Quelle stratégie patrimoniale pour la réhabilitation énergétique ?

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Quelle stratégie patrimoniale pour la réhabilitation énergétique ?
Colloque du 9 avril 2013 – FIAP Jean Monnet, 75014 PARIS
ADOMA, en partenariat avec la Fondation Bâtiment Energie, présente
Quelle stratégie patrimoniale pour la réhabilitation énergétique ?
par Elodie Lapierre
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Contexte
Les lois du grenelle I et II, prévoient une réduction de consommation d’énergie, tous
logements confondu, de l’ordre de 38% d’ici à 2020. Pour parvenir à cet objectif, Pierre
Hérant2 précise que 400 000 logements doivent être rénovés chaque année.
Mais depuis la directive sur l’efficacité énergétique (2012/27/UE), adoptée le 11 septembre
2012 et les rencontres de la performance énergétiques organisées par l’ADEME, le 9 et 10
octobre 2012, les retards concernant la réhabilitation des bâtiments ont largement été mis en
évidences. En cause, un travail titanesque qui nécessite l’implication de très nombreux
acteurs.
Alors, afin d’amorcer le processus, la Fondation Bâtiment Energie3, a lancé son 4ème appel à
projets sur la maîtrise des consommations d’énergie, l’intégration d’énergies renouvelables
et la diminution des émissions de gaz à effet de serre ; dont ADOMA est un des lauréats
avec son projet ADORER - ADOma Réhabilitation Energétique des Résidences.
Introduction
Le colloque a ainsi été l’occasion de présenter les conclusions du projet ADORER, porté par
six acteurs complémentaires : EDF R&D, La Calade conseil en développement durable,
Enerconcept ingénierie énergétique, SENZO études qualitatives, Hannouz & Janneau
Architectes et l’Institut Maintenance Immobilière et Sécurité de l’université d’Angers. Ce
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Chargée de projets à l’APPA – Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique
Directeur de la Fondation Bâtiment Energie et Chef du service Bâtiment de l’ADEME
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Fondation Bâtiment Energie a été fondée en 2005 par quatre groupes industriels (Arcelor Mittal, EDF, GDF
Suez, Lafarge) et reconnue d’utilité publique la même année. La FBE a été créée à l’initiative de l’ADEME et du
CSTB, et est soutenue par le Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de
l’Immigration, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et le Ministère de l’Écologie, du
Développement Durable, des Transports et du Logement.
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projet vise à réduire les consommations d’énergie dans les logements accompagnés
(logements d’insertion) gérés par ADOMA. Ces logements sociaux présentent plusieurs
particularités. D’abord ils sont destinés à une population précaires, principalement issue de
l’immigration, parlant peu ou pas le français et peu lettrée. Ensuite la durée de séjour n’est
pas censée excéder les deux ans, bien que ce délai ne soit pas précisément respecté. Enfin
les logements sont des chambres, de 9 à 15m2, où la cuisine, les sanitaires et la pièce à
vivre sont en communauté.
Le projet de réhabilitation énergétique vise à réduire les consommations d’énergie de
manière globale, l’électricité et l’eau chaude sanitaire sont incluses. Il repose à la fois sur
une analyse technico-économique (typologie des bâtiments et coûts de la rénovation) et une
analyse contextuelle (qualité d’usage des bâtiments, coutumes et mœurs des résidents). A
partir de ces deux analyses, l’objectif est de définir différents scénarii de réhabilitation en
tenant compte du coût global et du comportement des occupants.
Le projet ADORER
Il a pour défi de combiner bâtiments basse consommation et utilisation parcimonieuse de
l’énergie.
1. Profil des logements
ADOMA, mettre d’œuvre et gestionnaire du logement d’insertion, précise que les 2/3 de son
parc datent des années 60-70. La majorité de ses logements sont classés D et E, d’après les
diagnostics performances énergétiques. La consommation moyenne par logement est de
226kWh/m2/an alors que la loi n° 2009-967 du 3 août 2009, relative à la mise en œuvre du
Grenelle de l’environnement, impose aux logements sociaux, de ramener leur consommation
d’énergie sous les 150 kWh/m².an, avant 2020.
2. Stratégie de réhabilitation des bâtiments selon leur typologie
ADOMA gère plus de 500 résidences sociales de caractéristiques diverses. Afin de conduire
une stratégie de réhabilitation efficace, reproductible et extrapolable à l’ensemble de son
parc, des bâtiments témoins (bâtiments types) ont été identifiés. Au nombre de sept et situés
sur l’ensemble du territoire, ils constituent un échantillon représentatif de l’ensemble du parc
