1 Stress et mal-être au travail Page de chapitre Le stress
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Stress et mal-être au travail Page de chapitre Le stress, thématique abordée par les disciplines médicales, psychologiques, sociologiques…, est au centre des nombreuses études scientifiques, il est aussi un enjeu de l’organisation et de la société civile. Pourtant, il a fallu attendre quelques décennies pour que cette thématique soit abordée dans la gestion organisationnelle. La section 1 portera un regard critique sur certaines démarches des sciences de gestion et sur le sens donné au terme de stress. Le cadre législatif a amené les organisations à prendre en compte, au-delà de la sécurité et de la santé au travail, le bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail et a imposé un diagnostic du stress, le considérant comme un facteur de risque au travail. La section 2 abordera le cadre législatif, le bien-être au travail ainsi que quelques recherches européennes, nationales ou sectorielles. Dans la littérature scientifique, il est classique de différencier aujourd’hui les approches théoriques du stress au travail en trois axes : le stress en tant que stimulus, le stress en tant que réponse, le stress en tant que processus. La section 3 présentera ces trois axes et développera la distinction entre les approches centrées sur les facteurs de stress et les approches interactionnistes et transactionnelles centrées sur les processus mis en place pour y faire face. Si les recherches ont développé une analyse approfondie du stress et ont mis au point de nombreux outils de diagnostic, la réflexion sur les méthodes d’intervention reste plus limitée, privilégiant les actions individuelles plutôt qu’organisationnelles de prévention. La section 4 mettra en évidence les différents niveaux de prévention, soulignant l’écart entre l’approche interactionniste du stress et les mesures de prévention généralement mises en place. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 1 Exemple introductif : Enquête de satisfaction dans une usine alimentaire Une usine située en Belgique appartenant à un groupe international du secteur alimentaire décide de mettre en place une enquête de satisfaction bisannuelle. Parmi les thèmes abordés dans l’enquête, une question sur le stress perçu a été insérée dans le questionnaire envoyé à l’ensemble du personnel de production de l’entreprise (en ce compris les employés, les cadres et membres de la direction). La question a été introduite suite à l’obligation légale de procéder à un diagnostic du stress (nous reviendrons sur les aspects législatifs ultérieurement). L’évaluation du stress perçu s’est faite au travers d’une échelle continue permettant une cotation sur 100 points. Outre un niveau de stress assez élevé, particulièrement pour 25 % de l’échantillon qui ont indiqué un niveau de stress très élevé, les résultats montrent qu’il n’y a pas de différences significatives en fonction du statut hiérarchique du personnel : les ouvriers se disent autant stressés que les cadres et membres de direction. Ce résultat n’a pas manqué d’interpeller les membres de direction, allant à l’encontre de l’adage qui veut qu’au plus le niveau hiérarchique est élevé au plus les personnes ressentent un stress élevé. Un même type de résultat a été mis en évidence au sein de la brasserie britannique Scottish & Newcastle (S&N), le degré de stress professionnel étant le même à tous les échelons de la hiérarchie1. Ces résultats vont à l’encontre d’autres recherches qui ont mis en évidence que ce sont les personnes qui ont une faible autonomie d’action qui sont plus stressées. De cette enquête de satisfaction, nous retiendrons la difficulté d’investiguer le stress perçu comme une variable individuelle indépendamment de sa représentation sociale. L’évaluation du stress perçu apparaît ici comme une évaluation relative qui repose sur des représentations sociales : Suis-je plus ou moins stressé que les membres de mon groupe ? Suis-je dans la norme ? N’est-il pas de bon ton de se dire stressé dans son organisation de peur de se voir chargé d’un surcroît de travail. Pour Yves Clot2, le mot stress est devenu un « mot de passe » pour les salariés pour exprimer leur mal-vivre au travail, leur mal-être, leur vécu de soumission et d’impuissance. Ces résultats posent également la question de l’objectivation du stress perçu et de l’éventuelle remise en cause des méthodes organisationnelles et managériales. 1 2 O.I.T., Bilans des causes de stress chez les groupes à haut risque, Travail, magazine de l’OIT, 18, 1996, 5 p. cité par Neboit, M. & Vézina, M., Stress au travail et santé psychique. Toulouse, Editions Octares, 2002, p. 26. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 2 Section 1 : Etude du stress dans les organisations et bien-être au travail Lorsque la problématique du stress au travail est abordée dans les sciences de gestion, elle l’est souvent sous l’angle des mesures à prendre par les individus pour préserver leur bien-être au travail plutôt que sous l’angle de la prévention des facteurs organisationnels de stress pourtant souvent cités dans l’analyse des situations de travail. De plus, le bien-être est parfois présenté comme un facteur de prévention du stress. Pour Schermerhorn et al. (2000), l’individu se doit d’assurer son bien-être personnel pour mieux résister au stress. Le stress est alors considéré comme une composante intrinsèque de toute situation de travail, indépendante du bien-être, les travailleurs devant apprendre à gérer leur stress ! 1. Le stress, un terme problématique Sur le plan sémantique, le mot stress est particulièrement ambigu. Il désigne tout à la fois les facteurs de l’environnement qui provoquent une situation critique pour l’être humain, l’état psychologique de tension provoqué par ces facteurs et les conséquences positives ou négatives résultant de cet état de tension. La langue anglaise permet un peu plus facilement de distinguer les stressors (facteurs de stress) des conséquences ou tensions, les strains. Bien qu’il existe en psychologie du travail, deux termes pour distinguer, dans l’étude des conditions de travail, les contraintes de leurs effets sur l’individu - les astreintes, cette distinction est peu souvent faite dans les écrits relatifs au stress au travail. L’exemple introductif a également montré la difficulté d’évaluer le stress au travail. En effet, le mot stress fait partie du langage commun des travailleurs et des organisations qui les emploient. Il y a une véritable appropriation du concept par les personnes impliquées dans les organisations. Il peut donc y avoir une certaine distance entre le concept de stress utilisé sur le plan de la recherche et celui utilisé dans le sens commun. Par ailleurs, comme beaucoup d’autres auteurs, Neboit et Vézina mettent en évidence une évolution progressive dans les différentes définitions que la littérature scientifique nous apporte, passant « d’une caractérisation fonctionnelle du stress comme mécanisme d’adaptation (...) à une conception plus étiologique du stress comme générateur de pathologies (somatiques, psychosomatiques ou psychiques) » 3. 2. La valeur fonctionnelle - dysfonctionnelle du stress La valeur fonctionnelle du stress, ou stress positif, est régulièrement évoquée dans les organisations. Celles-ci ont pu mettre en avant, d’une part, le caractère adaptatif du stress au travail, mécanisme permettant à l’individu de se dépasser et, d’autre part, le caractère inéluctable de facteurs de stress en milieu professionnel. Or, il est périlleux de considérer que le stress puisse être fonctionnel puisque cela implique qu’en fonction des conséquences de certaines conditions de travail, le résultat serait positif ou négatif selon la capacité de l’individu à faire face ou pas à ces facteurs. Ainsi, travailler dans les délais courts serait une source de stress positif si le travail est correctement exécuté ou une source de stress négatif si les objectifs 3 Neboit, M. & Vézina, M., op. cit., p. 17 C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 3 ne sont pas atteints. Aborder le stress selon une valeur fonctionnelle dysfonctionnelle centre la problématique sur l’individu plutôt que sur l’interaction entre l’individu et l’environnement, limite les actions de prévention des sources de stress et peut même aller jusqu'à une légitimation de certaines pratiques managériales. Dissocier les situations et contraintes habituelles de travail, les situations ponctuelles et les situations extrêmes permet d’éviter les malentendus entre activation positive et stress. Tout travailleur peut rencontrer occasionnellement des circonstances particulières qu’il pourra vivre comme un défi particulièrement stimulant et où la mobilisation s’arrête dès la fin de celui-ci. Par exemple, devoir assurer une mission inhabituelle (exposé, voyage, examen) pourra être vécue comme un challenge. Par contre, si les circonstances se renouvellent très régulièrement, si ces missions sont récurrentes, on devra parler alors de facteur de stress. Il convient également de ne pas considérer les situations extrêmes. Nous exclurons de notre propos les activités sportives, les concours, les exploits qui se fondent le plus souvent sur un choix volontaire démontrant une motivation particulière, sur des enjeux personnels essentiels et qui se déroulent généralement dans un contexte extra-professionnel. Plutôt que de stress positif, on parlera, dans ces cas, de mobilisation ou de motivation pour expliquer les capacités d’adaptation et dépassement de l’individu face à de tels objectifs personnels. De même, nous nous intéresserons aux situations quotidiennes de travail plutôt qu’aux situations exceptionnelles extrêmes telles que peuvent les vivre les journalistes-correspondants de guerre, les urgentistes ou encore les victimes de violence au travail, … même si ces situations méritent aussi l’attention des chercheurs, notamment au regard du syndrome de stress posttraumatique. 