Vie et œuvre de Picasso

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Vie et œuvre de Picasso
Picasso Classicisme
En 1917, Olga Khokhlova (Niezin (Ukraine) 17 juin 1891- Cannes, 11 février 1955), jeune femme russe appartenant au
corps de ballet de la compagnie de Serge de Diaghilev depuis 1912, après un bref passage à l’Académie de danse de
Saint-Pétersbourg, retient l’attention de Picasso qui en tombe éperdument amoureux tout en tenant compte de
l’avertissement du directeur des Ballets russes : « Une Russe, on l’épouse ! ». Il est difficile d’affirmer, comme on l’a
souvent dit, qu’elle appartenait à une famille de l’aristocratie, mais son père, Stepan Vasilievitch Khokhlov, était colonel
dans un corps d’ingénieur des Ponts et Chaussées, et il put offrir à sa famille des conditions de vie confortables jusqu’en
1917. La jeune Olga, qui se forma tard à la danse, fut remarquée moins pour ses talents de danseuse que pour sa beauté
délicate et sa capacité à l’expression des sentiments dans la comédie et à la tragédie et fut acceptée aux Ballets russes
après un examen de passage devant Diaghilev lui-même et Nijinski. Sa position de ballerine itinérante, les tournées des
Ballets russes se succédaient, l’isolant de sa famille, la rendit quelque peu vulnérable, mais son caractère était un
mélange attirant de force et de fragilité.
Picasso décida de la suivre dans la tournée de Parade après la présentation parisienne : ce fut d’abord Madrid en juin
1917, puis Barcelone en novembre où le ballet fut donné à l’opéra de la ville, le Liceu, ce qui lui donna l’occasion de
peindre un portrait d’Olga à la mantille, Barcelone, musée Picasso, et celui, très classique, de Léonide Massine sous
l’apparence d’Arlequin, Barcelone, musée Picasso. Il présenta Olga à sa mère qui se serait écriée, si l’on en croit les
propos rapportés plus tard par Françoise Gilot, « Oh ! Ma pauvre petite, vous ne savez pas ce qui vous attend. Si j’étais
votre amie, je vous dirais de ne pas l’épouser. Je crois qu’aucune femme ne pourra être heureuse avec mon fils. Il
n’appartiendra à personne car il n’appartient qu’à la peinture ». Le mariage aura néanmoins bien lieu le 12 juillet 1918 à
l’église orthodoxe russe de la rue Daru à Paris, les témoins de Picasso sont Guillaume Apollinaire, Max Jacob et Jean
Cocteau. Le s jeunes mariés partiront ensuite rejoindre une riche mondaine chilienne, Eugenia Errazuriz, qui villégiature
à Biarritz, villa La Mimoseraie, d’où Picasso envoie une lettre à Guillaume Apollinaire dans laquelle il tient des propos
étranges : « Je vois du beau monde. J’ai décoré une chambre ici et j’ai mis des vers de toi. Je ne suis pas très
malheureux ici et je travaille comme je te dis, mais écris-moi de longues lettres ». Picasso s’ennuierait-il déjà ?
Il peint en 1918 un très beau portrait d’Olga dans un fauteuil, Paris, musée Picasso, inspiré du Portrait de madame
Rivière, Paris, musée du Louvre, peint par Ingres en 1805, auquel il reprend la délicatesse décorative. La caractéristique
des portraits d’Olga qui se succèdent durant les premières années de leur mariage est la représentation d’une épouse
pensive, songeuse, mélancolique voire triste, soulignant peut-être l’inquiétude de la jeune femme face à cet époux dont
elle s’acharne à faire un bourgeois et qui le refuse. Ces portraits marquent sans doute aussi les sentiments de Picasso qui
espérait retrouver dans la personnalité d’Olga le caractère primesautier et aventureux de ses compagnes précédentes et
qui s’aperçoit de son erreur. Roland Penrose (Vie et œuvre de Picasso, Paris, Club des amis du livre, 1961),
note : « Olga prit une part active à meubler le salon donnant sur la rue et la salle à manger donnant sur le jardin, selon
son goût, et à veiller à ce qu’il y eût suffisamment de chaises de bonne apparence pour faire asseoir les nombreux
visiteurs qu’elle avait l’intention de recevoir d’une manière correcte. Picasso installa son atelier à l’étage au-dessus où il
casa tout le fouillis d’objets hétéroclites qui s’étaient accumulés autour de lui, soit par choix, soit par hasard ». Picasso
était plongé dans ce que Max Jacob, terrorisé par Olga, appelait « l’époque des duchesses ». Après des années
d’incompréhension, de disputes et d’éloignement, Picasso donnera une image terrifiante d’Olga, le Grand nu au fauteuil
rouge, 1929, Paris, musée Picasso. Dans le décor charmant des odalisques niçoises de Matisse, une femme hurlante et
caricaturale incarne la peur de la castration de Picasso face au féminin, Olga elle-même, devenue dangereuse et qu’il faut
désormais fuir.
