Infirmier en psychiatrie de liaison : développement de la supervision

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Infirmier en psychiatrie de liaison : développement de la supervision
L’Encéphale (2013) 39, 232—236
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
EN BREF
Infirmier en psychiatrie de liaison : développement
de la supervision en milieu somatique
Liaison psychiatry nurse: The development of supervision in somatic
medicine
Y. Dorogi ∗, C. Campiotti , S. Gebhard
Service de psychiatrie de liaison, CHUV, rue du Bugnon 44, 1011 Lausanne, Suisse
Reçu le 6 octobre 2011 ; accepté le 5 juin 2012
Disponible sur Internet le 1er décembre 2012
MOTS CLÉS
Supervision ;
Psychiatrie de
liaison ;
Fonction
contenante ;
Espace transitionnel ;
Sculpture vivante
KEYWORDS
Supervision;
Liaison psychiatry;
Containing function;
Transitional space;
Sculpting
∗
Résumé Les soins somatiques devenus de plus en plus spécialisés font face à un nombre croissant de patients présentant des comorbidités psychiatriques. Celles-ci peuvent entraîner une
perturbation des relations patient-soignants, une diminution de la réponse aux traitements
somatiques, ainsi qu’une augmentation de l’utilisation des soins. Face à ces constats, le service
de psychiatrie de liaison du centre hospitalier universitaire Vaudois à Lausanne (CHUV) a développé une approche réflexive de type supervision auprès des équipes de soins somatiques. Nous
rendons compte ici de cette pratique et de l’importance de s’appuyer sur plusieurs modèles,
dans une approche intégrative, afin de mieux appréhender la complexité qui se dégage de la
rencontre entre le système patient et celui des soins. La référence aux concepts de « fonction
contenante » et de « phénomènes transitionnels », issues du modèle psychanalytique, aide le
superviseur à recevoir, contenir et donner du sens aux affects qui émergent et s’entrecroisent
dans cet espace. Mais, l’expérience nous montre que le processus de compréhension, pour
qu’il puisse être réellement intégré, doit se co-construire entre tous. Le recours à des outils
peu conventionnels comme la « sculpture vivante », issue de l’approche systémique, permet
au travers de l’expérimentation partagée, cette ouverture vers la découverte de pistes ou
d’hypothèses pour, in fine, mieux nous ajuster aux réels besoins de nos patients.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Summary
Background. — Over the years, somatic care has become increasingly specialized. Furthermore,
a rising number of patients requiring somatic care also present with a psychiatric comorbidity.
As a consequence, the time and resources needed to care for these patients can interfere with
the course of somatic treatment and influence the patient-caregiver relationship. In the light
of these observations, the Liaison Psychiatry Unit at the University Hospital in Lausanne (CHUV)
has educated its nursing staff in order to strengthen its action within the general care hospital.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (Y. Dorogi).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2012.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.10.007
Infirmier en psychiatrie de liaison : développement de la supervision
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What has been developed is a reflexive approach through supervision of somatic staff, in order
to improve the efficiency of liaison psychiatry interventions with the caregivers in charge of
patients. The kind of supervision we have developed is the result of a real partnership with
somatic staff. Besides, in order to better understand the complexity of interactions between the
two systems involved, the patient’s and the caregivers’, we use several theoretical references
in an integrative manner. Psychoanalytical reference The psychoanalytical model allows us
to better understand the dynamics between the supervisor and the supervised group in order to
contain and give meaning to the affects arising in the supervision space. ‘‘Containing function’’
and ‘‘transitional phenomena’’ refer to the experience in which emotions can find a space where
they can be taken in and processed in a secure and supportive manner. These concepts, along
with that of the ‘‘psychic envelope’’, were initially developed to explain the psychological
development of the baby in its early interactions with its mother or its surrogate. In the field of
supervision, they allow us to be aware of these complex phenomena and the diverse qualities
to which a supervisor needs to resort, such as attention, support and incentive, in order to offer
a secure environment.
