Schéma d`un entretien santé-travail infirmier ou

Transcription

Schéma d`un entretien santé-travail infirmier ou
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Schéma d’un entretien santé-travail infirmier
ou « consultation santé-travail infirmière ».
Sous la responsabilité et en coopération avec le médecin référent du secteur.
Fabienne Bardot.
Septembre 2010.
Nous partons du principe que l’infirmière travaille sur délégation du médecin du
travail. Donc, sous sa responsabilité, en assistance et en coopération.
Ce travail sur délégation devra être clairement spécifié.
Le dossier médical du salarié sera instruit et alimenté par le médecin du travail et par
l’infirmière du travail selon les modalités définies par la HAS : « le DMST est tenu
par le médecin du travail. Il peut être alimenté et consulté par les personnels
infirmiers du travail, collaborateurs du médecin du travail, sous la responsabilité est
avec l’accord du médecin du travail, dans le respect du secret professionnel et dans
la limite de ce qui est strictement nécessaire à l’exercice de leur mission » 1.
En cas de refus du médecin de confier l’entrée dans le DMST à l’infirmière, il est
possible de faire des Entretiens Santé Travail Infirmiers− ESTI − et de les transcrire
sur un document à part (feuille libre par exemple). Il faudra alors définir avec le
médecin le statut de ce rapport infirmier. Soit il sera intégré au dossier médical et le
médecin l’identifiera comme tel en précisant qu’il a été fait sur délégation de sa part,
soit il sera mis dans un dossier infirmier dont le statut sera défini par le médecin.
Il s’agit ici du dossier médical papier.
Dans tous les cas, pour chaque intervention, le nom et la qualité du professionnel
seront clairement écrits en préambule à toute observation clinique.
HAS : « synthèse des recommandations professionnelles. Le dossier médical en santé au travail
(DMST). Janvier 2009.
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Il est prévu que ce dossier médical soit le plus possible complètement renseigné afin
de disposer des informations ad hoc le jour où un accident de santé nécessitera de
retrouver des repères historiques à la recherche d’éventuels facteurs professionnels
de causalité (voir les recommandations de la HAS sur un nouveau modèle de dossier
médical en santé au travail—DMST).
Données administratives personnelles.
Dans le cas de la création du dossier, toutes ces données devraient être enregistrées.
Si un dossier existe déjà, il sera complété ou modifié selon les évolutions des données
de situations personnelles ou de travail du salarié.
Nom (marital et nom de jeune fille pour les femmes ), prénom.
Date de naissance.
Lieu de naissance ….Nationalité.
Adresse personnelle.
Données administratives du dossier papier.
En plus du signalement des différentes entreprises ayant employé le salarié, dans
l’objectif de la construction d’une histoire professionnelle, toujours penser à mettre la
date d’embauche dans l’entreprise et la date de sortie de la précédente.
Noter le chômage, l’intérim et, éventuellement, les petits boulots.
Il n’est pas interdit de noter aussi, au crayon de papier, le numéro de téléphone du
salarié, évidemment, toujours avec son accord. Il faut parfois l’appeler pour des
problèmes qu’on ne connaît jamais à l’avance : c’est à voir avec le médecin.
Antécédents familiaux :
Parents : pathologies lourdes à signaler, âge de décès éventuel et cause.
Fratrie : idem.
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Ces renseignements présentent un intérêt pour l’éventualité de l’existence de
maladies héréditaires ou de terrains familiaux qui peuvent avoir des liens avec les
effets de certaines expositions ( un asthme familial par exemple…).
Enfants : nombre, années de naissance, pathologies lourdes éventuelles. Ces
renseignements n’ont d’intérêt que pour nouer un contact de confiance, de prise en
compte globale du déroulement d’une vie d’une personne que l’on suivra plusieurs
années. La connaissance de l’existence d’un enfant lourdement handicapé, de parents
à charge, par exemple, peut aider à comprendre ce qui peut résonner dans le
déroulement du travail ou déteindre sur sa réalisation. Ces charges incombant le plus
souvent aux femmes, elles peuvent expliquer certaines mises en difficulté
professionnelles (changement d’horaire par exemple).
Porter une attention toute particulière aux leucémies de l’enfant qui peuvent être en
relation avec une exposition professionnelle de la mère ( classement CIRC groupe 1
des expositions de la mère, comme peintre, pour les leucémies de l’enfant)
Antécédents personnels médicaux et chirurgicaux déclaratifs ( datés si possible ).
Lorsqu’un salarié apporte des résultats d’examens ( radiographie, IRM, scanner, etc ),
faire la copie du compte-rendu pour le mettre dans le dossier de médecine du travail.
Même chose pour des CR opératoires.
Niveau de formation :
Noter les diplômes et si possible les dates d’obtention.
Pour les jeunes (apprentis ou éventuellement lors du premier emploi), dans la
perspective d’avoir des données en cas de nécessité d’une réorientation au cours de
la future carrière professionnelle, noter les redoublements de classes en primaire et
collège ( surtout pour les jeunes en formation alternante ). Un jeune dit souvent des
choses intéressantes sur l’image qu’il a de lui à cette occasion (ou il exprime des
arguments défensifs tout aussi intéressants).
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Noter l’année du dernier diplôme obtenu.
Âge au premier emploi.
Compléter éventuellement par quelques repères du parcours professionnel (par
exemple pour un salarié ayant travaillé dans un autre département ou ayant eu
plusieurs employeurs sans suivi en médecine du travail).
Numéro de Sécurité Sociale.
Noter ce numéro uniquement sur le dossier papier. Jamais en informatique
(interdiction CNIL). Il est très utile dès que le médecin du travail devra prendre
contact avec le médecin conseil.
Vaccination avec dates.
Nom du ou des médecins traitants.
Biométrie.
Poids, taille, vision, champ visuel (en fonction de la profession), examen urinaire..
Clinique du travail.
Avant l’interrogatoire sur le travail actuel, en cas de première consultation,
interroger sur les motifs du changement d’entreprise, ou sur les différents motifs de
changements si cela s’est répété.
On trouve toujours des raisons qu’il est intéressant de noter dans le dossier médical.
L’investigation de toutes les questions concernant le travail, ou plutôt, l’activité, peut
commencer. Et, comme l’écrit Philippe Davezies, « le modèle, sur ce point, pourrait
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être celui de l’investigation policière… l’enquêteur… instruit l’affaire (du travail) en
parlant avec les acteurs » 2.
En principe, il faut toujours aller du général au particulier.
Il faut d’abord commencer par situer l’entreprise. Il s’agit d’un établissement que fait
quoi ? Secteur de la santé, du commerce, de l’artisanat, de la métallurgie, du
bâtiment ? Savoir cela donne déjà une orientation aux questions que l’on va poser.
Poste de travail (son intitulé et son PCS ), nature du contrat, horaires prescrits et
horaires réels de travail, congés hebdomadaires (pour les apprentis, demander s’ils
reviennent au travail la semaine des cours et si oui, comment cela est-il compensé en
repos ), description de la tâche (« qu’est-ce qu’on vous demande de faire ? »), description
du travail réellement fait (« vous vous y prenez comment pour faire ce qu’on vous
demande, par exemple, pour votre mise en rayon ? »). Il faut essayer de voir
travailler la personne au travers de sa description. On peut s’appuyer sur un fil
déroulant tel que :
-
que faites-vous exactement ?
-
comment vous y prenez-vous ?
-
avec quoi travaillez-vous ?
-
seul ou avec qui ?
-
où ?
-
à quel rythme ?
Questionner sur les pauses, sur les durées de coupure accordées pour les repas.
Question sur la manipulation de produits, l’existence de poussières et fumées, les
manutentions, la qualité des outils, etc… : recherche des nuisances.
Questions sur la satisfaction, les difficultés, les pénibilités, le rythme, les gênes ;
« qu’est-ce qui vous est le plus pénible, ou le plus désagréable à faire, ou le plus
coûteux, pour vous, dans votre travail habituel ». Cette question oblige le salarié à
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Philippe Davezies : « La prévention entre débat social et souffrance individuelle ». 02 02 2010.
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faire un panorama mental de ce qu’il fait, à faire un tri et à désigner quelque chose
qu’il ne s’était peut-être jamais formulé clairement à lui-même.
Questions sur la qualité des rapports sociaux : rapports avec les collègues, la
hiérarchie, les clients, etc… Lors d’un entretien dans le cadre d’une embauche,
questionner sur la qualité de l’accueil le jour de l’arrivée.
Si des conflits sont décrits, demander depuis quand et à la suite de quel événement
dans le travail ils sont apparus.
Important : il faut toujours ramener les plaintes aux rapports avec le travail
(évidemment, en dehors de soucis personnels verbalisés), au « faire ». Ne jamais se
laisser emmener sur des descriptions psychologiques des autres, collègues ou
hiérarchiques.
Mettre le doigt sur cette sorte de difficulté sera une raison de passer le dossier en
staff hebdomadaire. De toute façon : toujours en référer au médecin lorsqu’on
« dépiste » des plaintes, des souffrances ,des anomalies.