3. L’approche multifactorielle Il est essentiel de privilégier une approche multifactorielle des déterminants du stress au travail tant dans la phase de diagnostic que dans la phase d’intervention. Exemple : Dans un texte de présentation d’un centre de clinique du stress, il est précisé que le but de ce centre est d’identifier la cause (du stress) et ensuite de la traiter. Deux modules de traitement sont proposés, soit centré sur le corps (sophrologie, kinésithérapie), soit centré sur le mental (gestion des émotions, thérapie psychodynamique). Dans cet exemple, le stress n’est pas analysé dans une approche systémique en prenant en compte l’interaction de l’individu dans son environnement. Aucune allusion n’est faite au contexte, aux facteurs indépendants de l’individu. Le stress est réduit à une seule cause que l’individu peut traiter seul. Pour la traiter, ce sont deux modules centrés sur l’individu qui sont proposés. Ainsi, nous avons pu souvent constater que si lors du diagnostic, on a tendance à se focaliser sur les facteurs et agents de stress, lors de l’intervention, les actions proposées se centrent essentiellement sur l’individu. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 4 4. Les demandes d’intervention Enfin, nous pouvons nous interroger sur les réticences manifestées par les entreprises lorsqu’il s’agit d’aborder la question du stress au travail. Effectuer un bilan des facteurs de stress dans une organisation serait reconnaître que le lieu de travail peut être source de stress. Ceci pourrait expliquer les refus des entreprises de participer à des recherches sur le stress au travail. Manifestement, il s’agit d’un thème particulièrement sensible. Son étude semble apparaître pour les dirigeants comme pouvant mettre en péril le climat social de l’organisation. Lorsque les résultats des recherches mettent en évidence un niveau de stress plus élevé que la moyenne, ils apparaissent comme un constat d’échec pour l’organisation et le management. Certaines méthodes d’évaluation s’attaquent essentiellement aux symptômes plutôt qu’aux causes, envisageant principalement la responsabilité des individus face à leur incapacité à gérer les situations de travail. Les interventions centrées sur les travailleurs sont les plus fréquemment mises en place : installation de salle de fitness en entreprise, séance de relaxation, campagne anti-tabac, … Elles sont axées sur la gestion individuelle du stress. Peu d’initiatives portent sur la prévention des facteurs de stress dans les organisations. Pourtant, prévenir les risques en intervenant à la source est le meilleur garant pour un environnement de travail sain, équilibré et assurant un bien-être aux travailleurs. Section 2 : Le stress, une préoccupation pour l’organisation 1. Le stress et la législation En vertu de la Directive cadre européenne 89/391/CEE (1989), tout employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail. Cette directive précise les obligations de l’employeur de supprimer les facteurs de risque et d’accidents, les principes relatifs aux services de prévention et de protection, à l’information, à la formation et à la participation des travailleurs, etc. Depuis, l’encadrement législatif en matière de sécurité, de santé et de bien-être au travail a considérablement évolué, au niveau Européen d’abord, puis au niveau des Etats membres. Cette législation est devenue un instrument important dans l’amélioration des conditions de travail en général, et dans la prévention du stress en particulier. La Déclaration de Tokyo (1998), parrainée par la Commission européenne, l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Organisation Internationale du Travail, le National Institute for Occupational Safety and Health (USA), et les ministères japonais du Travail et de la santé, vise à prévenir le stress lié au travail et à « améliorer la santé et le bien-être de la population active, la productivité et le bienêtre économique des entreprises et du système économique, la participation des travailleurs au processus démocratique et la valorisation du capital social au travail et en dehors ». C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 5 La Commission européenne a établit en 1999 un manuel d’orientation sur le stress lié au travail4, destiné aux Etats membres et à leurs partenaires sociaux. L’objectif est de sensibiliser au fait que le stress lié au travail est un problème d’hygiène professionnelle majeur et de favoriser des mesures s’attaquant aux causes de ce stress afin d’améliorer la santé et la sécurité sur le lieu de travail de manière économique et appropriée. En France, la loi de modernisation sociale (2002) étend la responsabilité de l’employeur dans la prévention de la santé non seulement physique mais également mentale des salariés de l’entreprise. En Belgique, tout employeur doit mener une politique relative au bien-être, appuyée sur des principes généraux de la prévention des risques en ce compris la formation et l'information des travailleurs. Cette politique doit être intégrée dans la gestion globale de l'entreprise. La législation relative au travail a été profondément remaniée par la promulgation de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail. Sans définir le terme, la loi précise que le bien être est à rechercher par des mesures qui ont trait à la sécurité au travail, la protection de la santé du travailleur, l’ergonomie, la charge psychosociale occasionnée par le travail, l’hygiène du travail, l’embellissement des lieux de travail, les mesures relatives à l’environnement qui ont un rapport avec les points précédents ainsi que la protection travailleurs contre la violence au travail et le harcèlement moral ou sexuel au travail. Par ailleurs, la convention collective de travail (CCT 72 - 1999) passée entre les organisations patronales et syndicales sur la prévention du stress lié au travail a été rendue obligatoire. Toutefois, ce texte insiste principalement sur l’obligation de diagnostic du stress au travail. Repères : Nouvel accord cadre européen Tout récemment, le 8 octobre 2004, les quatre plus grandes organisations européennes représentatives des partenaires sociaux – à savoir la Confédération européenne des syndicats (CES), l’Union des Confédérations de l'Industrie et des Employeurs d'Europe (UNICE), l'Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) et le Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d'intérêt économique général (CEEP) – ont signé à Bruxelles un accord cadre sur le stress au travail. Cet accord a pour objectif de renforcer, auprès des travailleurs comme des employeurs, la prise de conscience concernant le stress. Ce projet d’accord-cadre européen sur le stress au travail prolonge les objectifs de la directive-cadre sur la santé et la sécurité (CE 89/391). Il met davantage l’accent sur la prise de mesures de prévention du stress, au-delà du diagnostic du stress. Il nomme les facteurs du stress au travail vis-à-vis desquels une démarche préventive doit être réalisée ; il cible particulièrement la gestion des facteurs de stress relatifs à l’organisation, au contenu et à l’environnement de travail. Le stress y est reconnu comme une préoccupation européenne commune des employeurs, des travailleurs et de leurs représentants. 4 Commission européenne, Manuel d’orientation sur le stress lié au travail, Direction générale de l’Emploi et des affaires sociales, 1998, 137 p. