Le Symbolisme

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Le Symbolisme
Le Symbolisme
Le Symbolisme (vers 1880) est une réaction contre le naturalisme, jugé trop proche de la réalité.
Le Symbolisme est un mouvement littéraire complexe, qui présente plusieurs aspects.
Il garde certains caractères du Romantisme: la révolte contre le classicisme, l’affirmation que l’artiste
doit rechercher le Beau artistique sans se soucier de la morale, de la tradition, de l’autorité.
Pourtant, à la différence du romantisme, le symbolisme soutient qu’une séparation s’est produite entre
l’individu et la réalité: l’homme ne peut communiquer ni avec la nature, ni avec les autres hommes, ni avec
Dieu. La base du Symbolisme se trouve justement dans la conscience de la solitude et de
l’incommunicabilité de l’homme.
Il s’agit alors, par un effort de tous nos sens, de trascender cette réalité et de découvrir un monde plus vrai
que celui dans lequel nous vivons.
Cette recherche d’une vérité supérieure est menée à bien par une véritable dévotion à la Beauté, qui libère
le poète du vulgaire et du commun. Ce culte de la Beauté existe déjà chez les parnassiens, mais chez les
symbolistes, il n’est plus seulement un garde-fou contre les effusions, un moyen de garder ses distances par
rapport aux sentiments, il répresente une marche quasi mystique vers un autre monde, une quête.
Les principales caractéristiques du symbolisme sont les suivantes:
•
Le poète symboliste a une conception très exigéante de la poésie qui n’est pas un divertissement
mais une quête, pour exprimer lese sens mystérieux du monde.
•
Le poète symboliste cherche à construire sur la négation. Pour les symbolistes la dimension
principale n’est pas le temps (comme le croient la science et la plupart des hommes) mais l’espace:
le poème symboliste est une expérience vécue hors du temps. La structure logique n’est plus
considérée comme nécessaire, le poète entre volontiers dans les domaines du subconscient et du
rêve.
•
La poésie symboliste n’est pas instinctive mais intellectuelle. Ce caractère intellectuel peut aller
jusqu’à l’hermétisme.
•
Les poètes symbolistes évitent les descriptions. Pour respecter le mystère, le poète n’utilise pas les
mots pour ce qu’ils signifient mais pour ce qu’ils suggèrent. Les symboles1assurent la
correspondances entre le monde visible et le monde invisible, plus vrai, plus pur. Le poète
symboliste transcrit ses rêves, les impulsions de son subconscient. Il emploie souvent le vers libre.
•
Musicalité: dans la recherche de l’harmonie universelle, la musique des mots a une place privilégiée.
Le grand maître du Symbolisme, celui qui a dirigé la littérature vers ce nouvel horizon, est Charles
Baudelaire qui toutefois est un indépendant: on trouve dans son oeuvre des poèmes romantiques,
parnassiens et symbolistes.
Les autres poètes symbolistes sont Verlaine, Rimbaud et Mallarmé au XIXe siècle; au XXe Verhaeren,
Maeterlinck et Claudel.
Le Symbolisme se répand dans toute l’Europe et il donne naissance à d’autres mouvements au siècle suivant,
tels que le dadaïsme et le surrealisme. En Italie il prend le nom de “decadentismo”, dont D’Annunzio et
Pascoli sont les représentants les plus hauts, et il donnera naissance au XXe siècle aux mouvents littéraires
des crepuscolari, des futuristi et des ermetici.
1 Le symbole est le moyen par lequel le poète symboliste pénètre dans le monde étrange, sans durée ni frontière,
où le réel et le rêve se confondent, qu’il cherche à rendre accessibile par l’intermédiaire du langage.
Charles Baudelaire
Les Fleurs du mal
Le recueil connut deux éditions du vivant de l’auteur: celle de 1857 comporte 101 poèmes et celle
de 1861 avec 127 poèmes.
L’ouvrage est divisé en six parties d’une longueur inégale qui sont les étapes d’une progression:
• Spleen et idéal (85 premiers poèmes):
C’est la section la plus importante. Le poète se sent pris (écartelé) entre la misère et
l’angoisse d’un côté, c’est le spleen, et l’aspiration vers un absolu, un idéal de l’autre. C’est
la dualité de l’artiste qui est ici exprimée.