En résumé, pour ne pas faire d’oublis, essayer de suivre le chemin suivant :
-Dans une première approche, aborder le travail comme une réalité
extérieure au sujet.
-Dans un deuxième temps, essayer « d’attraper » et d’analyser ce
qu’implique d’un point de vue subjectif le fait de travailler. Il s’agit d’avoir le point
de vue du salarié sur ce qu’il fait. En gros, il s’agit de la réponse à la question
« qu’est-ce que ça vous fait ce que vous faites ou ce que vous ne pouvez pas faire ? ».
De toute façon, c’est la répétitivité et la variabilité qui va aider à avoir dans la tête
une trame de questions qui arriveront sans qu’on ait trop à les penser avant de les
poser. C’est ce qu’on appelle l’incorporation ou la perception sensible et que tout
travailleur met en place pour faire son travail avec le plus d’aisance possible… Qu’il
soit ouvrier, médecin ou infirmière…
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Questions médicales.
- Biométrie en général. Comparaisons, évolutions.
- Examens complémentaires faits au cabinet médical ciblés en fonction du
travail ou d’éléments médicaux justifiant leur nécessité. Toute cette partie doit être
exécutée sur « protocoles ».
- Interrogatoire sur les événements de santé survenus depuis de dernier
entretien et la date de leur survenue. Noter les arrêts de travail et leur durée
approximative.
- Interroger sur la consommation de tabac (quantité, depuis quand, arrêts
éventuels, moment de la première cigarette, etc…). Cela permet de faire certains avec
la santé mais aussi le travail. Par exemple, certains chauffeurs PL disent que la
cigarette les aide à rester éveillés.
- Interrogatoire sur les symptômes actuels ( douleurs, gêne pour…, sommeil,
digestif, humeur, etc…).
Noter les traitements en cours.
Noter le désir d’enfant dans les 2 sexes
Pour les femmes, interroger discrètement sur le suivi gynéco, la contraception. Un
souhait de grossesse doit faire porter attention aux conditions de travail qui
pourraient avoir un effet sur son déroulement ( station debout statique, port de
charges, vibrations, toxiques chimiques, etc…).
Noter la pression artérielle.
- S’il y a une exposition professionnelle liée à un risque réglementé, donner la
prescription de surveillance signée du médecin et en accord avec lui (examen
sanguin, radiographie pulmonaire…). Cette pratique doit être définie très
précisément avec le médecin responsable. Nécessité de protocoles.
- L’examen corporel. Cette question peut faire débat. L’infirmière peut-elle ou
doit-elle faire déshabiller le salarié ?
Travailler c’est toujours engager son corps dans l’activité. Quelque chose du travail
s’y imprime ; la preuve la plus spectaculaire et explicite en étant représentée par les
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accidents du travail ou les maladies professionnelles. Aussi, faire un entretien santétravail infirmier sans signifier cette incorporation en y portant un regard attentif,
mais toujours ciblé, serait probablement, symboliquement, une négation de cet
engagement corporel. L’infirmière peut, dans certains cas qu’elle apprécie elle-même,
proposer cet examen, le salarié conservant la liberté de refuser. Dans ce cas, elle
pourra regarder la peau, les dents, les genoux, les mobilités articulaires, etc ….).Toute
approche sera à définir avec chaque médecin. Le déshabillage pourra n’être que
partiel ou, parfois, ne sera pas nécessaire. En effet, l’infirmière ne fait pas de
diagnostic médical.
L’infirmière prendra la pression artérielle dans tous les cas. Même si cet acte réalisé
systématiquement ne présente pas un intérêt médical majeur la plupart du temps –
sauf situation particulière –, il est ce qui fait le lien entre l’intérieur et l’extérieur de ce
corps engagé dans l’action du « travailler » par la médiation d’un objet technique un
peu mythique.
- Remettre une attestation de suivi infirmier pour l’employeur et une pour le
salarié. Une troisième reste dans le dossier médical. La forme et le titre peuvent être
variable. Un exemple d’appellation « Santé au travail-suivi individuel-prévention des
risques
professionnels ».
Ces
modalités
ne
sont
pas
encore
déterminées
réglementairement ; actuellement, il faut sans doute définir cela avec le médecin
responsable et le SST.
Sur cette fiche, l’infirmière note les expositions et nuisances qu’elle aura relevées
(réglementaires et autres) et peut y faire apparaître des conseils de prévention. Elle
n’émet jamais de restrictions.
L’ESTI est une prescription du médecin. Il s’agit d’un acte délégué, protocolisé et
encadré par des protocoles pour des situations particulières ; il s’agit d’un acte
délégué « agit », organisé dans le cadre du rôle propre infirmier.
Dans l’ESTI, l’infirmière apprend à intégrer son rôle propre qu’elle aura travaillé à
partir des données théoriques apprises au cours de sa formation diplômante au
métier et qui s’appuie sur les 10 compétences. C’est ce rôle propre infirmier en santé
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travail qui va différencier l’approche médicale de l’approche infirmière et qui va
permettre au médecin de faire un travail en coopération pour circonscrire autrement
le suivi santé-travail d’une population active attribuée.
- En plus de tout ce travail « de routine », possibilité de participer à des
enquêtes collectives style « observatoires » par le biais de questionnaires. Dans tous
ces cas, le médecin encadre en formant et en donnant les informations et instructions
nécessaires pour suivre le protocole. Là aussi, il s’agit d’un travail délégué.
Le traitement des dossiers médicaux.
Il faut avoir comme objectif de constituer un dossier médical qui permette une
reprise diachronique des relations santé-travail du salarié. Cette perspective
historique est importante lorsqu’il nous est demandé de monter un dossier de
surveillance post-professionnelle, ou de faire un certificat de déclaration de maladie
professionnelle pour un salarié en retraite, ou sorti d’emploi, ou à sa demande, ou à
celle de ses ayants droits s’il est décédé. Une carrière décrite au travers d’un dossier
médical, en quelque sorte.
Cela signifie qu’il faut, toujours avec l’accord de l’intéressé, essayer de récupérer
l’ancien, ou les anciens dossiers de médecine du travail qui peuvent être disséminés
sur plusieurs départements ou services autonomes. C’est parfois un travail un peu
long mais qui ne doit pas être rejeté.
Remarque.
Il n’est plus acceptable de se contenter d’une simple fiche de liaison ou d’un résumé
succinct du dossier. Si on ne reçoit que ces raccourcis, il faut s’appuyer sur le décret
de 2002 pour exiger le dossier. Le modèle suivant est très efficace :
« Cher Confrère, Chère Consoeur,
En application du décret n°2002-637 du 29 avril 2002, je me permets de vous redemander la
transmission de la copie du dossier de Monsieur C (décret précisant l'accès aux informations
personnelles détenues par les professionnels de santé) et non une simple fiche spéciale ou un
résumé de dossier.
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Si je me permets d'insister, c'est que l'intéressé y tient et que cela est maintenant son
droit.
En restant à votre disposition, je vous prie de croire, cher confrère, chère consœur, à
l'expression de mes salutations les meilleures. »
Ce courrier doit être signé par le médecin.
L’orientation vers le médecin du travail.
Evidemment et avant tout lorsque le salarié le demande.
Dans tous les cas où un problème de travail ou de santé est soulevé, le médecin
responsable doit en être informé.
a) Dossier sans problème.
L’infirmière ne relève aucun problème de travail, ni de santé. Elle détermine ellemême l’échéance du prochain entretien, un an ou deux ans, selon la nature de
expositions et selon les directives du médecin qui peut avoir des pratiques qui lui
sont propres. Elle note, pour la secrétaire, sur la fiche intégrée au dossier, la qualité
du praticien que recevra ce salarié à la prochaine convocation : l’infirmière ou le
médecin.
b) Il existe un problème qui n’est pas urgent.
L’infirmière pense alors que la prochaine consultation sera pour le médecin. Elle le
note sur la fiche intégrée au dossier afin que la secrétaire planifie cette
caractéristique. En toute logique, l’échéance est alors d’une année. Par exemple, un
salarié travaillant dans la logistique, faisant des manutentions manuelles répétées,
présente depuis peu des douleurs au niveau d’une épaule. Il ne souhaite pas
rencontrer le médecin du travail pour l’instant.
Mais en plus, elle l’informe de son droit à rencontrer le médecin du travail à tout
moment, avant la prochaine consultation systématique.
Le dossier est présenté en staff hebdomadaire. Le passage en staff est noté dans le
dossier.
c) Il existe un problème : l’expertise du médecin est nécessaire.
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C’est le cas le plus délicat. En effet, signaler que le salarié devra être revu à brève
échéance peut avoir un effet de stigmatisation dans l’entreprise. L’infirmière peut
alors tenir la fiche de visite en attente et prévenir qu’elle sera envoyée par courrier à
l’employeur et au salarié.
Il faut alors trouver des astuces pour que le médecin le revoie sans mettre en danger
sa situation dans l’entreprise.
Le dossier est présenté en staff et la meilleure modalité de « reconvocation » est
discutée avec le médecin.
Le passage en staff est noté dans le dossier.
d) Une prise en charge thérapeutique apparaît nécessaire.
