Emmanuel Chabrier (1841
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Emmanuel Chabrier (1841
Emmanuel Chabrier (1841-1894) Habanera pour orchestre (1888) Ça vit, ça tangue, ça chatoie ! C’est généralement avec condescendance que l’on considère et écoute ce compositeur sommairement qualifié de « truculent », en réalité l’un des plus personnels de sa génération, par la finesse et le foisonnement de ses inventions. « Une forte tête ronde, le nez charnu et sensuel, des yeux saillants à fleur de tête, des bras courts, des mains potelées, des jambes courtes », dira Poulenc. En dépit de sa réputation d’amateur (il vint à la musique par le détour du droit et de l’administration), cet ami de Colette et de Verlaine, de Manet, de Duparc et wagnérien fanatique (celui qu'abusa l’envoûtement allemand disait de son opéra Gwendoline : « C’est du Liebig musical ; c’est trop compact ; il faudrait en prendre une boulette pour mettre dans un honnête délayage et agiter avant de servir le morceau »), Chabrier donc, attira l’attention des meilleurs musiciens d’alors : Gustav Mahler y voyait « le début de toute la musique moderne ». En outre, son influence fut large et profonde, sur Richard Strauss, Ravel et Debussy. Habanera s’inspire d’un motif entendu au cours d’un séjour que Chabrier, de juillet à novembre 1882, fit en Espagne. Où, enthousiaste, il écoute et note thèmes, rythmes et timbres des danses et chants : habaneras, zortzicos, flamencos, tangos, soledas, zapateados, etc. Début septembre, il écrit à ses éditeurs : « Je ne connais pas de pays où la musique nationale soit aussi variée de rythmes – c’est merveilleux […] ; chaque province a ses airs, ses rythmes spéciaux et en est très jalouse. » Le 29 octobre 1885, Chabrier termine une courte Habanera pour piano, morceau qu’il orchestre trois ans plus tard : « Habanera est ravissant à l’orchestre […] ; ça peut se jouer PARTOUT ; et je crois bien que tous les concerts de Paris – (Folies Bergère, Eldorado, Roche, Scala, etc.) en feraient leurs choux gras. » Au rythme d’un tango, « une manière de danse où la femme imite avec son derrière le tangage d’un navire, est la seule à 2 temps », précise Chabrier, le charme, la volupté troublante du contre-chant que les violoncelles opposent à la mélodie. Avec cette clarté sans « tarabiscotage » qui fait penser à la « vision fugitive » des impressionnistes dont les toiles tapissaient les murs de l’appartement du compositeur. Jean-Noël von der Weid Lire Emmanuel Chabrier, Correspondance, Paris, Klincksieck, 1994.