
……
……
plank
chamber
post
door
hangar
…..
…..
….
….
….
huis
dak/dakstoel
nok
venster
raad
kamer
post
deur
hangar
dwarsbalk /dakbalk
……
kop
balkon
trappen
casa
casa
post
door
hangar
tenda
tienda
Traduction française et sens ou
l’entendent les Bushinengue
maison
charpente/toiture/ferme
panne faîtière
fenêtre
planche
chambre
poteau
porte
hangar
grosse solive/poutre/petite solive
tente de campagne
tympan
balcon
escalier
Ces exemples nous laissent penser que l’appropriation du vocabulaire lié à
l’architecture et aux figures géométriques, au système métrique ne date pas de la fin du XIXe
ni de la première moitié du XXe siècles. Son origine remonterait plutôt à l’époque où les
Ancêtres des Marrons bushinengue étaient en esclavage dans les plantations en Guyane
hollandaise ; période « creuset » dans laquelle ils puisent des éléments dont ils se resservent.
Notons cependant que ces lexiques ont été complétés par de nouvelles appropriations, en
raison de leur participation active dans la construction des édifices publics ou ecclésiastiques
au sein de leur espace de vie et de leur contact de plus en plus fréquent (exode rural) avec la
bourgade d’Albina et de Paramaribo, à partir des années 1960. Les Boni de la rive française
du Maroni-Lawa, notamment ceux qui ont travaillé dans le domaine du bâtiment (à
Maripasoula, Papaïchton, Saint-Laurent, Kourou et Cayenne) et les générations scolarisées
intègrent, depuis les années 1960 et 1970, le vocabulaire architectural, métrique d’origine
française : maison (meson), ferme (feem), mètre (meti), mètre carré (meti cawe), mètre cube
(meti kibi)…. A ces lexiques d’origine étrangère interfère aussi un vocabulaire ésotérique issu
du langage des divinités que les Bushinengue ont intégré dans leur propre discours. A titre
d’exemple, la maison peut être désignée, dani ou langasa, deux termes qui proviennent de la
divinité ampuku (divinité forestière).
36
Respectivement : letioku du néerlandais rechtoek ; diiuku du néerlandais driehoek.
12
La pratique architecturale bushinengue, née de la rencontre entre l’Africain,
l’Européen et l’Amérindien en Guyane hollandaise (1650-1863), cède progressivement sa
place à un modèle importé, qui rompt avec le fookitaosu. Au cours des années 195037 et au
début des années 1960 environ, des demeures bushinengue imitent de plus en plus l’apparence
des maisons construites par les populations créoles qui habitent le long de l’axe fluvial
Maroni-Lawa (villages de Gransanti, d’Abounami, de Wacapou, de Benzdorp, de
Maripasoula, de Dorlin, de Palôfini, d’Etats-Unis38, de Grigel, d’Antouca,…) et par les
populations de la côte, particulièrement au Surinam (Albina et Paramaribo). En visite à
Paramaribo, des Bushinengue qui logeaient dans des maisons créoles se sont inspirés du
modèle architectural39 pour le transposer dans leur village. Ainsi, en observant les maisons du
quartier Frimangron40 de Paramaribo (1950-1980), ou encore récemment des vieux quartiers
de cette ville, on note des similitudes avec la nouvelle manière de construire des Bushinengue
des années 1950 et 1970. Chez les Boni41, des maisons de style urbain émergent alors dans la
plupart des villages (Cottica, Enfant-Perdu, Boniville, Loka, Assissi, ancien Papaïchton et
Comantibo). Le domicile du gaanman Difou (1937-1965), construit au début des années
194042 selon le modèle créole, était entièrement réalisé en bardeaux43. Citons également la
construction de type créole de Finkual Zouti à Boniville (section mindi conde), au début des
années 1950, de ses deux épouses (ma-odido, entre 1966 et 1967, à la section ede-conde de
Boniville : document 8 d, et ma-Abuyu, à Assissi-ede-conde, en 1976). Evoquons enfin les
maisons à deux niveaux du timbeeman Aténi à Loka (années 1950), de papa Aalo, de papa
Nguté (années 1950), de papa Afanichi (années 1960) à Cottica, du kapitein Komisè44
(Charles Tafanier) et de gaanman Tolinga dans l’ancien Papaïchton (1930-1970) et dans le
bourg de Papaïchton-Pompidou au cours des années 1970.
La maison créole, appelée bakaaosu (maison des Blancs) ou keyoluosu (maison
créole), perçue comme moderne, influence lentement mais progressivement l’art et la manière
de construire des populations bushinengue. Sur le Maroni-Lawa, les Boni, les Djuka et les
Pamaka ont longuement et assidûment participé à la construction des maisons des orpailleurs
créoles, au centre minier surinamien de Benzdorp qui appartenait à la Compagnie des Mines
d’or du Maroni (Lawa), puis ont activement travaillé dans les chantiers de construction
(écoles, internats, dispensaires) mis en place par les missionnaires (document 4) et par
l’Administration hollandaise à Langatabiki, à Nasso (Pamaka), à Masseï-Lanti (île hollandaise
située en aval de Gransanti, peuplée de Djuka), à Cottica (dans le haut Maroni chez les Boni)
sans oublier les constructions entreprises par la France en 1946, au niveau du poste de
Maripasoula. Ces facteurs ont fortement influencé les Bushinengue du Maroni-Lawa dans
l’élaboration de demeures aux formes analogues à celles du littoral urbain, considérées
comme un signe de progrès. D’ailleurs, les phrases « mi abi bakaaosu ; mi bô wan
bakaaosu »45 sont une manière d’afficher la fierté et la satisfaction de soi. A ces facteurs,
peuvent s’ajouter d’autres sources d’inspiration : le contact de plus en plus soutenu avec la
bourgade d’Albina (fin XIXe et début XXe siècles), la fréquentation progressive de
Paramaribo (à partir des années 1930 et 1950) et l’exode rural vers cette ville (1950-1970).
Une autre pratique peut être relevée. Au cours des années 1960 et surtout durant les années
1970-1980, afin d’embellir leur maison, les Bushinengue aménageaient l’extérieur avec des
37
Citons un exemple dans le village d’Assisi (pays boni) en 1956 : cf, Bernard Quris, film Bivouacs en Guyane, 1956, cinémathèque de
Bretagne.
38
In Bernard Quris, op. cit.
39
Lire Klooster Olga van der & Bakker Michel, Architectuur en bouwcultuur in Suriname, KIT Publishers, Amsterdam, 2009.
40
Espace où vivaient les Chasseurs Noirs (Zwarte Jagers). Après l’abolition de l’esclavage (1863), des lopins de terre furent attribués aux
nouveaux libres.
41
Source orale : entretien, ma-Kulu, ma-Oyoo, Omissi Fossé, Patrick Santomé, ma-Betisi, Antoine Bayonne, 23/07/2014.
42
R. de Lamberterie parle de cette maison dans son article (R. de Lamberterie : 1943, p. 129).
43
Cette maison s’effondre vers la fin des années 1980, par manque d’entretien. Les bardeaux ont d’ailleurs servi à faire du feu pour cuisiner.
44
Cf, Dirou Daniel et Lamptey J., Ougouchi ou vers une renaissance de l'art boni (tembe) en Guyane –1/ 2 (Sur le chemin d’Antoine
Dinguyou), Wasaï Production, Maripasoula, juin 1992, mise en ligne 19 et 21 juillet 2011 (http//www.youtube.com)
45
Traduction littérale, « j’ai une maison de Blanc ; j’ai construit une maison de Blanc ».
13
plantes à fleurs46 (sandragon rouge, hibiscus…), à l’image des habitations créoles du MaroniLawa et de la ville. Chez les Boni, citons les maisons de la famille Amaïkon de Boniville
(ma-Maanu, ma-Fiifii, ma-Aleïna).
Document 4, Maisons (a) construites par les missionnaires protestants (E-BG S)47 à Cottica (pays boni) et par
les autorités surinamiennes (b) au village Nasso (pays pamaka) entre 1970 et 1980
Sources : (a) Village Cottica-Lape entre 1965-1969, dessin d’Antoine Bayonne, 28/08/14. Détail : 1-logement des enseignants (EBGS) -2 Internat de des garçons -3 école-Eglise (EBGS) – 4
cuisine centrale -5 logement du maître assistant (boni) ; direction vers le village Cottica ; direction vers le commerce de Galimot ; degrad (débarcadère), (b) Nouveaux logements des
enseignants et internats (filles et garçons) vers 1970 (cliché, Jean Moomou, Cottica et Nasso, 27/03/11); (c) Salle polyvalente du village de Nasso (pays pamaka), cliché, Jean Moomou,
Cottica et Nasso, 27/03/11.
Rappelons cependant que les Bushinengue du Maroni-Lawa, les Boni notamment, ont
adopté le modèle créole bien avant les années 1950, mais la pratique n’était pas répandue. Il
était un privilège de quelques hommes. Les documents révèlent les premières traces datées
des années 1880. Ainsi, le gaanman48 Anato49, le kapitein Apatou et Aponchy50 sont les
premiers, dans le monde boni, à construire une maison qui s’inspire du modèle architectural
du monde colonial : « […] la maison d’Apatou est une construction créole, tout en bois, avec
un plancher sur terre, et une véranda […]. Elle est couverte de bardeaux […] »51. La
maison52 de gaanman (chef suprême) Awensaï (1917-1937) à Boniville (pays boni),
construite au début des années 1920, épouse la forme architecturale des demeures créoles
(keyoluosu) du Lawa. Son habitation et celle d’Aponchy sont les deux premières maisons en
pays boni du Lawa à disposer d’une toiture en tôle ondulée, au cours des années 1920 et 1930.
Innovation architecturale et aménagement de l’espace : usages et représentations
Le modèle du bâti, témoin de la position sociale du propriétaire et signe de progrès
« Mi na koo ! mi nee tcha mi osu na mi baka » (je ne suis pas une tortue, je ne
transporte pas ma maison sur le dos) peuvent dire les sabiman ou sabiuman. Cette citation
rappelle l’importance pour l’homme bushinengue de posséder un toit, un foyer, un espace
privilégié dans son cadre de vie. Jusqu’aux environs des années 1970, avant de se mettre en
couple, l’homme bushinengue devait prouver sa capacité, non seulement à être un taanga
wookoman (bon travailleur), un chasseur ou un pêcheur pour nourrir sa famille, mais il devait
aussi être en mesure de construire une maison dans son village pour héberger sa future femme
et ses enfants. Il devait également en bâtir une dans le village de la mère de sa fiancée,
puisqu’en cas de décès, ni sa femme, ni ses enfants n’héritaient de sa maison ; elle revenait à
ses frères, ses sœurs, ses neveux et à ses nièces. L’objectif étant qu’en cas de séparation ou de
46
Ces fleurs, notamment le sandragon rouge, entrent dans la composition de certains bains rituels. D’autres entrent dans la composition des
bains de chance.
47
(Evangelische Broeder Gemeenschap Scool).
48
Chef suprême du groupe concentrant pouvoir temporal et spirituel. Le kapitein (capitaine) est un chef de village. Il est sous l’autorité du
gaanman.
49
Cf, Henri Coudreau, op.cit., p. 46.
50
« […] Le petit village boni de Ouécondo (pois sucré à l'ombre), aussi appelé Pomofou […] est […] fort joli, comptant dix cases habitées.
Bien construit, bien aéré, avec des maisons espacées, il respire la santé. Du plateau élevé sur lequel il a été édifié, on jouit d'une vue superbe
de l'Aoua qui coule à une dizaine de mètres en bas […]. L'une des cases de Pomofou [Puumofu], case appartenant au nommé Aponchi
[Aponchy], un des nombreux oncles d'Apatou, est la plus grande, la mieux bâtie, la mieux comprise des cases indigènes du Maroni des Noirs
réfugiés. Elle a un étage, et est entièrement construite en bois avec des galeries sur les deux côtés […] » : Henri Coudreau, op.cit., p. 50-51.
