logement - Courrier des maires

Transcription

logement - Courrier des maires
LOGEMENT
LE PARI DU « DROIT OPPOSABLE »
Le droit au logement
opposable est acté
par le gouvernement.
Les conditions
de mise en œuvre restent
encore floues.
Les élus s’interrogent
sur les moyens
de l’appliquer localement.
«J
’ai déjà reçu un courrier réclamant un appartement dans le
cadre du droit au logement
opposable. Que suis-je censé
faire ? » Jean-Christophe Lagarde, maire
de Drancy, (63 300 hab., Seine-SaintDenis) s’interroge. Les effets du projet
de loi « instituant le droit au logement
opposable », adopté le 17 janvier dernier
en Conseil des ministres, n’ont pas tardé
à se manifester. Le texte a été adopté
par le Sénat fin janvier et il sera discuté
à l’Assemblée nationale à la fin du mois
de février. Victoire pour les associations
qui le réclament depuis de nombreuses
années, il inquiète nombre d’acteurs qui
l’estiment rédigé dans l’urgence et sans
que les conditions de son application
effective ne soient réunies.
Voilà plus de vingt ans que le débat sur le
droit au logement est lancé : « Dès 1987, le
père Joseph Wresinski, fondateur de notre
mouvement, a soulevé la question du logement dans le traitement de la grande pauvreté », se souvient Véronique Davienne,
déléguée nationale d’ATD-Quart Monde.
Les textes ont relayé cette préoccupation
grandissante : la loi « Besson », du 30 mai
1990, fait du droit au logement un devoir
de solidarité nationale en posant une obligation de moyens. Une étape supplémentaire est franchie avec la loi Solidarité et
renouvellement urbains du 13 décembre
2000 qui affiche une ambition de résultats en imposant le principe des 20 %
de logement social. Pourtant, face à une
situation qui empire parce qu’elle s’étend
désormais aux « travailleurs pauvres », les
associations poursuivent leur combat en
8
8-10_199_ACTU_focus2.indd 8
C. BITTON/COSMOS
Préoccupation grandissante
« LES ENFANTS
DE DON QUICHOTTE »,
ONT CONTRIBUÉ
À LA PRÉSENTATION,
LE 17 JANVIER,
DU PROJET
DE LOI « INSTITUANT
LE DROIT
AU LOGEMENT
OPPOSABLE »,
EN COURS
DE DISCUSSION
AU PARLEMENT.
créant en 2002, à l’initiative d’ATD-Quart
Monde, une plate-forme interassociative
afin de réfléchir au contenu du droit au logement opposable (Dalo). Leur réflexion
est nourrie par le Conseil économique et
social, qui s’autosaisit de la question en
2002, et par le Haut comité au logement
des personnes défavorisées (HCLPD) qui
aborde le sujet de l’opposabilité dans ses
rapports annuels depuis 2002.
L’événement déclencheur, fin 2006, est
finalement la mobilisation spectaculaire de l’association « Les enfants de Don
Quichotte », qui couvre de tentes destinées aux SDF les abords du Canal Saint-
Martin, à Paris. Dans ses vœux à la nation,
Jacques Chirac s’empare du thème du
droit au logement opposable. A partir de
là, la machine s’emballe. « Nous attendions d’être reçus par le gouvernement
depuis le mois de novembre… Dès le
3 janvier, nous avons pu lui présenter
notre rapport 2006 », témoigne Bernard
Lacharme, secrétaire général du HCLPD.
Le jour même, Dominique de Villepin annonce le projet de loi.
En si peu de temps, difficile de ficeler les
contours d’un droit complexe à concevoir
et à appliquer : « L’essentiel est que le principe du droit au logement opposable soit
Le Courrier des maires • N0 199 • Février 2007
1/02/07 13:39:54
Jean-Paul Alduy, sénateur-maire (UMP) de Perpignan (66),
vice-premier président de l’AMGVF, président de l’ANRU
Didier Marie, président (PS) du conseil général
de Seine-Maritime
Catherine Peyge, maire (PC) de Bobigny (93)
« L’Etat doit essuyer
les plâtres »
« Mon département
est candidat »
« L’objectif du droit au logement opposable
est incontournable mais son application
ne doit pas être précipitée. L’Etat doit
assurer un droit à l’hébergement,
construire des logements sociaux et très
sociaux et garantir l’application de la
loi SRU. Le préfet ne doit pas appliquer
aveuglément ce droit, il doit respecter
la mixité des programmes de l’ANRU.
