sur les smart cities
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sur les smart cities
Quelle intelligence pour quelle ville ? Synthèse de la réflexion de Futuribles International sur les smart cities En 2015, l’association Futuribles International a lancé un groupe de travail sur les villes intelligentes. L’objectif était de mener une réflexion prospective sur les nouveaux modes de fonctionnement de la ville permis par la diffusion des technologies numériques en mettant l’accent sur les transformations des relations qu’entretiennent les acteurs de la ville (citoyens, élus, techniciens, entreprises, opérateurs urbains). Elle a donné lieu à une réflexion de plusieurs mois, et à une journée d’études qui a réuni une vingtaine d’acteurs concernés : représentants de collectivités locales, d’entreprises intervenant dans des smart cities, de membres de Futuribles International, etc. Une analyse prospective a été publiée (réservée aux membres partenaires de l’association), qui est synthétisée ici. Synthèse de la réflexion 1 La smart city , une opportunité pour répondre à de nouveaux défis Le concept de smart city, improprement traduit en français par « ville intelligente », suscite beaucoup d’intérêt et donne lieu à de multiples projets et réflexions de par le monde. Bien qu’elles ne fassent pas l’objet d’une définition unanimement acceptée, les smart cities possèdent néanmoins des caractéristiques largement reconnues. Elles se réfèrent généralement à un idéal qui vise, dans le cadre de la ville, à relever et à concilier les défis du développement économique, de la réduction de l’empreinte environnementale et de l’amélioration de la qualité de vie des citadins, dans un contexte dominé par l’urbanisation et la contrainte écologique. Pour faire face à ces enjeux, la smart city propose de s’appuyer sur les technologies, en particulier numériques. Un nouveau partage des pouvoirs Ces nouveaux défis font déjà l’objet de nombreuses réflexions, de même que le potentiel des technologies numériques pour y répondre. À l’inverse, le fait que la smart city puisse être porteuse d’un nouveau partage des pouvoirs entre les acteurs est, à ce jour, beaucoup moins étudié, et pourtant essentiel à intégrer dans les nouvelles stratégies que les villes mettent en place au nom de la « ville intelligente ». La réflexion menée par Futuribles International a permis de faire émerger trois questions clefs dans ce domaine : 1) Dans quelle mesure les fonctionnalités de la ville intelligente peuvent-elles aider les pouvoirs publics locaux à faire face à leurs nouvelles responsabilités économiques, sociales et environnementales ? 2) Comment ces fonctionnalités suscitent-elles l’apparition de nouveaux acteurs et modifient-elles le rôle des opérateurs urbains ? 3) En quoi les fonctionnalités de la ville intelligente peuvent-elles modifier le fonctionnement démocratique, tant dans les relations de la ville avec les citoyens que dans l’équilibre entre responsabilités politiques et services techniques appuyés sur les technologies d’information ? Des réalisations multiples qui constituent autant d’expérimentations De nombreuses réalisations se revendiquant de la ville intelligente ont déjà vu le jour ou sont en cours de mise en place dans le monde. Néanmoins, ces initiatives peuvent se révéler très différentes en termes d’ambition affichée (la priorité peut être donnée à des objectifs technologiques, environnementaux, sociaux, économiques…), de moyens, de périmètre géographique (les smart cities sont souvent associées à de grandes villes, par opposition aux stupid villages), etc. Six domaines d’action des smart cities sont identifiés par le Parlement européen : gouvernance, économie, mobilité, environnement, modes de vie, citoyens. À partir d’un rapide panorama international, trois grandes catégories de villes peuvent être distinguées. Des villes nouvelles Des projets de villes nouvelles peuvent sortir de terre, avec l’objectif d’en faire des territoires optimisés dans toutes leurs activités grâce aux technologies. Elles naissent dans des pays émergents, qui souhaitent en faire des vitrines de leurs technologies : c’est le cas de Masdar, dans l’émirat d’Abou Dabi, qui affiche comme objectif de ne pas produire d’émissions de carbone, de pollutions ni de déchets, notamment grâce aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Mais