51
In Henri Coudreau, op. cit., p. 8.
52
Cette maison s’est effondrée en 2011.
14
décès de l’un des deux conjoints, les enfants puissent continuer à vivre sous un toit. Ainsi,
dans les villages bushinengue du Maroni-Lawa, de nombreuses maisons relèvent de cette
pratique.
Entre le loweten et les années 1880, l’acte de construire une maison ne nécessitait pas
de moyens financiers, puisqu’il dépendait essentiellement de l’énergie physique, de
l’ingéniosité des hommes bushinengue à exploiter les matières premières issues de leur
environnement proche, comme le bois, le feuillage et les lianes : « (…) Le latanier ou le
pineau leur fournissent tous les matériaux pour construire leurs maisons (…). Les lianes de
toutes sortes leur servent de cordes (…) » (John Gabriel Stedman : 1960, p. 215). Un
changement s’opère peu à peu à l’époque du transport de marchandises pratiqué à l’aide des
pali boto (canots à pagaie) et du takari53 (cula) ; changement qui coïncide avec la ruée vers
l’or de la fin du XIXe et du début du XXe siècle sur le fleuve Maroni-Lawa et ses affluents. En
effet, à partir de 1880, bâtir une demeure dépend de la capacité à acheter des produits
manufacturés (bardeaux, clous, scies, rabots, tôles ondulées, gonds et serrures en métal),
autrement dit de la capacité financière à intégrer les matériaux modernes dans le processus de
construction de l’habitat. Par conséquent, construire devient dispendieux, dès lors que l’on
construit avec le matériau du monde colonial et selon le modèle créole. En observant
l’apparence et la structure des maisons construites par les hommes considérés comme riches à
l’époque, le matériel utilisé, la situation socio-économique de leurs propriétaires décédés ou
encore en vie, le site sur lequel elles ont été bâties, nous constatons que la hauteur des parois
latérales de ces maisons, construites entre 1880 et les années 1970, est proportionnelle au
niveau de richesse des hommes qui les ont édifiées. Ces demeures, appelées bakaaosu,
contrastent avec celles de la majorité de Bushinengue qui avaient toujours recours à
l’architecture traditionnelle classique (fookitaosu) petite en général ; habitations qualifiées de
kaapanaosu54, de tchunguuosu (maison en forme conique), de kubuuosu (maison épousant la
forme d’une tortue, d’une boîte) par les propriétaires des maisons « modernes » plus
spacieuses, mieux aérées et mieux éclairées.
L’analyse des documents iconographiques et des données écrites, combinée à
l’enquête ethnographique que nous avons menée, nous permet de saisir les changements.
Citons la maison du kapitein Aponchy du village Puumofu en 1887, évoquée dans le
paragraphe précédent. Prenons également un exemple chez les Redimusu (Peïgudu-nengue), à
la confluence du Tapanahony et du Maroni-Lawa, en 1904 (document 8 b). La trace
matérielle, visible encore de nos jours, au sein des villages boni par exemple, révèle cette
différence entre les maisons qui épousent le style créole et les maisons dites traditionnelles.
On peut ainsi rencontrer des maisons à deux niveaux, s’élevant jusqu’à huit mètres de hauteur
environ ; des maisons entièrement réalisées à partir de matériaux extérieurs à l’environnement
(tôles ondulées et planches rabotées). L’aménagement révèle parfois deux à trois chambres à
coucher, des escaliers à l’intérieur comme à l’extérieur, un salon au rez-de-chaussée et un
débarras, des balconnets. L’entrée principale de la maison se situe sur l’un des murs
gouttereaux ; des fenêtres apparaissent alors pour donner plus de luminosité à la maison,
comme en témoignent les documents suivants.
Document 8, L’adoption d’une architecture moderne
53
Il s’agit d’une longue perche en bois, l’équivalent de la pigouille, utilisée pour propulser les barques dans le marais poitevin en France.
Le kaapanaosu signifie que la maison traditionnelle ressemble à un piège à oiseau. Elle ne peut faire l’objet d’extension qu’au niveau des
murs pignons.
54
15
Source (a), maison du kapitein Apatou en 1887, in Henri Coudreau, op.cit., p. 1 ; source (b), maison d’un redimusu-nengue en novembre 1904, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor
de wetenschap; exotische volken tussen 1860 en 1920 van Museum Volkenkunde ; Source (c/d), Jean Moomou, Loka (années 1950) et Boniville (1967-1968), 27/02/11.
Toutefois, entre 1880 et 1950, des Bushinengue pourtant modestes, du Maroni-Lawa
et du Surinam, commencent à utiliser la tôle ondulée pour réaliser la toiture de la maison
traditionnelle, induisant ainsi des conséquences. Elle permet, certes, une meilleure étanchéité,
mais elle est inadaptée au climat, dans la mesure où elle favorise l’augmentation de la
température dans la maison. Son emploi entraîne ainsi un recul progressif des constructions à
toiture en feuilles de waï dans le paysage (document 9 a, 10 b c).
Document 9, Maison du village boni (pays boni), Wanfinga (pays djuka), Kayana (pays saamaka, Kaïmanston
(pays kwinty)
Cliché, J. P. Menu, Maison couverte de feuilles de waï d’un village boni de Maripasoula (1967-1968) ; Cliché (b), Loka, Jean Moomou, avril 2012 ; cliché (c), Maisons du village
Wanfinga (la première maison a une double couverture : feuille de waï et la tôle ondulée), Emmanuel Bendayo, 2010 ; source (d/e), Une maison de Kaïmanston aux parois latérales,
frontales et arrières couvertes de feuilles de palmier, Dobros Anne-Laure (Professeur d’histoire/géographie, Kaïmanston (novembre 2009).
L’aspect esthétique, propre à l’art bushinengue, ne doit pas être négligé. Il peut être
considéré comme critère d’analyse et de distinction sociale chez les Bushinengue, dans la
période située entre 1880 et 1960. Sur la façade principale, le kopo (tympan) est parfois orné
de figures géométriques (timbe). Il peut être sculpté, gravé ou peint (document 9 a, 10 b c d
e). Il peut être également décoré d’un treillage de baguettes, faisant office de claustra, ou de
planches de couleur naturelle (document 10 c). Sont également peintes, la porte d’entrée,
montée dorénavant sur des gonds en métal (à partir de 1880) et équipée d’une serrure
métallique, ainsi que la porte intérieure qui donne accès à la chambre à coucher. La décoration
de ces portes, notamment de la porte intérieure, est très importante, car l’homme peut déclarer
son amour à sa femme à travers elle. Par le choix des motifs, il représente la vie qu’il désire
mener avec elle, lui promettant de lui offrir une famille nombreuse, de subvenir à ses besoins
et à ceux des enfants. Il lui promet également la prospérité, la protection et l’amour éternel,
illustré par le signe gueebi lobi (toi et moi, c’est jusqu’à ce que la mort nous sépare). A travers
les motifs, l’homme cherche aussi à affirmer son autorité au sein de sa famille. Il peut ainsi
menacer un homme qui tenterait de courtiser sa femme en représentant un kofu (poing fermé).
Toutefois, la pratique de l’ornementation, comme en témoignent l’aspect de la plupart des
maisons d’avant les années 1960, n’était pas l’apanage de tous les Bushinengue. Elle exigeait
non seulement des connaissances en matière d’art timbe, mais elle dépendait surtout des
moyens financiers qui ne permettaient pas forcément d’acquérir les outils appropriés pour la
pratiquer. Ainsi, nombreux étaient les hommes à préférer investir l’argent gagné de la vente
des produits agricoles, de la chasse, de la chasse aux orpailleurs, dans l’achat de produits du
monde colonial dont ils avaient besoin pour leur survie : sel, pétrole, hamac, fusil de chasse,
fils de pêche.
Document 10, Murs pignons sculptés, peints ou décorés à l’aide de planches naturelles
16
Source (a/b) village djuka du Tapanahony (vers 1900) et village Apatou en 1904, in C.H. de Goeje, Uit Gefotografeerd voor de wetenschap; exotische volken tussen 1860 en 1920 van
Museum Volkenkunde ; Cliché (c), Menu Jean-Paul, Une maison boni (1967-1968), Cliché (d), Jean Moomou, Boniville (pays boni, maison datant des années 1950), 26/03/10 ; Cliché (e),
Maison d’une famille djuka du village Tabiki (pays djuka), Clémence Léobal, 19/02/10.
Fondation de village, architecture et pouvoir
Les Boni et les Bushinengue en général n’ont laissé aucune trace écrite pour expliquer
les raisons qui les avaient poussés à fonder un conde (village) ou un kampu (hameau) et à
construire des maisons, selon le modèle colonial, entre les années 1880 et 1960. Néanmoins,
grâce aux souvenirs (anecdotes, chants, rires, solidarité collective55, mets consommés lors de
la fondation de village ou de construction, rituels pratiqués) qu’ils ont légués aux sabiman et
sabiuman de leur époque qui les ont transmis à leur tour à ceux d’aujourd’hui, et aux traces
matérielles qui occupent encore l’espace villageois, il nous a été possible non seulement de
saisir les représentations qui accompagnaient l’œuvre de ces hommes, mais également la
nature de l’exercice du pouvoir des gaanman.
La fondation d’un kampu, qui peut devenir un conde quand il s’agrandit, remonte à
l’époque du marronnage, à la fin du XVIIe siècle. Elle a découlé du désir de liberté,
d’autonomie à l’égard du pouvoir des maîtres dans les plantations. Une fois le groupe
constitué en société marronne, un chef de clan, qui peut être un tiyu (oncle) dans une lignée
maternelle, voire une femme, décide, en raison de malentendus persistants entre clans
(exemple papa Apatou qui quitte le pays Boni et crée son village dans le bas Maroni aux
débuts des années 1880 ou papa Aponchy qui abandonne progressivement son village
Puumofu pour fonder aux débuts des années 192056 Aponchydorp57), ou bien de querelles au
sein d’une même famille, ou encore de l’autorité d’un chef jugée contraignante, de s’isoler du
grand village pour fonder son propre kampu ou son propre village. Pour des raisons
religieuses (besoin d’espace de rituel d’un obiaman (tradipraticien) ou d’une obiauman) et
économiques, un kampu ou un village peut aussi être fondé. Ainsi, la plupart des kampu djuka
situés sur le fleuve Lawa, devenus des villages par la suite (Gransanti, Anaconde…), sont nés
au moment de la ruée58 vers l’or durant le dernier quart du XIXe siècle et au début du XXe. En
revanche, les kampu du bas Maroni ont émergé en même temps que le bagne de la
Forestière59, dans les années 1930. D’autres sont nés au moment de la guerre civile du
Surinam, entre 1986 et 1991. Les grands villages boni, comme Cottica, Enfant-Perdu,
Agoode, Loka, Assisi, ancien Papaïchton, Comontibo se sont dépeuplés quand les hommes et
les femmes sont partis fonder des kampu60 à proximité des centres aurifères du Lawa, en
amont et en aval de Maripasoula, entre 1940 et 1970. Le mouvement de retour dans ces
grands villages s’est effectué à partir de 1969 avec la création des communes de Maripasoula
et de Gransanti-Papaïchton-Apatou. Le repeuplement des paandasi61 (grands villages) aura
été néanmoins limité par le mouvement migratoire opéré vers les villes du littoral guyanais et
surinamien. Cette migration interpelait le préfet de la Guyane Paul Bouteiller (1967-1970) en
55
Il était rare de voir un homme construire seul sa maison. Il recevait de l’aide de la part de ses amis, des hommes et des femmes du village
qui faisaient le plus souvent à manger. On retrouvait aussi cette solidarité lors de la fabrication d’un canot, de la coupe d’un abattis, à
l’époque de l’usage de la hache.