L’infirmière peut faire un courrier infirmier au médecin traitant. Le support de ce
document est validé par le collectif de médecins qui travaille avec des infirmières. Il
s’agit aussi, en fait, d’un protocole (modèle de la lettre, directives sur son contenu).
La copie du document est intégrée au dossier du salarié. Le dossier est « staffé » et la
lettre est visée par le médecin, ce qui atteste bien qu’il en a pris connaissance (double
précaution).
Par exemple, une hypertension artérielle supérieure à (protocole), une glycosurie
importante, etc…
Nécessité de protocoles pour tous ces cas. Ils seront à faire par l’équipe médicalisée
(médecin-infirmiers), au fur et à mesure des situations concrètes qui se présenteront.
Ils devraient aussi être validés par une équipe de plusieurs collectifs « médecinsinfirmiers ».
Le dossier ayant fait l’objet d’une orientation vers le médecin généraliste et donc
présenté en staff hebdomadaire. Le passage en staff est noté dans le dossier.
e) L’urgence.
Protocole obligatoire.
L’infirmière fait appel à un médecin présent sur le site.
S’il n’y en a pas, elle appelle le SAMU.
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Le dossier est présenté en staff hebdomadaire. Le passage en staff est noté dans le
dossier.
f) Les autres dossiers traités en staff.
- Les résultats de examens complémentaires sont présentés au médecin qui les
paraphe.
- Le salarié a une plainte ou décrit un symptôme qui pourrait être d’origine
professionnelle, ou il signale tout autre signe d’alerte.
- Anomalie à un examen complémentaire de routine ou provoqué par une
exposition professionnelle.
- Une exposition professionnelle justifiant des examens complémentaires
particuliers est repérée.
- La répétition de signalement de problème dans une même entreprise
nécessite une reprise en main par le médecin dans l’objectif d’une intervention ciblée
dans l’entreprise.
Dans tous les cas, le dossier est présenté en staff hebdomadaire. Le passage en staff
est noté dans le dossier.
La visite des lieux de travail.
L’infirmière aura accès aux lieux de travail afin qu’elle puisse avoir une
représentation réelle des situations de travail qui lui seront décrites.
Elle ne fera pas de fiches d’entreprises. Elle pourra faire un rapport à l’intention du
médecin si elle l’estime nécessaire ou si le médecin le demande. Au médecin ensuite
de donner ses propres directives pour les modalités de rédactions des fiches
d’entreprises.
En délibération avec le médecin, elle pourra proposer l’intervention des IPRP si elle
estime que des mesures ou des analyses expertes des risques ( métrologie, bilan du
risque chimique, ergonomie, etc…) vont enrichir l’argumentaire préventif qui sera
apporté à l’employeur.
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Les échanges médecin-infirmières.
En dehors des « staffs » périodiques (hebdomadaires est un bon rythme) qui ont pour
fonction de faire le point sur les problèmes rencontrés ou pour faire le point sur
certaines entreprises, l’infirmière fait des synthèses de son activité en donnant son
point de vue professionnel sur les entreprises pour qui elle sera intervenue.
Dans une telle organisation il faut penser à la création de « groupes de pratiques
d’une clinique infirmière en médecine du travail » afin que des règles de métier
collectivement travaillées puissent s’enrichir au fil du temps et s’articulent
harmonieusement avec l’activité des médecins du travail. En particulier, il faut
raccorder tout ce travail d’investigation au rôle propre infirmier. C’est ce qui
représentera la spécificité d’une clinique infirmière en médecine et santé au travail.
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Exemples
Premier exemple.
Il s’agit d’une TPE qui emploie 6 personnes et qui vient de déménager dans des
bâtiments plus grands et pratiquement neufs situés à une vingtaine de kilomètres de
son emplacement précédent. Le médecin du travail du secteur voit donc ces six
personnes pour la première fois. Il ne s’agit pas de consultations d’embauche, il
dispose d’un dossier médical, mais pour chacun d’entre eux, il le reprend et le
complète. Cette petite entreprise fabrique, monte et installe les stands pour les
exposants de grands salons d’exposition.
Monsieur P est « préparateur-monteur ». Il est âgé de 44 ans, divorcé et père de deux
enfants, le dernier étant âgé de cinq ans. Il n’a pas la garde des enfants mais est resté
habiter à proximité. Il les voit régulièrement.
Mr P travaille depuis six ans dans l’entreprise.
Le travail.
Approche par l’extérieur=approche par les risques.
1) Que faites-vous ?
Mr P fabrique les stands des clients-exposants qui vont participer à un salon. La
préparation se fait dans l’atelier. La structure du stand d’exposition est en
aluminium. Il peut être amené à faire de la découpe, mais peu, car les barres sont en
principe commandées sur mesure, par le bureau des méthodes, au fournisseur. Il fait
donc le montage de la structure par vissage. Il ne fait pas de soudure ( exposition aux
fumées, aux rayonnements non ionisants ). Il dit qu’il y a peu de poussière de métal. En
revanche, lorsqu’il fabrique des estrades qui sont en bois, malgré l’existence de
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dispositifs d’aspiration qui équipent les machines ( risque bruit du aux machines ), il se
dit un peu exposé aux poussières de bois ( risque cancérogène à évaluer ). Il fait aussi de
la peinture au pinceau ou au rouleau pour les finitions ( risque chimique à évaluer ).
Mais rien n’est durable, le travail est très varié.
Lorsque la préparation du stand est terminée, il part faire le montage sur le lieu du
salon.
2) Comment vous y prenez-vous ?
Une fois que les pièces du stand sont prêtes à être assemblées, elles sont chargées, à
la main, dans le camion ( risque « manutentions manuelles » ).
À l’arrivée, le camion est déchargé à la main ( manutentions manuelles ) et le montage
peut commencer.
3) Avec quoi travaillez-vous ?
Le transport se fait avec un camion fourgon Mercedes. Mr P possède son permis B
(camion avec remorque ). Il est donc amené à conduire plus fréquemment que ses
collègues.
4) Où ?
Mr P se rend sur le site du salon qui se déroule en général dans de grandes villes —
Lyon et Paris le plus fréquemment ( risque routier ). Il peut partir très tôt, vers 4 H du
matin ou rouler de nuit ( travail de nuit ).
5) Avec qui ?
Les déplacements se font souvent à deux ce qui permet de se relayer pour la conduite
de nuit. Il arrive en effet que le départ du chantier se fasse après une journée de
travail. L’un conduit, l’autre dort. Mais le plus souvent, il dit qu’il est seul.
6) À quel rythme ?
L’activité est irrégulièrement répartie sur l’année. Il s’agit d’un travail plutôt
saisonnier. Pour cette raison, le temps de travail est annualisé.
Les deux périodes d’activité soutenues se déroulent de mi-janvier à avril-mai puis de
septembre à fin novembre. Ce sont les saisons des grands salons. Dans ces périodes,
Mr P ne compte plus ses heures ( travail sous contrainte de temps ), il peut partir très tôt
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le matin et terminer le montage d’un chantier vers minuit. Mais il est autonome dans
son organisation.
Un chantier demande à peu près une semaine de préparation à l’atelier et deux à
quatre jours de montage. Dans le cas de très gros chantiers, il peut arriver qu’il faille
revenir à l’atelier pour poursuivre la fabrique du stand.
7) Comment êtes-vous hébergé ?
À l’hôtel, dans une catégorie d’hébergement de qualité moyenne, la réservation étant
faite par la secrétaire de l’entreprise.
La fréquentation des restaurants est obligatoire dans les déplacements.
Approche par le vécu du salarié : par l’intérieur. Approche médicale.
1) Qu’est-ce qui est le plus pénible pour vous ?
« La route….. !, parce que les véhicules ne sont pas confortables ; les manutentions ;
monter et descendre des escabeaux, c’est surtout ça le plus dur pour moi ! Et il y a
des jours où on est moins bien que d’autres ! ».
Le médecin demande s’il lui arrive de quitter le chantier, après une journée de
montage, pour rentrer chez lui ou revenir à l’atelier. Il dit que cela arrive « mais on
essaie d’être responsable quand même ! On est à deux dans ce cas-là ».
2) Qu’est-ce qui vous convient bien dans ce travail ?
Le rythme intense de travail durant les périodes des salons ouvre des droits à la
récupération de journées sous forme de congés, ce qui convient à Mr P. Il dit aussi
qu’il « a besoin de gérer, de bouger, de s’assumer », et cela, il le retrouve dans son
activité. Il ajoute qu’il a toujours fait des déplacements. D’ailleurs, avant son
embauche, il avait trouvé un travail sédentaire, mais il a vite démissionné car il ne
supportait pas l’enfermement, la sédentarité. Il s’agit visiblement d’un choix et il se
sent bien dans ce mode d’organisation de sa vie de travail.
Le médecin lui demande si ce rythme de vie n’a pas été un facteur déclenchant dans
l’éclatement de son couple. Il dit que non, « pas vraiment, mais c’est sûr, ça n’a pas
arrangé les choses ! ».
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3) Avez-vous déjà eu des accidents de la route, des accrochages ?