Il faut prévoir un accompagnement
économique et social pour que l’accès
au logement soit réussi et, surtout,
mobiliser le parc privé, ce qui suppose,
par exemple, de revisiter les textes
de réquisition. L’AMGVF reste ouverte
à l’expérimentation à condition que les
compétences nécessaires soient déléguées
aux EPCI volontaires. L’Etat doit d’abord
essuyer les plâtres puis la délégation
pourra être expérimentée au niveau local. »
« Mon département est candidat à
l’application du droit au logement
opposable. Je m’appuie sur un constat :
en 2006, sur 36 321 demandes de logements
sur mon territoire, 25 821 n’ont pas été
honorées. Pourtant, le logement est déjà
notre priorité : nous avons baissé les
subventions d’équipements de quatre
communes qui ne respectent pas le quota
des 20 %. Un fonds de minoration foncière
maintient des prix du foncier accessible
pour les bailleurs. Enfin, le département
vient de créer un fonds de cautionnement
et de garantie des loyers pour les
personnes qui perçoivent moins de
1 500 euros mensuels. Si le département
souhaite expérimenter le Dalo, le parc
privé doit être partie prenante de l’effort
collectif et l’obligation de résultat doit être
assortie de réels moyens. »
acté. Mais la loi, qui doit être votée en
procédure d’urgence, ne peut pas organiser la responsabilité au niveau territorial », regrette Bernard Lacharme. De fait,
l’opposabilité suppose une obligation de
résultat : une personne mal logée pourra
se tourner vers l’entité responsable d’appliquer ce droit.
L’Etat premier garant
L’article 1 du projet de loi désigne clairement l’Etat comme le garant du droit
au logement opposable. L’article 2 définit le public prioritaire et organise la mise en œuvre du droit. Première étape :
la commission de médiation décide
si la demande est prioritaire. Si oui, le
représentant de l’Etat dans le département est saisi du dossier pour trouver
un logement adapté. A partir du 1er décembre 2008 pour le public prioritaire et
Le Courrier des maires • N0 199 • Février 2007
8-10_199_ACTU_focus2.indd 9
F. CALCAVECHIA
P. MARAIS
E. BENARD / ANDIA
Etes-vous prêt à appliquer le droit au logement opposable ?
du 1er janvier 2012 pour les personnes éligibles à un logement social, si la demande
n’est pas honorée dans le délai fixé par
voie réglementaire, un recours pourra être
introduit devant le tribunal administratif.
Et si un logement n’est toujours pas proposé, l’Etat pourra être condamné à une
astreinte versée dans le fonds d’aménagement urbain (FAU). Mais le texte reste
muet tant sur les outils juridiques que sur
les moyens financiers nécessaires à une
déclinaison locale du Dalo.
Quel pilote ?
Le Sénat a clairement désigné l’Etat
comme seul responsable de la mise en
œuvre du Dalo. Mais la question se pose
du territoire pertinent. « Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont suffisamment étendus
pour avoir une vision globale du territoire,
« Chiche ! »
« Chiche ! L’application du droit au
logement opposable est une réelle avancée
et Bernard Birsinger, mon prédécesseur,
a été l’un des premiers Don Quichotte
en 2002. Mais l’Etat doit d’abord œuvrer
à l’application de la loi SRU : ici, nous
avons 56 % de logements sociaux et nous
en construirons 2 000 de plus d’ici 5 ans.
Or, des habitants de Bobigny doivent
encore faire une heure et demie de trajet
pour travailler dans une commune où ils
n’ont pas les moyens de se loger ! De telles
situations ont un coût sanitaire et social
et l’Etat ne doit pas se défausser sur les
communes. Elles ne peuvent répondre
seules à une demande de logement en
croissance exponentielle. Je propose donc
la création d’un service public du logement
et de l’habitat pour répartir l’offre de
logement de manière équitable et adaptée
sur tout le territoire. »
14 600
Le nombre
de personnes sans
abri, dont 13 700 en
métropole, selon
les résultats du
recensement 2006.
86 000
Le nombre de sans
domicile : hébergés,
en foyers, en centre
d’urgence, selon
l’Insee, en 2001.
Source : Insee
et assez proches du terrain pour disposer d’une bonne connaissance des problèmes locaux. Organiser l’ensemble du
dispositif est l’occasion de remettre toutes
les compétences à plat et d’expérimenter de nouvelles organisations au niveau
local », estime Marc Censi, président de
l’Assemblée des communautés de France
(ADCF), qui souhaite, avec l’Association
des communautés urbaines de France,
que les EPCI obtiennent « un véritable rôle
d’autorités organisatrices du logement sur
leurs territoires ». Pour l’AMF et son président, Jacques Pélissard, « l’opposabilité du droit au logement ne doit pas aller à
l’encontre de la décentralisation ».
Le texte raisonne à budget constant alors
que le contexte immobilier est très tendu.
« Les loyers ont augmenté et les locataires
qui n’ont plus accès au privé se retrouvent dans le parc social », souligne (…)
9
1/02/07 13:40:03
LOGEMENT :
LE PARI DU « DROIT
OPPOSABLE »
AV I S D ’ E X P E R T
« En Europe, la France est une exception »
◗ Laurent Ghékière, représentant de l’USH auprès de l’Union européenne
(…) le maire de Drancy, Jean-Christo-
Accompagnement
indispensable
Enfin, le projet de loi n’évoque pas l’accompagnement économique et social :
« On ne peut agir de manière mécanique :
certaines personnes vont quitter la rue, un
foyer ou un logement insalubre et elles
auront besoin de l’aide sociale. Il faut donc
aborder la question du financement, notamment avec les conseils généraux »,
remarque Jean-Marie Bockel, président
de l’Association des maires des grandes
villes de France (AMGVF). Claude Pernes, président de l’Association des maires
d’Ile-de-France (AMIF) pose également
la question de la solvabilité de ces nouveaux accédants aux logements sociaux :
« Si les loyers ne sont pas payés, que vat-il se passer ? Seul l’Etat peut prendre
en charge les impayés. »
Pour répondre à ces questions, le ministre
de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, a soutenu l’amendement prévoyant la
création d’un « comité de suivi de la mise
en œuvre du droit au logement opposable », destiné à faire évoluer ce droit en
fonction de la situation. De plus, un « rapport d’évaluation » devrait être remis par
le Conseil économique et social au président de la République et aux parlementaires avant le 1er octobre 2010. La loi doit
encore être examinée par les députés.
