Il y a un an, la tenniswoman voulait raccrocher. Mais un e

Transcription

Il y a un an, la tenniswoman voulait raccrocher. Mais un e
24heures | Samedi-dimanche 24-25 mai 2014
44
LA RENCONTRE
Le retour gagnant d’une
Timea Bacsinszky apaisée
Il y a un an, la tenniswoman voulait raccrocher. Mais un e-mail de Roland-Garros a tout changé
Thérèse Courvoisier Texte
Florian Cella Photos
C
omme toutes les jeunes
filles branchées, Timea
Bacsinszky raffole du Starbucks. C’est à celui de la
place Saint-Laurent
qu’elle nous a donné rendez-vous. Jambes bronzées, robe légère
malgré le vent – «je ne risque rien, je porte
un shorty de tennis dessous!» – elle nous
propose, comme à une copine proche, de
goûter à son Matcha Green Tea Latte à la
mousse vert clair. C’est une jeune femme
totalement transformée qui se confie,
confortablement lovée dans un fauteuil
en cuir vieilli. Oublié le talent précoce
parfois colérique sans cesse comparé à
Martina Hingis; aujourd’hui, à presque
25 ans, la Vaudoise s’est enfin trouvée et
le monde du tennis, lui, l’a retrouvée. «Je
n’ai encore jamais exploité mon potentiel
à 100%», assure-t-elle.
Pour Timea Bacsinszky, il y a clairement un avant et un après-avril 2011. Un
jour, elle se blesse de manière stupide au
pied gauche. Aujourd’hui encore, une cicatrice témoigne de la blessure et des
deux opérations que la joueuse a dû subir. Mais, au final, cette pause forcée aura
été un mal pour un bien, «même si apprendre la patience n’a pas été une chose
facile». Pendant son éloignement forcé
des courts, ce sont d’autres cicatrices que
la jeune fille s’est efforcée de refermer.
«J’ai eu besoin de temps pour guérir des
VC6
Contrôle qualité
Biographie
1989 Elle voit le jour le 8 juin à Lausanne.
2002 Remporte pour la première fois
le tournoi juniors des Petits As. Rebelote
l’année suivante.
2003 Devient professionnelle à l’âge de
14 ans.
2009 Elle remporte le tournoi WTA du
Luxembourg. Depuis, aucune Suissesse
n’a fait mieux.
2010 L’année de son meilleur classement,
où elle pointe au 37e rang mondial.
2011 Elle se blesse au pied gauche au mois
d’avril et doit subir trois opérations entre
mai et octobre.
2013 Après un stage dans le cinq-étoiles
le Chalet Royalp de Villars, elle s’apprête
à commencer l’Ecole hôtelière à Genève
et à terminer sa carrière de sportive.
Mais elle reçoit un e-mail pour participer
aux qualifications de Roland-Garros.
2014 Le 29 avril, elle bat l’Américaine
Samantha Stosur (WTA 19), preuve que sa
collaboration avec son nouveau coach
Dimitri Zavialoff fonctionne à merveille. Elle
a passé hier le deuxième tour des qualifications de Roland-Garros. On peut également la suivre sur sa page Facebook,
qu’elle gère elle-même.
blessures de mon enfance. Je me suis
posé des questions que j’évitais jusque-là.
Je suis allée voir une psychologue parce
que je sentais que c’était le bon moment.
Elle m’a permis de me reconstruire, ou
plutôt de me trouver. Aujourd’hui, je sais
ce que je veux, je sais qui je suis et j’assume de prendre mes propres décisions
seule. Enfin.»
Réflexion au volant
A force de souffrir raquette à la main,
l’actuelle 114e du classement WTA était à
une poussière de terre battue de raccrocher. C’était à la même époque l’an dernier. «Je venais de faire un stage de trois
mois dans un cinq-étoiles à Villars avant
de commencer l’Ecole hôtelière à Genève.
J’ai adoré travailler en cuisine, servir les
gens. Depuis que je suis petite, je rêve
d’avoir un restaurant.» Mais un
e-mail des organisateurs du tournoi de
Roland-Garros a chamboulé ses plans.
C’est donc avec la petite balle jaune
qu’elle a repris du service. «A cause de la
météo et des blessures, j’étais soudain papable pour les qualifications. Je n’ai pas eu
besoin de temps pour réfléchir: j’ai sauté
dans ma voiture en direction de Paris.»
Pendant le trajet, c’est toute la suite de
sa carrière qui se met en place. «J’ai dû
écouter la chanson Teardrop de Massive
Attack des centaines de fois en route. Je
savais que c’est sur le court que je voulais
être. Mon manager, Alexandre Ahr, m’a
toujours été fidèle, donc je ne recherchais
plus qu’un entraîneur. J’ai été très flattée
que Dimitri Zavialoff (ndlr: ancien coach
de Stan Wawrinka) croie en moi.»
C’est une joueuse heureuse qui s’est
remise à fouler la terre battue. «A RolandGarros, j’avais quand même un peu peur
d’être ridicule. Mais non, j’ai eu une balle
de set contre une joueuse classée
100 rangs au-dessus de moi alors que cela
faisait six mois que je lavais des assiettes
et que je faisais des tartes Tatin! Je n’avais
pas retrouvé mes sensations, mais juste le
plaisir de jouer. Aujourd’hui, les douleurs
de mon enfance ne me font plus souffrir
sur le terrain. Je suis dans une relation
stable et je bosse dur à l’entraînement.
Ma pause m’a permis de sortir, de faire
ma jeunesse comme on dit. Maintenant je
vais me coucher vers 21 heures et je mise
tout sur le tennis.»
Son caractère fort, elle l’utilise désormais à son avantage, raquette à la main, et
elle a appris à ne plus réagir au quart de
tour hors du court: «Je me dis que si quelqu’un ressent le besoin de critiquer, c’est
qu’il ne doit pas être très bien dans sa vie à
lui.» Sa victoire le mois dernier sur Samantha Stosur l’a ramenée à la une des cahiers
sportifs des journaux. «Ce sont les résultats qui me font plaisir plus que la médiatisation, avoue-t-elle. Je dois dire que
j’aimais bien cet état de relatif anonymat.
Là, ça me fait à nouveau bizarre qu’on
m’aborde au cinéma ou dans un bus.»
En 2014, Timea Bacsinszky a enfin
confiance en elle. Elle ne se fixe pas d’objectifs chiffrés précis, elle veut juste progresser, enfin à son rythme. Sur ses pieds
bronzés, elle affiche qui elle est: à droite,
la jeune femme à la mode porte «Il y a
toujours le ciel bleu derrière les nuages»
tatoué en italien et, à gauche, la sportive
battante a surmonté la cicatrice de la blessure. Aujourd’hui, ces deux Timea ne
font plus qu’une.
Etats d’âme
Ce que j’aime: «Passer du temps en
famille, avec mon neveu et mes nièces,
avec ma maman que je ne vois pas assez.
Me lever tôt et partir en balade avec mon
chien, regarder le soleil se lever et
découvrir de nouveaux endroits. Des
moments tout simples où je prends le
temps de vivre.»
Ce que je n’aime pas: «Les choux-
fleurs et le Red Bull. Plus sérieusement
l’injustice en général et les gens qui
s’occupent des affaires des autres.»
La dernière chose qui m’a émue: «Un
petit cadeau surprise de mon copain. Plus
que les objets, ce sont les mots dans sa
carte qui m’ont touchée. Comme ceux
dans le récent message de ma maman
avant ma finale à Cagnes-sur-Mer.»

Documents pareils