Aucun, ni l’un ni l’autre, « à part un rétroviseur, mais ça, c’est rien ! ».
Pour les salariés qui font beaucoup de déplacements professionnels, ce
renseignement est un bon indicateur d’une bonne maîtrise de leur activité, en terme
de marges de manœuvre et de contrôle possible de leur état de fatigue et de vigilance
— surtout la question sur les accrochages.
4) Dormez-vous suffisamment ?
Mr P dit que cinq heures de sommeil lui suffisent, qu’il n’a jamais dormi plus. Il
semble donc bien adapté au rythme qu’il décrit. Il ne ressent aucune fatigue
anormale.
5) Pour combien d’employeurs avez-vous déjà travaillé ?
Il compte rapidement et annonce une dizaine d’employeurs. Chez le premier, qui
était une entreprise de traitement de surface, il est resté 17 ans. « J’y serais toujours si
celui qui a racheté avait su gérer et n’avait pas fait faillite rapidement ». L’entreprise
fabriquait des cabines de peinture et il les montait et les installait. Il a eu quelques
périodes de chômage, mais très courtes.
Cette question renseigne sur l’empreinte possible d’un parcours de précarité, sur les
possibilités d’adaptation de Mr P, sur sa ténacité.
La santé.
1) Avez-vous été arrêté depuis la dernière consultation ?
Mr P n’a eu aucun arrêt de travail depuis sa dernière consultation qui date de trois
années. Il dit seulement avoir souffert de rhumes et d’une sinusite.
Aucun accident de travail n’est signalé.
2) Avez-vous des problèmes de santé actuellement ?
Il a apporté le compte-rendu d’une radiographie récente de la hanche droite qui a été
faite pour un « bilan de douleurs persistantes, non traumatiques, de la hanche
droite ». Le radiologue note « une bascule pelvienne droite de 10 mm et une
coxarthrose droite ». Mr P porte depuis longtemps déjà une talonnette. Il explique
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que cette hanche le fait souffrir surtout en fin de journée et que ce qui déclenche la
plus forte douleur est la durée de conduite trop longue.
Le médecin lui demande s’il pense qu’il va tenir longtemps dans ce travail avec ces
douleurs qui le rappellent sans cesse à l’ordre. Il dit que « pour l’instant ça va. Un
jour il faudra penser à faire autre chose !. Mais là, avec les médicaments, ça se
calme ».
3) Avez-vous des douleurs ?
En dehors des coxalgies, il ne signale aucun autre symptôme douloureux. Dans son
métier, on pense aux TMS et aux lombalgies.
4) Prenez-vous régulièrement des médicaments ?
En plus des anti-inflammatoires pour sa hanche, il est traité pour une
hypercholestérolémie qui est maintenant chimiquement stabilisée. Il dit qu’il a
modifié son hygiène alimentaire depuis qu’il a appris cette anomalie biologique. Il a
diminué les graisses animales. Aucun contrôle sous arrêt thérapeutique n’a été fait.
Un bilan cardiaque de sécurité est revenu normal et il n’a jamais fumé. Il est
régulièrement suivi par son médecin traitant.
Conclusion.
Du fait du problème de la hanche, le médecin demande à ce que Mr P soit revu dans
un an.
Un audiogramme est programmé car le dernier qui est retrouvé dans le dossier date
de 9 ans. Il montre des lésions caractéristiques d’une exposition aux bruits. Il s’agit
de constater l’évolution de la pathologie sur 10 années.
Le médecin projette d’aller voir les postes de travail de l’atelier et de faire intervenir
les IPRP si cela lui paraît nécessaire.
Une infirmière aurait pu faire cette consultation selon le même déroulé. Elle aurait
sans doute prévu que Mr P soit vu par le médecin du travail au moment où
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l’évolution de la pathologie de la hanche lui aurait fait penser que le maintien dans
cet emploi était compromis.
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Deuxième exemple.
Il s’agit de la deuxième consultation de médecine du travail de Monsieur T. Il a 22
ans. Son dossier médical a été ouvert dans le SST.
Avant de commencer l’interrogatoire, on reprend un peu son histoire professionnelle
à partir d’éléments déjà écrits dans le dossier, afin de replacer le cadre de son activité
actuelle dans son histoire personnelle.
On note donc que Mr T a obtenu son BTS en 2006. Son entrée dans la vie active a
commencé en septembre de la même année par des missions d’intérim.
Trois mois plus tard, en décembre, il est embauché, en CNE, par l’entreprise qui
l’emploie encore aujourd’hui. Il est ajusteur. Comme le prescrivait les CNE, sa
consultation d’embauche a eu lieu avant la prise de poste.
Il est revu un an plus tard. Il est maintenant en CDI.
Le travail.
Approche par l’extérieur : approche par les risques.
1) Que faites-vous ?
Mr T est toujours ajusteur. Il fabrique des moules pour l’industrie automobile ou
l’industrie aéronautique, fait du montage d’ensembles pour des chaînes de montage,
fait les finitions par des opérations de ponçage, de polissage ( risque d’exposition à des
poussières ), … Il travaille le métal, beaucoup l’aluminium, et le plastique. Il s’agit
d’un travail très varié, à l’unité.
2) Comment vous y prenez-vous ?
Mr T peut utiliser toutes les machines, sauf les commandes numériques, Il est debout
à 90% de son temps. Pour quelques travaux minutieux de finition, il peut s’asseoir. Il
est alors installé à son établi.
3) Avec quoi travaillez-vous ?
Il utilise beaucoup des fraiseuses et des outils pneumatiques ( risque bruit ) pour faire
le polissage en particulier. Il fait aussi du ponçage au papier de verre.
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4) Où ?
Il est dans l’atelier. Il s’agit d’un atelier de mécanique disposant de machines
traditionnelles de fraisage, tournage, ajustage et de machines à commandes
numériques ( risque chimique des huiles de coupe ).
5) Avec qui ?
Ils sont une dizaines dans l’atelier. La collaboration avec les collègues est facile, il y a
une bonne entraide.
6) A quel rythme ?
Les horaires sont en journée normale : de 7H30 à 17H, avec une coupure de 1H30
pour le repas de midi. Mr T rentre chez lui, mais il existe un réfectoire aménagé qui
permet à ceux qui habitent trop loin de prendre leur repas sur place.
En principe, il fait 38H par semaine. Il termine plus tôt le vendredi après-midi.
Le rythme de travail n’est pas imposé. Il arrive cependant que Mr T fasse des heures
supplémentaires en cas de surcharge de commandes. Dans ce cas, soit il les récupère,
soit elles lui sont payées. C’est à son choix. D’une façon générale la charge de
l’entreprise est à peu près étale.
Approche par le vécu du salarié : par l’intérieur. Approche médicale.
1) Qu’est-ce qui est le plus pénible pour vous ?
Mr T a un peu d’hésitation…., ce qui est bon signe pour le clinicien. Cela signifie qu’il
n’y a pas une contrainte prégnante dans le déroulement de l’activité. Mr T que «
parfois, il y a des choses lourdes à porter ».
2) Qu’est-ce qui vous convient bien dans ce travail ?
Mr T dit que c’est l’ambiance, qu’il fait du bon travail. « Ce n’est pas comme les deux
mois d’intérim que j’ai fait chez "FU" lorsque j’ai commencé à travailler ! Pourtant, ils
ont une réputation, travailler pour la formule 1 ! J’étais au service qualité. Faut voir
ce que j’ai vu ! C’étaient les intérimaires qui formaient les intérimaires ! Ils ne
garderont jamais personne là-dedans ! Alors, comme je passais devant l’entreprise
tous les jours, je me suis arrêté pour demander s’ils ne cherchaient personne. Le
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patron m’a reçu. Ni oui, ni non. Il n’était pas pressé. Je ne l’ai pas lâché. Finalement il
m’a pris ! Et là, il vient de vendre son entreprise ! Le nouveau patron a déjà une autre
boîte. C’est une entreprise familiale. On a eu un bon contact. On n’est pas inquiets ! »
C’est comme ça, au cabinet médical, que l’on apprend un événement qui aura
forcément des retombées en terme de prévention globale. En effet, le patron qui vient
de vendre n’avait jamais répondu au médecin du travail qui lui demandait de faire
une évaluation du risque chimique.
Il avait d’autres préoccupations.
Le médecin se sent autorisé à relancer sa démarche. Il sait maintenant qu’il aura à
faire à un autre interlocuteur.
3) Vous protégez-vous du bruit ?
Mr T dit qu’il porte ses protections individuelles en permanence. Il dit qu’il y a un
bruit de fond permanent qui le gène. Cependant, le niveau défini comme toxique
n’est pas atteint. Cela a été montré à la suite de mesures faites par le technicien du
SST. Malgré tout, Mr T est exposé à des pics dangereux pour l’audition lorsqu’il
utilise ses outils pneumatiques ou ses fraises.