Il retrace avec une progression dramatique:
la condition du Poète (Bénédiction, L’Albatros, Élévation, Correspondances, Les Phares);
son rêve de Beauté (La Beauté, Hymne à la Beauté, Chant d’automne, Le parfum);
son rêve d’amour (Parfum exotique, La chevelure);
son spleen (Quand le ciel bas et lourd, L’irréparable, L’invitation au voyage).
• Tableaux parisiens (poèmes 86 à 103), Le vin (poèmes 104 à 108), Fleurs du mal (poèmes
109 à 117): dans ces trois parties, Baudelaire décrit ses tentatives désespérées pour échapper
au spleen en profitant de tout ce que la ville peut offrir, en fréquentant ses semblables, (Les
aveugles, Rêve parisien), en s’enivrant (L’âme du vin, Le vin de l’assassin, Le vin des
amants) ou se livrant au vice (Femmes Damnées, L’amour et le crane). C’est la période des
paradis artificiels. Mais toutes ces tentatives échouent.
• La révolte (poèmes 118 à 120): le poète se livre à Satan comme à un ultime recours:
«O Satan, prends pitié de ma longue misère!».
La révolte s’avère cruellement vaine à son tour, et le poète ne voit d’autre issue que dans la
mort (Les litanies de Satan).
• La mort (poèmes 121 à 127): seule la mort, parce qu’elle est inconnue, peut tout promettre
et peut-être résoudre les contradictions du poète. C’est une solution possible, et c’est aussi
pourquoi le poète, malgré sa misère et son déchirement ne s’est pas suicidé: la vie permet au
poète de rêver un au-déla qui apporterait une libération (La mort des pauvres, La mort des
artistes, La mort des amants, Le voyage).
L’unité intérieure du recueil
Le schéma des Fleurs révèle une architecture bien définie car Baudelaire a voulu montrer les
différentes étapes de son esprit, depuis les illusions et les délusions de la jeunesse jusqu’à la
mort. Il y retrace l’histoire de la nature humaine partagée entre l’attrait maléfique du mal
et l’aspiration à l’idéal pour atteindre un Bonheur perdu. De là ce malaise de vivre, ce
spleen, auquel Baudelaire ne peut échapper:
- ni par sa condition de poète ou par l’attrait de l’amour,
- ni par le spectacle d’une humanité aussi malheureuse que lui,
- ni par la déchéance physique que procurent l’alcool et la drogue,
- ni par la déchéance morale que procurent le mal et la mort.
L’essence de la poésie de Baudelaire est le conflit entre le Bien et le Mal, le Ciel et la Terre. Il
dit qu’il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu,
l’autre vers Satan. L’invocation vers Dieu ou spiritualité est un désir de monter en grade; celle
de Satan ou animalité est une joie de descendre. Baudelaire voudrait s’élever vers le Ciel, mais
il est impuissant à l’atteindre. Il s’acharne alors à connaître toutes les horreurs de la Terrepuisque le Ciel lui est refusé - avec une rage sadique, contrastée par des élans vers l’Idèal.
Baudelaire est donc spiritualiste.
- C’est donc une inspiration religieuse qu’il met à la base de son univers. Torturé entre ces
deux appels, il trouve des correspondances entre le monde visible et le monde invisible qui
nous entoure.
- Il conçoit que ce monde hideux, qu’il voudrait fuir, correspond à un autre monde où tout
s’épure, où tout devient sublime: c’est le monde auquel aspire le Poète.
Le drame Baudelairien
Baudelaire fut toute sa vie un malheureux. Il souffrit du remariage de sa mère, de sa solitude
morale, de sa gêne matérielle, de ses déceptions de carrière, de ses tares physiques.
Toutes ces misères expliquent la profondeur de son “spleen2”, auquel il tenta d’échapper avec une
obstination vaine et pathétique.
Héritier des romantiques, Baudelaire manifeste lui aussi une mélancolie profonde qui fait penser à
un retour du mal du siècle. Mais sa mélancolie, son spleen, n’est pas le plaisir aristocratique de
l’âme désabusée par une tristesse sans cause, à la Chateaubriand, ni la souffrance mélancolique de
l’amour perdu, à la Lamartine.
Le spleen baudelairien est beaucoup plus personnel et complexe. C’est un état pathologique:
2
-
c’est le souvenir des mille blessures que lui a infligées la vie et qu’il garde, avec pudeur,
dans le secret de son âme;
-
c’est le poids de «l’implacable vie» avec son «cortège de Souvenirs, de Regrets, de
Spasmes , de Peurs, d’Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses;
-
c’est le sentiment du temps qui passe, de la vieillesse précoce et de la mort;
-
c’est l’angoisse que procure l’inutile effort fait pour vaincre son ennui;
-
c’est le cri de détresse de l’homme vaincu par la destinée;
-
c’est une sensation d’étouffement et d’impuissance, c’est la solitude morale.