56
Il s’agit d’une date approximative calculée à partir des données orales et cartographiques.
57
Il s’agit de l’ancien village Papaïchton. A ne pas confondre avec le Papaïchton actuel.
58
Lire Henri Coudreau, op.cit., p. 39-40.
59
Danielle Donet-Vincent, « Les « bagnes » des Indochinois en Guyane (1931-1963) », Criminocorpus [En ligne], Les bagnes coloniaux,
articles, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 10 août 2014.
60
Jean Moomou, Enquête ethnographique, Maroni-Lawa. Des données que confirment les travaux de l’ingénieur-géographe Jean Hurault (J.
Hurault : 1961, carte des villages et des kampu boni en 1958).
61
Ce terme fait référence à la plantation esclavagiste. Les Bushinengue l’ont repris pour désigner l’espace villageois.
17
1968 : « […] on constate que de plus en plus de Bonis abandonnent leurs villages pour se
rendre à Saint-Laurent, Kourou, Cayenne, Albina, Paramaribo. Dans moins de 5 ans, il ne
restera plus que les vieillards en pays boni. On peut se demander à quoi va servir
l’importante infrastructure qui doit être mise en place […] »62. La recherche de terrains
agricoles propices a constitué également un facteur déterminant dans la fondation d’un
village. Toutefois, la naissance d’un kampu n’a jamais signifié pour autant l’abandon définitif
du grand village. Ne disposant ni de keeosu, ni de faakatiki, les kampuman (habitants des
kampu) retournaient momentanément dans le grand village, pour un décès, une réunion ou sur
convocation du gaanman ou du kapitein.
Le fait de fonder un kampu ou un conde a contribué, d’une certaine manière, à
l’affirmation du pouvoir de leur fondateur. Prenons chez les Boni l’exemple du village de
Cottica, résidence depuis les années 1850 des gaanman boni, appartenant plus
particulièrement au clan des jacobi-nengue. En 1892, le nouveau chef Ochi a décidé
d’installer son pouvoir sur la rive française, à Agoode (Boniville). Ce village est alors devenu
la résidence des gaanman du clan des dikan-nengue, jusqu’à la mort de gaanman Difou en
1965. Son successeur, Emmanuel Tolinga, du clan des kawina-nengue a décidé à son tour de
fonder un nouveau village du nom de Papaïchton-Pompidou. Le fait de créer un village pour
héberger son pouvoir témoigne de la volonté d’un chef de laisser son nom dans l’histoire,
mais aussi de faire entrer son voluku (peuple) dans une ère nouvelle. La caractéristique
commune à ces gaanman est la volonté de marquer une rupture avec le clan dirigeant
précédent.
L’appropriation lente et progressive, entre 1880 et 1970, du style architectural du
monde urbain par les Bushinengue qui ont les moyens de se l’offrir ou par les chefs
coutumiers apporte également une nouvelle donne aux sociétés du Maroni-Lawa. Par
exemple, en pays boni, entre les règnes de gaanman Anato (1876) et Tolinga (1967), ce
nouveau style s’immisce dans les symboles du pouvoir des gaanman. Cependant, Emmanuel
Tolinga, entre 1967 et 1991, inaugure une conception revisitée du pouvoir, fondée sur une
nouvelle appréhension de l’espace et sur une mise en œuvre véritable de l’architecture
moderne. En effet, vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, Emmanuel
Tolinga (successeur de gaanman Difou) abandonne le village ancien-Papaïchton, créé par son
oncle (papa Aponchy au début des années 1920) en aval de Comontibo, et fonde le nouveau
village de Papaïchton-Pompidou, en amont de Comontibo, pour héberger le bourg de la
commune de Gransanti-Papaïchton-Apatou créée en 1969. Il reproduit le maillage routier
rencontré dans d’autres municipalités de la Guyane. Par la création d’axes parallèles et
perpendiculaires, Tolinga marque une rupture nette avec ses prédécesseurs (document 12).
Ordinairement, dans les villages boni ou bushinengue en général, le plan d’organisation de
l’espace peut paraître « anarchique » aux yeux de l’étranger (absence de rues, de clôtures,
agglutination de maisons). Toutefois, dans ce « désordre » apparaît une certaine logique
d’organisation et d’aménagement. Les villages, situés au bord des rives du fleuve MaroniLawa ou sur un îlet, suivent un plan d’organisation bien ordonnancé (document 11):
- Le mindi conde, le cœur du village, se divise en deux parties : le fesi conde (espace
situé à l’entrée du village) communique avec le baka conde (espace arrière du village allant
jusqu’à la lisière de la forêt) et le lanti lampe (débarcadère principal), par le biais d’un lanti
pasi (chemin principal). Ce chemin sert aussi de voie d’accès au bois sacré abritant le sweli,
dans un village chef-lieu, à Cottica, Boniville ou Papaïchton-Pompidou par exemple ; ou
abritant le tapu baka fu a conde (autel sacré servant de protection) dans un village ou un
hameau. Il ne faut pas confondre le lanti pasi avec le lampe (lieu important du village servant
de lavoir pour le linge et la vaisselle ; de ponton pour l’accostage des pirogues) ni avec le
yooka pasi (passage réservé au transport des morts) qui relie le keeosu (…) à son débarcadère
(yooka lampe/gaan lampe). Ce dégrad, destiné à l’embarquement des morts pour le
62
« M.D.L.C. Loisier, Synthèse de juillet 1970, SHD Gendarmerie 41 668 Brigade de Maripasoula 1970 » (Gérard Thabouillot : 2013, p.
360).
18
cimetière63, sert également de lieu de débarquement lorsqu’un individu décède hors de son
lieu de résidence habituel. Un autre chemin traverse entièrement le village, parallèlement au
fleuve. De ce sentier sinueux partent de multiples allées qui mènent aux différentes maisons
du village. Le mindi conde abrite habituellement la famille fondatrice du village, les familles
alliées par le mariage ; les enfants donnés (kia-pikin) aux pères par leur conjointes, comme
par exemple au début du XXe siècle, ma-Bonto (clan dju du village d’Assisi-mindi conde) et
ma-Poti (clan dikan du village Benanu en pays djuka), élevées par leur père gaanman Ochi
(1892-1915) à Boniville. Le mindi conde concentre également les éléments du pouvoir
politique (maison du gaanman ou de kapitein), judiciaire (lantiosu/kuutuosu) et religieux
(sweli, faakatiki, mamagoon, keeosu).
-S’agglomèrent ensuite, en amont (opu se conde ou ede se conde) et en aval (bilo se
conde) du mindi conde, les familles appartenant à d’autres fractions de clans ou à des clans
entiers. Ces familles peuvent disposer d’appontements secondaires, de lieux de culte (divinité
familiale, chtonienne). Elles doivent, néanmoins, utiliser le keeosu et le faakatiki de la famille
fondatrice du village. Notons que la présence de deux keeosu et de deux faakatiki dans un
même village peut s’expliquer, d’une part, par le fait que deux clans distincts se partagent le
lieu (Comantibo-nouveau Papaïchton en pays boni, Manlobi et Fandaaki, Saaye et Keementi
en pays djuka) ou, d’autre part, que deux clans ont pris possession du territoire en même
temps. Le village fondé porte le même nom. Elle relève aussi de la superficie et de la
démographie du village ou d’une autorisation de la famille à l’origine du village.
- A l’intérieur des différentes sections évoquées, délimitées au moyen d’un manguier,
d’un cocotier, d’un cajoutier, d’un palmier (awara, comu, maripas) ou éventuellement d’un
tapu wata64, des fragments de bee65 (familles) ou des bee entiers possèdent chacun leur propre
espace « privatif » (pisi/se pisi ou pisi olo) et construisent leurs maisons à la hauteur de leurs
moyens financiers. L’ouverture principale des maisons disposées en demi-cercles est orientée
en général vers le langa (carbet-cuisine collectif) ou bien vers l’espace commun (mindi
ganda), balayé quotidiennement par la femme, ou encore vers le keeosu et le faakatiki.
Parfois, les habitations sont orientées parallèlement au fleuve ou au lanti pasi. Les ouvertures
principales sont rarement tournées vers la forêt. Les fragments de bee disposent, à l’image de
la famille fondatrice, d’espaces marginaux (zones de dépotoir66, lieux d’aisance en bordure du
fleuve ou à la lisière de la forêt). En résumé, le plan d’un village illustrerait la position d’une
personne allongée sur le dos dont les pieds, orientés vers le fleuve (liba), correspondraient au
lanti pasi et au yooka pasi ; les bras prenant la direction en amont (opu se conde) et en aval
(bilo se conde) du village seraient le lanti pasi parallèle au fleuve. Les doigts des mains
représenteraient les différentes fractions de familles ou de clans. Son corps symboliserait le
mindi-conde, siège des éléments vitaux relatifs au bon fonctionnement du village (lieu du
pouvoir politique, judiciaire et religieux). Ses vaisseaux sanguins renverraient, quant à eux,
aux différentes voies de circulation au sein de l’espace villageois. Jusqu’à une époque récente,
tous les villages ou hameaux étaient généralement entourés d’un kifunga ou tifunga (mur de
protection contre les forces maléfiques) et disposaient à leur entrée d’un kondi (poteau sacré)
qui servait également à protéger la population.
Document 11, Plan type d’un village : l’exemple de Boniville (années 1950-1967)
63
Il est généralement situé loin de l’espace de vie des bushinengue, sauf à Langatabiki en pays pamaka où les Frères Moraves l’ont établi au
cœur du village.
64
Barrage servant à contenir l’eau pour éviter l’érosion du sol par le ruissèlement.
65
Le bee (ventre) regroupe les descendants d’une même aïeule.
66
Outre sa fonction pratique (on y jette les ordures ménagères), le dépotoir est aussi l’endroit où l’on vient se débarrasser de ses malheurs.
Lors d’un mauvais rêve, un individu va parfois laver son visage, par exemple dans le dépotoir pour se débarrasser de ce mauvais songe.
19
Source : Jean Hurault, op.cit, 1961, p. 45. (En couleur les différentes sections du village).
Dans ce plan d’organisation spatiale typique d’un village, le gaanman-maire
(Emmanuel Tolinga) a introduit un nouvel aménagement : « […] il nous disait [déclare
Omissi Fossé] : les maisons ne doivent plus être côte à côte, elles doivent être espacées les
unes des autres. De même que leurs façades principales doivent donner sur la rue, comme ce
que l’on observe en ville à Saint-Laurent, à Paramaribo […]. Le gaanman devenu maire
insistait beaucoup sur cet aspect-là […] »67. Le paysage du bourg de Papaïchton-Pompidou
illustre cette nouvelle structuration de l’espace qui épouse, à bien des égards, le plan
orthogonal à mailles carrées d’une ville du littoral guyanais ou surinamien. Ainsi, chaque
famille, appartenant au clan kawina ou à un des autres clans, habite dans une maille carrée.
Toutefois, à l’intérieur de celle-ci, l’absence de rues rappelle l’ancienne organisation
villageoise, la contiguïté de l’habitat mélangeant architecture ancienne et moderne. Sous le
règne de Tolinga, alors dépositaire des fonctions de gaanman et de maire, émerge le premier
village au style véritablement urbain de la société boni, voire bushinengue en général, et une
conception nouvelle dans la nature et dans l’exercice du pouvoir coutumier. La motivation du
gaanman s’explique en partie par la conjonction de plusieurs facteurs. Premièrement, sa
nomination en tant que gaanman était fortement contestée (1967), surtout par les jacobinengue du village de Cottica (sur la rive hollandaise du Maroni-Lawa), en lutte pour le titre
également. Deuxièmement, il s’agissait pour lui de contrebalancer le poids historique,
religieux, politique, économique et culturel dont jouissait Cottica68 (surtout la section Lape).