Le clinicien l’interroge sur l’origine de la perte bilatérale de 20 à 25 dB dans les
fréquences de 6000 hertz que l’audiogramme fait lors de sa première consultation
avait décelée. Mr T dit que chez « FU », il y avait « un bruit infernal » et que personne
ne se protégeait. Mais il attribue surtout cette perte à son mode d’utilisation de la
musique dans sa voiture : « à fond ! », dit-il. Et il ajoute « depuis l’examen de l’autre
fois et le résultat que vous m’aviez montré, j’ai tout arrêté et je me protège tout le
temps. Maintenant, je ne peux plus m’en passer ! ».
4) Y a-t-il beaucoup de poussières ?
Il dit que non. Parfois un peu lorsque les mouleurs travaillent le bois, ce qui est rare.
Un peu aussi lorsqu’il ponce. Cette nuisance ne semble être ni importante, ni
gênante.
La santé.
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1) Avez-vous été arrêté depuis la dernière consultation ?
Mr T n’a eu aucun arrêt de travail depuis sa dernière consultation.
Aucun accident de travail non plus.
2) Avez-vous des problèmes de santé actuellement ?
Mr T signale qu’il a parfois des céphalées. Il n’a aucune autre douleur et ne prend
aucun médicament.
Conclusion.
Cette consultation aurait pu être menée sans difficultés par une infirmière.
Elle met bien en lumière l’effet de la démonstration individuelle d’une relation de
causalité entre un trouble de santé découvert — ici une petite perte auditive — et une
exposition à une nuisance, en terme de remaniement de la pensée de l’intéressé à
propos de la prise en compte du risque. On pourrait appeler cela une forme
d’éducation sanitaire sauf que c’est le salarié lui-même qui a fait sa démarche
« éducative » grâce à son propre raisonnement et non grâce au seul respect de la
prescription d’une parole d’expert. Un exemple de prévention réussie.
Devant le tableau décrit dans ce deuxième exemple, l’infirmière aurait sans doute
pris rapidement contact avec le médecin pour lui annoncer le changement de
propriétaire et le dégagement d’espace d’action que ce changement apportait :
pouvoir reprendre la question du risque chimique qui n’avait pas encore été abordé
dans l’entreprise.
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Troisième exemple.
Mme I est infirmière d’entreprise depuis l’âge de 27 ans. Elle n’est restée que cinq
années dans le système de soins. Elle a 47 ans.
En médecine du travail, elle a commencé par l’intérim et, très rapidement, a trouvé
un poste dans une grosse entreprise. Elle y reste six ans, puis sept ans dans une
deuxième.
Actuellement, elle est dans un service médical autonome d’une grosse entreprise du
secteur de la cosmétologie depuis 2001.
Elle est divorcée, a trois enfants. Le dernier, dont la scolarité n’est pas terminée, vit
avec elle. Elle n’a pas de soucis particuliers du côté de sa vie privée.
Le travail.
Approche par l’extérieur : approche par les risques.
1) Que faites-vous ?
Lorsque le médecin est présent, elle prépare les visites médicales, c’est à dire qu’elle
ouvre le dossier médical, complète les données administratives, fait la biométrie et
les examens complémentaires de routine.
Elle saisit ces données administratives dans un tableau EXCEL qu’elle a crée avec sa
collègue. Il n’y a pas de dossier médical informatisé.
Elle fait le rangement des documents contenus dans le dossier médical papier.
Elle fait des études de poste accompagnée par le médecin : jamais seule.
Elle fait les formations SST.
Elle intervient sur les urgences : un malaise, un accident de travail, par exemple.
Elle reçoit les salariés qui se présentent à l’infirmerie pour des soins courants ou pour
d’autres raisons.
Elle fait quelques vaccins.
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Elle note les problèmes qu’il faudra signaler au médecin sur un « petit journal ». Elle
n’écrit jamais dans les dossiers médicaux des intéressés auxquels elle a pourtant
accès.
Elle ne fait pas d’entretiens santé-travail.
2) Avec qui travaillez-vous ?
Le médecin n’est présent que trois jours par semaine. Il est nouveau, est arrivé depuis
seulement 5 mois.
Elle travaille avec une autre infirmière qui est aussi à temps plein. Elles ne sont pas
toujours ensemble car il faut jongler avec les RTT, les congés et autres absences.
La gestion des rendez-vous est faite par une secrétaire médicale qui travaille à 8/10ième
de temps.
Un service d’hygiène et sécurité traite le risque chimique, ce n’est pas l’infirmière qui
s’occupe du dépouillement des fiches de données de sécurité.
3) Où et dans quel cadre ?
Dans une entreprise de 1 100 salariés qui fabrique des produits cosmétiques de
prestige.
En plus, 200 à 250 intérimaires sont présents tout au long de l’année. Ils passent aussi
à l’infirmerie.
Il y a des équipes de travail en 3X8 par intermittence.
4) A quel rythme ?
Elle est à temps plein et ses horaires sont réguliers : 8H-16H45.
Approche par le vécu du salarié : par l’intérieur. Approche médicale.
Il s’agit de chercher à répondre à la question : qu’est-ce que le travail vous fait ?
1) Qu’est-ce qui vous gêne le plus dans votre travail ?
La réponse est immédiate et rapide : « il y a plein de choses qui me gênent en ce
moment ! », répond Mme I en se mettant immédiatement à pleurer.
Le médecin lui demande de lui parler du point le plus douloureux pour elle. Il s’agit
du conflit qu’elle vient de vivre avec sa collègue infirmière. Elle explique que cela
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s’est installé doucement. Le médecin précédent avait instauré des formes de relations
qui sortaient du cadre professionnel, une sorte de connivence amicale s’appuyant sur
des préoccupations relevant essentiellement de la vie privée. « Entre elles, il était
beaucoup plus question de carrelages, de peintures et de vaisselle que de travail.
Elles finissaient par se ressembler. Je n’ai jamais voulu entrer dans ce jeu. Alors,
j’étais mise à l’écart. Mais j’ai tenu. Lorsque le nouveau médecin est arrivé, elle a
essayé de se le mettre dans la poche. Elle faisait de la rétention d’information, me
coupait des relations avec les autres. Elle m’a pris un dossier sur le choix de
protections auditives que j’étais en train de monter, l’a terminé et se l’est attribué.
J’étais devenue la nulle. Alors, j’allais tellement mal que j’ai craqué avant Noël et je
me suis arrêtée trois jours. »
A la reprise, Mme I décide de parler au nouveau médecin de cette situation. Mais
ensuite, elle s’est sentie testée par ce dernier. Puis, à l’initiative du médecin, il y a eu
mise à plat des dissensions, éclaircissement sur les non-dits. Actuellement, les
relations de travail se passent bien, mais Mme I a perdu la confiance nécessaire à un
vrai travail en coopération. Elle reste méfiante, surtout dans les périodes
d’évaluations individuelles où chacun joue pour soi.
2) Ne trouvez-vous pas de compensations dans vos relations avec les
salariés ?
C’est ce qui est le plus gratifiant. Mais là aussi, elle fait attention car le service
médical se trouve à proximité des bureaux de la DRH. Les salariés qui viennent au
service médical sont repérés et il arrive qu’on lui demande les raisons du passage de
certains. Elle ne le dit jamais, mais parfois, c’est pesant.
Elle sait bien aussi que c’est un empêchement pour certains.
3) Quels sont vos projets ?
Mme I a envie de préparer le DIUST pour être plus qualifiée.
En fait, elle dit qu’elle a envie de partir, de quitter la région…, à cause du travail dans
lequel elle ne se sent pas bien. Mais, elle hésite beaucoup car elle sait bien qu’elle ne
retrouvera jamais un aussi bon salaire.
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4) Comment se passe une évaluation individuelle ?
Ce n’est pas ce qu’elle appréhende le plus car elle sait qu’elle ne peut rien dire sur les
salariés. D’ailleurs, on lui reproche discrètement et régulièrement de ne pas le faire
au cours des réunions DRH auxquelles elle doit obligatoirement assister. Cela lui est
présenté sous la forme d’un refus à apporter une aide à ce service.
La santé.
1) Avez-vous eu d’autres arrêts ?
Aucun autre arrêt depuis la dernière consultation qui date de deux ans.
2) Prenez-vous des médicaments ?
A part un traitement hormonal substitutif, elle ne prend aucun autre médicament.
3) Faites-vous du sport ?
Elle pratique le tennis en compétition. « C’est ce qui me sauve ! ». Le milieu sportif
est le lieu qui lui apporte une possibilité de réinvestissement du côté de la
reconnaissance.
Conclusion.
Le médecin demande à revoir Mme I au bout d’une année.
Une infirmière aurait proposé la même échéance et aurait sans doute programmé
cette future consultation avec le médecin du travail.
En fin de compte, qu’apporte un tel entretien en terme d’amélioration possible de la
situation de Mme I ? D’abord et avant tout, pour elle, une capacité d’élaboration pour
repenser autrement sa position au sein du groupe professionnel, en particulier être
capable d’évaluer ce qu’elle encourt à rester dans un collectif où elle ne partage pas
les défenses 3 mises en place, à savoir, esquiver les questions de travail à régler. Si elle
3
On peut considérer que ne pas vouloir affronter les difficultés que toute activité en médecine du travail
présente du fait d’actions à entreprendre auprès de l’employeur en terme de prévention ( donc : prophylaxie )
dans le domaine des risques chimiques, physiques, biologiques ou organisationnels, correspond à la mise en
place d’une idéologie défensive de métier. Ici, le médecin et l’infirmière qui se détournent des questions de
travail pour s’intéresser surtout aux questions de la vie hors travail.