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 6 2. Les enquêtes sur les conditions de travail et le stress au travail 2.1. Enquêtes européennes sur les conditions de travail Les enquêtes européennes sur les conditions de travail, enquêtes menées depuis bientôt 15 ans (1990 - 1995 - 2000) par la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail5 montrent une certaine constance dans l’évaluation du stress au travail. Les résultats de 2000 montrent que 60 % des travailleurs interrogés (plus de 20.000 personnes dans l’Union Européenne) déclarent que leur travail affecte leur santé. Parmi les principaux problèmes de santé invoqués, les problèmes de dos sont cités par 33 % des répondants, le stress par 28 %, une fatigue générale par 23 % et les douleurs musculaires au cou et aux épaules. Les résultats mettent en évidence les liens entre stress et intensité ou durée du travail. Exemple : stress et facteur d’intensité au travail6 Considérons un salarié qui ne soit soumis à aucun facteur d'intensité et qui, compte tenu des autres caractéristiques de son travail et de ses caractéristiques sociodémographiques personnelles ait un risque de 30% de déclarer souffrir de stress d'origine professionnelle. Un autre salarié, dans une situation analogue à ceci près qu'il cumulerait les divers facteurs d'intensité étudiés aurait, lui, un taux de risque voisin de 70%. %. Les autres troubles psychologiques recensés, fatigue générale, insomnie, anxiété, irritabilité, sont eux aussi liés positivement à presque tous les facteurs d'intensité. Ces vastes enquêtes donnent une vue générale des conditions de travail en Europe, elles apportent une précieuse analyse longitudinale des conditions de travail, elles servent souvent d’appui à la mise en place de nouvelles priorités de prévention. 2.2. Etudes nationales Il existe également des enquêtes nationales sur les conditions de travail telles que, en France, les enquêtes Emploi – conditions de travail de la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques du Ministère du Travail) ou l’enquête ESTEV (1990) sur les relations entre âge, travail et santé. Les enquêtes sectorielles (via les fédérations professionnelles ou les commissions paritaires) présentent les avantages d’identifier les facteurs de stress spécifiques à un secteur d’activités plutôt qu’à une entreprise, de bénéficier d’une certaine neutralité et d’assurer la comparabilité des résultats, ces avantages pouvant toutefois apparaître comme des limites à d’autres moments. 2.3. Etudes épidémiologiques De nombreuses études épidémiologiques ont montré les liens entre le stress et l’incidence de maladies coronariennes, de dépressions, de conduites addictives, d’accidents ou encore d’insatisfaction au travail. L’étude belge Belstress (19945 Le site Internet de la fondation www.fr.eurofound.ie propose de nombreuses publications en ligne. Extrait du rapport Temps travail : intensité du travail. Boisard, P., Cartron, D. Gollac, M., Valeyre, A ., Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 2002, p. 57 6 C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 7 1998)7 a suivi plus de 20.000 travailleurs de 25 entreprises des secteurs secondaire, tertiaire et public, cherchant à mettre en relation stress, absentéisme et cardiopathies. Les résultats montrent qu’une faible perception de maîtrise au travail augmente de 20 % chez les hommes et de 16 % chez les femmes, le risque d’un nombre important de jours d’absence pour cause de maladie. Chez les travailleurs subissant de nombreuses contraintes psychologiques, ayant peu de maîtrise sur leur travail et bénéficiant d’un faible support social, le risque d’un nombre important de jours d’absence pour cause de maladie est augmenté de 22 % chez les hommes et 35 % chez les femmes, compte tenu du secteur d’activités et du niveau socioprofessionnel. 3. Le stress et ses conséquences individuelles et organisationnelles Absentéisme, désengagement, dépression, suicide au travail, défaillance, accidentabilité, insatisfaction, réduction du temps de travail, départ anticipé… Travailler dans un environnement stressant augmente simultanément les risques de souffrir de maladies physiques et psychiques et les risques d’accidents au travail (Clarke & Cooper, 20048). Cooper et Cartwright (1994)9 rapportent que l’industrie américaine perd approximativement 550 millions de journées de travail chaque année pour cause d’absentéisme et que 54 % de ces absences sont directement ou indirectement liées au stress. L’étude menée par Swinnen, Moors et Govaert (1998)10 sur un échantillon de 1280 personnes en incapacité de travail de longue durée fait apparaître que le stress est la quatrième cause directe d’incapacité de travail (10.31 %), après les troubles de l’appareil moteur, les accidents et les maladies infectieuses. La durée d’absence dans ces cas de stress est très longue et comporte une moyenne de 186 jours calendrier par an répartis en moyenne sur 1.86 périodes de maladie sur l’année. Les coûts directs du stress au travail, estimé au travers de l’évaluation des coûts des soins de santé et de l’absentéisme, sont régulièrement chiffrés. La Confédération de l’Industrie Britannique estime que les absences pour maladie représentent un coût correspondant à 2 à 3 % du Produit National Brut, au sein desquelles 40 % sont dus à des environnements de travail stressants (Clarke & Cooper, 2004). En France, le coût du stress d’origine professionnelle est évalué, par l’INRS, à 830,3 millions d’Euros en 2000, en prenant en compte uniquement les coûts tangibles (coûts des soins de santé et coûts liés aux absences)11. 7 Coetsier, P., De Backer, G., De Corte, W., Hellemans, C., Karnas, G., Kornitzer, M., Pelfrene, E, Stam, M. & Vlerick, P. Etude belge du stress au travail : Aperçu du modèle de recherche et des outils d’investigation. Revue de Psychologie et Psychométrie, 1996, 17, 4 , P. 17-35. 8 Clarke, S. & Cooper, C.L., Managing the Risk of Workplace Stress. London & New York, Routledge Taylor & Francis Group, 2004 9 Cooper, C.L. & Cartwright, S., Healthy Mind; Healthy Organization – A Proactive Approach to Occupational Stress. Human Relations, 47, 4, 1994, p. 455-471. 10 Swinnen, L., Moors, S. et Govaert, C., Stress: cause d’absentéisme. In Stress et travail : origines et approches. Moors, S. (Ed), INRCT, 1998, p.127-151 11 INRS. Stress au Travail : diagnostic, évaluation, gestion et prévention. Note scientifique et technique, NS235. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 8 Section 3 : Les conceptions scientifiques du stress au travail Le stress et le stress professionnel ont fait l’objet de multiples recherches. Face à la multitude de modèles et théories développés par les psychologues, médecins, sociologues, épidémiologistes, il est classique de distinguer, dans la littérature scientifique, les approches théoriques du stress au travail en trois axes : le stress en tant que stimulus, le stress en tant que réponse, le stress en tant que processus ; ces trois axes correspondant à des champs et à des méthodologies de recherche assez différenciés (e .g. Le Blanc, de Jonge & Schaufeli, 200012, Kahn & Byosière, 1992). Nous développerons principalement la distinction entre les approches centrées sur les facteurs de stress (stress en tant que stimulus) et les approches interactionnistes et transactionnelles centrées sur les processus mis en place pour faire face aux facteurs de stress. 1. Les facteurs de stress Les études sur les conditions de travail ont identifié de nombreux facteurs susceptibles d’engendrer des tensions chez une partie significative de la population confrontée à ceux-ci. Un stresseur est considéré comme un stimulus et interviendrait en tant que variable indépendante. Il peut s’agir d’agent stresseur ou de facteur de stress en fonction de leur caractère déterministe ou non déterministe. La confrontation à un stresseur peut provoquer des tensions psychologiques (anxiété, dépression,…) physiques (maux de tête, maux de dos,…) ou comportementales (absentéisme, turnover,…). A partir des études de diagnostic du stress en milieu professionnel, plusieurs classifications des stresseurs sont proposées13. Nous retiendrons les catégories relatives au contenu du travail, aux environnements de travail, à l’emploi et à l’organisation du travail, et aux relations sociales au travail. Pour chaque catégorie, une liste de stresseurs potentiels peut être dressée (tableau 1). Repères : Facteurs de stress au travail Catégories Contenu du travail Environnement de travail Stresseurs Surcharge/sous charge de travail Complexité du travail Monotonie, répétitivité du travail Niveaux de responsabilité, d’autonomie Travail dangereux, risques professionnels Demandes conflictuelles / ambiguës Rythmes de travail, pression temporelle Ambiances physiques (bruit, éclairage, température, vibrations, substances toxiques) Conception des postes de travail Postures de travail Charge physique de travail 12 in Chmiel, N., Introduction to Work and Organizational Psychology. Oxford, Blackwell Publishers, 2000, P. 148- 177 13 e.g. Le Blanc, de Jonge & Schaufeli, 2000 ; INRS ; Karasek & Theorell, 1990 ; Kahn & Byosière, 1992 ; Cooper, Dewe & O’Dirscoll, 2001. