Nos députés ont-ils peur du débat sur le voile intégral ?”
Transcription
Nos députés ont-ils peur du débat sur le voile intégral ?”
Vrije Universiteit Brussel From the SelectedWorks of Serge Gutwirth July 15, 2010 Nos députés ont-ils peur du débat sur le voile intégral ?” Cécile Mathieu Serge Gutwirth Paul De Hert Available at: http://works.bepress.com/serge_gutwirth/51/ Découvertes Débats l Opinion Cécile MATHIEU, Serge GUTWIRTH et Paul DE HERT Nos députés ont-i ls peur du débat sur le voile intégral ? Points de repère Moins de morale, plus de lois de la difficulté de prouver la trans gression : tout se joue dans un con texte fermé et, souvent, entre quatre yeux. On va même plus loin. En France, une loi se prépare sur le harcèlement psy chologique au sein du couple. L’Espa gne a fait œuvre de pionnier : un bra celet électronique peut être imposé à un conjoint violent. Dès que l’homme (il s’agit évidemment du mari) s’ap proche de sa victime, une alarme se déclenche dans un centre de sur veillance et l’auteur est identifié. JOHANNA DE TESSIÈRES Chercheuse FWO et professeurs à la Faculté de Droit et de Criminologie de la “Vrije Universiteit Brussel”, centre de recherches “Fundamental Rights and Constitutionalism”. l Chronique Société P En France, l’Assemblée nationale vient de décider d’interdire la dissimulation du visage plutôt que le voile intégral. Et en Belgique ? PA Genk, une personne déguisée en crayon de vote dans le cadre d’une campagne publicitaire a été arrêtée. Légal ? A l’heure où le débat français sur le voile in tégral est sur le point d’aboutir, l’Assemblée nationale venant d’approuver le projet de loi d’interdiction, il est intéressant de se souvenir qu’en comparaison, la propo sition votée par la Chambre belge des représentants, qui n’a pas encore été promulguée en raison de son évoca tion par le Sénat et de la dissolution des Chambres, a suscité beaucoup moins de discussions. Les députés de la Chambre s’étaient distingués en vo tant l’interdiction de la dissimulation du visage sans demander l’avis du Conseil d’Etat, entre autres parce qu’un débat sur les possibilités juridi ques d’une telle interdiction avait déjà eu lieu en France et qu’il était possible de s’y référer. Lorsqu’une membre de la Commission de l’Intérieur chargée de l’examen du projet a suggéré d’étu dier attentivement les “balises” que le Conseil d’Etat français a posées pour l’interdiction du voile intégral, il lui a été répondu, sans rire, que les institu tions françaises ne peuvent dicter leur conduite au législateur belge qui est souverain, d’autant plus, ont souligné plusieurs parlementaires, que les dé putés français (ou du moins ceux de la majorité) s’apprêtaient entretemps à voter l’interdiction de dissimulation du visage, sans tenir compte des re commandations de leur Conseil d’Etat. 50 Or, ces recommandations, bien plus que des “balises”, étaient en réalité des objections à une interdiction géné rale du voile intégral ou de la dissimu lation du visage dans l’espace public qui, selon le Conseil, présenterait un risque très important de censure par le Conseil constitutionnel français et la Cour européenne des droits de l’homme, en raison de l’atteinte qu’elle porterait aux droits fonda mentaux. Certes, le débat français a quand même dû influencer les parlementai res belges puisque la base juridique choisie pour justifier l’interdiction, une combinaison de raisons liées à la sécurité publique et de considérations relatives au “vivre ensemble”, le tout formant une conception très élargie de l’ordre public, est fort semblable à la base juridique finalement retenue par l’Assemblée nationale française. En effet, après avoir rapidement aban donné l’idée de se baser sur la laïcité pour interdire le voile intégral, ladite laïcité ne générant, sauf exception (comme dans les écoles publiques), pas d’obligations pour les citoyens qui ne représentent pas l’Etat, les mem bres de la mission parlementaire fran çaise d’information sur le voile inté gral ont constaté qu’une partie des femmes se voilant intégralement ne le font pas sous la contrainte et qu’il est dans ces cas là difficile d’invoquer