Dans l’Angleterre du XVIIe siècle , le spleen désigne la rate, siège des humeurs noires; elle indique par conséquent la
mélancolie, Le terme arrive en France au siècle suivant.
Le poète romantique
Qu’est-ce qui apparente Baudelaire à l’école romantique?
Né en plein épanouissement du Romantisme, Baudelaire a profondément ressenti de l’influence de
cette école, tout en s’en détachant par l’interprétation personnelle qu’il donne des grands thèmes
traités par les écrivains romantiques:
1. la mélancolie
2. l’étalage du moi
3. le rôle du poète
4. le mysticisme
• la mélancolie: héritier des romantiques, Baudelaire manifeste lui aussi une mélancolie
profonde qui fait penser à un retour du mal du siècle (spleen).
• l’étalage du moi: les écrivains romantiques ont poursuivi l’étalage du Moi en faisant de la
littérature personnelle et en donnant, souvent, des oeuvres autobiographiques. Dans ce sens,
Baudelaire est profondément romantique parce qu’il est à la fois, le sujet et l’objet de son
oeuvre. Mettant «son coeur à nu», il évoque, tour à tour, ses espoirs et ses déboires
familiaux, ses amours et ses disillusions, ses angoisses et ses aspirations et les déceptions
d’une veillesse précoce n’aboutissant qu’à la mort.
Pourtant, Baudelaire, au lieu de faire de l’étalage du Moi, fait, d’après sa définition, «de la
concentration et de la vaporisation du Moi» dans le sens qu’il s’est raconté, au jour le
jour, sans fausse pudeur, dans la réalité de sa faiblesse physique et morale, et, sous l’effet de
la drogue ou de l’alcool, il a pénétré dans le domaine de l’extase poétique.
• le rôle du poète: Baudelaire se rattache à l’école romantique, notamment à Hugo par la
condition de «paria» à laquelle la société condamne le poète. Pourtant, loin de tout souci
philosophique ou moral qui attribuait à cet être d’élection, souvent méconnu et incompris, le
rôle de guide ou de prophète de l’humanité, Baudelaire ne voit dans la figure du poète qu’un
être vulnérable, extrêmement sensible, qui entend les langages de la nature et les voix
imperceptibles aux autres hommes.
De temps en temps, apparaissant sur la terre comme un phare qui éclaire la route des
mortels, le poète laisse entrevoir les beautés suprêmes. Le poète s’élève au-dessus des
hommes, mais, souvent méprisé et persécuté, il est cloué au sol, où il connaît tous les
approbres de la vie (génie dépaysé dans une société médiocre qui le méconnaît et qui le
raille).
• le mysticisme: de part son inspiration, le Romantisme se veut national et chrétien. Or,
Baudelaire, élevé dans la religion catholique, garde (conserve) toujours une certaine
sensibilité chrétienne, qui le fait vibrer d’un intense désir de pureté. L’idée du péché originel
l’obsède.
Mais, vis-à-vis d’un Chateaubriand établissant les préceptes de son dogmatisme religieux,
d’un Lamartine cherchant dans la nature le moyen pour atteindre Dieu, d’un Hugo retraçant
l’image d’un Dieu juge, Baudelaire étale un mysticisme vers lequel confluent plusieurs
éléments qui sont:
-
la nostalgie d’un bonheur perdu et l’aspiration à retrouver Dieu;
la lutte entre le Bien et le Mal;
l’attrait de Satan et le goût de la révolte;
des visions macabres et les horreurs de la mort;
la hantise du péché et du remords;
la douleur purificatrice;
la force de la prière.
Le poète parnassien
Pourquoi Baudelaire se réclame-t-il aussi de l’École parnassienne?
Baudelaire se réclame aussi de l’École parnassienne par son opposition aux excès de lyrisme et à la
versification trop facile de l’école romantique. Comme l’avait fait Théophile Gautier, auquel il
dédie ses Fleurs du Mal, Baudelaire affirme la nécessité d’un art étudié, car l’écrivain n’est pas
seulement l’interprète inspiré de la nature, mais un artiste et même un artisan. Baudelaire a toujours
rendu un culte à la beauté et l’Art lui est apparu comme «le meilleur témoignage» de la dignité
humaine, l’instrument le plus précieux de l’ascension vers l’Idéal.