En effet, bien avant que Boniville ne devienne la capitale des villages boni (entre 1892 et
67
68
Omissi Fossé, entretien, Papaïchton, 16/09/07 et par téléphone, 14/10/07.
Il a été fondé vers 1815, puis abandonné et restauré entre les années 1840 et 1860.
20
1967) et ne prenne le nom de Papaïchton (en 1967), avant que ne soient fondés les autres
villages, Cottica était le village chef-lieu où habitaient tous les clans et les familles constitutifs
de la société boni, entre 1840 et 1860. Peuplé d’environ 15069 habitants en 1887, il était divisé
en six sections qui représentaient le territoire accordé à chacun des six clans (kawina, jacobi,
lape, dikan, dipelu et dju). Les querelles incessantes entre les familles, le désir d’autonomie
de certains chefs de famille, le changement de clan du gaanman (1892) et surtout le choix du
Lawa comme limite marquant désormais la frontière entre la colonie du Surinam et la Guyane
française (1891), faisant basculer Cottica et ses habitants sous le contrôle hollandais)
entraînent le départ progressif des clans (entre 1860 et 1892), hormis quelques fractions du
clan jacobi (clan fondateur du village et détenteur du titre de gaanman entre 1870 et 1891).
L’espace qu’ils occupaient a été au fur et à mesure envahi par la végétation (entre 1892 et
1930). Durant les années 1930, lorsque la mission chrétienne hollandaise (EBGS) a demandé
de s’installer en territoire boni, les kapitein du clan jacobi-nengue, avec l’accord de gaanman
Difou (Boniville), l’ont autorisée à occuper l’espace jadis abandonné par les clans, notamment
la section Lape. Le territoire de Cottica est alors séparé en deux sections, à partir des années
1930. Le ruisseau, qui coule le long de l’ancien yooka lampe, sert de frontière
naturelle (document 12 b) : -la section coutumière (située dans l’espace historique du clan
jacobi-nengue à Cottica) où sont présents faakatiki, keeosu, sweli (divinité tutelle du groupe),
mamagoon (divinité chtonienne). On trouve également, dans les rues exigües et sinueuses de
cette section coutumière, les maisons contigües de la plupart des familles du clan jacobinengue revenues s’installer à Cottica à partir de 1940 et surtout en 1967, au moment du
différend qui les opposait aux kawina-nengue ; -la section moderne, située à Lape sur l’ancien
site du clan lape. Cette section moderne dispose de structures originaires du monde colonial.
Une Eglise-école, au bâtiment construit selon le modèle architectural boni avec du paasaa, a
été mise en place par les Frères Moraves durant les années 1930 puis démolie et reconstruite
en 1967 selon le style architectural urbain (planches rabotées, tôles ondulées, ciment pour
recouvrir le sol…). Un aérodrome a été mis en service en 1965. Un internat de filles et un
autre de garçons, un logement pour l’enseignant-missionnaire et un dispensaire ont été édifiés
entre 1969 et 1970. Ces bâtiments, alimentés par un générateur électrique, disposent alors de
l’eau courante. Deux axes principaux structurent la section Lape : partant de l’aérodrome, un
chemin en terre relie perpendiculairement celui qui longe le fleuve Maroni-Lawa. Du gazon
de Paramaribo est introduit à Lape et semé sur la piste d’atterrissage et autour du pôle
administratif. Enfin, situé en hauteur par rapport au fleuve Maroni-Lawa, la section Lapé
possède un appontement et un escalier modernes, en bois et en fer, qui permettent l’accès au
site. Le long des deux voies de communication, disposées en forme de T, sont érigés les
édifices bâtis selon le modèle de la ville de Paramaribo ou d’Albina. La mise en place de ces
structures modernes attire les Boni sur la section Lape, durant les années 1940 et 1970. Les
premières familles à choisir de s’y établir sont les goon-pikin (ceux qui sont originaires du
village de Cottica) et des Boni originaires d’autres villages. Citons ma-Bado, papa Galimot
(qui ouvre un commerce dès 1958), ma-Amantou, papa Pouï. D’autres s’installent par la
suite, telles que les familles ma-Amaachia, ma-Maanbo, ma-Achini, ma-Baba, etc. Devenant
un pikin bakaa-conde (petite bourgade au style colonial), la plupart des demeures construites
par ces familles, devenues chrétiennes, épousent plus ou moins le style urbain.
Document 12, Croquis sur l’organisation spatiale de Papaïchton-Pompidou (1970-1980) et de Cottica-Lape
(1940-1970)
69
Henri Coudreau, op.cit., p. 46.
21
La section Lape du village de Cottica, contrairement à Papaïchton dirigé par Tolinga,
ne révèle pas une volonté délibérée de gaanman Difou d’ériger un site pour asseoir son
pouvoir. D’ailleurs, il s’y rendait uniquement de façon épisodique pour rendre visite à sa
femme (ma-Folida). Toutefois, nous ne saurions tenir les mêmes propos au sujet de son
kampu (hameau), appelé Pikin-conde ou Acaba, qui se voulait moderne. Difou a accepté que
les autorités françaises et ecclésiastiques y installent l’école, au lieu de la prévoir à Boniville.
Acaba disposait d’un internat de filles70 et de garçons, d’un ponton moderne et de maisons au
style architectural créole. En revanche, même s’il bénéficie en partie d’un certain prestige
relatif à la section Lape, il s’agit de la part de Difou d’accepter la demande formulée par les
chefs coutumiers de Cottica (papa Nasinengue, papa Dua,) d’octroyer un lieu aux
missionnaires qui viennent s’installer sur leur territoire en vue d’apprendre à lire et à écrire
aux enfants boni et de soigner les malades. De leur côté, par contre, les missionnaires avaient
pour ambition d’évangéliser les Boni. La constitution de cette section moderne donne
cependant aux kapitein des jacobi-nengue un sentiment de fierté et de confiance en la prise en
charge hollandaise, contrairement aux autres clans boni installés sur la rive française du
Maroni-Lawa, chez lesquels la prise en charge française n’est pas encore effective. Ces
kapitein ont certes perdu la fonction de gaanman en 1891, mais ils disposent, entre 1930 et
1970, de nouveaux atouts (dispensaire, Eglise-école) capables d’attirer les autres clans. De
plus, le fait qu’un de leurs kapitein (papa Nasinengue) soit reconnu officiellement par les
autorités hollandaises, en 1938, leur confère une certaine autorité durant les années 1940 et
1970. D’où la lutte sévère en 1967 pour le titre de gaanman, entre les jacobi-nengue et les
kawina-nengue, suite au décès de Difou survenu en 1965.
La conciliation des deux pouvoirs, coutumier (1967) et moderne (1969), permet à
Tolinga d’influer sur les aménagements à réaliser, comme sur le modèle architectural à
adopter dans le village devenu une commune. Il n’a laissé aucun écrit à propos de sa
70
Richenel Alphone, entretien, Saint-Laurent, 30/07/14.
22
conception du pouvoir, pourtant l’aménagement de l’espace coutumier et administratif dans le
bourg semble révéler son état d’esprit. Premièrement, il reprend d’une certaine manière le
schéma d’organisation du village de Cottica, mais de façon plus élaborée. A l’image du
village de Cottica-Lape, il sépare le lieu consacré au pouvoir coutumier, où sont édifiés le
keeosu et le faakatiki, de l’espace où il exerce le pouvoir moderne et dans lequel sont érigés
mairie, dispensaire, gendarmerie, école, cantine scolaire, ponton en béton avec marches
d’escalier, panneau d’accueil portant l’inscription, « Papaïchton capital pays boni ». L’ancien
site de l’aérodrome71 sépare le village de Comontibo (clan dipelu) du lieu du pouvoir
politique et administratif moderne. Ce pôle administratif est délimité au moyen d’un fromager
(arbre symbolique et sacré situé au centre du bourg), du lieu d’hébergement du pouvoir
coutumier, judiciaire et religieux, comme à Cottica, où habitent les différentes familles du
clan kawina et celles qui étaient favorables à sa nomination en tant que gaanman. En
revanche, il introduit deuxièmement une nouvelle disposition des lieux de culte à l’intérieur
de l’espace coutumier. Contrairement aux autres villages où le keeosu, le faakatiki et le yooka
pasi sont contigus et situés à quelques pas du débarcadère, pour des raisons pratiques, à
Papaïchton-Pompidou, par contre, ces éléments sont placés de façon distendue (document 12)
à l’intérieur de l’espace coutumier. Des sabiman de Papaïchton disent que cette séparation est
involontaire. Le gaanman s’est contenté de reprendre le schéma d’organisation de l’ancien
village Comontibo72, abandonné jadis par le clan kawina ; une version des faits contestée par
certains d’entre eux. Il est donc difficile pour le moment d’apporter une réponse certaine, en
raison d’un manque de sources de nature différente (écrite, iconographique, archéologique…)
autres que les témoignages oraux. Néanmoins, en étudiant le schéma d’organisation des autres
villages boni, djuka ou pamaka, nous remarquons la proximité établie entre le faakatiki et le
keeosu, ainsi que la proximité des maisons de la famille fondatrice du village, en particulier
celle du chef, par rapport à ces lieux de culte. D’ailleurs, Boniville (village des gaanman entre
1892 et 1965) illustre ce modèle d’organisation. Toutefois, même si Tolinga, à première vue,
a voulu reproduire cette relation entre le pouvoir coutumier et les lieux de culte, on note une
différence notable dans la distribution spatiale, de par l’éloignement entre les différents
édifices. Tolinga a choisi, en revanche, de rapprocher ses demeures des lieux de culte : - sa
résidence principale fait face au keeosu ; - le faakatiki se situe entre le bâtiment-bureau et la
demeure de son épouse, ma-Mamaya, - le petit autel d’odun-sweli73 (au pied d’un prunier
mombin) et le tukusipan se trouvent à proximité de sa maison secondaire. La rue ma-Mamaya
fait la liaison entre sa maison principale et celle de son épouse. Perpendiculaire, la rue
gaanman Awensaï (père de ma-Mamaya) passe devant la maison de Doudou Paul (son neveu
et successeur décédé le 31 octobre 2014) devant faakatiki, tukusipan et le petit autel d’odunsweli en face desquels est construite la demeure de chacun des frères de Tolinga (kapitein
Charles Tafanié, dit Komsè, et Louis Youssou). La disposition de ces deux rues est très
significative. En quittant le débarcadère principal (situé dans la section administrative), il
suffit d’emprunter la rue gaanman Awensaï, puis la rue ma-Mamaya pour parvenir au
domicile de Tolinga. A travers le choix dans la disposition de ces deux rues, on ressent une
forme de reconnaissance : Tolinga semble conscient que, sans la fille de gaanman Awensaï, il
se serait difficile pour lui de devenir gaanman des Boni puisque cette fonction n’appartenait à
son clan. Au début des années 1970, le gaanman Tolinga sollicite, auprès de l’Administration
préfectorale et du conseil municipal, la construction d’un bâtiment qui ferait office à la fois de
lieu de résidence et de siège du pouvoir coutumier. Sa demande étant rejetée, il récupère et
personnalise le bâtiment qui hébergeait l’institution communale, avant la construction d’une
71
Aujourd’hui cet espace abrite l’école primaire, l’agence de la banque postale et un commerce.
A ne pas confondre avec le village Comontibo d’aujourd’hui qui s’appelait jadis (1850-1860) Mongo-conde. Lorsque les kawina-nengue
ont abandonné le site pour fonder l’ancien Papaïchton, le nom de Comontibo a servi à désigner progressivement le village Mongo-conde
(clan dipelu) jusqu’à être identifié ainsi.
