Mémoires de nos Pères Clint Eastwood

Transcription

Mémoires de nos Pères Clint Eastwood
Juin
2010
188
Clint Eastwood
L’Amérique, ses héros et ses hommes
Fiche d’analyse de film
Ryan PHILLIPPE
Barry PEPPER
Jesse BRADFORD
Jamie BELL
Adam BEACH
Paul WALKER
John Benjamin HICKEY
Robert PATRICK
John SLATTERY
Mémoires de nos Pères
U.S.A
• 2006 •Couleurs • 2h12
Scénario William BROYLES Jr., Paul HAGGIS
Photographie
Montage
Son
Musique
d’après l’oeuvre de James Bradley et Ron Powers
Tom STERN
Joel COX
J. T. REITZ, D.E. CAMPBEL, l G RUDLOFF, W. MARTIN
Clint EASTWOOD, Lennie NIEHAUS
L
L’histoire
Tout est plus difficile à l’âge d’homme. Oublier
surtout. Il arrive qu’un vieil homme, dans son
lit, ouvre soudain les yeux parce qu’il a 22 ans
et qu’il est au milieu d’un chaos de sable noir,
dont le temps ne le laisse pas sortir. Ce chaos
s’appelle Iwo Jima, un bout de terre minuscule
au milieu du Pacifique, théâtre d’une des
plus terribles batailles de la Seconde Guerre
mondiale. Le vieil homme s’appelle John
Bradley. Il fait partie des six soldats américains
photographiés par Joe Rosenthal en train de
hisser le drapeau américain au sommet du
mont Suribachi. Certains disent qu’une photo
peut faire perdre ou gagner une guerre. Cellelà, a été synonyme de victoire. John Bradley
meurt le 11 janvier 1994, à l’endroit où il est
américains atteignent le mont Suribachi. Un
premier drapeau américain est dressé en signe
de conquête. Les forces américaines exultent.
Un chef d’état major demande à ce qu’on lui
remette ce drapeau, en guise de trophée. Un
deuxième drapeau est dressé. Plus grand. Six
hommes sont photographiés en train de le
hisser.
Cette photo, imprimée dans tous les
journaux américains, atterrit sur le bureau
du président Roosevelt. A ce moment là, le
pays est ruiné et las d’une guerre impitoyable.
Et cette photo est en train de changer les
choses, aussi absurde que cela puisse paraître.
Roosevelt ordonne que les six soldats présents
sur cette photo soient rapatriés aux EtatsUnis pour aider le gouvernement, au bord la
faillite, à lever plusieurs millions de dollars en
Bons du Trésor.
Sur les six soldats immortalisés sur la
photo, seulement trois sont rescapés : René
Gagnon, John Bradley, et Ira Hayes.
né : Antigo, Wisconsin. On vit avec bien des
choses. On meurt parfois avec davantage.
C’est pourquoi, après la mort de son père,
James Bradley décide de raconter son histoire.
Celle d’un homme, d’un pays, d’une photo de
légende.
La bataille d’Iwo Jima débute le 19 février
1945. L’objectif des américains est simple :
déloger les combattants japonais de l’île et
prendre possession du mont Suribachi. Leur
stratégie est désespérée : offrir des soldats
en pâture aux 20 000 soldats japonais qui
les attendent, protégés par un réseau sousterrain sans équivalent.
La boucherie annoncée a bien lieu. Les
Japonais laissent avancer les américains sur
la plage avant de les abattre sous un déluge
de feu. L’avancée des troupes américaines se
fait avec l’appui de la centaine de navires de
guerre qui affluent vers l’île. Le 23 février, les
Ira Hayes est un Indien Pima. Quand René
Gagnon lui apprend que le Président Roosevelt
souhaite que lui et les autres survivants
reviennent aux Etats-Unis, il est révolté.
Pour lui, les véritables héros d’Iwo Jima, sont
ses « bons copains » morts sur le champ de
bataille. Mais un soldat doit obéir aux ordres.
La nouvelle mission des trois Marines est de
sillonner les Etats-Unis et de jouer les héros :
devant les journalistes, les gens influents ou la
foule des gens ordinaires qui s’amassent dans
les stades pour les voir.