Si Baudelaire partage avec les parnassiens le culte de la Beauté, il en dépasse les limites du jeu
esthétique par la grande place qu’il accorde à l’inspiration.
C’est par son inspiration qu’il réalise une Beauté personnelle et moderne, allant du mysticisme le
plus profond au satanisme le plus poussé, et traduisant en images les spectacles que lui offre la vie,
ses attitudes intellectuelles ou les angoisses de sa pensée.
Baudelaire doit à Edgar Poe, cherchant dans les paradis artificiels l’inspiration et l’oubli de la vie
quotidienne, la technique de la sensation, la vision polyédrique et colorée de l’art.
Les oeuvres de Poe lui ont révélé un frère spirituel, un poète exceptionnel, un profond connaisseur
du mystère, des sensations précises et inexplicables à la fois.
Le poète symboliste
Dans quelle mesure Baudelaire appartient-il à l’école simboliste?
Baudelaire manifeste dans le domaine de l’art des idées originales et des intuitions profondes qui
peuvent être ramenées aux principes suivants:
1. l’interprétation symbolique de l’univers;
2. la théorie des correspondances;
3. la recherche de l’inspiration dans les paradis artificiels
• l’interprétation symbolique de l’univers: la réalité qui nous entoure est le symbole
évocatoire d’une réalité suprême, dont l’univers n’est que le simple reflet.
• la théorie des correspondances: dans l’extase poétique, Baudelaire ne perçoit pas
seulement des correspondances entre le monde sopra-sensible et le monde sensible qui en
est le symbole. Grâce à sa faculté de percevoir des sensations d’une nature différente, il
saisit les correspondances entre les parfums, les couleurs et la musique.
Baudelaire aimait les parfums et très probablement il a voulu leur accorder la première
place dans l’ordre des sensations, car c’est par l’odorat qu’il aperçoit et découvre le monde
extérieur. Les parfums sont pour lui d’une richesse infinie; ils évoquent, par de subtiles
associations, tout un cortège d’images et le transportent dans des contrées lointaines où
règne la volupté. Sans doute, avait-il été profondément influencé par son voyage aux Iles où
les odeurs fortes se mêlent aux visions exotiques. Il a dédié de nombreuses pièces à Jeanne
Duval, la mûlatresse dont le parfum capiteux le transportait dans un pays de soleil et de
bien-être. Le parfum de la chevelure de son amie éveille un monde de sensations, d’images
colorées et de rêves.
Baudelaire s’est toujours montré très sensible aux couleurs, peut-être par une nécessité
intérieure de dépasser l’état de sombre mélancolie dans lequel il était plongé d’habitude. Et
il saisissait les couleurs dans la réalité environnante ou bien dans le monde de ses rêves.
La musique de Wagner lui a révélé le moyen d’atteindre l’inexprimable par la parole, la
magie évocatoire des sons, le charme de plonger dans le délire de l’extase.
• la recherche de l’inspiration dans les paradis artificiels: les Paradis Artificiels
définissent les états de bien-être provoqués par l’alcool et la drogue. Or, Baudelaire buvait et
se droguait pour atteindre un double but:
-
arriver à l’exstase poétique, c’est-à-dire se procurer artificiellement un milieu favorable à
sa création poétique;
se débarasser du poids de son existence en accelerant sa déchéance physique.
l’ivresse
Baudelaire a exalté l’ivresse sous toutes ses formes: tous les vertiges sont bienfaisants, s’ils
arrachent l’homme à l’amère méditation de son destin. Délibérément, il s’abandonne à ses
sensations, goûte un plaisir intense et raffiné à voir se jouer des couleurs, à écouter de la musique, à
caresser un chat, à respirer des senteurs rares.
Le voyage et la mort
Baudelaire a rêvé souvent de partir pour des contrées lointaines. Mais le voyage est cruellement
décevant, car l’homme traîne dans toutes les contrées la même misère. Les voyageurs, partis à la
recherche d’un chimérique Eldorado, rapportent, sans doute, de leur course errante, des souvenirs
variés, mais aussi l’expérience, partout renouvelée, d’une humanité impure et folle. La Mort seule,
suprême voyage, contient un espoir car «au fond de l’Inconnu» seulement, «on peut penser trouver
du nouveau».