143 Une fin de mois difficile que les pauvres
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143 Une fin de mois difficile que les pauvres
143 Une fin de mois difficile me rappelle que les pauvres avaient de la chance C’est l’heure de l’impôt : mes revenus sont repartis ! Répartis ! rétorque en moi une voix de gauche, celle du petit génie altruiste que ma mère a lâché dans l’enfance de ma conscience. Je soustrais mentalement à mon compte en banque la pension alimentaire de Jeanne, celle des garçons, l’emprunt pour la maison, le foncier, la taxe d’habitation qui ne va pas tarder… puis j’ajoute… je n’ajoute rien. Il faudra tenir jusqu’à la fin du mois. Je me rappelle un trajet en bus. Ma mère se tourna vers moi, avec l’air qu’elle prenait pour me parler sérieusement, parce que j’étais un petit garçon qui saurait comprendre ces choses-là et qu’on pouvait me parler comme à un adulte55. J’aimais beaucoup ces moments où j’étais admis dans le monde des grands, pour discuter des sujets graves — la sexualité, la guerre au ProcheOrient, la mort d’un membre de la famille. Le visage de ma mère était alors détendu, il inspirait le calme, la maîtrise. La situation était inquiétante, mais on saurait faire face, et ça passerait. Ce jour-là, elle m’expliqua qu’elle n’avait plus beaucoup d’argent, qu’il allait falloir faire attention. Rien d’alarmant, mais on allait manger plus souvent des pâtes et des patates. La pauvreté me parut alors désirable. 55 Inversement, depuis que je suis adulte, elle me parle comme à un gamin.