le projet, lancé en 2006, accuse des retards successifs, en dépit des 15 milliards d’euros d’investissement. En Corée du Sud, un projet tout aussi ambitieux, Songdo, peine lui aussi à se concrétiser et à attirer des habitants. Des villes historiques qui évoluent globalement Des villes anciennes cherchent à devenir plus « intelligentes » au travers d’approches globales (qui prennent en compte l’environnement, l’économie, le social, la qualité de la vie...). Ainsi, Vienne articule le concept de smart city avec la prise en compte, sur le long terme, d’enjeux globaux : transport, santé, bienêtre, contraintes énergétiques et gestion durable de la cité. Il s’agit d’intégrer les nouvelles technologies pour faciliter ce fonctionnement en réseau, favoriser la transition énergétique et accompagner, voire inciter les changements de comportements. Certaines villes s’engagent sur un modèle d’expérimentation en grandeur réelle, d’autres préfèrent des opérations pilotes conduites à l’échelle d’un quartier. À Lyon, le projet Smart Community ambitionne de faire de Lyon Confluence LE quartier exemplaire en matière 2 d’efficience énergétique. Il s’agit d’améliorer le bien-être des habitants, de dynamiser le tissu économique, tout en économisant les ressources. Des projets déconnectés de stratégies globales Enfin, certaines villes mettent en place des projets répondant à des fonctions spécifiques, selon des logiques très diversifiées. Ainsi, Rio de Janeiro, qui est vulnérable aux fortes précipitations, a mis en place un centre opérationnel de gestion des données en temps réel permettant d’anticiper les risques de pluie et leurs impacts. La ville de Santander, en Espagne, a installé 12 000 capteurs pour rassembler les données pertinentes sur le fonctionnement de la ville et permettre aux utilisateurs d’optimiser leurs comportements, par exemple en matière de transport où les informations sur le trafic, les places de parking disponibles et l’offre de transport public contribue à fluidifier les déplacements. Enjeux et tensions de la smart city Ces trois questions clefs ont permis de mettre en avant des enjeux et des tensions pour l’avenir des smart cities. L’émergence de nouveaux acteurs dans la fabrique de la cité Dans les smart cities, les opérateurs de services urbains deviennent fournisseurs et gestionnaires de données, alors que des acteurs privés comme IBM ou Google se positionnent de plus en plus en prestataires de services. La relation entre la ville et ses partenaires peut donc se modifier profondément, car ces derniers maîtrisent les moyens (notamment techniques) nécessaires à la mise en place et à la gestion des réseaux. Ces acteurs peuvent aussi véhiculer des approches différentes de la smart city : IBM souhaite ainsi orchestrer le fonctionnement des infrastructures et des équipements, alors que Google propose de simplifier la ville grâce à l’analyse des données produites par les activités urbaines (smartphones, véhicules…). Les citoyens jouent aussi un rôle croissant dans la fabrique de la cité, en contribuant à des activités de production et de partage d’informations, de services, voire de biens. Ils participent aussi, volontairement ou non, à la production de données sur lesquelles ils peuvent revendiquer des droits (mise à disposition ou au contraire protection). Leurs attentes vis-à-vis des services rendus par la ville tendent à croître. Vers une approche transverse de la ville Les villes assurent traditionnellement, seules ou avec des partenaires, un certain nombre de grandes fonctions (gestion de la voirie, des transports, distribution d’eau, etc.). Or, la smart city suppose de développer une approche intégratrice qui vise à mettre en commun, par exemple sur des plates-formes numériques, les données de masse détenues par les opérateurs qui assurent les grandes fonctions des villes. Ceci ouvre de nouvelles perspectives de gestion urbaine, en termes de connaissance des situations, d’analyse, et finalement d’anticipation et d’évolution des comportements. Mais cette gestion tend aussi à se complexifier et suppose que le numérique reste avant tout un outil au service d’une vision stratégique du territoire. L’indispensable gestion des données La smart city se traduit par une augmentation exponentielle des données produites par différentes catégories d’acteurs. Ceci