73
Lieu de prière et de distribution des biens matériels d’une personne reconnue comme pratiquante de la sorcellerie par le biais de
l’interrogatoire post-mortem.
72
23
mairie officielle dans l’espace administratif du bourg. La singularité de ce bâtiment mérite
que l’on s’y attarde.
Document 13, Siège du gaanman Tolinga, architecture moderne et nouvelle appréhension de
l’espace
Porte vitrée
Toiture en tôles ondulées
Emplacement
du drapeau
français
Vers sa
maison
secondaire, le
petit autel
d’odun-sweli
et le tukusipan
Balcon
Panonceau
indiquant:
gaanman boni
Entrée principale du bâtiment-bureau
Voie
Clôture
du bâtiment-bureau
Clôture
de la
maison de son
épouse, maMamaya
d’accès
Muret en
ciment
Faakatiki (autel des Ancêtres)
Chemin du débarcadère
secondaire
Source : Richard Price, Les Marrons, op. cit.
A première vue, la résidence adopte le style de construction que nous rencontrons dans
le monde urbain. Dotée d’un étage, elle s’élève à une hauteur de presque douze mètres et
devient la plus haute maison de la commune, au début des années 1970. Du ciment recouvre
le sol intérieur et extérieur, posant ainsi la maison sur une plateforme. Elle est construite à
partir de matériaux modernes : tôles ondulées, planches, plaques de contreplaqué, vitres,
peinture. Le rez-de-chaussée, isolé de l’extérieur par des planches rabotées et des fenêtres
vitrées, est un espace équipé de chaises destinées à recevoir les visiteurs et ses « sujets ». Au
pied du poteau central, un autel de petite taille, rehaussé d’une croix, permet au gaanman de
faire des libations et d’adresser ses prières aux Ancêtres. Le deuxième niveau, bien agencé
mais inaccessible au public, renferme son bureau et des chambres. Des portes et plusieurs
fenêtres vitrées s’ouvrent sur un balcon dont la vue donne directement sur le fleuve et sur
l’autel des Ancêtres situé en contrebas. Le bâtiment est entouré d’une clôture de fil de fer.
L’inscription Grand Man boni figure sur le portail d’accès. C’est un lieu de passage obligé
pour tous les visiteurs. La présence de ces trois éléments (clôture, portail et panonceau)
marque une rupture dans la conception ancienne du pouvoir qui se devait, jusque-là, d’être
accessible à tout Boni, quel que soit le moment. Les visites s’avèrent réglementées et
contrôlées. La présence du panonceau renvoie à la notion d’obéissance, la rencontre avec le
gaanman nécessitant une soumission à son autorité. En face du bâtiment-bureau du gaanman,
séparé par la rue ganaman Awensaï cimentée en 1991, s’élève l’autel des Ancêtres, que
protège un muret de ciment et sur lequel viennent s’asseoir les personnes lors de prières ou
d’instants de recueillement. Le bâtiment-bureau (en cours de réhabilitation aujourd’hui) et
l’autel des Ancêtres font face au fleuve d’où arrivent les personnes bienveillantes ou
24
malveillantes, et par où transitent le bien et le mal. L’autel des Ancêtres, situé en face du
bâtiment-bureau, assure la protection du gaanman derrière lequel, d’après les sabiman, « les
mânes des Ancêtres du groupe marchent ». Il en est de même pour le petit autel d’odun-sweli
à côte de sa maison secondaire puisque le grand autel se trouve à la lisière de la forêt. Ainsi,
toute personne lui rendant visite est obligée de passer devant le faakatiki. Si l’une vient dans
le but de lui nuire, l’esprit des Ancêtres est prêt à agir en faveur du chef. L’emplacement
stratégique du faakatiki, du sweli et du keeosu permet au gaanman de s’approprier le pouvoir
des Ancêtres, de la divinité tutelle du groupe et traduit en même temps sa méfiance et sa
crainte, non exprimées, vis-à-vis de ses « sujets » qui sont à son service, certes, mais qui sont
aussi citoyens français, comme lui, depuis 1965 et sur lesquels son autorité a de moins en
moins d’influence. Cette proximité permet ainsi au gaanman de mieux surveiller les hommes
venus prier devant le faakatiki, devant le petit autel d’odun-sweli ou venus accomplir les
activités funéraires dans le keeosu. Elle permet de s’assurer qu’ils ne profèrent pas de paroles
contre lui, contre le groupe entier, par exemple. Même s’il ne participe pas à toutes les
cérémonies, il peut tout voir et tout entendre. Il peut ainsi surveiller les faits, les gestes et les
paroles de celui qui verse l’eau sacrée ou le rhum destiné aux Ancêtres.
Notre document, en présentant le style architectural adopté dans le bourg, aide à
entrevoir l’idéologie qui accompagne le pouvoir politique de gaanman Tolinga et l’image
qu’il veut donner de lui-même, à son voluku ainsi qu’aux dooseï-sama venus lui rendre visite.
Au regard du nombre de bâtiments modernes construits dans le bourg de Papaïchton, de la
manière dont il a pensé l’organisation de la commune, émerge l’ambition de Tolinga : diffuser une image de grand bâtisseur et de réformateur, -impressionner les Boni et les
Bushinengue vivant en pays boni, -faire taire ses opposants, -briser l’héritage moral et
politique encore puissant de ses prédécesseurs, notamment celui de gaanman Difou dont la
référence reste omniprésente dans le souvenir des Boni des années 1960 et 1980, dans leur
parole lors des réunions. Tolinga paraît, aux yeux de ses pairs et de ses « sujets » devenus
citoyens français, comme celui qui fait le lien entre la tradition et la modernité. L’architecture
moderne et l’organisation du territoire communal semblent y être utilisées à des fins
politiques et idéologiques lui permettant ainsi d’asseoir son autorité, d’exprimer son désir de
changement et de faire entrer les Boni dans l’ère du progrès.
Usage administratif et économique de l’architecture bushinengue
Parallèlement à l’appropriation du style architectural urbain par certains Bushinengue
ou par le pouvoir coutumier, nous avons observé, à travers le paysage bâti du monde
bushinengue du Maroni-Lawa et du monde urbain du littoral guyanais, un processus inverse.
Ainsi, l’administration (hollandaise et française) et les agents économiques de la côte ont eu
recours au modèle bushinengue, au moment de leur installation. Les maisons, construites à la
fin du XIXe siècle au poste frontière du Contesté franco-hollandais, sur le site de la
Compagnie hollandaise des mines d’or du Lawa (document 14 a), mais aussi les bâtiments de
l’école des Frères Moraves (EBGS) du village Cottica-Lape (1939-1950) épousaient le style
bushinengue. En 1899, la France a fait de même avec les maisons destinées aux bagnards du
Nouveau Camp, entre Charvein et Saint-Laurent du Maroni (document 14 b). Sur le Maroni,
elle a également choisi le style traditionnel bushinengue pour construire les bâtiments du
Camp de la Forestière, réservé aux condamnés provenant de l’Indochine (1931). Elle se le
réapproprie également, par quelques ajustements parfois, dans la construction d’édifices
publics (document 14 c d) et ecclésiastiques (document 14 f g) des communes du MaroniLawa (Apatou Gransanti, Papaïchton, Maripasoula) entre 1960 et 1970. Son utilisation, dans
le cadre de l’expression républicaine (hôtel de ville, gendarmerie nationale, école) et
religieuse (chapelles), peut traduire le souhait d’adapter ces structures au milieu climatique,
de valoriser le patrimoine architectural bushinengue, mais aussi une volonté de la part de
l’administration française ou de l’Eglise catholique, comme dans l’exemple des Frères
25
Moraves, de se fondre dans le paysage villageois bushinengue du Maroni-Lawa en
s’inscrivant dans la trame du bâti existant. Néanmoins, cette démarche ne serait-elle pas en
même temps un moyen pour la République française et l’Eglise catholique d’apaiser des
tensions éventuelles qui pouvaient surgir parmi les populations bushinengue du Maroni-Lawa,
lors de la mise en place de structures qui leur étaient étrangères jusqu’aux années 1950-1970 ?
Cette démarche ne représenterait-elle pas un moyen de bâtir à moindre frais, puisque la
maison bushinengue nécessite l’usage de peu de matériaux ?
Le style architectural bushinengue est aujourd’hui utilisé comme « vitrine » d’une des
spécificités culturelles de la Guyane, par le biais de la reconstitution, dans la cour intérieure
de demeures hébergeant certaines instances publiques, muséographiques ou touristiques des
villes du littoral guyanais, à Cayenne et à Saint-Laurent du Maroni notamment. Ainsi, dans la
résidence du sous-préfet de Saint-Laurent du Maroni, au Musée des cultures guyanaises
(Cayenne) ou bien dans le Camp de la transportation (bâtiment-cuisine), on aperçoit une
maison reconstituée sur le modèle bushinengue. Au début des années 1990, dans le jardin de
l’hôtel Novotel de Cayenne, sur l’aire de jeu alors réalisée, ont été construites des maisons
bushinengue ornées de timbe. En gage d’authenticité, certains restaurateurs et hôteliers des
villes du Surinam ou de la Guyane française n’hésitent pas à construire des carbets couverts
de feuilles de waï. L’investissement du modèle architectural bushinengue ou amérindien
s’observe également dans le cadre des aménagements touristiques menés par les collectivités
locales. Ainsi, au cours des années 1990, sur une aire de repos située le long de la route
(Cayenne/Saint-Laurent), au lieu-dit Petit-Saut, ont été édifiées des maisons au style
bushinengue. Une expérience similaire aujourd’hui se déroule sur le fleuve Maroni-Lawa : au
lieu-dit Loka-Loka (rive surinamienne du Maroni-Lawa), des gîtes d’un site touristique
(document 14 h) ont été entièrement conçus sur le style architectural bushinengue. Ce style
traditionnel a inspiré aussi les architectes qui ont construit les logements sociaux dans les
villages de Boniville, Loka, New-Assissi ou dans les bourgs communaux du Maroni-Lawa, à
Papaïchton par exemple, en ayant recours à des toitures en bâtière, cependant à pente moins
forte et aux parois latérales plus hautes que celles de la maison traditionnelle.
Document 14, Style architectural bushinengue et édifices publics, ecclésiastiques, touristiques
Source (a), Kerncollectie Fotografie, Museum Volkenkunde, Maison de la Campagnie hollandaise des
Mines d'Or du Lawa (rive hollandaise du Maroni-Lawa),
Gonini expeditie Suriname 1903-1904. Il en est de même pour les maisons destinées au poste du Contesté franco-hollandais du Lawa ; (b) Adguy : fonds iconographiques ; (c) Jean
Moomou, Mairie d’Apatou, 26/03/11 ; (d), Ancienne gendarmerie nationale d’Apatou (http://www.potomitan.info/ki_nov/guiyan/guiyan1.html); (e), Adam Lénaïck, Marché de la
commune d’Apatou, 22/08/14 ; (f) Jean Moomou, Chapelle catholique de Maripasoula, 30/03/11 ; (g), Jean Moomou, Chapelle catholique de Papaïchton, 22/07/12, (h) Jean Moomou,
Maisons touristiques, fleuve Maroni, Loka-Loka, 26/03/11.
Cette utilisation de l’architecture bushinengue par les pouvoirs publics et
ecclésiastiques, par les agents économiques (restaurateurs, hôteliers, promoteurs immobiliers)
permet un affichage des spécificités culturelles de la Guyane, comme produit touristiques.
Néanmoins, au regard du contexte, le recours à cette architecture peut révéler d’autres aspects
26
d’ordre politique, idéologique, prosélytique, muséographique pour certains, et commercial
pour d’autres.