des notions comme la dignité humaine et l’égalité hommesfemmes, qui ne sont, selon le Conseil d’Etat français, pas opposables à la personne adop tant un comportement jugé “indigne” ou inégalitaire de sa propre initiative. Ce constat a conduit les auteurs de la proposition à choisir l’interdiction de la dissimulation du visage plutôt que celle du voile intégral, choix qu’ont également fait les députés belges. L’in térêt que les députés belges ont porté à la quête d’une base juridique appro priée par les juristes et le Conseil d’Etat français ne s’est visiblement pas étendu jusqu’aux conclusions de ces derniers, qui rejettent purement et simplement l’idée d’une interdic tion générale fondée sur des motifs de sécurité publique, estimant que ces La Libre Belgique - jeudi 15 juillet 2010 Illu Philippe JOISSON motifs ne pouvaient justifier que des interdictions ciblées, dans des lieux et circonstances particulières (par exem ple, les services publics, banques, grands magasins en périodes de fêtes, bijouteries, manifestations, etc) ou lorsqu’une identification de la per sonne est nécessaire (contrôle d’iden tité, de l’âge, du sexe), ces interdictions ciblées étant par ailleurs déjà large ment possibles dans l’état actuel du droit français, sans que l’adoption d’une loi ne soit nécessaire. La conception extensive de l’ordre pu blic finalement retenue par les parle mentaires belges et français, qui inclu rait des considérations relatives au “vi vre ensemble” et qui impliquerait que les personnes puissent se reconnaître dans la rue a également été rejetée par le Conseil d’Etat français qui a, par ailleurs, indiqué que cette nouvelle conception devrait alors être générale et que dans beaucoup de cas, ce n’était pas envisageable (déguisements, cas ques, opérations publicitaires, mas ques lors d’épidémies de grippe). Comme leurs confrères de la majorité parlementaire française, les parle mentaires belges n’ont tenu compte de cette remarque que pour prévoir toutes les exceptions possibles à la loi, de sorte que cette nouvelle concep tion de l’ordre public ne s’applique qu’aux femmes voilées intégralement et éventuellement aux jeunes en ca goules. Ils n’ont pas encore précisé s’il fallait prévoir une exception pour les personnes déguisées en crayon de vote dans le cadre d’une campagne vi sant à inciter les jeunes à aller voter, une précision sans nul doute néces saire pour les policiers de Genk qui ont interpellé un tel crayon de vote le weekend précédant les dernières élections. N’intéresse visiblement pas non plus les députés belges, le paradoxe qu’il y a à punir des femmes, qui lorsqu’elles sont contraintes de porter le voile in tégral, sont des victimes et non des auteurs d’infraction, alors que le pro jet de loi français incrimine spécifi quement le fait de contraindre une personne à se voiler intégralement, en prévoyant une peine nettement plus lourde dans ces cas. Ce paradoxe prend tout son sel quand on se rend compte que les parlementaires belges semblent considérer inconcevable que le voile intégral puisse être porté sans contrainte, contrairement aux députés français qui ont reconnu clai rement que dans certains cas, ce port est volontaire. Les parlementaires bel ges ne voient donc aucun mal à consi dérer les femmes voilées intégrale ment comme des victimes et à punir ces mêmes victimes. Or, soit elles sont contraintes et dans ce cas, leur infliger une amende semble particulièrement injuste, soit elles ne le sont pas, et une partie de l’argumentaire contre le voile intégral basée sur l’oppression de la femme qu’il représente dispa raît, et l’on est alors réduit à imaginer une base plus philosophique que juri dique reposant sur une vision idéali sée de la société, dans laquelle le fait de pouvoir se reconnaître ainsi que celui de pouvoir se sourire dans les rues sont, comme l’ont abondam ment répété les députés français lors du vote de la résolution déclarant le port du voile intégral contraire aux valeurs de la République, des élé ments fondamentaux. En guise de conclusion, précisons que le Conseil d’Etat français, qu’on peut tout de même difficilement soupçon ner de