Systemic reference. — A new perspective of the patient’s complexity is revealed by the group’s
dynamics. The supervisor’s attention is mainly focused on the work of affects. However, these
are often buried under a defensive shell, serving as a temporary protection, which prevents
the caregiver from recognizing his or her own emotions, thereby enhancing the difficulties in
the relationship with the patient. Whenever the work of putting emotions into words fail, we
use ‘‘sculpting’’, a technique derived from the systemic model. Through the use of this type
of analogical language, affects can emerge without constraint or feelings of danger. Through
‘‘playing’’ in that ‘‘transitional space’’, new exchanges appear between group members and
allow new behaviors to be conceived. In practice, we ask the supervisee who is presenting a
complex situation, to design a spatial representation of his or her understanding of the situation, through the display of characters significant to the situation: the patient, somatic staff
members, relatives of the patient, etc. In silence, the supervisee shapes the characters into
postures and arranges them in the room. Each sculpted character is identified, named, and
positioned, with his or her gaze being set in a specific direction. Finally the sculptor shapes
him or herself in his or her own role. When the sculpture is complete and after a few moments
of fixation, we ask participants to express themselves about their experience. By means of
this physical representation, participants to the sculpture discover perceptions and feelings
that were unknown up to then. Hence from this analogical representation a reflection and
hypotheses of understanding can arise and be developed within the group.
Conclusion. — Through the use of the concepts of ‘‘containing function’’ and ‘‘transitional
space’’ we position ourselves in the scope of the encounter and the dialog. Through the use of
the systemic technique of ‘‘sculpting’’ we promote the process of understanding, rather than
that of explaining, which would place us in the position of experts. The experience of these
encounters has shown us that what we need to focus on is indeed what happens in this transitional space in terms of dynamics and process. The encounter and the sharing of competencies
both allow a new understanding of the situation at hand, which has, of course, to be verified
in the reality of the patient-caregiver relationship. It is often a source of adjustment for interpersonal skills to recover its containing function in order to enable caregiver to better respond
to the patient’s needs.
© L’Encéphale, Paris, 2012.
Introduction
L’activité des soins s’est profondément modifiée ces dernières décennies. Le développement des connaissances
et l’apport de nouvelles technologies ont permis une
approche de plus en plus pointue de la médecine, particulièrement au niveau des traitements, repoussant les
limites à des niveaux jusqu’alors insoupçonnés. Dans ce
contexte d’hyper-spécialisation, nous identifions que les
patients traités en milieu somatique présentent de manière
croissante des pathologies chroniques multiples et une proportion importante d’entre eux (20 à 40 %) souffre d’une
comorbidité psychiatrique. Celle-ci diminue les bénéfices
des traitements somatiques, la qualité de vie des patients,
perturbe les relations avec les soignants et induit une utilisation accrue des soins ainsi que la prolongation des séjours
hospitaliers [1].
Dans ce contexte, le service de psychiatrie de liaison
du centre hospitalier universitaire Vaudois (CHUV) s’est
doté de compétences infirmières afin de renforcer son
action au sein de l’hôpital générale. Comme l’indique
la dénomination anglo-saxonne Consultation-liaison
psychiatry, notre mission est d’offrir des prestations
psychiatriques tant aux patients (consultation) qu’aux
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soignants (liaison). Le déploiement de forces infirmières au
sein d’une équipe constituée essentiellement de médecins
psychiatres et de psychologues avait pour but d’améliorer
l’efficacité de nos interventions auprès des équipes infirmières en charge des patients. Le développement de
ce travail avec les soignants, en amont et en aval des
consultations auprès des patients [2] était aussi motivé par
un besoin d’efficience des moyens mis à disposition. En
effet, face à ce vaste territoire sur lequel nous intervenons
(environ 900 lits), il devenait prioritaire de centrer nos
actions de liaison sur les équipes soignantes.
En psychiatrie de liaison, la supervision représente souvent l’approche la plus aboutie, ou dans tous les cas, l’issue
d’un long travail d’apprivoisement avec les équipes qui
en font la demande. C’est à partir de celles offertes aux
équipes infirmières et aux équipes pluridisciplinaires que
nous aborderons comment s’est construite cette approche,
menée par l’infirmier en psychiatrie de liaison seul ou en
binôme avec un médecin psychiatre.
Le soin : La rencontre entre deux systèmes,
patient et soignants
Dans ce contexte où les traitements sont spécifiques, pointus, lourds, invasifs et intensifs, le soin n’en reste pas moins
une expérience partagée intersubjective qui se co-construit
dans la rencontre entre le « système patient » et le « système
soignants » [3]. Comme nous l’avons vu, plusieurs facteurs
peuvent perturber la relation avec les soignants. Mais la
problématique relationnelle est comme la partie visible de
l’iceberg, lui-même constitué des deux faces que sont ces
deux systèmes. Ces difficultés s’expriment, par exemple,
par un refus de soins ou par de l’agressivité. Elles ne sont en
réalité que les symptômes émergents d’une problématique
plus profonde.