Il y eut néanmoins une période heureuse, la naissance de son fils, Paul dit Paulo, le 4 février 1921, et les mois qui
suivirent. Cette paternité tant espérée par Picasso donne lieu à un corpus très abondant de portraits de Paulo, du
nourrisson au jeune enfant, ainsi qu’à de nombreuses maternités dans lesquelles, parfois, le visage d’Olga se confond
avec celui de Sara Murphy, épouse de Gerald Murphy, Maternité, mère et enfant devant un rideau rouge, 1922-1923,
collection particulière, dont Picasso était tombé amoureux. Les portraits de Paulo les plus signifiants sont Paulo en
Arlequin, début 1924, et Paulo en Pierrot, 1925, tous deux à Paris, musée Picasso, dans lesquels Picasso attribue à
l’enfant les signes de l’appartenance au monde des Saltimbanques, l’un mélancolique, l’autre plus dynamique montrant
son assurance face à son père.
Parallèlement à l’ensemble des œuvres consacrées à sa femme et à son fils, Picasso poursuit son voyage dans la tradition
en multipliant les hommages ou les parodies. Les Baigneuses, été 1918, Paris, musée Picasso, témoigne de son
admiration pour le Douanier Rousseau, les baigneuses portent des costumes de bain identiques à ceux des Footballeurs
que ce dernier peignit en 1908, New York, The Solomon R.Guggenheim Museum, le paysage à l’arrière-plan est issu
des marines de Seurat dont Picasso collectionnait les dessins, Port-en-Bessin, avant-port, marée haute, 1888, Paris,
musée d’Orsay, et l’attitude des baigneuses renvoie au Luxe, calme et volupté, 1904, Paris, musée national d’art
moderne, en dépôt au musée d’Orsay, de Matisse qui est une manière d’hommage au Bain turc d’Ingres.
L’influence de l’Antiquité, la sculpture découverte in situ lors de son séjour à Rome au printemps 1917 qui véhiculait en
partie les caractéristiques de la sculpture grecque, amène à la création de femmes monumentales à partir de 1920,
Femme assise lisant (Olga), Paris, musée national d’art moderne, Femme lisant, 1920, Grenoble, musée des beaux-arts,
dans lesquels l’idéal de beauté classique se mêle à l’étude de portraits d’Ingres, Madame Moitessier, 1856, Londres,
National Gallery, pour lequel celui-ci s’était inspiré du relevé d’une fresque romaine d’Herculanum.
Ces grandes figures, Nu à la draperie et Grande baigneuse, toutes deux de l’été 1921 et appartenant aux collections du
musée de l’Orangerie à Paris, les « Junon aux yeux de vache dont les grosses mains cassées retiennent un linge de
pierre », sont sereines, immobiles, harmonieuses malgré leur difformité, condensant les données de la statuaire grécoromaine aussi bien que des exemples plus récents, tel Rembrandt, et sa Bethsabée, 1656, Paris, musée du Louvre. Elles
témoignent également de la curiosité et de l’intérêt que suscita en lui et dans son art la vision du corps d’Olga qui se
métamorphosait au long de sa grossesse.
C’est durant le long séjour à Fontainebleau au printemps-été 1921 que Picasso travaille sur deux œuvres que l’on peut
considérer comme des pendants. Trois femmes à la fontaine, été 1921, New York, The Museum of Modern Art, a été
précédé de nombreuses études te tête et de mains ainsi que d’une grande sanguine, Paris, musée Picasso, et met en
scène trois personnages féminins vêtus à l’antique, trois images d’Olga, autour de l’eau, symbole de vie, qui s’inspire, en
partie, du tableau de Nicolas Poussin, Eliézer et Rébecca, 1648, Paris, musée du Louvre. Il y a deux versions des Trois
musiciens, été 1921, l’une, sans doute la première, se trouve au Philadelphia Museum of art, la seconde à New York, au
Museum of Modern Art. Trois personnages, qui n’occupent pas les mêmes places dans les deux versions, sont aisément
identifiables. Il s’agit d’un Arlequin, d’un Pierrot et d’un moine. L’Arlequin renvoie au double de Picasso, l’initié,
apparu durant l’année 1905, le Pierrot, également un personnage de la commedia dell’arte a été interprété comme étant
Guillaume Apollinaire, mort le 9 novembre 1918, des suites de la grippe espagnole, et le moine serait Max Jacob, qui
quitta Paris le 24 juin 1921 pour se retirer à Saint-Benoît-sur-Loire jusqu’au printemps 1928, sur les conseils d’un ami
prêtre.
Au moment où Picasso sent que l’embourgeoisement le gagne (une femme, un enfant, une vie mondaine), et il sait que
personne ne l’y a contraint, il éprouve le besoin de retrouver sa jeunesse et la bohême qu’il partageait avec ses
complices, poètes tous les deux (et jaloux l’un de l’autre de l’amitié de Picasso). La mort de l’un et le retrait de l’autre lui
sont douloureux, ce qui explique la présence dans la version du MoMA, du chien, l’animal psychopompe qui
accompagne Arlequin. Quatre plus tard, Picasso répondra à l’injonction d’André Breton, « La beauté sera convulsive
ou ne sera pas », par la création d’images d’une violence inouïe.

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