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décide vraiment de partir, elle aura pris une décision de sauvegarde finalement bien
maîtrisée.
Cet exemple nous montre que la question du travail et de ses conflits est partout
présente, même chez ceux qui sont chargés de les prévenir.
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Quatrième exemple : une première consultation ou une consultation d’embauche.
Monsieur GV est âgé de 45 ans. Il est vu pour la première fois dans le service. Il
arrive d’une autre région et c’est le travail qui est à l’origine de ce déplacement.
Il est embauché depuis un mois et demi dans une TPE employant 9 salariés,
directement en CDI.
Son environnement personnel.
Le médecin remarque que la secrétaire médicale a mis son adresse au crayon de
papier, ce qui signifie qu’il s’agit d’une adresse temporaire. Il voit qu’il habite dans
une ville située à 150 kilomètres de son lieu de travail.
1) Faites-vous les trajets tous les jours ?
Mr GV dit que non, qu’il perdrait 3 heures par jour. Il est actuellement hébergé chez
une connaissance « en attendant de voir si ça me convient », dit-il. Le médecin est
évidemment intrigué par la réponse et par sa situation d’attente. Ce n’est pas
fréquent chez les salariés déplacés comme Mr GV et qui intègrent une nouvelle
entreprise, surtout chez un quadragénaire qui s’approche de la cinquantaine.
L’inverse est le plus souvent la norme. On essaie de se mouler à la demande de
l’entreprise, sans exigences à l’arrivée. Le médecin va essayer de comprendre, c’est
son but, dès ce moment.
2) Vivez-vous en couple ?
La secrétaire avait noté que Mr GV n’avait pas d’enfants. Le médecin sait que la
l’existence d’une famille ne facilite pas la mobilité. Mais en plus, Mr GV dit qu’il vit
seul.
3) Avez-vous toujours vos parents ?
Ils sont vivants et en bonne santé, la fratrie aussi.
Cette question permet de repérer certaines maladies héréditaires.
4) Avez-vous déjà eu des maladies graves ?
Mr GV ne signale aucun antécédent médical notable.
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Le parcours professionnel.
1) Quels sont vos diplômes scolaires ou professionnels les plus élevés ?
Il a deux CAP : mécanique auto et diéseliste.
2) À quel âge avez-vous travaillé ?
Il a commencé à 14 ans, en pré-apprentissage. Un apprentissage en alternance lui a
ouvert ses droits sociaux à 16 ans. Il n’a jamais eu de périodes de chômage et est
toujours resté dans la mécanique automobile.
3) Quel était votre dernier employeur ?
Il est resté deux ans dans un petit garage qui préparait les véhicules pour les sports
mécaniques. Un nom connu dans la compétition automobile. Il dit que le patron était
super motivé mais trop gentil avec les gars. Il y est resté deux années et a quitté à
cause du « manque de discipline ». « Les gars n’étaient pas excités par le travail ! Ils
refusaient de faire des heures en plus ! Ils refusaient de travailler les week-ends,
pourtant ils étaient payés en plus ! C’est un problème de génération ! C’est partout
comme ça. Il faut un minimum de sérieux dans son travail ! », explique-t-il.
Avant, il était chez « V-sport ». Il n’est resté qu’un an. « Les gars, y se foutaient de ma
gueule. Pas de discipline ! ». Il est parti.
Pour bien faire comprendre l’intensité de son lien, lien qu’on pourrait qualifier de
pulsionnel, avec la mécanique automobile de compétition, il ajoute qu’il a fait 7 fois
le Paris-Dakar ; « malheureusement pas cette année ! », comme mécanicien,
évidemment.
4) Le patron a-t-il essayé de vous retenir ?
Il dit qu’il a tout fait pour le retenir. Il est d’ailleurs resté en très bon terme avec lui.
5) Quel a été votre CDI le plus long ?
Il est resté 17 ans chez LR dans la région Pays de Loire, mais ce dernier a arrêté la
compétition. « C’était bien et j’étais presque le patron. Je faisais les voitures et je
faisais de la course. C’est là que l’écurie "V-sport" est venue me chercher. Et j’ai
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compris que je n’étais pas sur la même planète. Je me suis accroché très vite avec les
gars ! »
6) Comment s’est fait votre recrutement ?
« Ça fait deux ans qu’ils essayaient de m’avoir », dit-il.
Le travail.
Approche par l’extérieur : approche par les risques.
1) Que faites-vous ?
Mr GV est responsable d’atelier pour le développement. Il participe à la création de
prototypes de voitures de courses. Actuellement il doit faire un modèle pour une
équipe qui doit participer au championnat de France de rallye-cross. Il conçoit le
moteur. Il reçoit la coque avec ses systèmes de sécurité tel que l’arceau. Il implante
tout le système mécanique : moteur, boîte, etc…
2) Avec qui ?
Pour l’instant il travaille avec deux stagiaires de l’école d’ingénieurs de la faculté de
T. L’arrivée de deux salariés est prévue pour bientôt.
3) Comment vous y prenez-vous ?
Il donne ses idées et les stagiaires de l’école font les plans. Ensuite il participe au
montage. Il utilise peu de solvants de dégraissage ( risque chimique) et n’est pas
exposé aux huiles de moteur puisqu’il travaille sur le montage de moteurs neufs.
Le montage de la conception se fait dans un petit atelier pratiquement neuf. Cette
petite entreprise s’est fait construire son bâtiment.
4) Dans quel cadre ?
Le montage de la conception se fait dans un petit atelier pratiquement neuf. Cette
petite entreprise s’est fait construire son bâtiment.
Les essais se font sur circuit ( risque routier ). Cette activité est très bruyante ( risque
bruit ).
5) Comment vous y prenez-vous ?
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Mr GV commence vers 7H30 et termine entre 19H30 et 20H. Il ne travaille pas les
samedis et dimanches.
Le midi, il prend son repas sur place dans un réfectoire aménagé. Parfois, il va au
restaurant avec ses collègues.
Approche par le vécu du salarié : par l’intérieur. Approche médicale.
1) Vous protégez-vous du bruit ?
Mr GV dit qu’il porte des « boules Quiès » de temps en temps. L’entreprise ne lui
fournit pas de protections individuelles.
2) Vous protégez-vous du risque chimique ?
Bien que Mr GV ait expliqué qu’il n’avait pas de contact avec les huiles moteurs
ayant surchauffé, le médecin porte attention aux mains de ce dernier. Il peut se faire
une idée de l’intensité de l’exposition à ces huiles en regardant la paume des mains et
surtout les ongles. Si la peau est incrustée de « cambouis » ainsi que le pourtour et le
dessous des ongles, c’est le signe d’une exposition régulière. C’est presque le cas de
Mr GV, bien que ces salissures incrustées ne soient pas aussi marquées que ce qu’il
voit habituellement chez les mécaniciens classiques. Il l’interroge alors sur l’origine
de ces dépôts.
Mr GV explique donc qu’il est toujours sollicité, qu’il ne sait pas dire non et qu’il
passe tous ses temps libres à s’occuper des voitures des autres. « C’est un passion »,
dit-il.
3) Qu’est-ce que vous appréciez le plus ?
C’est le travail de création, de construction. Il dit qu’il « ne veut pas tourner en rond
dans un garage ».
4) Êtes-vous satisfait ?
Comme il est passionné par ce qu’il fait, il est donc satisfait, mais ce qu’il aimerait en
plus, c’est de pouvoir enseigner tout ce qu’il sait à l’école d’ingénieurs et il ajoute
« les profs ne sont pas à la hauteur ! ».
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La santé.
1) Avez-vous été victime d’accidents de voiture ?
Malgré tous ses essais, ses heures de conduite, il n’a jamais été accidenté.
2) Avez-vous des problèmes de santé actuellement ?
Mr GV dit que tout va bien. D’ailleurs il est très contrôlé médicalement pour pouvoir
participer aux compétitions. Et particulier à cause du Paris-Dakar. Il vient de faire un
contrôle visuel chez l’ophtalmologue. « Un bon celui-là ! À 20H, il est toujours au
boulot » dit-il.
Il signale une douleur maxillaire haute ( il montre l’emplacement près du pavillon de
l’oreille gauche ). Il vient de faire une extraction dentaire qui a duré une bonne heure
et demie car le dentiste a eu des difficultés à sortir la racine. Il imagine que cela peut
expliquer son symptôme mais il est tout de même un peu inquiet. Cela ne pourrait-il
pas provenir de son oreille ?. Le médecin ne voit qu’un tympan en très bon état. Il le
rassure.
3) Et votre audition ?
Mr GV pense qu’il a des problèmes d’audition car il commence à faire répéter. Un
audiogramme est immédiatement fait. Les deux courbes sont caractéristiques de
lésions par traumatisme sonore. Il a déjà perdu 50 dB dans les fréquences 4000 à 8000
Hertz. Il convient qu’il doit se protéger sérieusement. Il explique qu’il a néanmoins
besoin de son audition pour « écouter un moteur ». « J’ai appris par sensation, par le
bruit qu’il fait, par ce que je ressens dans le corps » précise-t-il.