Le patient hospitalisé est en position de vulnérabilité
face à ce qui lui arrive. Ses réactions et comportements
vont dépendre de plusieurs facteurs, notamment des traits
de sa personnalité, son histoire médicale, familiale et personnelle, ses mécanismes adaptatifs (coping) et défensifs,
sa culture, ses croyances, ses représentations de la maladie, etc. Comprendre son comportement, quel qu’il soit, ne
peut se faire sans une exploration de son propre système
pour permettre de situer le patient comme sujet dans son
contexte particulier. Le « système soignant » est régi lui aussi
par ses propres règles, normes, valeurs, croyances, rituels
en fonction du service dans lequel les soignants évoluent.
C’est dans la rencontre de ces deux systèmes que peuvent
émerger des décalages importants, comme par exemple des
attentes réciproques non formulées, source de difficultés
[4].
La fonction contenante et l’espace
intermédiaire
La fonction contenante fait référence à l’expérience dans
laquelle la vie émotionnelle troublée trouve un espace où
elle peut être reçue et contenue. Cette notion, associée à
celle d’enveloppe psychique, a été développée par de nombreux auteurs, tels Winnicott [5] et Bion [6,7] pour expliquer
Y. Dorogi et al.
le développement psychique du bébé dans ses relations précoces avec la mère ou son substitut.
Le psychisme du bébé a besoin de la relation à l’Autre
pour se développer car il est assailli par des sensations
inédites et puissantes et par là forcément angoissantes que
son immaturité ne lui permet pas de contenir. La mère, par
son soutien (holding), ses soins (handling), sa « capacité de
rêverie » [6,7] doit pouvoir mettre en mots et contenir ce
qu’elle perçoit des états physiques et psychiques de son
enfant, de même qu’elle doit faire le lien entre ses besoins
et son environnement. Le psychisme de l’enfant grandissant
dans un environnement sécurisé, pourra lui-même se mettre
à métaboliser peu à peu les expériences vécues et avoir un
bon développement psycho-corporel. C’est d’abord par des
sensations corporelles et motrices au travers des échanges
de signaux physiques et infra verbaux qu’il se construit.
L’enfant pense en symboles avant de penser en paroles [8].
La logique symbolique est en lien direct avec les sensations
corporelles. C’est ensuite que la logique rationnelle apparaît. Pour que ce processus complexe puisse se faire, l’objet
contenant doit développer différentes qualités : l’attention
de la mère envers son bébé, qui se réalise par le soutien,
le soin, et la capacité de mentalisation ; la sollicitation de
la mère qui attire son bébé vers des niveaux d’organisation
et d’expérience plus élevés ; la rythmicité du soutien et des
soins afin de garantir une certaine continuité [9].
L’espace intermédiaire fait référence à Winnicott [10]
qui, avec son concept d’aire transitionnelle, lie l’expérience
originelle infantile de la relation à autrui et au monde,
l’expérience culturelle et l’expérience psychothérapeutique. Cette « troisième aire » est un espace d’illusion, un
espace paradoxal, intermédiaire qui se situe entre la mère
et le bébé, entre les réalités externe et interne, entre
le subjectif et l’objectif. « Les phénomènes transitionnels
représentent les premiers stades de l’utilisation de l’illusion
sans laquelle l’être humain n’accorde aucun sens à l’idée
d’une relation avec l’objet [. . .] » [10]. Winnicott étendra
ce concept aux expériences que peuvent vivre les adultes :
l’aire de l’expérience culturelle figurée par le jeu, l’humour
et l’expérience artistique. « Il existe un développement
direct qui va des phénomènes transitionnels au jeu, du jeu
au jeu partagé et, de là, aux expériences culturelles » [10].
Le jeu (playing) est lié à la présence d’un environnement
facilitateur, qui le soutient et qui le maintient. « La psychothérapie se situe en ce lieu où deux aires de jeux se
chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. En
psychothérapie, à qui a-t-on affaire ? À deux personnes en
train de jouer ensemble » [10].
Supervision : espace d’expérimentation et de
découverte
Dans notre expérience, il nous est apparu nécessaire de nous
appuyer sur ces concepts pour nous aider à recevoir, contenir et donner du sens aux affects des uns et des autres,
dans un espace intermédiaire ou espace de parole [11].