Ira supporte mal cette mise en scène
permanente, ce mensonge. Il reproche à
René Gagnon d’avoir désigné Harry Hansen,
comme un des six « héros » du 23 février,
alors qu’il s’agissait de Harlon Block. Il se met
à boire, à devenir violent. Finalement, il est
autorisé à repartir. Mis à part à la guerre, il n’a
nulle part où aller. La guerre est bientôt finie.
Il n’est plus personne. Ira meurt à 32 ans, dans
des circonstances mystérieuses, après des
années d’errance. La prison fut souvent son
domicile. Durant ces années, il rendit visite à
la famille d’Harlon pour leur confirmer que
c’était bien leur fils qui avait hissé le deuxième
drapeau.
De leur côté, les deux « héros » René et
John, sont vite oubliés par l’opinion publique,
et ne sont plus que des vieilles gloires qu’on
rappelle lors de cérémonies militaires.
On aime les choses simples ; bien et mal, héros
et méchants. Et il y a toujours beaucoup des
deux. En général, ils ne sont pas ceux qu’on
croit.»
John fonde une famille et reprend avec
succès une affaire de pompes funèbres. De
son vivant, John n’a jamais voulu parler de ces
histoires de guerre à sa famille. Si, une fois, à
son fils, avant de mourir.
Ce jour-là, il évoque un
souvenir précis : après
avoir planté le drapeau,
lui et ses « copains »
sont redescendus de
la montagne pour aller
nager.
Comme
des
enfants, au milieu d’un
enfer.
Mémoires de nos pères repose avant tout
sur son scénario, élaboré en collaboration
avec William Broyles Jr et Paul Haggis. Le
trio Eastwood, Broyles et Haggis est parti
du livre éponyme de James
Bradley et Ron Powers sur
la bataille d’Iwo Jima. Le
film rend hommage au livre
notamment à travers l’esprit
hyper-réaliste des scènes
de combat. On notera
au passage, une certaine
similitude entre le réalisme
de Mémoires, et le réalisme
de films comme Il faut sauver
le soldat Ryan. Spielberg, qui
est co-producteur de Mémoires, avait acheté
les droits du livre, mais a finalement passé le
projet à Eastwood. Au-delà des scènes de
combat, remarquablement photographiées,
le scénario s’attache, comme dans Jarhead,
(scénarisé par William Broyles Jr) à décrire
l’univers intime des soldats avant, et après la
bataille, sous la forme d’une quête de sens.
Dans Jarhead, film sur la guerre du Golf, le sens
a disparu. Toute révolte, toute conscience,
est inutile. Dans Mémoires, la révolte et la
conscience ont encore leur place. Cette
révolte a une double dimension : morale et
existentielle.
Les gens aiment les
vérités simples sur la guerre. Il y a des héros.
Il y a des méchants. Certains ne sont que des
hommes qui ont sacrifié leur vie, non pas pour
un pays, pour un idéal, mais pour leurs amis.
L’homme devant eux, l’homme à-côté d’eux.
PISTES DE REFLEXION
Pistes de réflexion
« Incontestablement, je suis un cinéaste
américain. Ce qui veut dire qu’à l’instar
de mes collègues, mes racines se trouvent
dans le cinéma de genre. Je crois que les
conventions liées au genre ajoutent une
certaine force aux films ; elles permettent
de créer des variations à partir de leurs
propres motifs et, simultanément, de
revigorer le film, de le renouveler aux yeux
du public comme aux miens ».
CLINT EASTWOOD
Incontestablement, Mémoires de nos pères,
est un film de guerre, et un film sur la guerre,
à la manière d’une iconographie. C’est aussi
un film de déconstruction d’un mythe, celui
des héros de la bataille d’Iwo Jima, et à travers
ces héros, de toute forme de mythologie de
la guerre. Cette intention est annoncée dès
les premières minutes, à travers la pensée
de John Bradley qui dit en substance ceci :
« n’importe quel pékin croit savoir ce qu’est la
guerre. Surtout ceux qui ne l’ont jamais faite.