Modernisation des techniques de construction et métamorphose de l’espace villageois
(1950-1990)
Nouvelle gestion de l’espace et nouvel aménagement de l’intérieur des maisons
Le modèle architectural urbain, en particulier la maison citadine, s’impose vers la fin
des années 1980 et surtout depuis les années 1990 dans l’espace de vie des populations
bushinengue du Maroni-Lawa, du Tapanahony et dans les villages de l’intérieur du Surinam.
Il suscite l’attrait de ces populations qui le considèrent comme un signe d’évolution, de
progrès et de confort par rapport à l’habitat « traditionnel » de plus en plus délaissé.
D’ailleurs, l’expression : bakaaosu en dit long. Le désintérêt qu’éprouvent les Bushinengue à
l’égard de la maison traditionnelle s’observe entre 1983 et 1986, à travers la déception de
quelques-uns face au style architectural « traditionnel » des logements sociaux construits pour
eux à la Charbonnière par la municipalité de Saint-Laurent du Maroni, par exemple. Un
dilemme se pose alors parmi les Bushinengue : vivre à l’aube du XXIe siècle dans une maison
qui épouse le modèle ancien (fositen osu) avec les représentations négatives qui
l’accompagnent désormais (signe de pauvreté, de régression, de non intégration) ou habiter
une maison citadine qui évoque le progrès, la réussite sociale, le prestige, le respect et
l’intégration à la culture dominante. Dans les villages, des Bushinengue n’hésitent pas à raser
les anciennes maisons pour les reconstruire selon le modèle urbain ou les laissent partir en
ruines. Certaines familles font appel à des architectes surinamiens pour marquer la différence
avec les autres maisons, en intégrant des matériaux dispendieux dans un environnement où le
bois est omniprésent : ciment, carrelage, parpaings, barres de fer, lambris (qui connaît son âge
d’or durant les années 1990), contreplaqué, briques, portes et fenêtres vitrées, tôles ondulées
de couleur, peinture. De nouveaux modèles de toitures importées de la ville, parfois très
complexes, émergent dans le paysage villageois (document 15 b c d e f g). Le modèle de toit
appelé italianidaki (toiture à l’italienne) ou fokantidaki (toit à quatre versants) est celui qui
s’impose depuis ces dix dernières années. Si le fookitaosu a subi une influence du modèle
colonial ou créole (1880-1950), en combinant les matériaux de construction modernes et en
s’adaptant à son environnement, il n’en est pas de même pour la maison citadine (maison à
étage, villa), consommatrice d’espace.
Document 15, La maison citadine en pays boni (a, b, c, d, e) et djuka (f, g) du Lawa à partir des années 1990
Cliché (a, b, c, d,e), Jean Moomou, Maroni-Lawa, 16/03/11/ cliché (f,g), Adam Lénaïck, Gransanti, 22/08/14
Dans cette dynamique, les femmes74 sont particulièrement actives. Commençant à
percevoir les minimas sociaux, vendant le surplus de leurs produits agricoles sur les marchés
74
Dans son livre, Amoksi Martina (2009) donne une lecture intéressante de l’émancipation de la femme bushinengue au Surinam.
27
des villes du littoral guyanais et surinamien ou exerçant un emploi salarié (au milieu des
années 1990), certaines d’entre elles investissent, à partir de la fin des années 1980, non
seulement dans la scolarité de leurs enfants mais aussi dans la construction de leur propre
demeure. Cette charge qui était jadis dévolue à leur conjoint n’est pas sans susciter des
rivalités dans le couple ni des frustrations chez les hommes. En raison des inégalités socioéconomiques, l’appropriation du style urbain ne s’est pas encore véritablement démocratisée
en pays bushinengue. On peut ainsi observer des différences entre les groupes, mais aussi à
l’intérieur des groupes, ou encore entre clans et familles à l’intérieur d’un même village. Un
fossé sépare les Bushinengue qui peuvent prétendre construire une maison citadine car ils
disposent de moyens financiers (chefs d’entreprise, orpailleurs, fonctionnaires, bénéficiaires
de minimas sociaux) de ceux qui n’ont pour seule source de revenus que la vente du surplus
de l’agriculture de subsistance et qui vivent de l’économie du « naki taanga » (économie de la
débrouille par le travail). La plupart d’entre eux occupent encore la maison dite traditionnelle.
Dans l’espace villageois mais également à l’intérieur des bourgs communaux, comme
Apatou, Gransanti, Papaïchton, ou encore Maripasoula, des maisons de style urbain jouxtent
l’habitat traditionnel, offrant ainsi un contraste entre riches et pauvres.
L’adoption du modèle urbain entraîne une nouvelle gestion et un nouvel aménagement
de l’intérieur des maisons. Apparaissent des chambres équipées en lits pour remplacer les
hamacs, une salle de cuisine aménagée avec les accessoires de la société de consommation
(réfrigérateur, machine à laver, gazinière). Un salon meublé de fauteuils, table à manger,
chaises abrite le nouveau « totem familial », le poste de télévision, que les premiers
Bushinengue du Maroni-Lawa commencent à acquérir vers la fin des années 1980. Son
arrivée dans les foyers se démocratise en 1998, lors de l’électrification progressive des
villages, au moment de la coupe du monde de football. Avant cette date, seules de rares
personnes, qui tenaient un petit commerce (wenkiman) et disposaient d’un groupe
électrogène, achetaient des cassettes vidéo qu’elles visionnaient le soir en faisant profiter les
villageois. A Maripasoula, au début des années 1990, les programmes enregistrés sur cassettes
vidéo de RFO Guyane étaient envoyés par avion et diffusés dans le bourg par la chaîne locale
(TRM : Télé-Radio-Maripasoula). Dans les maisons, jusqu’à une période récente, le poste de
télévision, objet presque « sacralisé », était recouvert d’une nappe brodée.
Le modèle urbain se distingue par sa surface habitable. Jadis, plus ou moins jusqu’aux
années 1990, la maison traditionnelle (document 9, 10) se composait de deux pièces : la
chambre à coucher des parents située à l’arrière ; un salon exigu et multifonctionnel faisant
office de salle à manger le soir, quand il était trop tard pour manger dans le langa ou lors des
périodes de fortes pluies, et qui servait aussi de dortoir pour les enfants ; ce salon était équipé
d’un mobilier rudimentaire (une crédence permettant à la femme de montrer sa richesse en
ustensiles de cuisine, un banc et une petite table pour le repas de son conjoint). Jusqu’aux
années 1980, seulement quelques salons disposaient d’une grande table et de chaises. Cette
habitation principale (lontuosu) possédait des dépendances : - langa qui servait d’espace de
cuisine, de grenier, de débarras, -munuosu (maison des impures) quand le village ne disposait
pas d’un tel endroit pour accueillir l’ensemble des femmes, - daguosu (niche) et fooosu
(basse-cour), -machiniosu ou maguiching (maison pour l’outillage), - washiosu (douche) et
cacaosu (lieu d’aisance)75. Dorénavant, les sanitaires sont situés à l’intérieur de la maison.
Toutefois, on note une forme de résistance de certaines familles qui refusent de les incorporer
pour des questions d’hygiène, d’intimité ou de croyances religieuses. Le nouveau mode de vie
des Bushinengue rendant la maison traditionnelle inadaptée, peu confortable, ils n’hésitent
pas à y apporter des modifications. L’entrée de la maison, souvent décorée de sculptures, est
attaquée au moyen d’une tronçonneuse, soit pour la rehausser soit pour l’élargir afin de
permettre le passage du téléviseur, du réfrigérateur, de la gazinière, du mobilier (lit, buffet,
75
Les « feuillées » se situent rarement à proximité du domicile. On les trouve à la lisière de la forêt et souvent auprès du débarcadère.
28
table à manger,…). Des aménagements qui dénaturent et enlaidissent l’architecture
traditionnelle.
Urbanité et discordance spatiale
La diffusion de l’habitat urbain, ajoutée à la transformation de la famille traditionnelle
(élargie, polygame, monogame) en famille nucléaire calquée sur le modèle occidental,
entraîne également un nouvel aménagement et une recomposition de l’espace villageois. En
effet, à l’« anarchie » apparente qui prévalait au sein des villages, bien qu’adaptée à la façon
dont les Bushinengue concevaient la vie familiale et les relations de voisinage, succède un
schéma d’organisation spatiale urbaine. Les nouvelles constructions s’alignent le long d’allées
parallèles et perpendiculaires. Les membres d’une même famille s’éloignent les uns des
autres. Désormais, à l’intérieur des villages cohabitent deux types d’organisation spatiale : le
« coutumier » et le « moderne ». Le nouvel aménagement spatial de type urbain a pour
corollaire une privatisation de l’espace. Des clôtures en bois, en béton, en fer forgé, en fils
barbelés séparent parfois les maisons ; des chemins les desservent. Ces nouvelles
constructions et édifications provoquent une modification de l’espace collectif et une
transformation des liens sociaux. Jadis, la contiguïté des maisons obligeait les villageois à
développer des relations de voisinage, d’entraide, de maintenir la cohésion et de resserrer les
liens d’appartenance. Désormais, la privatisation des espaces engendre un certain isolement,
constitue même un frein à l’échange. En témoigne l’adage, « te yu na wani taki anga sama da
yu osu na mu de na mofu fu pasi anga mofu liba » (si tu ne veux pas communiquer avec tes
semblables, il ne faut pas que ta maison soit située sur un chemin ou au bord du fleuve).
Auparavant, tout un chacun pouvait emprunter le chemin le plus court et passer aux abords de
n’importe quelle maison ; la courtoisie obligeait les salutations.
Cette question des liens sociaux se pose avec une plus grande acuité en ville, quand les
membres d’une même famille sont éloignés géographiquement les uns des autres. Toutefois,
dans les quartiers-villages (bidonvilles) ou dans les habitations situées à la périphérie de la
ville, les Bushinengue semblent recréer « la vie du village ». Citons les quartiers Ilet Malouin
(dans les années 1980 et au début des années 1990) et Mango à Cayenne ; le village
saamaka76 (en 1967 et au début des années 2000) à Kourou ; à Saint-Laurent du Maroni la
Roche-bleue77, Derrière la météo, Derrière l’hôpital hier (en 1960 et à la fin des années
1980) et aujourd’hui (Charbonnière, Vampire, Viêtnam78, Djakata) ; Vanderlick, Combee,
Langulaweg, Saramakastraat à Paramaribo (1960-1990). Des quartiers-villages existent aussi
dans le bourg des communes du fleuve Maroni-Lawa (Apatou, Gransanti, Papaïchton,
Maripasoula) depuis les années 1970. Nous parlons de quartiers-villages dans la mesure où
les Bushinengue, partis habiter en ville au cours des années 1960 et 1970, voire 1980, n’ont
pas tous, en dépit de quelques adaptations et d’influences extérieures, abandonné pour autant
les pratiques culturelles (fêtes traditionnelles), artistiques (timbe) et cultuelles de leur village
(érection de faakatiki à l’intérieur de la cour des maisons familiales, d’un autel de la divinité
familiale ou chtonienne, de keeosu), ni les manières de vivre (maison des impures, carbetcuisine, lessive et vaisselle au bord du fleuve…), ni les formes de solidarité. Toutefois, leurs
pratiques s’altèrent au fur et à mesure que les Bushinengue de ces quartiers intègrent les
mœurs et les modes de vie urbains.
Document 16, Quartiers-villages bushinengue, Saint-Laurent du Maroni (Guyane française) et à Albina
(Surinam)
76
Lire Bianchi Jeanne, op.cit., p. 14.
Pour de plus amples renseignements, cf, J. Moomou : thèse de doctorat, 2009 ; C. Léobal : 2013, p. 55-57.
78
Ce quartier a disparu en 2012, en raison de la politique de résorption de l’habitat insalubre. Des HLM occupent désormais l’emplacement
de cet ancien quartier-village.