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations Editions Dunod 9 Hygiène et moyens de protection au travail Taille et structure de l’entreprise Emploi et organisation du Horaire de travail travail Rémunération Perspectives professionnelles, carrière Contrat de travail Sécurité d’emploi, compétitivité Flexibilité Contrôle et planification Conflits et ambiguïtés de rôles Style de management Relations sociales au travail Culture organisationnelle Support social des collègues Support social des supérieurs hiérarchiques Relation avec les subordonnés Discrimination Reconnaissance sociale Tableau 1 : Facteurs de stress au travail. Ces facteurs de stress évoluent dans le temps et avec le monde du travail. Ils doivent être appréciés en fonction de leur intensité, de leur chronicité et de leurs interactions mutuelles. Il n’existe pas de moyen simple pour déterminer quel est le seuil de tolérance ou seuil de stress limite (Moser, 199214), cela supposerait, pour les chercheurs, de réaliser un étalonnage des facteurs de stress (Aubert, 199815). Ainsi, ces facteurs de stress ne peuvent pas être considérés comme des indicateurs objectifs du stress. Si disposer d’une telle liste est un outil intéressant pour un premier diagnostic, on ne pourra faire l’économie d’une analyse réelle des situations de travail prenant en compte l’interaction entre l’individu et son environnement, comme le proposent les approches interactionnistes et transactionnelles du stress. 2. Le stress en tant que réponse Les premiers travaux sur l’étude du stress ont privilégié l’approche physiologique, considérant le stress comme la réponse comportementale de l’organisme face aux agressions de l’environnement, aux demandes extérieures. Il s’agit essentiellement de réactions non spécifiques, identiques, quelles que soient la nature de l’agression ou de la demande extérieure. Hans Selye décrit trois phases dans le syndrome d’adaptation générale : la phase d’alarme (mobilisation), la phase de résistance (réaction) et la phase d’épuisement (stress). Ces travaux, bien qu’intéressants sur le plan de la physiologie humaine et de la mise au point d’indicateurs neurophysiologiques du stress, postulent que l’individu réagit passivement face aux exigences de l’environnement. Or, on sait aujourd’hui que cette réaction peut être modulée selon la nature et l’interprétation individuelle du facteur de stress et par les expériences passées et qu’elle est sujette à une forte variabilité individuelle. 3. Le stress en tant que processus 14 15 Moser, G. Les stress urbains, Paris, Armand Colin, 1992 Aubert, N., Stress, motivation et management : enjeux et paradoxes. In Moors, 1998. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 10 Editions Dunod Alors que les précédentes approches (stress en tant que stimulus et en tant que réponse) mettent en valeur des facteurs directement mesurables (caractéristiques de l’environnement, réactions physiologiques), cette approche se focalise sur les processus cognitifs, évaluatifs et motivationnels qui interviennent entre le stimulus stresseur et la réaction (réponse). Relevant de la psychologie du travail, cette approche du stress met l’accent sur le rôle actif de l’individu, partant de son expérience, en se référant à la notion de stress perçu et au rôle de représentations et des perceptions. Elle insiste sur la nécessité d’analyser le travail en termes d’interactions et de pluricausalité (Karnas et Hellemans, 2002) Au sein de cette approche, il faut encore distinguer les perspectives interactionnistes et transactionnelles. Elles se différencient à la fois sur leurs finalités et sur leurs méthodes d’investigation. 3.1. L’approche interactionniste Les modèles théoriques relevant de l’approche interactionniste (parfois appelée aussi causaliste) accordent « une primauté à l’environnement objectif, en cherchant à identifier les situations qui dépassent les capacités d’adaptation d’un grand nombre d’individus, tout en prenant en compte certaines de leurs caractéristiques individuelles » (Vézina, 2002, p.5016). Ils visent à identifier, par questionnaire, la dangerosité de situations de travail, soit les situations pouvant potentiellement être pathogènes, engendrant des réactions pathologiques sur le plan émotionnel, intellectuel et/ou physiologique. Le modèle « Job-Demand-Control Model » et les questionnaires qui en découlent, développés par Karasek sont dominants dans les études de diagnostic du stress dans les organisations, principalement dans les recherches sur les déterminants psychosociaux de la santé au travail. On peut également citer le modèle du « Déséquilibre : Efforts / Récompenses » de Siegrist. Le modèle « Job-Demand-Control Model » de Karasek met en jeu deux dimensions : les exigences professionnelles ou demandes environnementales et la latitude de décision ou autonomie au travail. Les exigences professionnelles visent à rendre compte des contraintes psychologiques qui s’exercent sur le travailleur : les exigences mentales, les contraintes de temps et la charge de travail ; la latitude de décision fait référence, d’une part, au degré de contrôle, à l’autonomie dont dispose (ou pense disposer) le travailleur, à sa capacité d’influencer les évènements au travail, et, d’autre part, aux possibilités d’accomplissement de soi (utilisation de ses compétences, travail varié, créativité). L’hypothèse soutenue par le modèle est qu’un niveau élevé de latitude de décision permet de réduire les effets négatifs des exigences professionnelles. « Un niveau élevé de demandes au travail associé à un faible niveau de latitude de décision aboutit à un niveau élevé de tension. Une demande forte de l’environnement professionnel peut être modérée par un niveau élevé de latitude de décision. En d’autres termes, un niveau élevé de contrôle protège les travailleurs contre les effets négatifs des demandes de l’environnement professionnel » (Guillet, Hermand, Py, 16 in Neboit, M. & Vézina, M., op. cit. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 11 Editions Dunod 2003, p. 6017). C’est dans les situations de travail qui se caractérisent par la combinaison d’exigences psychologiques élevées et de latitudes de décision faibles que l’on pourra constater une augmentation des risques pour la santé. Le modèle a été par la suite enrichi d’une troisième dimension : le support social (Karasek et Theorell, 1990). Le support social recouvre le soutien socio-émotionnel et technique de la part des collègues et des supérieurs hiérarchiques. Cette dimension interviendrait comme variable modératrice : une situation combinant des exigences psychologiques élevées et une faible latitude de décision serait mieux vécue si le travailleur se sent soutenu par son entourage professionnel. A l’inverse, une situation combinant exigences psychologiques élevées, latitude de décision et support social faibles serait synonyme de travail sous tension (figure 1). Les auteurs, néanmoins, ne précisent pas dans leur formalisation, les modalités d’interaction de cette dimension sur les deux premières. 17 Guillet, L. ; Hermand, D. & Py, Y., Stress et contraintes de travail : un modèle cognitif exploratoire. In Karnas, G., Vandenberghe, C. & Delobbe, N. (eds), Bien-être au travail et transformation des organisations. Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain, 2003, p. 59-68. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 12 Editions Dunod Exigences psychologiques Latitude de décision Elevé Elevé Faible Faible Support social des collègues et des supérieurs Elevé Faible Travail sous tension Figure 1 : Représentation du Modèle tridimensionnel Exigences – Latitude de décision – Support social de Karasek et Theorell Si ce modèle a bénéficié de nombreuses validations, certaines recherches ont apporté des nuances dans la construction factorielle des dimensions et dans leurs interactions. Il a été notamment proposé de scinder la dimension du support social en distinguant le support social des collègues de celui des supérieurs hiérarchiques. Par ailleurs, si les résultats ont régulièrement montré l’influence des trois dimensions sur le niveau de stress perçu et sur les risques pour la santé, c’est le plus souvent comme trois facteurs indépendants plutôt que selon un effet combinatoire (Le Blanc, de Jonge et Schaufeli, 2000). Pour Karnas et Hellemans (1999, 2002), le stress C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 13 Editions Dunod perçu serait plutôt lié aux demandes de travail et la satisfaction perçue serait quant à elle plutôt liée aux aspects de latitude de décision. Pour Guillet, Hermand, Py (2003)18, ce sont les facteurs relationnels tels que les relations avec la hiérarchie et les collègues qui engendrent les niveaux les plus élevés d’intensité de stress perçu. Le modèle du « Déséquilibre : Efforts / Récompenses » de Siegrist repose « sur l’hypothèse qu’une situation de travail qui se caractérise par une combinaison d’efforts élevés et de faibles récompenses s’accompagne de réactions pathologiques sur le plan émotionnel et physiologique. » (Vézina, 2002, p. 53-5419) Les efforts peuvent être des efforts extrinsèques correspondant aux exigences psychologiques (contraintes de temps, interruptions, heures supplémentaires, responsabilités, …) et des efforts intrinsèques correspondant aux attitudes et motivations liées à un engagement excessif dans le travail (compétitivité et hostilité latente, irritabilité, surinvestissement, …). Les récompenses peuvent être représentées par des gains monétaires, par l’estime et le respect reçus des collègues et des supérieurs hiérarchiques, ou encore par les opportunités de carrière et le sentiment de sécurité professionnelle (Le Blanc, de Jonge et Schaufeli, 2000). Ce modèle est élaboré dans la lignée de celui de Karasek, intégrant les facteurs d’insécurité professionnelle et de personnalité dans le processus. Repères : L’approche interactionniste Les modèles de l’approche interactionniste visent à identifier les zones à risques dans l’organisation. Les questionnaires qui en découlent permettent de quantifier les témoignages de souffrance au travail, sans individualiser la problématique du stress. Ils permettent aux directions d’avoir une vision réactualisée des conditions de travail telles qu’elles sont vécues par les travailleurs. Toutefois, ces modèles impliquent une certaine fragmentation des situations de travail et de l’individu, isolant les différents facteurs. Ils visent à identifier les zones à risques dans l’organisation, sans prendre en compte les activités réelles des travailleurs, sans prendre en compte les mécanismes de défense, d’ajustement, de régulation mises en œuvre par les travailleurs. Les données sont essentiellement recueillies par questionnaire, sur base d’auto-évaluation. 3.2. L’approche transactionnelle Les modèles théoriques relevant de l’approche transactionnelle montrent qu’une même situation peut être vécue de façon plus ou moins stressante en fonction de la signification qui lui est accordée par la personne et en fonction des stratégies d’ajustement ou d’adaptation mise en place. Ces modèles de l’approche transactionnelle accordent un rôle central aux représentations et aux activités individuelles plutôt qu’à l’analyse objective de situations de travail. Ainsi, c’est au travers de l’identification des stratégies d’ajustement et d’adaptation que l’on pourra identifier les situations potentiellement stressantes. La réussite ou l’échec de ces stratégies dépend de la signification de la situation pour l’individu, de ses capacités d’évaluation et de réévaluation, de ces capacités de gestion de ces stratégies. La 18 19 Guillet, L. ; Hermand, D. & Py, Y., op. cit. in Neboit, M. & Vézina, M., op. cit. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 14 Editions Dunod prise en compte des stratégies d’ajustement a provoqué un changement majeur dans la façon de concevoir le stress. « L’accent porte maintenant davantage sur l’activité de la personne dans l’ajustement aux expériences stressantes que sur la description des évènements potentiels de stress et/ou de leurs réponses possibles. » (Ponnelle & Lancry, 2002, p.5920). Le modèle le plus souvent cité est le modèle transactionnel de coping développé par Lazarus et Folkman. On peut également citer celui de Mackay et Cooper (1987). Le modèle transactionnel de coping de Lazarus et Folkman (1984) Considérant le stress comme ne dépendant pas seulement de l’évènement, ni de l’individu, le modèle transactionnel de coping repose sur la relation particulière entre l’individu, la situation et les stratégies de coping. « Le stress survient lorsqu’une situation est évaluée comme débordant les ressources et pouvant mettre en danger le bien-être. Cette réponse est le résultat d’un déséquilibre entre les exigences de la situation et les ressources de l’individu pour y faire face. » (Vaxevanoglou, 2002, p. 4221). Le modèle distingue les processus d’évaluation cognitive de la situation et les processus de coping ou stratégies d’ajustement (figure 2). L’évaluation se définit comme un processus cognitif à travers lequel un individu évalue pourquoi et de quelle façon une situation particulière (ou une série de situations) peut être vécue comme stressante. Ce ne sont pas les caractéristiques du stresseur qui indiquent l’intensité, ni la nature de ce que l’individu éprouve. Exemple : M. Guillaume travaille en tant qu’employé administratif dans le secteur bancaire. Il travaille depuis 5 ans dans le siège administratif de sa région, après avoir débuté sa carrière au sein d’une agence bancaire. Il vient d’apprendre que, suite à la restructuration de l’administration, son service va être regroupé avec celui d’un autre département. Bien que ce changement ne mette en péril ni sa sécurité d’emploi, ni son travail, il perçoit ce changement comme une menace. Il est inquiet, au contraire de son collègue qui est enthousiaste et y perçoit de nouvelles opportunités professionnelles. Comment expliquer cette attitude alors qu’il a toujours apprécié le changement ? Le processus d’évaluation cognitive entre en jeu pour comprendre les variations de réactions entre individus dans des conditions comparables d’environnement. Ce processus comprend deux phases : la première évaluation (« primary appraisal ») et la deuxième évaluation (« secondary appraisal »), qui malgré les termes utilisés, ne sont ni plus importantes l’une que l’autre, ni ordonnées chronologiquement (Hellemans, 200222). La première évaluation porte sur les enjeux de la situation. Si la situation est évaluée comme stressante (c’est-à-dire qu’elle est jugée ni comme non pertinente, ni comme 20 Ponnelle, S. & Lancry, A. Stratégies d’ajustement et ressources environnementales et personnelles dans la dynamique du stress. In Neboit, M. & Vézina, M. 2002, p. 59-77. 21 in Neboit & Vézina, op. cit., 2002 22 Hellemans, C., Essai d’analyse du modèle transactionnel d’ajustement à l’adversité ou « coping ». Questionnements conceptuels et méthodologiques. Thèse de doctorat, Université Libre de Bruxelles. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 15 Editions Dunod bénigne), Lazarus et Folkman considèrent trois types d’évaluation : la perte, la menace ou le défi. La perte implique que des dommages ont déjà été subis par la personne ; elle peut être corporelle (perte de mobilité ou de capacités intellectuelles), matérielle (perte d’emploi) ou psychologique et relationnelle (perte de relations sociales, perte d’un être cher), … La menace représente l’éventualité d’une perte. Le défi relève plutôt de la possibilité d’un bénéfice ou d’un potentiel de croissance. Bien sûr, ses trois types d’évaluation ne sont pas mutuellement exclusifs : une promotion professionnelle peut représenter tout à la fois, pour un même individu, des pertes, des menaces et des défis. La seconde évaluation porte sur les actions que l’individu pense pouvoir entreprendre, sur les ressources dont il pense disposer pour remédier à la perte, prévenir la menace ou réussir le défi. Ce processus évaluatif tiendrait compte des stratégies de coping disponibles, de l’estimation de l’efficacité de ces stratégies de coping, de la probabilité de la mise en œuvre effective de ces stratégies, de l’évaluation des conséquences des stratégies qui seraient mises en place. La première et la seconde évaluation interagissent l’une avec l’autre tout au long du processus, en ce compris dans la phase de réévaluation, phase intervenant lors de toute modification dans la transaction individu - environnement. Le processus de coping ou stratégies d’ajustement, d’adaptation se définit comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux qu’un individu met en place pour maîtriser, tolérer ou réduire l’impact d’un évènement perçu comme présentant un enjeu signifiant, pouvant atteindre son bien-être physique et psychologique (Lazarus et Folkman, 1984, Bruchon-Schweitzer & Dantzer, 2000). Le processus de coping est un processus dynamique, en constants changements, centré sur les efforts plutôt que sur les résultats, en interaction permanente avec les processus d’évaluation. Lazarus et Folkman différencient les stratégies de coping centrées sur l’émotion et celles centrées sur le problème. Les stratégies centrées sur l’émotion visent à réduire ou à éliminer la détresse émotionnelle engendrée par