Le médecin lui dit que le temps de la protection régulière, systématique de son
appareil auditif est arrivé. Il lui explique que s’il dispose de protections plus adaptées
que des boules « quiès », il ne devrait pas perdre l’utilisation de son ouie comme
outil de diagnostic du fonctionnement d’un moteur, puisqu’il existe des solutions
techniques n’atténuant que les niveaux pathogènes. Il propose de demander à son
employeur de lui procurer des bouchons moulés. Mr GV en convient et préfère faire
la demande lui-même.
4) Ne pensez-vous pas que votre rythme de travail peut avoir d’autres effets ?
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Le médecin lui demande s’il a d’autres occupations que la mécanique auto. Mr GV
dit que son métier, c’est sa vie. Il explique qu’ « une voiture, c’est comme un corps,
quand il y a un petit bruit c’est comme un bouton pour un médecin, vous comprenez,
c’est une alerte. Je fonctionne par sensations, je ressens les vibrations. C’est de
famille, mon frère est mécanicien, comme mon père l’était. Ma nièce qui a 5 ans ½ est
déjà mordue ! Ma vie ! ».
Le médecin l’emmène sur la qualité des rapports qu’il entretient avec le personnel
qui mène une vie sociale et familiale très banale et dans la norme sociétale. Les
conflits qu’il a décrits comme étant très répétitifs et toujours dans le même registre
altérisant : « y s’en foutent ! », n’ont-ils pas une fonction excluante pour lui ? Il en
convient en disant « c’est pour ça que j’ai des soucis (là-dessus, il n’en dira pas plus )
et que je ne suis pas marié. Si j’ai décidé de manger de temps en temps au resto le
midi avec eux, c’est pour cette raison ».
Conclusion.
En terme de prévention, une telle consultation a-t-elle une utilité ?
Si on a réussi à enrayer la détérioration des cellules nerveuses de son audition par
une protection adaptée, on peut penser que oui. Sur sa lancée actuelle, on peut en
effet prédire que Mr GV finira sa carrière avec une surdité handicapante.
La déformation de son rapport aux autres le place dans une situation d’aliénation
sociale que son addiction à la mécanique et à la compétition automobile lui empêche
de percevoir. Il est coupé du monde réel. Cependant, il semble que quelque chose
s’entrouvre. Aura-t-il fait des liens lui apportant un petit espace de liberté ? On
pourrait l’espérer et cela ferait partie d’une forme de prévention d’un risque qu’on
appelle actuellement « psychosocial » mais pour lequel, dans le cas de Mr GV, la
pression est revendiquée.
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Cinquième exemple : une première consultation ou une consultation d’embauche.
Mr B, âgé de 40 ans, est vu pour la première fois dans le SST. Il habite et avait
toujours travaillé dans le département voisin. Il est embauché depuis trois semaine
dans une TPE qui vient de s’installer, employant actuellement 6 personnes. Elle est
en période de recrutement au fur et à mesure de l’accroissement de son activité.
Son environnement personnel.
1) Quelle est votre situation personnelle ?
Mr B est marié. Son épouse est dans la fonction publique territoriale. Elle est
titularisée à temps partiel. Il a un fils qui va bien.
Son père est décédé d’une cirrhose du foie à 64 ans.
Sa mère et ses deux frères sont en bonne santé.
2) Quels sont vos antécédents médicaux ?
1980 : abcès de la paroi.
1985 : cure d’une hernie inguinale droite.
Une scoliose est signalée qui, d’après Mr B, expliquerait ses lombalgies chroniques.
Le parcours professionnel.
1) Quels sont vos diplômes scolaires ou professionnels les plus élevés ?
Mr B a un niveau de CAP boulanger
2) À quel âge avez-vous travaillé ?
Il n’est resté que 3 ans en boulangerie, le temps de l’apprentissage en alternance. Il
est donc entré dans la vie active à 16 ans.
3) Quel était votre dernier employeur ?
Au retour de son service militaire, à 20 ans il entre comme ouvrier dans une
entreprise qui fabrique des moules pour toutes sortes de produits industriels
(probablement des réfractaires monolithiques ). Nous l’appellerons l’entreprise
BETA. Il y restera 17 ans. À la fin il formait « des gars et même des filles » au
moulage.
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Il parle alors de l’entrepris BETA dans laquelle il se plaisait tellement : « c’était dur,
ça puait quand on ouvrait les fours, ça vous suffoquait et vous piquait les yeux ! On
portait des masques, mais ça suffisait pas ! On s’entendait bien. On rigolait tout le
temps ! Les jeunes, ils avaient tendance à fumer le pétard et moi je leur disais rien,
j’étais pas le chef ! On rigolait, ils voulaient pas partir ! ».
Mr B en a les larmes aux yeux.
Pourtant, le médecin comprend que le risque chimique était permanent mais il
n’arrive pas à obtenir le moindre renseignement sur la nature des composés
chimiques ; Mr B ne s’en est visiblement jamais préoccupé….ou ne veut pas y penser.
Le praticien suppose qu’il s’agissait de produits de cuisson de résines. Le risque
cancérogène était vraisemblable.
Et en 2005, l’usine ferme et part en Bulgarie. « Ils m’ont proposé une mutation dans
le sud-ouest. Parce qu’on a des usines partout, on est partout, des usines dans le
monde partout !! Mais, non avec ma femme qui est fonctionnaire, ma vie…Je n’ai pas
voulu. Fallait voir ce qu’on faisait. On bossait, je ne comptais pas les heures. On me
reprochait même de faire trop d’heures sup. On me les payait quand même. Vous
comprenez, c’était l’argent ! ».
Mr B est donc licencié et pris en charge par la cellule de reclassement. « Ce qui nous a
sauvé, c’est les permis PL. 1 200 euros, un permis ! », explique-t-il. « Ils m’ont quand
même lâché avec 49 000 euros, vous voyez la boîte. Pour eux, c’était rien ! ».
Ils sont six personnes à avoir choisi cette reconversion.
4) N’avez-vous pas été volontaire pour aller mettre en place l’usine en
Bulgarie ?
Il dit que non et qu’il ne le regrette pas. Un de ses collègues y est allé. « Il n’a pas été
déçu ! On dit les français…., mais les Bulgares, là-bas, ils font attention à rien, ils
cassent les fours. Ils savent pas s’en servir. Nous, on faisait un four par semaine, eux,
c’est un four par mois. C’est pas nous les feignants ! »
Les français, ces héros !!
5) Comment s’est fait votre recrutement ?
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Après avoir obtenu ses permis, il a fait plusieurs petits boulots : conduite de camionpoubelle dans une commune, rippeur dans une autre, interim, etc…. Puis, par
l’ANPE, il se présente dans cette centrale à béton, nouvelle et neuve. Il est embauché.
Le travail.
Approche par l’extérieur : approche par les risques.
1) Que faites-vous ?
Mr B est donc chauffeur PL. Il conduit une toupie et alimente les chantiers autour de
la centrale, dans un rayon de 30 km environ.
2) Avec qui ?
Il est seul dans le camion. Il est en contact avec son collègue qui, après avoir suivi et
commandé les proportions des différents constituants du béton à livrer, déclenche le
mélange et le malaxage, charge le béton dans la toupie. Il s’agit de véritables recettes
de cuisine.
3) Comment vous y prenez-vous ?
Mr B doit positionner très exactement son camion afin que le béton tombe dans la
toupie. Lorsque le chargement est fait, il met la toupie en rotation et part livrer son
chantier.
4) Combien de tournées faites vous dans un journée ?
Il fait quatre à cinq aller-retour sur une journée. Il travaille obligatoirement en
horaires dits normaux pour être parfaitement adapté aux chantiers du bâtiment ou
des travaux publics qu’il ravitaille et qui comptent sur lui.
Il commence à 8H et termine à 17H. Il prend son repas sur place, un réfectoire étant
aménagé sur le site de la centrale.
Approche par le vécu du salarié : par l’intérieur. Approche médicale.
1) Avez-vous eu une formation complémentaire ?
Il explique qu’il a été formé deux fois par le patron car, conduire avec une toupie
chargée qui est en mouvement lorsque vous conduisez, modifie la stabilité du
camion. Il faut donc apprendre à anticiper dans certaines situations comme les
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tournants serrés, les manœuvres. Il dit qu’au début il lui a fallu aller très doucement,
mais qu’il sent qu’il commence à avoir bien en main son camion. Il dit qu’il s’en
débrouille bien. Il n’a eu aucun incident.
2) Êtes-vous satisfait de ce nouveau travail ?
Ce qui est nouveau, c’est la route, dit-il. Il est très satisfait, d’autant plus qu’il a un
camion neuf, sans vibrations, sans bruit.
3) Quels sont vos risques professionnels ?