En effet, le « symptôme-comportement » est l’expression
d’une souffrance « invisible » qui s’exprime dans la rencontre soignant-soigné dans un contexte particulier. Nous
pouvons donc déjà faire l’hypothèse que le dispositif de soin,
pour des raisons diverses, n’a pu permettre la mise en mots
Infirmier en psychiatrie de liaison : développement de la supervision
de maux plus profonds. Mais quoi de plus difficile pour un
soignant que de se confronter à ses limites, à son impuissance, à son désarroi lorsqu’il perçoit le malaise où l’autre,
le patient, est le sujet en souffrance. L’infirmier en psychiatrie de liaison est donc confronté à deux souffrances, celle
du patient qui n’a pu être contenue et celle du soignant
qui doit être contenue [12]. L’objectif est de permettre
au soignant de se réapproprier ses compétences relationnelles afin qu’il puisse à nouveau exercer son « savoir-être »
et rencontrer les réels besoins du patient.
Ce travail de groupe, demande au superviseur une attention particulière et une responsabilité quant au respect de
la « zone personnelle » des participants, la mise en perspective de la complexité du patient et l’appui sur la dynamique
du groupe [13]. L’attention est portée surtout sur le travail
des affects. Ceux-ci sont souvent enfouis sous une carapace défensive. Une protection temporaire qui piège le
soignant dans la non-reconnaissance de ses propres émotions, phénomène qui, bien malgré lui, accentue la difficulté
relationnelle. Lorsque ce travail de mise en paroles des émotions ne va pas de soi, nous pouvons passer par la logique
symbolique.
Le sculpting (ou sculpture vivante), outil utilisé comme
objet flottant dans les approches systémiques, technique
développée notamment par Onnis [3] et par Caillé et Rey
[14], peut être utilisé dans ce cadre afin de permettre
l’expression d’affects dans un environnement sécurisant et
contenant. Au travers du langage analogique, il permet surtout une rencontre où se créent de nouveaux échanges, un
espace « intermédiaire de jeu » entre toutes les personnes
en présences pour « [. . .] inventer de nouveaux comportements, se découvrir eux-mêmes » [14].
Pratiquement, nous demandons à l’intervenant qui a présenté une situation qui l’interroge et/ou lui pose problème,
une représentation spatiale de sa propre compréhension
de la problématique à travers la disposition corporelle des
personnes significatives : membres de l’équipe soignante
pluridisciplinaire, patient, proches, réseau ambulatoire. En
silence, il modèle les personnages, en demandant au préalable l’accord des participants concernés de jouer le jeu,
dans des postures qu’il créera et disposera dans l’espace.
Chaque personnage sculpté est identifié, nommé ; la posture
est affinée, les regards sont précisés et le sculpteurintervenant se modèle, dans son propre rôle, en dernier.
Après quelques instants de fixation et une fois la sculpture terminée, nous demandons à chacun son propre vécu.
Ainsi, à partir de cette représentation analogique, s’ouvrent
une réflexion, des hypothèses de compréhension qui se
co-construisent entre tous, participants à la sculpture et
spectateurs. Nous pouvons ensuite proposer d’en refaire
une, afin d’initier un changement mais surtout d’augmenter
les choix possibles.
Illustration clinique
Cette supervision animée par un infirmier et un médecin
du service de psychiatrie de liaison s’est faite en présence
de trois médecins et de cinq infirmier(ère)s d’une équipe
somatique des soins intensifs.
Avant même de nous exposer la problématique, le
médecin de cette équipe nous demande d’organiser une
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Figure 1
Sculpture vivante.
consultation pour « . . .évaluer ce patient car il souffre d’un
grave trouble de la personnalité. . . ».
Paul est un cadre supérieur de l’industrie agroalimentaire. Il a 54 ans, est marié et père de deux filles de
26 et 24 ans. En bonne santé habituelle, il n’avait jamais
été hospitalisé avant d’être admis en urgence deux jours
plutôt en raison d’un infarctus du myocarde étendu. Sous
surveillance médicale étroite dans l’unité des soins intensifs, Paul se montre très irascible, critiquant les soins qui lui
sont prodigués et remettant en question la compétence des
soignants. À plusieurs reprises, il menace de quitter l’hôpital
et il ne se ravise qu’après la venue d’un cadre médical à son
chevet pour confirmer l’adéquation des soins prescrits.
