I am Citron-Man - Mr Stark ! - Appelle-moi Tony

Transcription

I am Citron-Man - Mr Stark ! - Appelle-moi Tony
I am Citron-Man
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Mr Stark !
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Appelle-moi Tony
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Tony, je vous admire depuis toujours, je suis votre plus grand fan, vous êtes mon
héros…
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Je sais, je sais, je suis le meilleur. Je suis Tony Stark, inventeur de génie, j’ai une
copine géniale et, de temps en temps, je sauve le monde.
Ça ne viendrait pas du trailer par hasard ?
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Hey kid, reprend Tony Stark, ne m’en veux pas si je te prends ton verre, être un génie
ça donne soif.
Ce n’est pas une question. Iron Man saisit mon verre de sa main métallique rouge et or, et
porte lentement le breuvage à sa bouche. Je ne réagis pas. J’entends alors un cri à ma gauche.
-
Coupez !! Tu sais lire non ? Tu es censée le frapper avec ta super-force puis utiliser
ton super rayon-laser pour le projeter à l’autre bout de la pièce, c’est pourtant pas
compliqué !
Je jette au réalisateur un regard noir. Il en a de bonnes. D’une part, c’est totalement illogique.
Si je fais le moindre mouvement, Tony Stark me pulvérise avec son armure ultrasophistiquée.
D’autre part, je suis face à mon idole absolue, Robert Downey Jr, et je dois le démolir ? Crève
charogne, je sais que le cinéma n’est qu’illusion, mais le geste me répugne. A ce moment
précis, je rêve plutôt de le serrer dans mes bras.
Pour la nième fois de la matinée, la charogne me hurle dans les oreilles.
-
On recommence ! Oasis is good, prise 7 !
Je vous épargne le pathétique dialogue du début. Arrive le moment fatidique. Je me force à
esquisser un mouvement vers le thorax d’Iron Man. Mais résonne encore le meuglement du
réalisateur.
-
C’est trop mou !! Purée, un imbécile pourrait le faire !
Alors vas-y. Ce rôle est fait pour toi.
Mais Robert Downey Jr arrive à ma rescousse :
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Simon, faisons une petite pause, ok ? On a tous besoin de souffler je crois. Va prendre
un thé, je te sens tendu.
Simon maugrée mais obtempère. La star a toujours raison.
Je ricane intérieurement. Robert : 1 – Simon : 0.
Mais je fais moins la maligne lorsque Robert m’entraîne un peu à l’écart du plateau.
-
Je ne suis pas en sucre tu sais. Et tout ne sera pas fini entre nous si tu me pulvérises
devant la caméra !
Il me sourit. Je reste béate, la bouche à moitié entrouverte, incapable de formuler la moindre
pensée ni le moindre mot. Le tableau est pathétique, je vous l’assure.
Et un rire franc, communicatif retentit, brisant les barrières de gêne qui embrument mon
cerveau.
-
Je me suis dit que ce serait bien de faire un peu connaissance avant de continuer. Tu es
encore plus tendue que Simon, ç’en devient un exploit. Mais je ne vais pas te manger
tu sais.
Je me secoue les puces, espérant brandir une réponse spirituelle :
-
Heu… Pour reprendre ce texte si poétique et original, je vous admire Mr Downey Jr,
je suis votre plus grand fan, vous êtes un exemple pour moi… Alors me retrouver face
à vous… J’ai encore un peu de mal à réaliser.
Pour l’intelligence du discours on repassera. Mais je sauve les apparences avec une voix claire
et posée. Miracle.
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Déjà appelle-moi Robert.
-
On ne va pas refaire la scène dans son entier quand même ?
Mes joues rosissent devant cet accès de sincérité. Je décide de pousser l’audace encore plus
loin :
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Si je puis me permettre…
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Je t’en prie, j’aime la franchise.
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Ce texte, pour le formuler poliment, est d’une platitude exemplaire.
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Affligeant.
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Manquant totalement d’originalité.
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L’œuvre d’un amateur.
-
Comment avez-vous pu accepter ça ? demandé-je soudainement. C’est indigne de
votre talent.
-
Est-ce que je ne rends pas une fan heureuse ?
Je rougis et baisse les yeux.
-
Et je ne refuse jamais un complément de salaire, tu dois savoir dans quelle misère je
me trouve.
Il a le regard mutin, et j’éclate de rire. La glace est enfin rompue.
Je soupire.
-
Si au moins nous pouvions le jouer au second degré…
-
Le métier d’acteur est un travail d’adaptation et de composition.
Je le regarde. Il a la fin de quarantaine triomphante, est revenu au sommet après des années
noires, se trouve être au naturel un homme adorable et à l’écoute, et par-dessus tout, possède
un talent inné, un véritable don. J’admire depuis toujours son travail de composition, la
sincérité et la générosité de son jeu. L’autodérision est son amie, mais l’émotion n’est jamais
loin, et vous retourne le cœur. D’un ton sans une once de flatterie, je fais la constatation de
mes pérégrinations intellectuelles :
-
Vous êtes un dieu de cinéma. Je n’ai aucune légitimité à jouer face à vous…
-
Tu sais que c’est faux.
Je sens la gêne pointer de nouveau le bout de son nez. Je décide de sauver le climat si
agréable que nous avons réussi à instaurer.
-
… et avouez qu’il est difficile de paraître sérieuse habillée en Citron géant !