Cette question le fait presque sourire. Il dit seulement qu’il est obligé de mettre des
gants lorsqu’il nettoie sa toupie au jet le soir. En effet s’il est en contact avec l’eau
chargé de béton, cela lui assèche énormément la peau. Malgré tout la protection n’est
pas parfaite, alors, le soir, il graisse ses mains ; « pas avec de la neutrogena ! », le
pharmacien lui ayant dit que « ça ne valait rien ». Le pharmacien lui en a vendu une
autre qui est bien mieux. Le médecin lui propose tout simplement un tube de
glycérine !.
4) Qu’est-ce que vous appréciez le plus ?
« C’est de détendre mon dos » dit-il.
5) Qu’est-ce que vous appréciez le moins ?
Le salaire !
Mr B a apparemment beaucoup perdu par rapport à son emploi chez BETA.
La santé.
1) Avez-vous des problèmes de santé actuellement ?
Questionné sous cette forme, Mr B dit qu’il n’en a pas.
2) Avez-vous des douleurs ?
Et là, il répond que « oui, le dos, un peu partout ». Ce serait à cause de sa scoliose, il a
« les lombaires vrillées », « mais ça ne m’empêche pas de travailler, j’ai la force ! »,
dit-il.
3) Prenez-vous des médicaments ?
Il ne suit aucun traitement.
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Conclusion.
Cet entretien aurait pu être fait par une infirmière attentive.
Ce qui est intéressant est ce qui n’est pas dit.
Qu’apprenons-nous de ce que n’a pas dit Mr B ?
1)
Qu’il est dans le déni complet des nuisances auxquelles il a été
exposé dans l’entreprise BETA.
2)
Qu’il magnifie, et l’image, et les rapports sociaux de BETA.
3)
Qu’il affiche une posture virile presque héroïsante de son rôle dans
cette entreprise qui expliquerait certainement l’état actuel de sa
colonne vertébrale.
Ces réactions défensives de métier sont importantes à repérer afin de ne pas négliger
les effets sur la santé que Mr B a pu subir au cours des 17 années de son activité chez
BETA et qui pourraient favoriser l’apparition de pathologies non encore déclarées.
Aussi faut-il tout faire pour récupérer son dossier médical de suivi de médecine du
travail puisque Mr B a donné son accord écrit.
Au travers de ce dossier, nous aurons peut-être des informations sur la nature des
expositions chimiques subies.
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Sixième exemple
Mr Trima a commencé a travailler à 24 ans après avoir terminé ses études
supérieures d’action commerciale et marketing. Il postule dans une enseigne de la
grande distribution et est tout de suite recruté.
Il est immédiatement envoyé en formation de direction de magasin sur un site placé
en zone rurale situé dans la petite ville de FS.
Sa formation l’intéresse vraiment et l’incite à s’engager durablement dans cette voie
professionnelle.
Par un jeu de mutations très opportunes, le directeur du site de FS qui le forme se
porte volontaire pour prendre la direction d’un magasin un peu « en perdition » et
situé dans une région française rarement demandée. Son vœu est immédiatement
exhaussé et il est très rapidement muté.
La direction du magasin de FS est alors proposée à Mr Trima.
Il prend le poste début janvier 2008. Son premier poste de directeur en vrai.
Il vit en couple, n’a pas d’enfant, et il doit bientôt déménager pour se rapprocher de
son lieu d’activité.
Son père est diabétique non insulino-dépendant et il présente une insuffisance rénale
débutante. Il n’est pas encore dialysé. Sa mère et sa sœur sont en bonne santé.
Mr Trima ne signale pas d’antécédents médicaux personnels notables.
Seule sa situation vaccinale serait à contrôler.
Il commence sa journée vers 7H30 et la termine entre 20H et 20H30. Il a, en principe,
deux journées de congés hebdomadaires qu’il prend quand il veut. En réalité, il a
régulièrement son dimanche après-midi parce que le magasin est fermé, mais il dit
qu’il n’arrive jamais à avoir deux jours entiers. Parfois, il part plus tôt, vers 16H30.
C’est normal, à ce poste, dit-il.
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Le médecin lui demande ce qu’il redoutait le plus lorsqu’il s’est retrouvé seul à la
direction. Il répond, après quelques secondes de réflexion, que c’était le management.
Mais ce qui le rassurait, c’était de savoir que, dans l’enseigne, l’accès aux formations
était facile, et que ces formations étaient promues comme système d’aide au
management. Toute personne en difficulté de savoir-faire pouvait prétendre à une
formation dans ce qui lui manquait comme acquis. C’est d’ailleurs ce qui l’avait
poussé à postuler dans cette enseigne plutôt que dans la concurrente. En plus, il
savait qu’il pouvait compter sur un directeur de région très ouvert et très répondant,
ayant l’avantage de résider dans le département. Cette seule proximité géographique
était symboliquement rassurante.
Mr Trima est fumeur, à peine un paquet par jour, depuis l’âge de 20ans. Il prend la
première cigarette dans la voiture. C’est son repère car il ne prend pas de petitdéjeuner. Cette question sur la cigarette est utile au médecin pour évaluer le niveau
de dépendance au tabac. Il ne mange rien de la matinée, « peut-être de temps en
temps une viennoiserie que je prends en boulangerie, mais c’est rare ! » dira-t-il. Pas
plus de liquide, « sauf parfois avec les collaborateurs en pause ». Il ne prend pas le
temps de déjeuner le midi. Là encore, sauf à de rares occasions avec des collègues
présents pour des réunions de travail comme CHSCT, CE…. Il ne fait un vrai repas
que le soir.
Le médecin lui signale qu’il met son organisme à rude épreuve. En particulier ses
reins, qui, sans apport liquidien suffisant, vont être malmenés dans leur fonction
épuratoire. La preuve en est apportée par son analyse d’urine qui donne une densité
urinaire à 1030. Une telle concentration est le signe d’une mauvaise hydratation. Le
médecin fait le rapprochement avec la maladie rénale du père ( sans la moindre
preuve, bien sûr ! ).
Il s’agit avant tout de faire prendre conscience du coût à long terme d’un travail aussi
envahissant.
Le médecin sent bien ce poids dans la vie de Mr Trima. Il se doute qu’il en
euphémise la lourdeur.
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Il ne lâche pas cette question et l’entreprend par une autre voie. À la maison, la nuit,
lorsqu’il ne dort pas, le travail est-il présent ?. Mr Trima dit qu’en effet, il n’est jamais
libéré du travail. Surtout qu’il a au moins un appel nocturne par semaine par
l’intermédiaire du système de gardiennage en place au magasin. Il s’agit d’une
entreprise privée qui gère et contrôle en permanence les détecteurs de mouvements
et de variations de température installés dans le magasin. Des sondes de température
équipent tous les frigos et congélateurs et signalent des élévations de niveau. Une
personne de l’entreprise de gardiennage appelle alors chez lui pour lui signaler tout
dysfonctionnement.
Par
exemple,
courant
mars,
un
cambriolage
a
été
immédiatement signalé grâce au détecteur de mouvements. Mr Trima est revenu au
magasin en pleine nuit, tout le rayon des spiritueux ( champagnes et alcools forts )
avait été dévalisé. Plus de 4 000 euros de vol. Depuis, il a fait installer une vidéosurveillance très visible des clients, pour la dissuasion. Un autre appel a signalé un
dysfonctionnement dans un congélateur. Il ne s’est pas déplacé immédiatement et a
demandé à être rappelé si la température continuait à monter.
Il n’a pas été rappelé.
En arrivant au magasin, il faisait 30 degrés dans le congélateur. Toute la marchandise
a été jetée. 3 000 euros de pertes. Il s’agissait des surplus d’articles festifs : langoustes
congelées, escargots et moules farcies, …etc.
Conclusion.
Cet exemple montre une consultation très simple d’une homme jeune, qui entre dans
la vie active dans un métier où il assume des responsabilités hiérarchiques
importantes. Il s’agit d’une première consultation de médecine du travail. Il n’existe
aucun problème de santé.
La conflictualité des rapports hiérarchiques n’a pas été abordée.
Le médecin s’est volontairement attaché à surtout explorer l’emprise du travail sur la
vie de Mr Trima avec l’arrière pensée de lui en faire mesurer l’impact, tout
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simplement en essayant de le pousser à se rendre compte du peu d’attention qu’il
porte à son propre corps et à son fonctionnement physiologique.
Tout cela est noté dans le dossier médical.
La prochaine consultation sera nourrie d’autres éléments qui auront à voir avec sa
façon d’aborder son travail qui consiste à faire travailler les autres.
Dans cet exemple, la trame de présentation un peu formelle a été lâchée et le déroulé
de l’observation s’est fait en suivant à peu près le cours réel de la consultation.
Tous les points sont abordés mais un peu plus dans le désordre car s’est introduit,
chez la clinicienne, une hypothèse à expliciter ( celle du travail empiétant fortement
la vie privée ).
Pour montrer qu’à un moment donné, on n’a plus à penser à la trame des étapes de
l’interrogatoire. Une sorte d’automatisme mental se met en place.
Lorsque l’infirmière en sera là de son apprentissage, on peut dire qu’elle pourra
commencer à faire seule des entretiens santé-travail.