soulève de nombreuses questions liées à leur hétérogénéité, à l’interopérabilité des systèmes, à la manière d’organiser et de traiter ces données, mais aussi à leur coût et à leur accès. Les choix faits en ces domaines façonneront la ville intelligente et détermineront son caractère plus ou moins démocratique. La cohabitation de temporalités très différentes Les innovations numériques se traduisent par une accélération des temps de la ville. Or, cette quasi-immédiateté doit cohabiter avec d’autres temporalités : celle du citoyen et de l’usager, celle du politique et de son administration, celle de la réalisation de projets d’équipements ou d’infrastructures de plus ou moins long terme. La mise en cohérence des horizons et des calendriers dans un contexte en évolution permanente devient un enjeu crucial. 3 L’échelle territoriale de pertinence Dans la ville intelligente, les capteurs et les réseaux numériques représentent une véritable « toile » qui met en système ses lieux, ses fonctions et ses acteurs. Plus que dans la ville traditionnelle, une perturbation ou un changement local (adoption d’une nouvelle technologie…) peut entraîner des effets systémiques considérables et peu prévisibles à l’avance. Il semble donc plus que jamais nécessaire de pouvoir appréhender la ville intelligente comme une entité globale, dont on ne saurait séparer les différentes dimensions sociale, énergétique, économique ou technique. Cette intégration soulève la question des échelles territoriales. Aujourd’hui, les villes intelligentes concernent essentiellement les parties centrales des métropoles ou des grandes villes, parfois certains quartiers seulement. Il y a donc un décalage entre le territoire « vécu » de la ville et le territoire au sein duquel se déploie la ville intelligente. Il est probable qu’à l’avenir, ce décalage crée une tension croissante et amène à repenser la manière dont sont déployés et organisés les outils de la ville intelligente. Une multiplication des tensions Enfin, l’apparition d’un « double cyber » de la ville peut se traduire par une multiplication des tensions de toutes natures : - environnementales, les économies de ressources et d’énergie générées grâce au numérique pouvant être moins importantes que prévu ; - sécuritaires, car la ville devient plus vulnérable aux risques techniques, naturels et cyber ; - sociales, liées à des inégalités entre les habitants dans l’accès aux technologies ; - territoriales, liées à l’exacerbation des tensions entre les différents espaces du territoire ; - éthiques, qui pourraient se traduire par un rejet de la smart city et de ses principes, notamment le « solutionnisme technologique » et l’exploitation des données personnelles. Construire une ambition de long terme pour les smart cities Beaucoup des projets se revendiquant des smart cities se traduisent par une multiplication d’actions de court terme, dans des domaines et des échelles géographiques disparates, et qui sont rarement guidées par une stratégie plus globale de plus long terme. Pourtant, ce type de démarche constitue l’occasion de construire une vision commune, et d’organiser des politiques publiques sur la base de choix collectifs et d’une approche systémique du territoire. Il ne s’agit pas de baliser entièrement la mise en œuvre de la smart city, mais de proposer quelques grands principes d’organisation sur le territoire, permettant de marier court terme et long terme. Pour cela, il peut être utile de répondre à quelques questions clefs concernant a) les objectifs fixés à la smart city au regard des responsabilités de la ville et de l’environnement dans lequel elle s’inscrit ; b) les grands principes d’organisation des relations de la ville avec les nouveaux acteurs de la smart city ; c) la place accordée aux citoyens dans la smart city ; d) l’approche privilégiée pour la gestion des données ; e) l’échelle territoriale de référence. Cette approche doit pouvoir être suffisamment souple pour que les objectifs et les chantiers de long terme (renouvellement des infrastructures, etc.) intègrent les incertitudes inhérentes à des évolutions plus rapides (numérique, jeu des acteurs, comportement des habitants…) et stimulent le développement d’innovations. Celles-ci seront sans doute d’autant plus fécondes qu’elles s’inscriront dans une ambition partagée et de long terme. 4