77
29
Source (a), Ancien quartier Viêtnam ; source (b), Quartier démoli en 2010, Route de Vampire ; source (c), Une maison traditionnelle bushinengue, Route de Vampire, Jean Moomou, SaintLaurent du Maroni ; source (d), Art timbe devant une maison bushinengue à Saint-Laurent du Maroni ; source (e), Maison d’une famille bushinengue en zone inondable au bord d’un canal
d’évacuation à Albina ; Source (f), Petit autel dans la cour intérieure d’une maison bushinengue à Albina, Jean Moomou, Albina, 12/11/10.
Les maisons de ces quartiers-villages, construites pour la plupart avec des matériaux
de récupération, ne répondent pas aux normes de construction urbaine. Très souvent, elles
sont alimentées par des raccordements sauvages au réseau électrique, dans la rue ou chez un
habitant, ou encore sur des groupes électrogènes. Parfois les habitants s’éclairent à l’aide de
lampes à pétrole (lanteï) ou de bougies (tiki kanda). Comme ces nouveaux lieux de vie
manquent souvent d’alimentation en eau courante, les bidonvillageois font leur lessive aux
abords des rivières (dans les quartiers éloignés du centre-urbain) ou aux abords du fleuve
(dans les quartiers situés à proximité du fleuve Maroni, comme nous pouvions le voir à SaintLaurent du Maroni ou à Albina jadis entre 1950 et 1990, ou bien dans le village Saramaka, au
bord du fleuve Kourou, entre 1967 et 1990) et encore de nos jours dans certains quartiers.
Dans ces quartiers-villages se posent également des problèmes de cohabitation entre
groupes bushinengue ou entre familles, aux mœurs et aux parcours historiques parfois
différents, des problèmes de promiscuité, d’insalubrité79, d’intégration, d’insécurité et de
délinquance. Jean Hurault, durant les années 1980, à travers ses lettres adressées au Souspréfet de Saint-Laurent du Maroni, Henri Masse80, et au directeur de la D-D-E81 (Direction
Départementale de l’Equipement) dénonçait déjà l’installation des Boni à Saint-Laurent du
Maroni ainsi que d’autres groupes bushinengue dans les années suivantes. Très attaché à ce
groupe comme il l’écrit lui-même dans la lettre, il s’inquiète de la situation déplorable dans
laquelle vivent, à Saint-Laurent, les Boni qui ont abandonné leur village. Il évoque les
bidonvilles, la promiscuité, le chômage, l’éclatement de la structure traditionnelle, les
maisons traditionnelles dénaturées…. Il suggère aux pouvoirs publics qu’au lieu de reloger
« […] ces migrants aux frais de l’Etat […] », les « […] bidonvilles devraient être rasés au
bulldozer et leurs occupants qui ne justifient pas d’un emploi régulier, invités à regagner
leurs villages, voire reconduits manu militari. Cette solution serait dans une perspective à
long terme la plus favorable aux intéressés […] »82. La politique de relogement des
Bushinengue, menée entre 1983 et 1986 à la Charbonnière83 pour les déloger des cités
lacustres de la Roche bleue ou du long de la berge, était accueillie avec un grand
enthousiasme, en dépit de quelques réserves émises par certains d’entre eux. A court terme,
cette politique paraissait intéressante : création d’un espace dédié à ces populations dans une
ville où la mixité sociale ou « ethnique » était peu envisageable, en raison de la prégnance des
représentations négatives réciproques entre les habitants de la ville et ceux des villages ;
construction de maisons correspondant à la morphologie de leur habitat traditionnel ; un
moyen pour les Bushinengue de conserver leur mode vie en ville. Quinze ans plus tard, cette
politique montrait ses limites.
Document 17, Style architectural bushinengue (a) dans la politique de relogement à Saint-Laurent du Maroni
(fin des années 1980-début 1990) et modification de la structure par leur propriétaire
79
Lire Lamur Humphrey, « De levensomstandingheden van de in Paramaribo werkende Aukaner arbeiders », in NWIG, 44, 1965, pp. 119132 ; Lamur Humphrey E. The demographic evolution of Surinam, 1920-1970: a socio-demographic analysis. The Hague: Martinus Nijhoff,
1973. (Verhandelingen van het Koninklijk Instituut voor taal-, land- en volkenkunde, 65.) (Diss.)
80
Lire, Jean Hurault, « Pour un statut des populations tribales de Guyane française (1968-1984), in Revue Ethnies juin-septembre 1985, p.
42-53.
81
Jean Hurault, Lettre adressée au Directeur de la D-D-E de la Guyane, archive ARUAG, 27 septembre 1983.
82
Idem.
83
Lire Léobal Clémence, Saint-Laurent du Maroni. Une porte sur le fleuve, Editions Ibis Rouge, Matoury, 2013, p. 109-144.
30
Source (a/b), Quartier de la Charbonnière, Jean Moomou, Saint-Laurent du Maroni, 27/03/10
Le fait de quitter le village pour aller à la rencontre de la ville signifiait, pour la
majorité des Bushinengue interrogés qui ont migré à partir des années 1990, fuir le monde
« traditionnel » considéré comme « mort », contraignant et dépourvu d’avenir, pour rejoindre
le monde « moderne » à leurs yeux, synonyme de « progrès » (a kon a fesi/entuweïkel), de
poursuite d’études, d’emploi assuré (bakaa wooko), de liberté (fleï libi), de jouissance
immédiate des désirs, de soupape de sécurité par rapport au kunu (malédiction) qui poursuit la
lignée familiale dans les villages. Le regard diffère selon les générations car, pour celles qui
ont migré entre 1950 et 1980, les facteurs explicatifs s’articulent davantage autour de la
recherche de travail, liée à la fin de l’activité aurifère (1960-1970) sur le haut Maroni, autour
des différends entre les familles, des accusations de sorcellerie et du déroulement de la guerre
civile au Surinam. Néanmoins, leur migration n’était pas définitive, pensaient ces exilés,
puisqu’ils revenaient chaque année, au mois de juillet pour la saison des abattis ou au
moment de Noël pour passer les fêtes de fin d’année avec la famille restée au paandasi (grand
village). Avec le temps, cette migration est néanmoins devenue définitive. Faute de papiers
français ou surinamiens, de diplôme, d’emploi, de revenus mensuels (en dehors de la
perception des minimas sociaux), en l’absence d’argent qui aurait pu provenir de
l’« économie de la débrouille » et de la vente du surplus agricole, nombreux sont ceux qui
connaissent encore de nos jours des conditions de vie parfois déplorables84 dans les villes du
Surinam (Paramaribo, Albina) et de la Guyane française (Saint-Laurent du Maroni, Kourou,
Cayenne). Certains d’entre eux bénéficiaient pourtant de conditions de logement plus dignes
dans leur village d’origine. Mais, « le miel de la ville apparaît plus délicieux que celui du
village, tout comme la saveur de son sel » déclare le sabiman-obiaman djuka Baïno Midaye
(source orale : 2010).
Les mutations que connaissent les sociétés bushinengue (en termes d’architecture ou
de mode de vie) se sont également produites dans d’autres territoires, d’autres sociétés comme
celles des Amérindiens en Amérique du Nord et du Sud, chez les paysans85 des provinces en
France hexagonale (durant la Révolution industrielle ou après la seconde guerre mondiale),
dans le monde rural espagnol au cours des années 1950 et 1960 (Nieves Conde José Antonio :
1951) ou dans le monde rural africain86, antillais (Guadeloupe, Martinique) d’avant 1960 ( J.
Berthelot : 1982 ; B. Chérubini : 2000), pour ne citer que ces exemples. Les quartiersvillages bushinengue peuvent être néanmoins perçus comme des espaces de transition et de
création culturelles, des laboratoires d’expériences et d’adaptation nécessaires à l’intégration
future des Bushinengue dans le monde urbain. Certes, leur identité villageoise y trouve un
nouvel espace d’expression et bénéficie de nouvelles dynamiques. Cependant, le quartiervillage peut représenter malgré tout un lieu de déculturation non exempt de frustration, de
travestissement de l’identité villageoise ; la condition pour recevoir le « new deal » urbain. Un
comportement et des conséquences que l’on retrouve dans d’autres aires culturelles et que le
film de José Antonio Nieves Conde met en évidence.
L’exode rural impacte à long terme sur la démographie des villages. Processus
affectant aujourd’hui tous les groupes bushinengue et les Amérindiens, les villages sont,
84
Daude Emmanuelle, « Guyane, l’Europe sous les tropiques », une coproduction RFO/Beau Comme une Image avec le soutien du Centre
National de la Cinématographie et de la Commission Européenne-Direction Générale du Développement, 2007.
85
Lire Trochet Jean-René, Les maisons paysannes : En France et leur environnement (XVe-XXe siècles), Editions CREAPHIS, Paris, 2006.
86
Cf, Corinne et Laszlo Mester de Parajd, Regards sur l’habitat traditionnel au Niger, Editions Créer, Nonette, 1988 ; Igué John .O,
L'Afrique de l'Ouest : entre espace, pouvoir et société. Une géographie de l’incertitude, Editions Karthala, Paris, 2006. Lire également Yves
Aurélien Kana Donfack, Evolution de l’habitat traditionnel en Afrique. Exemple de la province de l’Ouest au Cameroun, Dissertation, Von
der Fakultät VI Planen – Bauen – Umwelt der Technischen Universität Berlin zur Erlangung des akademischen Grades, Berlin, 2011.
31
écrivait déjà Anne Hublin en 1981, dans « (…) un état plus ou moins marqué d’abandon, tant
au niveau des habitations que des espaces communautaires (…) » (Anne Hublin et al : 1981,
p. 12). Vidés de la majorité de leurs habitants, certains villages menacent de disparaître du
paysage, entraînant ainsi la perte d’une partie du patrimoine architectural. D’autres ont déjà
disparu et leur emplacement a été regagné par la végétation. Cette perte mémorielle est même
perceptible dans l’imaginaire des enfants boni scolarisés. Ainsi, à travers les dessins que nous
avons recueillis auprès des scolaires87 du premier degré du village de Loka (pays boni), la
faible présence de maisons traditionnelles est révélatrice. La majorité des maisons dessinées
s’inspire du modèle urbain. Toutefois, on remarque une persistance de l’art timbe qui
ornemente la façade principale et surtout la porte d’entrée de ces maisons. Se pose alors la
question de la survie du patrimoine bâti.
Préservation du patrimoine architectural et limites
L’ouverture sur le monde et l’insertion dans la société de consommation provoque
chez les sociétés bushinengue des conséquences sur leur art de construire et leur manière de
penser le territoire et la vie communautaire. Le modèle architectural hybride hérité des
anciens marrons est menacé de disparition en raison des changements socioculturels, des
modes de vie, du progrès technique, de l’urbanisation, de l’exode rural et de la représentation
négative dont il fait désormais l’objet (archaïque, peu adapté au monde d’aujourd’hui,
difficile à entretenir, puisque chaque réparation équivaut à une reconstruction presque
complète). De plus, le vocabulaire employé pour qualifier leur habitat, tel que « insalubre »,
« habitat précaire », par les institutions, les élus ou par certains Bushinengue, n’est pas
approprié. Leur usage traduit une certaine mise à distance de ce style architectural, une
inadéquation par rapport aux normes de construction urbaine. C’est à travers ces qualificatifs
que se lisent les politiques d’aménagement urbain transposées dans leur espace de vie. Les
maisons les plus affectées sont souvent celles que des Bushinengue ont parfois reçues en
héritage de la part d’un parent décédé, avant de migrer vers les villes du littoral guyanais,
surinamien ou en Europe (Pays-Bas, France hexagonale, Belgique…) dans les années 1960 et
1980. Certaines d’entre elles, qui abritent un autel de la divinité familiale, sont laissées à
l’abandon par des Bushinengue urbains (villi-nengue), qui n’ont plus la connaissance
suffisante pour prendre en charge les pratiques cultuelles. Les maisons, ayant appartenu à des
personnes reconnues coupables d’avoir pratiqué la sorcellerie de leur vivant, sont également
abandonnées par leurs héritiers qui habitent aussi bien en ville qu’au village.