La dimension morale renvoie au thème de
la manipulation du gouvernement américain,
l’exploitation médiatique et politique d’une
photographie pour soutenir l’effort de guerre,
la fabrication de héros de la nation. En ce sens,
Mémoires, est aussi une réflexion sur le rôle
des images. Le film évoque explicitement une
autre guerre où les images ont joué un rôle
majeur : le Viêt-Nam. Que dire, aujourd’hui,
des images de torture d’Abou Ghraïb ?
Incontestablement, les photographies agissent
sur nous, de manière à avoir un effet direct
sur le type de jugement que nous formulerons
à propos du monde. Les photographies ne se
contentent pas de représenter, elles relaient
un affect. Eastwood nous montre que cette
affectivité qui peut motiver chez le spectateur
un changement de point de vue, n’est que
momentanée. C’est une des différences entre
la photographie et une forme d’art comme
le cinéma. L’ambition d’un film comme
Mémoires, est de nous amener à comprendre.
Pour aller au bout de sa démarche, Eastwood
ira même jusqu’à filmer le point de vue des
Japonais lors de cette bataille, ce qui donnera
Lettres d’Iwo Jima. Cette démarche absolument
originale, traduit à la fois le renversement de
perspective que cherche à opérer Eastwood,
mais aussi sa profonde admiration pour des
personnages au destin hors du commun : Ira
Hayes dans Mémoires, le général Tadamichi
Kuribayashi, dans Lettres.
Nous contacter
La dimension existentielle renvoie aux
destins croisés des soldats Ira Hayes et John
Bradley. L’histoire raconte qu’avant d’aller à
la guerre, Ira n’était jamais sorti de sa réserve
indienne. La guerre le fait passer au statut de
héros, statut inespéré au regard d’une société
américaine qui, comme le souligne le film,
adopte toujours des lois discriminantes envers
sa communauté. Ce passage au rang de héros,
qui aurait dû être synonyme de reconnaissance
voire de renaissance pour cet indien, le
précipite dans une chute vertigineuse, une
chute sociale, physique et morale. Il y a bien
sûr quelque chose du livre de Camus dans la
trajectoire d’Ira Hayes. Ira ne se reconnaît
plus dans son rôle de héros. Il ne se reconnaît
pas dans un monde qui transforme ses amis,
ceux qui sont morts, en crème pâtissière sur
laquelle on verse un coulis de fruits rouges.
Devenu étranger à lui-même et au monde,
l’errance est devenue le seul territoire
possible pour Ira. Cette représentation d’un
Ira marchant seul, comme dans un désert,
renvoie aussi à un univers biblique où Ira serait
à la fois prophète et martyr.
La trajectoire de John Bradley est à
l’opposé de cette vision tragique. Ni révolté
comme Ira, ni opportuniste comme René
Gagnon, du fait de sa notoriété de héros de
guerre, John Bradley traverse ces événements
avec une seule ligne de conduite : le sens du
devoir. Le devoir envers les Etats-Unis, le
devoir envers le souvenir de ses amis morts
sur le champ de bataille, et notamment celui
qui était leur sergent, Mike Strank, qui avant
de mourir lui demande de mériter la vie que
la guerre ne lui a pas enlevée.
A travers la figure de John Bradley,
on retrouve les thèmes récurrents chez
Eastwood ; à savoir, la famille, la transmission,
les œuvres mystérieuses du destin.
Concernant les œuvres du destin, il est
remarquable que Mémoires ne se termine pas
sur une note tragique, contrairement à des
films comme Mystic River ou Million Dollar
Baby. En effet, alors que toutes les images
du film sont hantées par la mort, la dernière
image de Mémoires, où l’on voit John Bradley
rejoindre ses camarades dans la mer, nous
relie à quelque chose d’absolu, quelque chose
qui résume si simplement l’innocence et la
vulnérabilité de l’existence. Des soldats qui
se regardent jouer comme des gamins dans
l’eau et qui se disent quoi ? Allez, un dernier
rire avant la fin. La fin de la guerre ou la fin du
monde. Qu’importe. Ce qui fait une vie est
dans cet instant, et cet instant est à eux.
Paolo Zannier
U n r é s e a u d ’ am i s r é u n i s p a r l a p a s s i o n d u c i n é m a
6 Bd de la blancarde - 13004 MARSEILLE
Tel/Fax : 04 91 85 07 17
E - mail : [email protected]

Documents pareils