la situation sans action directe sur le problème. On peut distinguer l’évitement, la minimisation, la distanciation, l’attention sélective, la recherche de valeurs positives dans des évènements perçus négativement. D’autres stratégies sont axées sur l’accentuation de la détresse émotionnelle (se sentir au plus mal pour pouvoir rebondir) ou la réévaluation positive (sortir grandi d’une expérience stressante). Les stratégies orientées sur le problème visent à éliminer, modifier ou contrôler la situation stressante, elles se rapportent aux stratégies classiques de résolution de problèmes (recherche d’informations, diagnostic et élaboration de plans d’action, …) mais aussi aux changements d’aspiration, aux modifications d’implication, à l’acquisition de nouvelles connaissances. Si Lazarus et Folkman considèrent le coping comme un processus conscient et actif, d’autres perspectives les envisagent en tant que mécanismes de défense (approche psychodynamique) ou en tant que disposition stable de l’individu (trait de personnalité)23. Le modèle transactionnel de coping de Lazarus et Folkman a marqué un tournant majeur dans la compréhension des actions individuelles mises en place face à une 23 Voir Ponnelle, S. & Lancry, A. Stratégies d’ajustement et ressources environnementales et personnelles dans la dynamique du stress. In Neboit, M. & Vézina, M., op. cit., p. 59-77. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 16 Editions Dunod situation jugée stressante. Orientée vers les conduites de l’individu plutôt que sur les facteurs de stress, il se focalise sur l’interaction entre l’environnement, l’individu et les ressources de coping. Toutefois, le modèle a une orientation principalement théorique et conceptuelle, son opérationnalisation moins développée, particulièrement pour son utilisation dans les organisations. Le modèle proposé par Mackay et Cooper (1987) apporte une dimension supplémentaire au modèle transactionnel du coping en introduisant au niveau de la phase de perception de la situation la distinction, d’une part, entre les ressources personnelles de l’individu (compétences, personnalité) et les ressources externes que l’organisation met à sa disposition et, d’autre part, entre les exigences personnelles (demandes internes, objectifs personnels) et les exigences externes de l’environnement de travail (Vaxevanoglou, 2002 ; Hansez & de Keyser, 200224). Repères : L’approche transactionnelle Les modèles de l’approche transactionnelle s’intéressent aux processus intermédiaires intervenant entre la situation stressante et les effets du stress sur les conduites de l’individu et sa santé. Ils visent tout particulièrement à identifier les processus d’évaluation et de coping. Centrés sur les conduites individuelles et sur les réactions aux stresseurs plutôt que sur les stresseurs eux-mêmes, ils s’intéressent aux activités réelles des individus et prennent en compte la variabilité intra et interindividuelle. Le stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre les exigences de la situation (individu-environnement) et les ressources dont dispose l’individu pour y faire face. La transposition directe de ces modèles dans les organisations pourrait faire penser que ce ne sont pas tant les facteurs environnementaux qui importent mais les capacités d’évaluation et d’ajustement des travailleurs et que les mesures de prévention devraient surtout concernés les individus plutôt que l’organisation. Une autre interprétation est à privilégier. En effet, l’étude des stresseurs doit prendre en compte ces processus transactionnels pour identifier les situations pouvant être jugées stressantes et pour repérer dans les conduites, les stratégies d’ajustement mises en place pour y faire face. Ainsi, la mesure du stress perçu comme unique variable de diagnostic des stresseurs se limiterait à l’analyse des situations qui aboutissent effectivement à un déséquilibre entre les exigences et les ressources. 24 in Neboit, M. & Vézina, M., op. cit. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 17 Editions Dunod Situation – Evènement stresseur R é é v a l u a t i o n Evaluation Première évaluation Seconde évaluation Coping Stratégies orientées émotion Stratégies orientées problème Réaction d’ajustement Figure 2 : Représentation du Modèle transactionnel de coping de Lazarus et Folkman Section 4 : Prévention du stress et niveaux d’interventions Le stress touche plusieurs dizaines de millions de travailleurs dans l’Union Européenne. En 1999, son coût était estimé à au moins 20 milliards d’euros par an. « Il est à l’origine d’une grande souffrance humaine, de nombreuses maladies et de décès. En outre, le stress entraîne des perturbations tout à fait considérables sur le plan de la productivité et de la compétitivité. Or, il est fort probable qu’une grande partie de ces phénomènes peut être évitée. »25 Les législations européennes et nationales prévoient que l’employeur doit assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail, en appliquant les principes généraux de la prévention. La prévention doit permettre, dans l’ordre, d’éviter les risques, d’évaluer les risques qui ne peuvent être évités, de combattre les risques à la source, d’adapter le travail à l’homme (conception du poste, méthodes de travail), de planifier la prévention visant un ensemble cohérent qui intègre, dans la prévention, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants du travail et de former et informer les travailleurs. Cette séquence logique de la prévention permet d’éloigner les risques des situations de travail et des travailleurs, de privilégier les 25 Commission européenne, Manuel d’orientation sur le stress lié au travail, 1998, p. iv C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 18 Editions Dunod mesures de prévention par rapport aux mesures de protection et de privilégier les mesures collectives par rapport à des mesures individuelles. 1. La prévention du stress au travail Les interventions pour prévenir ou réduire le stress au travail, tout comme pour les autres risques professionnels, peuvent être définies selon trois types de prévention : la prévention primaire, la prévention secondaire et la prévention tertiaire, auxquelles il faut ajouter les interventions de réhabilitation (Clarke & Cooper, 2004 ; Cooper & Cartwright, 1994 ; Ivancevitch, Matteson, Freedman & Phillips, 1990 ; Cooper, Dewe & O’Driscoll, 2001 ; Le Blanc, de Jonge & Schaufeli, 2000 ; Hansez & de Keyser, 2002). Conformément aux législations européennes, la prévention primaire doit être privilégiée parmi toutes les autres. Lorsque la prévention primaire ne peut totalement s’appliquer (notamment dans les situations de travail préexistantes), la prévention secondaire doit être mise en place préférentiellement à la prévention tertiaire, ellemême préférentiellement à la réhabilitation. 1.1. La prévention primaire vise à réduire le nombre et l’intensité des stresseurs en intervenant sur les environnements de travail, les technologies ou les structures organisationnelles à partir d’un diagnostic des facteurs de stress. Il s’agit d’éviter les risques, de combattre les risques à la source, d’adapter le travail à l’homme. Les actions de la prévention primaire concernent avant tout l’organisation. Elles visent l’amélioration du contenu du travail et de l’environnement, la planification et à la gestion du changement, la gestion de la carrière professionnelle, l’organisation des services de prévention et protection au travail, la mise en place de programme de promotion du bien-être au travail. D’autres interventions de prévention primaire privilégient les actions centrées sur l’interaction travailleur-organisation : formation à la gestion du temps, développement des compétences, diagnostic des fonctions ou groupes à risques ou encore étude des rapports vie au travail/ vie hors travail. Les interventions centrées sur l’individu proposent des programmes de promotion de la santé, des campagnes de dépistage médical (pathologies cancéreuses, maladies cardio-vasculaires, …), des formations à la gestion du stress, ou encore des séances de relaxation et de fitness. 