Notons, cependant, qu’un certain nombre de Bushinengue prennent conscience de la
valeur de la maison traditionnelle, comme trace mémorielle du savoir-faire technique et
gestuel de leurs aînés. Ce savoir-faire représente un trait d’union entre les générations mais
aussi un élément phare de leur identité de descendants de Marrons. Néanmoins, la sauvegarde
de cette spécificité culturelle reste encore limitée car l’idée de patrimonialiser ce savoir-faire
architectural ou les savoirs en général leur est étrangère. Les personnes ou les organismes
soucieux de patrimonialisation rencontrent une certaine réticence de la part de nombreux
Bushinengue qui éprouvent des difficultés à en saisir l’intérêt pour le moment. Concernant la
préservation du patrimoine architectural bushinengue de l’intérieur du Surinam, la question
n’est pas encore posée par les habitants, ni dans les politiques menées.
L’attitude hésitante des Bushinengue, quant à la patrimonialisation du bâti relevant du
style des Anciens, est à replacer dans une perspective historique. Les Bushinengue étaient des
Marrons dont l’habitat était pensé dans une « logique de fuite » : construire-détruirereconstruire selon le même modèle. Un village et ses maisons pouvaient être détruits à
n’importe quel moment, par les troupes coloniales qui les poursuivaient, comme le village des
87
A travers la consigne (dessine-moi une maison) que nous avons donnée à une enseignante du premier degré du village boni de Loka, les
élèves ont dessiné des maisons : travail réalisé à Loka en octobre 2014. (Nous remercions l’enseignante et le directeur de l’école primaire
(capitaine Fofi) qui ont bien voulu nous accompagner dans notre étude).
32
Marrons boni Aroku88 en 1790, ou encore par eux-mêmes pour des raisons politiques,
économiques et religieuses. Jusqu’aux années 1970, quand un Bushinengue détruisait sa
maison traditionnelle, il la reconstruisait à l’identique avec une partie des matériaux 89 encore
exploitables de son ancienne maison. Par conséquent, la question de la sauvegarde de
l’architecture ne présentait pas d’intérêt. En revanche, avec le développement effréné du style
urbain, de l’exode rural, de l’urbanisation du paysage villageois et la politique
d’aménagement des territoires communaux90 du Maroni-Lawa, la continuation du modèle
architectural ancien est menacée. De plus, la transmission orale et l’apprentissage des
techniques de construction s’effectuent de moins en moins. A cela s’ajoute aujourd’hui le fait
que les sabiman âgés et des Bushinengue, détenteurs de la science technique à propos de ces
constructions, gardent jalousement leurs connaissances. Cette attitude ne présage pas, à
l’avenir, une pérennisation de ce savoir-faire dans des groupes minoritaires qui sont engagés
dans un processus d’intériorisation de la culture dominante ; dynamique que nous ne
remettons pas en cause puisque les identités collectives et individuelles sont mouvantes.
L’origine des sociétés bushinengue témoigne elle-même de ce processus91 de dynamique
culturelle, à l’image de ce qui s’est produit dans d’autres territoires. Néanmoins, se
transformer ne doit pas conduire à l’oubli de l’existant, sous-tendant une forme de négation de
soi non dépourvue de conséquences : problèmes d'ordre identitaire, frustration, honte, conflits
entre les générations, pertes de repères. Lors d’activités faisant appel aux savoirs ou savoirfaire anciens (rites funéraires, confection d’un cercueil, construction d’un autel de divinité,
érection d’un autel des ancêtres, préparation de mets traditionnels, etc), on observe de plus en
plus de situations conflictuelles, parfois violentes, entre des Bushinengue qui ne parviennent
pas à se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire. A ces oppositions s’ajoute l’attitude peu
intéressée et peu valorisante de Bushinengue qui ont adopté de nouvelles sensibilités
religieuses issues du monde urbain et qui semblent voir dans l’architecture traditionnelle,
comme dans l’accomplissement des rites anciens, la perpétuation d’un monde bushinengue
révolu qu’ils désirent changer radicalement, au profit de valeurs véhiculées par leur nouvelle
manière de croire.
Toutefois, depuis le début des années 199092 et surtout depuis l’an 2000, l’organisation
de colloques ou de séminaires touchant à la patrimonialisation93, la publication de travaux
scientifiques94, les débats télévisés relatifs à cette problématique, la politique de la DAC
Guyane, de la Région ou du Département ont permis à des élus (municipaux, généraux ou
régionaux) du Maroni-Lawa et à des Bushinengue d’être plus sensibles à la question. En
témoignent les labels et les projets touristiques de certaines communes, la vocation de
plusieurs associations, l’intitulé de manifestations culturelles et le contenu de programmes
festifs. Voyant, en effet, dans l’architecture traditionnelle des villages du Maroni-Lawa un
88
Village situé en amont du saut Hermina, sur l’îlet Lamoitié [Lamuke-sula] entre 1783 et 1790. Il s’agit d’une déformation du nom, Aluku
(autre chef de clan des Marrons boni).
89
Dans le film de l’enseignant Schaeffer, produit au milieu des années 1950, on peut voir une famille transporter dans un canot le matériau
qui avait servi à construire son ancienne demeure : Schaeffer (enseignant retraité de Saint-Jean du Maroni durant les années 1950), « Sur les
rapides du Maroni chez les peuplades primitives. Embarquement pour… Maripasoula » (1950), (CD-rom). Une pratique qui était courante
chez tous les Bushinengue.
90
A titre d’exemple, les Boni du mouvement yonkuman palteï (mouvement politique des jeunes) envisageaient, au début des années 1990, de
raser certaines maisons traditionnelles du village de Loka en vue de réaliser un axe routier longeant le fleuve.
91
Bernard Formoso, « L’ethnie en question, débats sur l’identité », in Segalen Martine (dir) Ethnologie : Concepts et Aires culturelles,
Editions Armand Colin, Paris, 320 p. Lire également, et Jean-Loup Amselle (Logiques métisses, 1990) Serge Grusinski (La pensée métisse,
1999) pour ne citer que ceux-là.
92
A Papaïchton, le fronton des maisons boni a été repeint par l’artiste peintre Antoine Dinguyou en 1992. Ce projet de revalorisation du
patrimoine artistique boni, sous l’initiative de l’association kawina (boni), a été financé par la DRAC Guyane. Les peintures se sont altérées
depuis. Elles ont totalement disparu dans l’ancien village du kapitein Aponchy (ancien Papaïchton) l’effondrement des maisons dû à
l’abandon définitif du village. Cf, le documentaire de Daniel Dirou et J. Lamptey, Ougouchi ou vers une renaissance de l'art boni (tembe) en
Guyane –1/ 2 (Sur le chemin d’Antoine Dinguyou), Wasaï Production, Maripasoula, juin 1992, mise en ligne 19 et 21 juillet 2011
(www.youtube.com).
93
Diana Ramassamy, Patrimonialisation et développement dans la Caraïbe et les Amériques, Colloque international, Cayenne (Guyane
française), 2,3, et 4 mars 2011.
94
Serge Mam Lam Fouck et al. (dir), Diversité culturelle et patrimonialisation en Guyane française. Processus et dynamiques des
constructions identitaires, Ibis Rouge éditions, Matoury, Guyane, 2012.
33
« produit touristique »95 (lieu d’hébergement, d’histoire et de mémoire), une source de profit
potentiel, la restauration des maisons est envisagée, à Papaïchton par exemple où plus d’une
d’entre elles se trouvent dans un état de dégradation avancée. Toutefois, en dehors de la
rénovation en cours du bâtiment-bureau de gaanman Tolinga (Papaïchton) que nous avons
décrit (chapitre 2 b), les projets96 de valorisation de l’art de construire des Boni, comme celui
des autres groupes bushinengue, ne sont pas encore effectifs. Néanmoins, le désir de
patrimonialiser le bâti n’est pas exempt de problèmes futurs, surtout si l’on envisage une mise
en tourisme. Financées par la DAC Guyane, le Parc Amazonien ou par les collectivités
locales, les maisons rénovées devraient être fonctionnelles ou habitables. La plupart ayant été
abandonnées, quel sera le statut de ces maisons ? Appartiendront-elles toujours à leurs
propriétaires ou reviendront-elles à la mairie ? Seront-elles des « musées à ciel ouvert » ? Si la
mairie les transforme en gîtes, quelle part recevra le propriétaire ? Autant de questions qui
devront être élucidées avant tout projet de sauvetage.
Conclusion :
L’apport des sources livresques, iconographiques ou audiovisuelles, (1933-1956)
ajouté à notre enquête ethnographique, montre que le modèle de construction adopté par les
Bushinengue n’est pas fantaisiste, mais semble révéler, à l’instar de ce que nous observons
dans d’autres territoires (Europe, Afrique, Caraïbes), un signe de pouvoir, de séduction,
d’affirmation de soi et de distinction sociale. Le modèle construit met en lumière leur goût,
leur style, mais aussi leur ambition. Dans l’appropriation de la maison citadine et dans la
nouvelle gestion de l’espace, transparaît également l’idéologie du pouvoir coutumier. L’art de
construire des Bushinengue représente, comme le timbe et la broderie, un critère d’analyse des
mutations qu’ont connues ces sociétés depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Les modèles
bâtis évoquent à la fois les influences lointaines, locales mais aussi le style
(fookitaosu/bakaaosu) qu’ont voulu imposer leurs concepteurs.
Cette étude relative à l’architecture peut être un outil intéressant pour interroger le
passé des sociétés bushinengue, pour saisir leur manière de vivre, de penser leur territoire,
d’accéder à l’histoire de la fondation d’un village, à son fonctionnement et à son identité, pour
comprendre le jeu des relations familiales, pour appréhender enfin l’histoire du genre au sein
des groupes, des lo (clans). Les différents qualificatifs attribués à la maison, indiquant son
identité, nous permettent non seulement de connaître la matière utilisée dans sa construction,
mais de saisir également les séquences temporelles de sa transformation (maison entièrement
végétale, maison intégrant le matériel de construction du monde colonial/maison citadine). Il
n’en demeure pas moins que ce patrimoine architectural, porteur de valeurs identitaires et
mémorielles, est menacé en raison des mutations socioculturelles qu’ont connues les sociétés
bushinengue depuis les années 1960 et surtout au cours des années 1990.
Jean MOOMOU
Docteur en histoire et civilisations (EHESS), MCF, histoire des mondes moderne et
contemporain, Université des Antilles, DPLSH de Saint-Claude, A-I-H-P (Archéologie
Industrielle, Histoire et Patrimoine).
95
Pour plus de renseignements sur le concept, lire Grandpré François (de), « Attraits, attractions et produits touristiques : trois concepts
distincts dans le contexte d’un développement touristique régional », Téoros, 26-2 | 2007, 12-18.
96
Cf, Rapport de l’architecte, Martin Christian, Etude patrimoniale des habitations traditionnelles Boni, Villages de Boniville et Loka,
commune de Papaïchton (Guyane), Mission de janvier-février 2013.
34
Références bibliographiques
Archives, ouvrages ayant valeur de source, rapports
Adguy (archives départementales de la Guyane française) : fonds iconographiques
Barrère Pierre, Nouvelle relation de la France équinoxiale contenant la description des Côtes
de la Guiane, de l'Isle de Cayenne, & les Mœurs & Coûtumes des différens Peuples Sauvages
qui l'habitent, Piget, Damonneville, Paris, 1743 (gallica.bnf.fr).
Benoit Jacques, Voyage à Surinam : description des possessions néerlandaises dans la
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