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ÉTAn Ch ÉiTÉ. in Fo # 42 JU IN 2 014
P hi l i P P e S i m on
T ÉM OIN
« Surélever ne bouleverse pas
le paysage parisien »
Entretien avec Philippe Simon, architecte, agence
Galiano-Simon.
AdelINe dIONISI
le CONTeXTe
Philippe Simon est architecte associé
au sein du cabinet Galiano-Simon.
Il est également maître assistant
à l’école nationale supérieure
d’architecture de Paris-Malaquais
et chercheur associé au laboratoire
ACS Architecture, Culture,
Société XIXe-XXIe siècles et membre
©Pyc
d’une équipe de recherche sur
le surhaussement des toits de Paris.
Il a co-rédigé plusieurs ouvrages,
tels que De toits en toits, Les toits de
Paris (Paris, Hazan, 1994).
Co-organisateur de l’exposition
« Toit sur toit » dédiée à
l’exploitation des toitures
parisiennes, Philippe Simon
travaille depuis longtemps sur
cette problématique.
Pour lui, les toits représentent
de formidables opportunités
pour le développement de Paris,
tant en termes de logements
que d’espaces partagés ou de
production d’énergie.
É TA N C H É I T É . I N F O
Vous avez participé à
l’organisation de l’exposition « Toit sur Toit » en
janvier 2014, événement qui sera réédité en juillet
prochain à Paris à la maison de l’architecture d’îlede-France. Ce n’est pas la première fois que le toit et
son exploitation se présentent ainsi au grand public.
PHIlIPPe SIMON Le toit représente un sujet
architectural en soi. Le fait qu’on le nomme
également cinquième façade n’est pas anodin.
La notion de son usage est une question aussi
ancienne que passionnante. Déjà en 1994,
nous avions monté au Pavillon de l’Arsenal une
exposition intitulée « Toit en toit ». À l’époque, des
réflexions se mettaient en place sur les possibilités
de son exploitation avec par exemple, la révision
du POS. Vingt ans plus tard, avec les agences
d’architecture MVRDV et AAF et le laboratoire
de recherche ACS, nous avons proposé une
vision différente de la capitale : un Grand Paris
plus petit. C’est-à-dire plus compacte, plus
intense, qui utiliserait ses toits pour continuer
la ville sur la ville. Nous avons approfondi notre
démarche à travers différentes études réalisées
dans le cadre de réponses aux appels d’offres
de recherche de la ville de Paris « Paris 2030 »
et « Ignis Mutat Res » du ministère de la culture.
L’exposition « Toit sur Toit » est construite à partir
de ces travaux. L’édition qui se tiendra au mois de
juillet présentera, en plus des éléments proposés
en janvier, des travaux d’étudiants, faits en
collaboration avec l’Apur, explorant et testant le
potentiel des toitures parisiennes.
É . I . L’une des grandes thématiques abordées est la
surélévation dont on parle beaucoup en ce moment
avec la publication récente de l’ordonnance Duflot.
Le phénomène est-il nouveau à Paris ?
P.S. Pas du tout. Paris est une ville qui, tout au long
de son histoire a été contenue dans des enceintes
successives, militaires ou fiscales. Elle n’avait
donc pas d’autre choix que de se développer verticalement. L’analyse des archives des permis de
construire nous montre qu’entre 1880 et 1960, sur
certains grands axes parisiens, près d’un immeuble
sur deux a été surélevé ou a eu sa toiture modifiée, pour un gain de surface d’environ 6 %. Cette
étude nous amène à deux conclusions : les toits
présentent bel et bien un potentiel pour une ville
qui connaît des besoins cruels en logements mais
aussi en équipements et en espaces verts, et leur
exploitation ne bouleverse pas le paysage.
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T ÉMOIN
P hi l i P P e Si m o n
É TAn C hÉ i T É . i nFo #4 2 JUI N 2 014
« L’analyse des archives des permis de construire nous montre
qu’entre 1880 et 1960, sur certains grands axes parisiens près d’un
immeuble sur deux a été surélevé ou a eu sa toiture modifiée pour
un gain de surface d’environ 6 %. »
É . I . De quoi faire taire certaines critiques sur la
surélévation ?
P.S. En effet, la majorité des modifications de toiture
passées ne sont pas visibles pour le grand public.
L’argument affirmant que le paysage parisien risque
d’être bouleversé par la surélévation ne tient donc
pas. Paris a toujours évolué tout en restant ellemême. Mais ces changements doivent être réalisés
dans un souci de qualité architecturale globale en
prenant en compte les trois points de vue desquels
le toit peut être considéré : la rue, bien sûr mais
aussi les différents points hauts de la ville, comme
Montmartre ou la tour Montparnasse et la proximité
immédiate, c’est-à-dire l’usager.
Peut-on surélever partout ?
théorie oui, si on s’en donne les moyens. En
pratique, les zones déjà denses et élevées peuvent
constituer une cible prioritaire. Il est plus facile,
pour le faire accepter, de surélever d’un étage un
immeuble R+7 que d’un niveau un R+1. De même,
l’investissement sera plus vite rentabilisé dans un
quartier où la rente foncière est importante. C’est
d’ailleurs un message que l’on peut faire passer aux
copropriétés, souvent frileuses face aux grosses
modifications du bâti. Pourtant, une augmentation
du nombre de logements est également synonyme
de réduction des charges pour les occupants.
É.I.
P.S. En
Comment les pouvoirs publics appréhendent-ils
cette problématique ?
P.S. L’ordonnance Duflot devrait faire avancer les
choses. Pour la Ville de Paris, la surélévation est
clairement une piste à explorer pour répondre à
la nécessaire densification de l’espace urbain. Les
freins à ce type de développement ont été ciblés
pour ensuite pouvoir proposer des alternatives. Le
PLU est d’ailleurs en cours de modification pour
permettre de déroger à certains points bloquant
l’exploitation des toits. Mais l’habitat ne constitue
pas le seul enjeu. La notion d’usage dépasse celle
du logement pour intégrer l’espace collectif, qu’il
s’agisse d’équipements sportifs, de potagers, de
cours d’école…
É.I.
Enfin, le toit peut également apporter des réponses à
la question énergétique. On parle souvent de l’amélioration des performances thermiques des façades.
Mais à Paris, ce n’est pas toujours possible car les
façades ne sont pas toutes modifiables. Et les appartements possèdent généralement de trop petites
surfaces pour réaliser des
isolations par l’intérieur.
Reste alors le toit qui peut
à la fois limiter les déperditions thermiques quand
il est bien isolé, participer
à la réduction des îlots de
chaleur urbain grâce aux
systèmes de végétalisation
et produire de l’énergie si
l’on installe des panneaux
photovoltaïques ou, pourquoi pas, des éoliennes.
Ces problématiques seront
largement abordées lors de
l’exposition « Toit sur Toit »
au mois de juillet.
Comment pourrait-on
aller encore plus loin ?
P.S. Chaque toit est la propriété d’une parcelle, ce
qui peut limiter les possibilités d’aménagement.
Par exemple, équiper un
toit en photovoltaïque s’il
est orienté au nord n’est
pas très efficace. Si l’on
pense le toit à l’échelle de l’îlot et non plus du
bâtiment, les perspectives sont beaucoup plus
vastes. On peut imaginer qu’un toit produise de
l’énergie solaire pour tout le groupement d’immeubles, tandis qu’un autre propose un jardin
partagé accessible à tous. Evidemment, cela pose
beaucoup de questions, réglementaires, en termes
d’accès… Mais il s’agit là d’une piste qui mérite
d’être approfondie. l
É.I.