Puis elle sera appliquée sous l’œil vigilant des associations et des élus.
Catherine Le Gall
Retrouvez le texte du projet de loi sur
www.senat.fr ; et les propositions des associations
d’élus locaux sur www.courrierdesmaires.com
10
8-10_199_ACTU_focus2.indd 10
artout en Europe se pose
le problème des sans-abri.
« Et partout en Europe, ce sont
les collectivités locales qui le
prennent en charge, que ce soit
au titre du droit au logement, de
l’ordre public ou de la protection
sociale. La France, avec le rôle
de l’Etat et des préfets, est une
exception », explique Laurent
Ghékière, représentant auprès
de l’Union européenne de l’Union
sociale pour l’habitat (USH).
Partout en Europe, constitutions
ou lois imposent aux collectivités
locales de mettre en œuvre
les dispositifs nécessaires.
Au Danemark, les communes
doivent fournir un logement
décent. Même chose au RoyaumeUni, avec le Housing Act de 1977.
En Allemagne, c’est au nom du
trouble à l’ordre public que les
communes ont un devoir de
logement des sans-abri. A noter
que le territoire des communes
de ces pays correspond plutôt
à celui des agglomérations
françaises, la bonne échelle pour
mettre en œuvre une politique
cohérente. « Malgré leurs
dispositifs, toutes les métropoles
européennes sont débordées par
les besoins et l’extension du ‘‘sansabrisme’’ aux salariés pauvres »,
souligne Laurent Ghékière.
P
UN DROIT
LIMITÉ
Le principe du droit
au logement opposable n’est pas sans
poser des problèmes aux juristes.
Ils soulignent, à
l’instar de Frédéric
Rolin, spécialiste
du droit public et
administratif, que
les démarches seront complexes et
la procédure longue : plus de six
mois. De plus,
ce droit est limité.
La commission
départementale
de médiation peut
refuser de déclarer
un dossier prioritaire. Dans ce cas,
le juge ne pourra
être saisi par la personne concernée.
De plus, la commission peut se prononcer pour un
accueil dans « une
structure adaptée »,
c’est-à-dire dans
un foyer, « ce qui
revient à héberger
et non à assurer
un droit au logement opposable »,
remarque Frédéric
Rolin. Qui souligne
que si l’Etat est déclaré responsable
de la situation
il versera une astreinte au fonds
d’aménagement
urbain, c’est-à-dire
à lui-même.
G. HERSANT / URBA IMAGES SERVER
phe Lagarde. « Il n’y a pas assez de logements sociaux et très sociaux. Cela crée
une concurrence entre les ménages modestes et les personnes plus démunies »,
ajoute Dominique Dujols, directrice des
relations institutionnelles à l’Union sociale
pour l’habitat (USH).
En réponse à ces inquiétudes, le Sénat a adopté un amendement portant
à 591 000 le nombre de logements sociaux à construire sur la période 20052009, soit 91 000 de plus que prévu par
le plan de cohésion sociale. De plus, les
communes membres d’un EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants
seraient concernées par l’obligation de
20 % de logements sociaux.
En Angleterre, des organismes
prennent désormais en charge
le loyer des SDF, qui ne perçoivent
donc plus d’aide au loyer, de
façon à en garantir le versement
aux Housing associations qui
assurent le logement. De plus,
l’obligation de construire du
logement social (25 % dans tous
les programmes immobiliers
à Londres) est respectée. Résultat :
une diminution spectaculaire
du nombre de SDF. En Allemagne,
la ville de Cologne, confrontée à
un très grand nombre de sans-abri,
s’est lancée dans une politique
de prévention des expulsions. Elle
réquisitionne donc les logements
afin de maintenir les personnes
en place. « La Constitution
allemande permet de séparer
la propriété patrimoniale et
l’usage. En outre, les propriétaires
perçoivent l’intégralité du loyer
et des arriérés », précise Laurent
Ghékière. Pour les personnes
malgré tout expulsées, la ville
réquisitionne les logements
vacants et achète des droits
d’attribution auprès des bailleurs.
Une solution pragmatique : pour
la collectivité, il revient moins
cher de payer des loyers que de
prendre en charge des personnes
expulsées et de les loger à l’hôtel.
Martine Kis
Logement social à Berlin.
Les communes allemandes
ont un devoir de logement
des sans-abri.
Le Courrier des maires • N0 199 • Février 2007
1/02/07 13:40:32