Les trois sages dans la maison vide
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Les trois sages dans la maison vide
• L I T T É R AT U R E 7 n Lecture utile Les trois sages dans la maison vide Ils se sont enfermés dans une maison isolée au coeur d’une forêt, en Dordogne, et ils ont écrit un gros livre qui est devenu le best-seller de l’été, «Trois amis en quête de sagesse» (Allary Editions). Les trois amis, qui sont aussi trois sages, parlent du sens de la vie et de la recherche du bonheur, mais également de sujets très concrets, comme la meilleure manière d’aménager et d’entretenir sa maison. «L e voleur dans la maison vide»: c’est le titre superbe que le philosophe et académicien français Jean-François Revel, avait donné ses mémoires, parues il y a une vingtaine d’années. Un titre inspiré d’un proverbe bouddhiste: tout homme entre dans la vie comme un voleur qui s’introduit dans une maison pour s’apercevoir, en fin de compte, qu’elle est vide. La maison sobre et heureuse C’est un peu le même sentiment qui inspire aujourd’hui le fils de l’écrivain, Matthieu Ricard, moine bouddhiste depuis quarante ans, traducteur du dalaï-lama et auteur de nombreux livres. Avec deux de ses célèbres amis, le philosophe suisse Alexandre Jollien et le médecin psychiatre Christophe André, il vient de publier un gros ouvrage, «Trois amis en quête de sagesse», qui est une sorte de réflexion et de dialogue très libre, non seulement sur le sens de la vie, mais aussi sur sa valeur et surtout sur la meilleure manière de la vivre intensément. La conclusion partagée par les trois amis: pour vivre heureux, vivons légers! Pour vivre heureux, évitons tout ce qui encombre l’esprit et la vie quotidienne. Les trois amis parlent de tout, de l’ego, des relations avec les autres, de la liberté, des émotions, du temps qui passe, mais ils reviennent sur des questions pratiques et immédiates, sur des questions terre-à-terre qui constituent la réalité de notre vie quotidienne. Le cadre de vie, la maison, notre rapport avec les meubles qui nous entourent, l’atmosphère dans laquelle on baigne, jour après jour… Matthieu Ricard n’est pas bonze pour rien: il plaide pour la légèreté et le dépouillement, le véritable confort étant, à ses yeux, à la fois esthétique et spirituel. Une chambre et un petit ermitage «On raconte l’histoire d’un moine tellement attaché à son bol qu’il serait re-né sous la forme d’un serpent lové dans son fameux bol, et ne laissant approcher personne, explique-t-il. Le dépouillement n’est donc pas une question de richesse ni de pauvreté, mais de force avec laquelle on s’accroche aux choses. Cela dit, c’est incroyable ce que j’arrive, malgré moi, à engranger. J’ai une petite chambre au monastère de Shechen, au Népal, qui fait trois mètres sur trois, et un ermitage dans la montagne, encore plus petit». Ce que constate Matthieu Ricard, c’est qu’il parvient encore à surcharger ces endroits voués normalement à la réflexion et à la méditation. L’espace qui lui est dévolu, il a tendance à le surcharger, comme chacun d’entre nous le fait régulièrement en achetant une nouvelle chaise ou une nouvelle bibliothèque. D’où un sentiment d’exiguïté qui alourdit la pensée au lieu de l’alléger! Le grand ménage une fois par année «Dans chacun de ces deux endroits où je vis, poursuit Matthieu Ricard, j’ai un autel avec • De gauche à droite: Matthieu Ricard, Alexandre Jollien et Christophe André. des livres et quelques statues et, en dessous, deux petits espaces de rangement. Et je finis quand même par accumuler plus que le nécessaire. Alors, une fois par an, je sors tous les vêtements qui s’y trouvent et distribue ceux que j’ai en double ou au triple. Dans le local où je travaille, au monastère, j’éprouve une véritable jubilation à jeter des paquets de vieux dossiers qui vont alimenter les feux de la cuisine». Eviter d’accumuler, garder la maîtrise de son espace, préférer les meubles légers aux meubles lourds et massifs. «Ce dont nous parlons ne concerne évidemment pas les gens qui vivent dans la précarité ou dans le dénuement total, précise encore le moine philosophe. Nous avons tous besoin d’un toit sous lequel nous abriter». Un exercice de libération intérieure Un souci partagé par Alexandre Jollien, qui relève aussi toute la richesse qui se niche dans un cadre de vie volontairement simple et dépouillé. «Qui nous laisse croire que, pour être heureux, il faut nécessairement être TOUT L’IMMOBILIER • NO 821 • 22 AOÛT 2016 libéré de tout manque? Je crois, au contraire, qu’il est possible de connaître une joie profonde avec nos carences, nos frustrations, dans les hauts et les bas de l’existence. Si j’ai besoin de ma bagnole, de mon ordinateur, si je suis ligoté aux réseaux sociaux, je souffrirai tôt ou tard, et ce d’autant que le lien est vicié». Un exercice de libération intérieure qui n’est pas forcément facile, mais qui fait toujours du bien à ceux qui font cet effort. «Je ne suis pas un bon exemple, confie aussi Christophe André à ses deux amis. Je n’aime pas jeter. J’ai des excuses, des justifications: mes parents étaient de grands accumulateurs, des adeptes du «au cas où», du «cette ficelle, je ne vais pas la jeter, elle peut toujours servir» ou « ces vieux journaux on peut en avoir besoin s’il y a une fuite d’huile sous la voiture». J’ai toujours eu le sentiment que cela leur encombrait la tête et l’esprit». Les conseils de trois spirituels qui sont aussi de grands réalistes! n Jaques Rasmoulado