1.2. La prévention secondaire vise à modifier les réactions individuelles aux facteurs de stress en intervenant dans les organisations par des techniques de management du stress, par des formations à la communication et à l’information, par des programmes centrés sur le bien-être. Suivant le modèle transactionnel, la prévention secondaire vise à modifier l’évaluation des situations jugées stressantes ainsi que l’évaluation des conséquences que ces situations peuvent représenter (perte, menace ou défi). Les actions de la prévention secondaire concernent surtout les interactions entre les travailleurs et les milieux de travail : formation à la gestion des conflits, programme de socialisation, coaching, support par les pairs et groupes de parole, campagne de promotion de la santé au travail, planification de la carrière professionnelle. Sur le plan organisationnel, les actions de la prévention secondaire s’intéresseront au développement organisationnel, aux formes de management privilégiant un mangement centré sur la participation et la communication. Les actions à destination C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 19 Editions Dunod des travailleurs encouragent une gestion améliorée des modes de vie, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme ; elles offrent des formations à la relaxation et aux techniques cognitivo-comportementales de gestion du stress. 1.3. La prévention tertiaire vise à minimiser les conséquences dommageables du stress en aidant les individus à mieux gérer les conséquences du stress, en traitant les pathologies dues au stress au travers différentes pratiques thérapeutiques. Elle tente de réduire autant que possible la détresse humaine. Suivant le modèle transactionnel, la prévention tertiaire vise à développer des stratégies d’ajustement efficaces. Les actions de la prévention tertiaire reposent essentiellement sur la mise en place des programmes d’aide au personnel à tous les niveaux actions. Il s’agira de l’institutionnalisation de tels programmes d’assistance dans les entreprises, de l’offre de consultations spécialisées et d’aides psychologiques au sein des organisations ou encore de séances de débriefing suite à des évènements traumatisants. 1.4. La réhabilitation et la réinsertion du travailleur ayant été écarté de son travail pour une période relativement longue visent à faciliter le retour au travail de ces personnes. Les arrêts prolongés de travail, qu’ils soient dus à des accidents, à des maladies ou encore à des congés ou pauses carrière, posent le problème de la réinsertion dans l’environnement de travail : reprise d’une activité régulière présentant un ensemble de contraintes (productivité, horaire, respect de consignes, etc.), réinsertion au sein de l’équipe de travail, réappropriation de son milieu professionnel, actualisation des savoirs, nécessité éventuelle d’une adaptation du poste ou de la fonction, réaffectation ou mutation professionnelle. Ces interventions de réhabilitation consistent en l’accompagnement des personnes sur le plan organisationnel, fonctionnel et individuel. Au sein des organisations ou à titre individuel, des processus d’outplacement permettront aux travailleurs de redéfinir un projet professionnel. Les bilans de compétences, les orientations professionnelles, les mutations, les mesures de sorties du monde professionnel sont d’autres actions de réhabilitation. 2. Les actions préventives dans les organisations : principes et réalités Alors que les effets délétères du stress au travail sur l’individu et sur l’organisation sont largement reconnus dans la communauté scientifique, l’attention accordée par les employeurs à l’identification des sources de stress et à leur élimination est relativement faible par rapport aux autres préoccupations financières et managériales. Les réticences que les employeurs manifestent à l’égard de la prévention primaire ou secondaire du stress au travail reposent sur les postulats implicites suivants : (a) le stress est directement lié aux perceptions individuelles et aux évaluations cognitives des travailleurs ; (b) les conditions de travail sont intrinsèques au travail, les facteurs de stress sont inéluctables en situation de travail ; ce sont les individus qui doivent développer leurs capacités de résistance aux facteurs de stress. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 20 Editions Dunod Ainsi, de nombreux auteurs mettent en évidence que la majeure partie des interventions se centre sur la réduction des effets du stress plutôt que sur la suppression des facteurs de stress, sur la remédiation plutôt que sur la prévention. De plus, le contenu de ces interventions vise l’individu plutôt que le poste de travail ou l’organisation (François, Lievin & Mercier, 200326 ; Clarke & Cooper, 2004 ; Cooper & Cartwright, 1994 ; Ivancevitch, Matteson, Freedman & Phillips, 1990 ; Hansez & de Keyser, 2002). Selon une enquête de l’U.S. Department of Health and Human Services, plus de 60 % des 3000 lieux de travail américains interrogés (occupant plus de 750 employés) offrent un programme de management du stress ou de la promotion de la santé (centre de remise en forme, contrôle diététique, fitness cardio-vasculaire, relaxation, conseil psychologique, éducation à la santé, …)27. Les programmes d’aide au personnel (« Employee Assistance Program ») visent essentiellement à changer les comportements individuels, à modifier les styles de vie et à améliorer les capacités de gestion du stress. Il s’agit avant tout de modifier l’individu plutôt que l’organisation, d’améliorer l’adaptabilité de l’individu à son environnement. Il en est de même au sein de l’Union européenne, la plupart des interventions relèvent de la prévention secondaire ou tertiaire. Il s’agit essentiellement de l’installation de salles de gymnastique dans l’entreprise, de programmes pour arrêter de fumer, de suivi alimentaire, de cours de relaxation et de gymnastique, d’examens médicaux de dépistage, de consultations psychologiques ou d’une combinaison de ces mesures28. Un décalage important apparaît donc entre les principes de la prévention et les réalités dans les organisations. Toutefois, ce qu’il faut essentiellement relever, c’est l’absence d’une politique volontariste de prévention primaire et le manque d’intégration des programmes d’assistance au personnel dans un programme plus vaste de prévention. Plusieurs obstacles à la mise en place d’une prévention primaire du stress au travail peuvent être identifiés. Exposition aux risques et prévention La prévention des facteurs de stress au travail doit prendre compte la complexité des interactions. Si certains risques professionnels présentent un déterminisme assez évident entre le facteur de risque et les conséquences néfastes pour la santé (prenons par exemple le cas de l’exposition à des produits toxiques), il n’en est rien pour les facteurs de stress. Les approches interactionnistes et transactionnelles ont montré à suffisance la nécessité d’appréhender le stress au travail dans une approche multicausale et multifactorielle. Cette complexité des interactions nécessite une évaluation organisationnelle des facteurs de stress, remettant en question l’organisation et le contenu du travail dans son ensemble. Pourtant, les conseillers en prévention sont le plus souvent sollicités pour gérer des situations locales et ponctuelles. Si les médecins du travail mettent en cause l’évolution des conditions de travail et de l’organisation du travail dans les entreprises, leurs missions, de part la structure et l’organisation de leur service, restent essentiellement centrées sur les 26 François, M., Lievin, D. & Mercier, M., Stress au travail : développement d’une démarche de diagnostic psycho-social en entreprise. In Karnas, G., Vandenberghe, C. & Delobbe, N. (eds), Bien-être au travail et transformation des organisations. Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain, 2003, p. 103-112. 27 Cooper, C.L., 2002, p. 165. 28 Commission européenne, Manuel d’orientation sur le stress lié au travail, 1998, p. 52 C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 21 Editions Dunod travailleurs eux-mêmes, au travers des visites et examens médicaux (Neboit et Vézina, 2002). La polyvalence des actions de prévention Les mesures de prévention secondaire et tertiaire centrées sur l’individu sont des interventions qui visent à développer les ressources et les stratégies d’ajustement des travailleurs, elles ne visent pas directement à réduire les facteurs de stress. Aussi, ces interventions de promotion de la santé, de séances de fitness, de séminaires de relaxation ou de méditation, … peuvent s’appliquer assez globalement à l’ensemble des travailleurs d’une organisation et à différentes organisations. Les programmes d’aide au personnel ne nécessitent pas une adaptation importante selon les entreprises. Par contre, les mesures de prévention centrées sur l’organisation et sur le contenu du travail vont être déterminées par les facteurs potentiellement stressants présents dans l’organisation. Elles devront donc être adaptées en fonction des caractéristiques des individus, de l’organisation et de leurs interactions. En outre, certaines propositions de prévention primaire centrées sur les organisations présupposent qu’un simple réaménagement du poste de travail, qu’une « modernisation » du management, qu’une augmentation des responsabilités et des initiatives suffisent pour réduire