Rapidement nous comprenons que la problématique qui
nous est présentée et pour laquelle il nous est demandé
d’agir, est l’expression d’une tension qui s’opère dans la rencontre entre les deux systèmes que sont celui des soignants
et celui du patient. Le discours très rationnel des soignants
et leur compréhension de la problématique nous permet de
voir comment la dimension affective a été mise de côté. À la
lumière de nos propres affects suscités dans la dynamique de
cette supervision, nous pouvons faire l’hypothèse que cette
équipe ressent de l’agacement face à la non-reconnaissance
de leurs compétences, de l’inquiétude face aux réels risques
somatiques de Paul et de l’impuissance face à ces comportements qui mettent à mal leur mission de soins. Le risque
pour les superviseurs serait de donner d’emblée une explication psychologique voire psychiatrique de la situation sans
tenir compte du vécu affectif, non élaboré, des soignants.
La sculpture, représentée ci-dessus, est construite par un
infirmier qui s’est beaucoup investi auprès du patient. Paul
est joué par un médecin, debout les mains le long du corps
il regarde l’infirmier agenouillé devant lui. Celui-ci dans son
propre rôle a les mains sur ses genoux regardant devant lui
au travers des jambes du patient. Derrière lui, l’épouse du
patient, jouée par une infirmière, est sculptée debout, dos
à la scène regardant au loin par la fenêtre (Fig. 1).
Par ce travail corporel les personnes sculptées
découvrent des perceptions et des affects qui leur
étaient jusque là inconnus. Le médecin qui a joué Paul a
ressenti de la peur, de la solitude et de l’incompréhension.
L’infirmier, dans son propre rôle, a perçu un fort sentiment d’impuissance en plus de perceptions corporelles
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d’inconfort liées à sa position. Quant à l’infirmière, qui a
joué l’épouse, elle a senti une forte angoisse de mort.
C’est à partir de cette expérience vécue et de ce matériel que nous co-construisons tous ensemble une hypothèse
de compréhension de la problématique exposée. Les participants se reconnaissent dans ce sentiment d’impuissance
et identifient que leur réaction d’agacement ne leur permettait pas de décrypter entièrement les comportements
de Paul comme une réaction défensive inconsciente face à
ce qui lui arrive. D’ailleurs, nous pouvons faire l’hypothèse
que l’inquiétude légitime de Paul est, en faite, dirigée sur
son épouse et ses filles. Celles-ci, selon les dires d’un infirmier, étaient extrêmement angoissées et en pleurs lorsqu’il
les avait accueillies pour une visite.
Cette nouvelle représentation de la situation opère une
modification dans la posture même des collègues de l’unité
des soins intensifs. Le changement qui s’est fait leur permettra d’appréhender Paul et sa famille, dans toute leur
complexité.
Conclusion
En nous appuyant sur ces concepts d’objet contenant et
d’espace transitionnel, nous nous situons résolument dans le
champ du dialogue, de l’ouverture et de la rencontre. Nous
privilégions le processus de compréhension au détriment
du processus explicatif qui nous mettrait dans une position
d’expert. L’expérience de ces rencontres nous montre que
c’est bien sur ce qui se joue dans cette espace intermédiaire, en termes de dynamique et de processus, que doit
porter toute notre attention. La rencontre et le partage
de l’ensemble des compétences permettent une nouvelle
compréhension de la situation. Celle-ci doit bien entendu
être vérifiée dans la pratique de la relation soignant-soigné.
Elle est bien souvent source d’ajustements, où le savoirêtre peut à nouveau « jouer » sa fonction contenante, afin
de répondre au mieux aux réels besoins du patient.
Y. Dorogi et al.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
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perspective de la complexité. In: Vannotti M, Célis- Gennart
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une perspective de la complexité. Genève: Ed Médecine et
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[7] Bion WR. Aux sources de l’expérience, 1962 [trad. fr.]. Paris:
PUF; 1979.
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[10] Winnicott DW. Jeu et réalité [trad. fr.]. Paris: Edition Gallimard; 1975.
[11] Ampelas JF, Pochard F, Consoli SM. Les troubles psychiatriques
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[12] Dorogi Y. Comment gérer l’insoutenable ? Soins Infirmiers
2003;6:42—5.
[13] Dorogi Y, Ganiere J. Responsabilité et enjeux du travail
d’animation. Soins Infirmiers 2009;4:46—50.
[14] Caillé P, Rey Y. Les objets flottants. Paris: Edition Fabert; 2004.

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