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de logements sociaux gérés par ADOMA. La sélection des bâtiments témoins, s’est faite sur
les critères suivants.
Critères de sélection
Critères complémentaires
Année de construction
Région (zone climatique)
Superficie des logements
Caractéristiques architectural (exposition)
Taux d’occupation
Critères sociologiques (activité, nationalité,
âge, ancienneté dans la résidence)
Niveau de consommation
Type d’énergie (gaz, électricité, fuel)
Tableau 1 : critères de sélection d’après La Calade
Une fois la typologie du parc de logements sociaux accompagnés définie, deux outils ont
été crées, afin d’aborder les différents scénarii de réhabilitation et les coûts globaux
associés.
Le premier est un outil d’aide à la décision, nommé RECORES pour REhabilitation
COhérente des REsidences. L’outil se présente sous forme d’une « check list », qui permet
en fonction des caractères observés de choisir un scénario adapté au bâtiment. Les
paramètres pris en compte concernent à la fois les caractéristiques du bâtiment strictocensus, et à la fois son positionnement dans le paysage urbain et périurbain :
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Performance énergétique du bâtiment
-
Ventilation
-
Confort acoustique
-
Gestion de l’eau
-
Qualité d’usage
-
Accessibilité
-
Eclairage intérieur comme extérieur de la résidence
-
Sécurité et risques
-
Insertion dans le quartier
-
Image de la résidence
-
Pérennité de l’ouvrage
Une fois les différents scénarii possibles identifiés, la viabilité économique est testée avec le
modèle OPERA – OPtimisation de la réhabilitation Energétique des Résidences sociales de
l’ADOMA. C’est un outil permet de simuler les programmes de réhabilitation pour connaitre
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l’étendu maximale des champs d’actions et leurs portées, tout en tenant compte des coûts
globaux. Le modèle est basé sur une approche technico-économique. D’un côté il permet de
simuler la consommation du bâtiment, d’estimer la réduction d’émission de gaz à effet de
serre. De l’autre côté, il calcule les coûts à court et à long terme, d’après la baisse de
consommation d’énergies, la rentabilité collective, le remboursement d’emprunts, la durée de
vie des composants et matériaux, etc.
3. Stratégie de réhabilitation des bâtiments d’un point de vue sociologique
La maitrise de la consommation en énergie ne peut s’envisager que par la rénovation du
parc. Le comportement des résidents doit absolument être pris en compte, car ce sont eux
qui ont « la main sur le robinet ».
L’approche sociologique a été menée aussi bien auprès des personnels d’ADOMA
(impliqués dans la gestion et la maintenance des établissements) qu’auprès des résidents.
Aux premiers abords, les enquêteurs ont dû faire face à beaucoup d’aprioris et de réticences
de la part des personnes interrogées. Alors qu’une fois la démarche expliquée, les entretiens
se sont déroulés dans de très bonnes conditions.
Méthode
Les entretiens ont été menés individuellement, d’une durée moyenne 1h30. Au total 34
personnes ont été interrogées parmi les employées d’ADOMA et 30 auprès des résidents.
Résultat
Il s’agit d’une enquête qualitative, permettant de cerner leurs sensibilités par rapport aux
questions d’économies d’énergie, leurs comportements vis-à-vis de l’utilisation de l’électricité
et l’eau chaude sanitaires, ainsi que leurs appréhensions concernant les travaux à venir.
a) Niveau de sensibilité face aux dépensent énergétiques (électricité et eau
chaude sanitaire)
Personnels d’ADOMA
Résidents
Ils sont très préoccupés par la question, ils ont
conscience :
Ils se sentent peu concernés, les principales
sources de préoccupations sont :
-
-
-
du coût de l’énergie
que le logement doit être confortable
sans extravagance (utilisation rationnelle
de l’énergie)
de l’impact environnemental
les finances
les questions de sécurité
un confort privilégié
la propreté et hygiène
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Le groupe SENZO, qui a mené l’enquête, précise que l’intérêt des résidents est minime et
les efforts du personnel vains. De plus, il note un net décalage entre le comportement
vertueux que les résidents disent avoir au quotidien, et les observations faites par les
personnels de l’ADOMA. Ces derniers rapportent de nombreuses pratiques déraisonnables,
telles que les lumières continuellement allumées ou les robinets laissés ouverts.
b) Comportement des résidents vis-à-vis de l’utilisation de l’énergie
A la suite de ces entretiens, l’équipe de SENZO a été en mesure de dresser les facteurs
favorables à une maitrise de l’énergie et les facteurs défavorables.
Les principaux facteurs favorables à l’économie d’énergie