les effets néfastes des stresseurs d’aujourd’hui. Ces mesures visent à contrecarrer les formes traditionnelles d’organisation et de structure en proposant davantage de flexibilité et d’autonomie aux travailleurs, en prônant un management participatif. Pourtant, les résultats des enquêtes européennes sur les conditions de travail montrent que le niveau de stress reste stable alors qu’une majorité des travailleurs déclarent pouvoir choisir leurs méthodes de travail, leur rythme de travail, qu’ils sont moins nombreux à exécuter des tâches monotones. Des recherches montrent que l’amélioration des méthodes de management a principalement un impact sur la satisfaction et les conditions de travail, moins sur les facteurs de stress et le vécu du stress. Les résultats de recherche de De Zanet et Vandenberghe tendent à souligner « qu’en situation de changement, ce n’est pas l’ampleur des changements auxquels sont exposés les travailleurs qui est le plus problématique. Au contraire, les entreprises devraient davantage se soucier de la façon dont les changements vont être évalués par les travailleurs »29. Ainsi, il serait réducteur d’envisager la réduction des facteurs de stress comme une intervention en dehors du système individuorganisation. Elle nécessite donc une analyse approfondie des conditions actuelles de travail et une remise en question approfondie de l’organisation et de la structure de l’entreprise concernée. Evaluation à court et à moyen terme des interventions 29 De Zanet, F. & Vandenberghe, C. Conséquences des changements dans l’environnement de travail et leur évaluation sur le bien-être. In Karnas, G., Vandenberghe, C. & Delobbe, N. (eds), Bien-être au travail et transformation des organisations. Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain, 2003, p. 87. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 22 Editions Dunod Si la littérature rapporte des effets bénéfiques des interventions de prévention tertiaires sur le bien-être des travailleurs, les améliorations obtenues sont plutôt observables à court terme sur certains indicateurs physiologiques et psychologiques. Par contre, à long terme, les effets sont quasi inexistants et rarement reproductibles (Clarke et Cooper, 2004 ; Cooper et Cartwright, 2002). Par ailleurs, les recherches présentent souvent d’importantes lacunes méthodologiques dans la mesure de ces effets sur le bien-être (absence de groupe contrôle, qualité des outils d’investigation, …)30. Parmi les quelques interventions de prévention primaire étudiées, les recherches montrent qu’elles semblent donner à long terme de meilleurs résultats. L’évaluation de ces interventions doit intégrer une réflexion sur la temporalité des effets. Par exemple, une campagne de promotion de la santé (campagne de lutte contre le tabagisme, campagne visant les habitudes alimentaires, …) se focalise avant tout sur un effet à court terme sur les comportements humains, espérant que ceux-ci se prolongeront à moyen et long terme. Par contre, une intervention sur les conditions de travail, sur les processus managériaux cherchera à agir tant sur le travail que sur les individus dans l’organisation, privilégiant une perspective à moyen et long terme. De plus, il ne faut pas négliger l’effet d’activation des campagnes de promotion de la santé. En effet, il est fréquent de constater que certaines personnes, sensibilisées aux méfaits pour la santé de certains comportements, hésitent à déclarer l’adoption des comportements qui viennent d’être qualifiés de néfastes pour la santé. Bien loin de l’idée que le travailleur doit assurer son bien-être pour mieux résister au stress, la prévention des facteurs de stress en situation de travail doit être une priorité car les « stresseurs » mettent très directement en péril d’une part, le bien-être des travailleurs et d’autre part les ressources économiques des entreprises et des structures étatiques. Une approche intégrée centrée sur le bien-être au travail et le bien-être de l’organisation devrait permettre de dégager des axes de développement à long terme. Par ailleurs, les interventions de prévention, loin de s’exclure mutuellement, devraient définir des stratégies d’action complémentaires. Enfin, toute intervention relative au stress au travail ne peut se passer d’une analyse du travail approfondie envisageant à la fois les tâches et les conditions de travail mais aussi les activités réelles des travailleurs. 30 Voir Cooper, C.L. ; Dewe, P.J. & O’Discoll, M. P. , 2001, p.187-210 C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 23 Editions Dunod Essentiel Le stress au travail Un évènement, quel qu’il soit, peut constituer une menace, dès lors qu’il est perçu par l’individu comme pouvant déborder les ressources dont il pense disposer et mettre en danger son bien-être. Le concept de stress peut désigner tout à la fois les facteurs de l’environnement, l’état psychologique de tension ou les conséquences ou effets du stress. Le stress au travail est considéré comme un risque professionnel majeur, plus d’un travailleur sur quatre dans l’Union européenne déclare que le stress constitue une atteinte à leur santé. Le cadre législatif : diagnostic et interventions La législation tend à élargir le contrôle et la surveillance de la santé et la sécurité au travail à un concept plus global de bien-être au travail. Plusieurs directives européennes invitent les pays à adapter leur législation du travail pour y intégrer davantage d’actions de prévention, notamment à l’égard du stress au travail. Les approches du stress au travail L’étude du stress nécessite une approche systémique, multifactorielle et pluridisciplinaire. Psychologues, médecins, sociologues ont proposés de nombreux modèles théoriques du stress pour comprendre les comportements humains, évaluer les situations de travail. L’étude des facteurs de stress Il s’agit de facteurs ou d’évènements susceptibles d’engendrer des tensions chez une partie significative de la population confrontée à ceux-ci. Les facteurs de stress peuvent être regroupés en quatre catégories : le contenu du travail, l’environnement de travail, l’emploi et l’organisation du travail et les relations sociales au travail. L’approche interactionniste du stress au travail Il s’agit d’identifier les zones à risques dans l’organisation, recherchant les situations qui dépassent les capacités d’adaptation des individus, compte tenu de leur latitude de décision et de leur capacité de contrôle de leur environnement. L’approche transactionnelle Les modèles théoriques s’intéressent aux processus d’intermédiaires intervenant entre la situation stressante et les effets du stress sur les conduites de l’individu et sur sa santé. Il s’agit d’identifier les processus d’évaluation et d’ajustement en se centrant sur l’interaction entre les personnes et leur environnement. Les interventions Les actions entreprises pour prévenir ou réduire le stress au travail devraient privilégier le diagnostic des situations de travail problématiques et mettre en place des interventions qui visent à éviter les risques, à les combattre à la source, à réduire le nombre et l’intensité des stresseurs plutôt que des actions sur les effets du stress. Peu encore fréquente, la prévention primaire nécessite une remise en cause du caractère inéluctable du stress au travail. Enfin, toute intervention relative au stress au travail ne peut se passer d’une analyse du travail approfondie envisageant à la fois les tâches et les conditions de travail mais aussi les activités réelles des travailleurs. C. van de Leemput (à paraître) in Les comportements humains dans les organisations 24 Editions Dunod Bibliographie Bruchon-Schweitzer, M. & Dantzer, R., Introduction à la psychologie de la santé, Paris, PUF, 2000, 3ème édition. Chmiel, N.. Introduction to Work and Organizational Psychology. Oxford, Blackwell Publishers, 2000. Cooper, C.L., Fundamentals of Organizational Behavior. Volume 3. London, Sage Publications, 2002. Cooper, C. L. ; Dewe, P.J. & O’Driscoll, M.P., Organizational Stress : a Review and Critique of Theory, Research, and Applications. Thousand Oaks, California, Sage Publications, 2000. Hellemans, C. & Karnas, G., Epreuve de validation du modèle de Karasek auprès de travailleurs du secteur tertiaire. Relations avec les tensions mentales. Revue Européeenne de Psychologie Appliquée, 1999, 49, 3, 215-234 Ivancevitch, J.M.; Matteson, M.T.; Freedman, S. M. & Phillips, J.S., Worksite Stress Management Interventions. American Psychologist, 45, 2, 1990, p. 252-261. Kahn, R.L. & Byosière, P., Stress in organizations, in Dunnette, M.D ., & Hough, L.M. (eds), Handbook of industrial and Organizational Psychology, 3, Palo Alto, CA, Consulting Psychology Press, 1992, p . 571-651. 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