partialité visàvis des islamis tes, a mis en avant qu’une prohibition du voile intégral rejetée par le Conseil constitutionnel ou la Cour euro péenne des droits de l’homme ris quait précisément de renforcer les comportements qu’elle visait à inter dire. Cette remarque, ainsi que la ré cente recommandation du Conseil de l’Europe qui invite les Etats membres à ne pas interdire le voile intégral, parlera peutêtre plus aux parlemen taires fraîchement élus que les objec tions relatives à la procédure et aux droits de la personne et les conduira, espérons le, à la prudence avant de re mettre ce point à leur agenda. Doit-on punir des femmes qui, contraintes de porter le voile intégral, sont des victimes et non des auteurs d’infraction? U L’intégralité des travaux de la mission parlementaire d’information sur le voile intégral sont disponibles sur le site de l’Assemblée nationale française http:// www.assembleenationale.fr/13/dos siers/voile_integral.asp . L’étude du Conseil d’Etat français sur le site de ce dernier http://www.conseiletat.fr/cde/fr/ rapportsetetudes/possibilitesjuridi quesdinterdictionduportduvoilein tegral.html. Rudolf REZSOHAZY Chroniqueur P Quand la morale faiblit, il faut la remplacer en légiférant. Aujourd’hui, les lois prolifèrent. Sur tout. L’ idée centrale de cet article est la sui vante : quand la morale faiblit, il faut la remplacer en légiférant. A l’opposé, si tout le monde observe la morale, on n’a pas besoin de lois. La morale sert efficacement la régula tion sociale, si les normes qu’elle pres crit sont bien ancrées dans les cons ciences. Les contrevenants ne doivent pas être traînés devant les tribunaux, parce que leur entourage leur fait sen tir qu’ils ont dépassé les bornes et, éventuellement, il les sanctionne. C’est ce qu’on appelle le contrôle so cial. Si le personnel politique et admi nistratif respecte le bien public et se conduit irréprochablement, la cor ruption, les détournements, l’abus des biens sociaux, la prévarication, etc., sont des faits exceptionnels. Ils sont commis par des personnes dont la conscience ignore la vertu d’honnê teté. Dix commandements ont suffi à Moïse pour maintenir les Juifs sur le droit chemin. Chez nous, des lois ont proliféré ces derniers temps pour pu nir des actes que le sens de la justice ou la bienséance devraient suffir pour prévenir : le racisme, la xénophobie, la discrimination ethnique, l’antisémi tisme, la négation de l’holocauste, l’homophobie, le harcèlement sexuel ou moral. La législation en ces matiè res est d’ailleurs peu efficace à cause La réglementation du port de certains vêtements est aussi récente. La France a interdit aux femmes (plus particu lièrement aux écolières) musulmanes de se couvrir la tête d’un voile dans certains lieux. Nous, en Belgique, nous avons pris en grippe la burqa. Je ne dis pas que la mesure votée n’est pas justifiée, mais vu le nombre peu élevé des personnes touchées, il aurait été peutêtre suffisant d’édicter que, dans l’espace public, les gens doivent être identifiables. Si j’étais roi d’Ara bie saoudite, comme mesure de re présailles, je prohiberais dans mon pays le costume des gilles de Binche. Personne n’a interdit aux prêtres ca tholiques la soutane. L’évolution des mœurs a fait son oeuvre et ils ne por tent plus l’habit ecclésiastique sauf en disant la messe. Pour comprendre l’évolution du rè gne de la morale vers la répression par la loi, il est recommandable de consi dérer les changements radicaux des années soixante et septante. On par lait alors avec mépris de la “moralisa tion” et on inaugurait une ère de per missivité. La liberté d’expression s’est élargie à telle enseigne qu’il suffisait de l’invoquer pour dire n’importe quoi de n’importe qui. Entre autres, le prophète Mahomet en a fait les frais. Or, le droit à la liberté, acquis de haute lutte dans le passé, entraîne un de voir : celui d’en user en respectant autrui. C’est une obligation éthique. En France, une loi se prépare sur le harcèlement psychologique au sein du couple. En Espagne, un conjoint violent peut se voir imposer un bracelet électronique. jeudi 15 juillet 2010 - La Libre Belgique 51