L’occupation d’un autre logement
Le fait d’avoir payé des charges par le passé ou d’en payer (maison secondaire au pays),
aide les résidants à se rendre compte du coût de l’énergie et les responsabilisent.

Le parcours de vie souvent difficile à très difficile (addiction, licenciement ou divorce
brutal, etc.)
Lorsque que ces événements ont été « digérés », la personne a tendance à adopter un
comportement plus vertueux pour ne pas recommencer les « erreurs du passé ». Cependant
leur comportement n’est pas toujours approprié car ils sont souvent mal informés, malgré la
volonté de bien faire.

La pratique de la religion musulmane chez les anciens
Très attachés à la valeur de non gaspillage.

Les ressources de la région d’origine
La rareté des ressources dans le pays d’origine fait que chez eux, ils l’utilisent avec
parcimonie.

La situation sociale
La consommation énergétique d’un logement où une personne vit seule est bien moindre
que celle d’un logement en suroccupation ; ou encore, une personne active consomme
moins qu’une personne sans emploi, continuellement dans son logement.

Les valeurs personnelles et l’éducation
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Facteurs mineurs favorables à l’économie d’énergie

L’ancienneté dans la résidence

Une sensibilisation écologique

L’information par les médias

Démarche de sensibilisation de l’ADOMA dans les résidences
Les principaux facteurs défavorables à l’économie d’énergie

Principe de redevance
Le caractère forfaitaire, auquel sont soumis les résidents, cache le prix exact des charges.
Les résidents ne se rendent pas compte des coûts que ça représente et ça ne les sensibilise
pas.

Génération
Les jeunes nés entre 1985 et 1995 font bien moins attention, car l’énergie est un bien acquis.

La suroccupation
Les résidents n’ont souvent pas conscience de l’incidence du nombre de personnes sur la
consommation d’eau et d’électricité.

Le refus d’ingérence dans la vie de ses voisins
Le manque de communication, voire l’absence de liens entre les résidents, ne participe pas
à la diffusion des bonnes pratiques.

L’isolement volontaire et involontaire
Certaines personnes possèdent leurs propres électroménagers dans leur chambre, afin de
ne pas utiliser les équipements collectifs. De plus les appareils sont généralement anciens et
peu performants énergétiquement, entrainant un surcout de consommation.
D’autres souffrant de l’isolement ont tendance à laisser allumer les lampes de manière
continue afin d’avoir un sentiment de réconfort, l’impression de ne pas être seul. Cet usage
est également utilisé comme moyen de dissuasion contre le vol.

Climat de la région d’origine
La plupart des locataires sont d’origines magrébines ou subsahariennes, et revendiquent un
besoin de chaleur. Ainsi les températures mesurées dans les logements dépassent
fréquemment les 25°C, voire 30°C. Par conséquent de nombreux chauffages d’appoints ont
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été recensés, bien qu’ils soient interdits. De plus les enquêteurs de SENZO se sont aperçus
que si les résidents n’étaient pas en mesure de voir la source de chaleur ils pensaient
qu’elle était inexistante (ex : le chauffage au sol).