Il me regarde. Je me regarde. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Eclat de rire partagé.
Je porte un déguisement assez informe, censé représenter le célèbre fruit jaune et acide, qui
laisse apparaître mes yeux et ma bouche ainsi que mes bras et mes jambes revêtus d’une
fausse armure d’Iron Man.
Je suis Citron-Man.
Toute cette matinée avait été irréaliste, très loin de ce que j’avais imaginé lorsqu’on m’avait
annoncé que j’avais remporté le concours pour tourner la prochaine pub Oasis avec Robert
Downey Jr. Après les trois battements que mon cœur avait ratés, je concevais naïvement
toutes les étapes de cette journée. L’arrivée en limousine, la rencontre distinguée, les
projecteurs et la gloire, le numéro de Robert Downey Jr en poche et déjà une avalanche de
propositions pour l’avenir (je vous rassure, je ne pensais pas qu’un dixième de ceci se
réaliserait. Mais le rêve hollywoodien a la vie dure, et cette journée était pour moi placée sous
le signe du glamour).
Mais derrière la vitrine dorée, la réalité n’a rien de clinquant. Nuit très courte dans un petit
motel, lever à 7h pour rencontrer Simon à 8h, roquet qui ne mord pas vraiment mais dont les
jappements me hérissent les poils. Début du tournage à 9h, sans pouvoir adresser un mot à
Robert. Et au final, huit prises complétement ratées et un costume aussi affligeant que le texte.
Quid des tailleurs blancs à la Pepper Potts attendus : je suis Citron-Man, héros en devenir qui
souhaite apprendre de son héros préféré, mais prêt à sacrifier son rêve pour un verre d’Oasis.
« Même Iron Man ne peut surpasser mon Oasis. Oasis, le compagnon de mes plaisirs, mon
bien le plus précieux ». Consternant.
Je suis presque soulagée que mon visage soit masqué et ma voix changée en post-production
(si vous ne l’aviez pas remarqué, Citron-Man ne s’appelle pas Citron-Woman). Mais je
resterai l’incarnation de Citron-Man, aux yeux de ma famille, de mes amis… et de Robert.
La salle de tournage est vide. Nous disposons encore de dix bonnes minutes avant le retour
de l’équipe. Une idée germe dans mon esprit, tellement folle que j’hésite à la proposer à
Robert Downey Jr. Mais aujourd’hui tout me semble possible.
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Si on « empruntait » la caméra pour tourner notre propre version de Citron-Man ?
Tout sentiment de peur et de raison s’est envolé. Je suis pourtant tout sauf douée en
improvisation et Simon, aussi détestable soit-il, est un réalisateur plutôt respecté dans la
profession. Mais une étincelle s’allume dans le regard de Robert Downey Jr. C’est gagné.
Let the show begin !
Prise 1.
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Hey Tony
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Hey Citron.
-
You talkin’ to me ?
Ok, mon imitation de De Niro est pitoyable. Mais j’ai le mérite de déclencher un nouveau
fou-rire.
Prise 2.
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Mr Stark.
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Mr Citron.
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C’est un honneur de vous rencontrer.
-
Honneur partagé.
Un silence, que rompt Tony Stark.
-
Puis-je vous dérober votre breuvage qui m’a l’air délicieux ?
-
Faites, faites, je vous en prie.
-
Je ne voudrais pas abuser.
-
C’est de l’Oasis de grande qualité, il vous revient de droit.
-
Vous me flattez
Deux dandys portant pour l’un une armure de fer et pour l’autre un costume de citron.
L’autodérision, le meilleur remède au ridicule.
Prise 3.
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Iron Man ! Mr Stark !
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Mmmm…
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Je m’appelle Citron-Man, je veux apprendre au contact du héros pour lequel le mot
« cool » a été inventé.
Rire moqueur de Tony Stark.
-
Je préférerais prendre Happy en apprentissage plutôt qu’un Citron portant une barbe
de trois jours. Alors tu m’excuseras mais je suis… pressé.
Je retiens mon rire. J’ai toujours adoré les blagues nulles.
Tony Stark s’empare de mon verre et le boit d’un trait. Emportée par Citron-Man, je me
précipite vers lui, plus par déception que pour le vol en lui-même. Je me sens d’humeur à
atomiser mon héros préféré. Je lève le poing… que saisit Iron Man et qu’il retourne derrière
mon dos. Entraînée par mon poids, je perds l’équilibre et m’affale sur le sol. Iron Man pose
son pied de fer sur mon dos et brandissant son verre vide, s’écrit :
-
Oasis, le breuvage du maître des héros, plus grand dieu mortel de l’univers, j’ai
nommé… moi-même ! Et on ne défie pas impunément un dieu.
Tony Stark jette un regard de dégoût vers le citron qui gît à ces pieds.
-
Et n’oubliez pas : il ne suffit pas de ressembler à Iron Man pour faire du Iron Man.
Mais boire Oasis est un bon début.
« Oasis, la boisson des super-héros et des dieux ! »
Coupez. Je penche la tête et me retrouve une nouvelle fois sans mot. Ce slogan est parfait, et
cette prise tout à fait digne de Tony Stark.
Robert se tourne vers moi :
-
Je pense que le contrat est rempli, mais j’ai peur que Simon nous fasse une petite crise
en revenant. Laissons passer la tempête autour d’un verre !
-
Avec plaisir, mais je ne veux pas entendre parler d’Oasis.
Et nos rires accompagnent ce rêve éveillé qui n’est pas prêt de prendre fin.

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