Facteurs physiologiques
Généralement les logements où vivent les personnes âgées et les femmes, sont un peu plus
chauffés que la moyenne, car ils sont habituellement considérés plus frileux que le reste de
la population.
c) Appropriation de la réhabilitation énergétique par les résidents
Dans l’ensemble, ils sont peu sensibles voire réfractaire à la réhabilitation énergétique, car
cela implique un changement. Certains y voient l’occasion d’acquérir plus d’autonomie dans
leur logement avec une disparition progressive des pièces communes. En effet ADOMA,
dans sa politique de rénovation, tend à créer de plus en plus de petits studios autonomes.
D’autres enfin y voient l’opportunité d’améliorer le confort de leur logement et de ne plus
avoir à utiliser de chauffage d’appoint.
Ainsi les experts de l’institut SENZO rappellent quelques points à ne pas négliger lors de la
reconfiguration des logements :
-
Ne pas sous estimer les surfaces vitrées, qui apportent de la luminosité. Cependant cela
représente un défi énergétique car les baies vitrées ont une déperdition énergétique non
négligeable.
-
Accompagner l’isolation thermique d’une isolation acoustique.
-
L’isolation ne doit pas réduire la surface habitable.
-
Pour le choix du chauffage, il faut absolument tenir compte des coutumes des résidents
et les rendre visibles
-
Envisager un éclairage chaleureux pour les personnes sensibles.
En parallèle il est indispensable de mener une démarche d’accompagnement pour favoriser
l’acceptation
du
logement
et
sensibiliser
sur
les
dépenses
énergétiques.
Cet
accompagnement passe par le personnel d’ADOMA, qu’il convient de former, pour qu’à leur
tour, ils soient capables de sensibiliser et convaincre les résidents sur la nécessité de
maitriser leur consommation en énergie. Enfin un large programme de communication doit
relayer les bons gestes à adopter, pour une utilisation raisonnée de l’eau chaude sanitaire et
de l’électricité, de manière simple et ludique, car la population résidentielle est souvent peu
lettrée et non francophone.
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Discussion
Le confort thermique est une valeur purement subjective et dépend fortement des critères
culturel, générationnel et personnel.
Ainsi la maitrise de l’utilisation de l’énergie est
intimement liée au comportement des habitants, car « ne pas avoir froid » est considéré
comme un dû. Cependant les investigateurs se sont aperçus que les températures effectives
dans les logements étaient majoritairement méconnues des résidents. Ainsi ils ont
fréquemment été obligés d’utiliser un thermomètre pour faire prendre conscience aux
résidents de la température dans leurs logements, qui parfois est très élevée. Il est aussi
important que les appareils de chauffages soient visibles, pour prouver leur existence et leur
fonctionnement.
Les résidents se sentent peu concernés par ces questions d’économies d’énergie. C’est une
population précaire, dont l’intérêt pour ces questions se situent très loin de leurs
préoccupations journalières. Quant aux bénéfices de la réhabilitation énergétique, ils sont
peu clairs et les habitants ne savent pas comment ils pourront directement en profiter. Alors
que le personnel d’ADOMA est davantage conscient de ces bienfaits.
Conclusion
La réhabilitation de l’ensemble du parc social d’insertion, doit être menée en plusieurs
phases, car les modèles utilisés pour caractériser la typologie des logements couvrent
l’essentiel des résidences, mais pas de manière exhaustive. Elle doit également être menée
en plusieurs phases pour réaliser en parallèle des formations auprès du personnel d’ADOMA
et conduire un programme de sensibilisation voir d’éducation à une maitrise de l’énergie à
destination des résidents. L’institut SENZO rapporte l’efficacité de mettre en routine les bons
gestes à adopter.
Le paradoxe dans ces logements accompagnés, est que les personnes éligibles se trouvent
dans une grande précarité sociale, mais ils ne sont pas dans une situation de précarité
énergétique. En effet ils maximisent l’utilisation de l’énergie car ils ne la paient pas et par
conséquent ils n’ont pas conscience de leur comportement énergivore.
Enfin la prise en compte de l’aspect sociologique est essentielle pour pérenniser le bâti et
réduire les consommations d’énergies.
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